Marchands de petites histoires (16/08/2007)
"Hétéroclite et insolite" sont les mots qui viennent à l'esprit à la vue d'une brocante, d'un marché aux puces. Pourtant, un certain charme envoûtant demeure.
Ce n'est pas un marché comme un autre. C'est une braderie où l'on brade le passé. Les brocantes sont toujours les antiquités du pauvre. Quand elles passent un autre cap, elles ne se retrouvent plus à mène le sol mais derrière des vitrines bien éclairées. Celles-ci se doivent seulement de sortir de l'ombre, en plein jour, pour exister et espérer reprendre de la valeur dans l'imagination du visiteur d'un matin. Le marchand de ces objets n'est que l'intermédiaire distrait des petites histoires du réel vendeur dont on a oublié jusqu'au nom. Les acheteurs de tous les horizons sont là à l'appel. Moments de vie que l'on vient voir par curiosité plus que pour le plaisir d'acheter.
Quoique... la belle affaire attire comme l'aimant.
Le plus souvent, les matins de week-end sont réservés à cette sortie dominicale. On faisait jusqu'ici grise mine dans les rangs des vendeurs et des acheteurs. Les dimanches se ressemblaient un peu trop l'air renfrogné et grisaillant. Ce matin, 5 août, le soleil est encore bas sur l'horizon, mais bien présent déjà. On sait qu'avec une journée, telle que celle-ci et qui fait soudain commencer réellement l'été dans la pratique, cela allait faire du monde. Alors, on se rassemble, on se rencontre sur la grande place. Cette rencontre avec le passé se fait souvent bizarrement dans le voisinage des églises. L'affluence est là, silencieuse, religieuse ou bruyante et dépendante des tempéraments, des origines des interlocuteurs vendeurs ou acheteurs.
Le moment est solennel, mais on n'y pense plus. Le présent va rencontrer le passé pour espérer créer le futur.
Les "vide-greniers" ont fait ample moisson de choses d'un autre temps, d’une époque complètement révolue même et qui se réfugie dans les souvenirs les plus reculés. On vend de tout sur ce marché, sur ce bazar de l'insolite.
Avec mon vélo à mes côtés, mon appareil numérique en batterie, je m'avance, je fends la foule bien décidée à réveiller ces objets par l'esprit. On va "chiner", on va fouiner, on va brocanter. Pour y arriver, on est près à vendre son âme au diable. Pour se faire, blaguer, charrier, plaisanter, critiquer, râler sont les verbes qui vont le mieux dans le décor.
Les échoppes d'occasions sont là, tantôt à même le sol, tantôt sur des présentoirs en échafaudage patiemment agencés pour offrir le maximum d'impact dans le domaine de l'imaginaire ou du rêve tortueux.
Pas moyen d'énumérer les objets qui vont défiler dans l'espace restreint: des vieux bouquins, des tableaux voisinent avec des miroirs, des fers à repasser, des abat-jour, des machines à laver dont on ne doit surtout pas demander le certificat de garantie..... des éléphants roses ou peut-être au fond d'une boîte, la perle du Bengale.
Parfois, au sortir d'un détour, on aperçoit une belle commode qui dérange le désordre établi avec l'imagination du hasard.
Pour ajouter à l'exotisme, les vendeurs se sont habillés en dignes représentants camelots. L'exotisme est de la partie.
Non, nous ne sommes pas dans les souks, enfermées à l'abri du soleil. Souks qui feraient resurgir les souvenirs des vacances récentes, nous sommes au grand jour, sur une place inondée de soleil.
Les prix chantonnent doucement. On ne compte pas en milliers d'euros