Une expérience rafraîchissante (18/05/2005)

0.jpgComparaison après une visite de travail dans un cadre nouveau. 

Comme je vous l’avais écrit dans mon BLOG « Nous sommes tous responsables », je fais partie de l’IT (c’est-à-dire le service informatique interne) International de notre société. La plus grande partie de ma carrière, ce fut le cas. Auparavant, dans les premières années, j’ai eu l’occasion d’aller en clientèle pour une fonction que l’on appelait alors du doux nom évocateur de « outside help ». Pendant cette époque glorieuse, le travail nécessitait une consultance, la création de programmes clé sur porte au prix de nombreuses heures supplémentaires et souvent de nuits de test.

Notre département IT qu’il ait été local ou centralisé au niveau international est toujours resté un peu en marge. Il restait toujours en contact avec les utilisateurs de la société. Les membres des équipes qui la constituaient au cours du temps se montraient beaucoup plus stables, mieux intégrés et, par là même, avaient un esprit d’équipe plus affirmé. Les gens se connaissaient entre eux pour plus longtemps et généraient de ce fait des liens plus intimes. Les points forts et les petits travers de chacun se connaissaient et pouvaient se corriger dans la ‘douceur’ en connaissance de cause.
 0.jpgBien sûr, la vie n’y a pas été « un long fleuve tranquille », des tracasseries, des désillusions, des restructurations successives, deux drames insupportables ont existé dans nos murs mais nos équipes plus soudées permettaient de redresser la barre et de reclasser les problèmes à leur juste valeur dans un esprit familial.
Le travail était bien sûr planifié comme toutes bonnes procédures, mais cette planification existait souvent pour apporter un garde fou pour des retards éventuels. Le stress a fait partie de nos vies comme tout employé de l’informatique mais avec une certaine modération.
 0.jpgTout dernièrement, nous avons fêté la mise à la retraite de l’un d’entre nous. L’émotion et la nostalgie était au rendez-vous.
Nous avons connu notre lot de restructurations successives, mais ce n’est que relativement récemment que nous avons appris que notre boulot allait bientôt être condamné et transféré dans des mains moins ‘dispendieuses’ (comme diraient nos amis canadiens).

Aussi, quand dernièrement, des collègues d’autres services en délégation chez les clients recherchaient d’une manière urgente des professionnels qui auraient pu les aider pendant un temps limité, sans hésiter très longtemps, me suis-je présenté. C’était une occasion de se mesurer avec le « real world », de se jauger et de voir comment les choses si habituelles se gèrent ailleurs en clientèle. 0.jpgRien à perdre, rien à gagner mais faisons de notre mieux, comme d’habitude. Une expérience rafraîchissante, en somme.

Dès le départ, les différences sautent aux yeux.
On bosse en silence dans ce monde-là. Si par malheur, on est soumis à une extinction de la voix, cela ne se révèle pas du tout d’une importance majeure !
Si d’aventure, un rire un peu trop appuyé éclate dans le couloir, les têtes se dressent et se demandent quel est l’importun qui se permet ce genre d’éclat.
On est là pour le travail, pur et dur. Pas question de commencer la journée en parlant du bon film vu à la télé la veille. Les contacts sont professionnels exclusivement.
 0.jpgAlors, penser à philosopher, ce n’est pas le genre de la ‘maison’.
L’âge moyen de l’équipe en place semble de prime abord se situer dans la trentaine.
Pendant le mois de ma présence, un seul break autour d’une tasse de café est organisé mais les discussions se résument naturellement tel un « review » à un récapitulatif des points du projet en cours ou à venir.
 0.jpgPlusieurs collaborateurs du projet venant de tous les types d’horizons ont été appelés à la rescousse telle que moi-même pour leurs « skills ».
Je ne crois pas me tromper en disant que certains ne verront même pas le siège de la société dans l’année.

Je commence à entrevoir certaines raisons pour lesquelles les sociétés ont des difficultés pour fidéliser leur jeune personnel. Aucune attache réelle ne les relie à la société ou au groupe de personnes que constitue leur équipe en particulier. Un esprit d’équipe peut-être. Un lien à l’aspect familial, certainement pas.
 0.jpgOn est dans le domaine du superficiel, de l’impersonnel.
Personne n’essaie de prendre réellement connaissance de l’autre, de ses problèmes extraprofessionnels. Une banale rage de dent ou tout autre incident du genre ne peut influencer les minutes de prestations si chèrement payées (enfin, cette appréciation dépend du point de vue, bien sûr).

 0.jpgPoursuivant mon horaire habituel, je remarque qu’à mon arrivée le matin, chacun est déjà derrière son écran et le soir, lors de mon départ, c’est pareil.
Au départ d’un projet, une personne avisée a décidé que la réalisation prendrait une période « x » et a vendu l’idée au client. Il faudra par la suite rentrer dans le moule ainsi planifié et, coûte que coûte, respecter les délais préétablis.
Nous avons à faire à des pilotes d’avion à réaction de haut niveau mais dans la cabine de pilotage, pas de siège éjectable, pas de soupape de sécurité.

On peut comprendre aisément, qu’avec des règles et des échéances aussi rigides, le stress entre vite dans la danse. Acculés, le dos au mur, il ne reste qu’à s’exécuter parfois au dépend de sa propre santé.

 0.jpgLe plus piquant, pour moi, ce fut, un matin, d’avoir reçu un rappel à l’ordre pour n’avoir pas pu délivrer un programme sans vice dans les temps impartis. Vu l’expérience dont je disposais, on avait considéré que certaines fonctionnalités auraient dû être mises en pratique sans question. Mon week-end, tout à coup, aurait pu être remis en question et pouvait servir à rectifier l’erreur d’interprétation.
Vous avez compris que le même travail peut s’appréhender de différentes manières. Le pire se retrouvait dans l'établissement de documentation des programmes. Une documentation administrative et explicative qui prenait parfois plus de temps à maintenir que les programmes eux-mêmes. Dès qu'elle était finie, elle était déjà obsolète. 
Je ne cherche pas à critiquer, la situation n’est peut-être pas la même dans d’autres environnements mais j’apporte un témoignage, une photo flash d’un instant sans plus.

Etions-nous des planqués dans notre IT ? Peut-être.
Ne pas avoir à répondre d’un rendement déboussolé, ne pas être « billable » pour toutes les minutes de son temps apportent un confort indéniable.

 0.jpgOui, j’ai eu de la chance d’avoir eu des collègues pendant de nombreuses années avec lesquels j’ai pu partager, confronter mes idées. Peut-être me trompais-je mais c'est l'avenir qui le dira.
8 heures par jour au boulot, ce n’est pas négligeable. Le tiers du temps à vivre avec les collègues qui n’a pas été résolument perdu en une vaine recherche d’absolu.

A partir de l’autre côté du miroir, j’en suis sûr, des réactions du type suivant m’arriveront : les clients ne nous paient pas pour nos séances de discussions extra professionnelles, mais il n’en demeure pas moins qu’eux-mêmes, en respect pour leur propre personnel, acceptent certaines diversions et ne leur imposent pas une vie monacale au bureau.

Quand aux heures prestées supplémentaires, je dirais que c’est une preuve de plus qu’il y a quelque chose de malsain et qui ne va plus dans les politiques de prix des services informatiques.
Si la seule solution pour faire des bénéfices est d’assumer ces heures en silence par chacun des acteurs, c’est dire que le prix coûtant est approché dangereusement.
Les budgets informatiques sont passés en quelques années de l’opulence à des planchers inavoués. Le client a abaissé le prix qu’il veut encore payer pour les services informatiques à l’instar de celui du PC qui prône sur son bureau.
Les professionnels de l’informatique presque ‘vénérés’ au départ, sont maintenant vilipendés en permanence à la suite de retards qu’ils doivent absorber pour achever au mieux des contrats trop étroits.

L’informaticien, lui, doit rapporter au plus juste ses heures de prestations.
A votre avis, le fera-t-il sans tricher ? Ses heures supplémentaires vont-elles se retrouver dans son énumération d’heures ou va-t-il les assumer sans rien dire de peur de représailles feutrées du genre : « Quoi, tu as rapporté 60 heures de travail au lieu de 38 la semaine dernière. Ne t’es-tu pas trompé? Ton collègue précédent a fait le même genre de tâche sans signaler cet extra » ?
Lors du prochain calcul de prix, sur quoi se basera l’offre au client ?
Profitabilité, quand tu nous tiens !

Est-ce dire, que les choses sont complètement inamovibles et doivent suivre le rythme actuel orchestré par l’obligation de « money » « money », je pense qu’il y a d’autres voies.
De retour au bercail, en écrivant ces mots, je me demande si j’ai observé objectivement cette façon de travailler ou si j’avais un regard déforcé d’aprioris. La réponse est subjective.

Hier, au siège de la société, nous avons été envahis de ballons avec la mention « Finally Together ». Bien que j’en connaisse la raison indépendante de ce dont je vous ai parlé, j’en arrive à me demander si je n’ai pas raté une marche quelque part !

Oui, les « dinosaures » que nous sommes doivent disparaître: « Ça pense trop, un dinosaure ».

L'enfoiré de service,

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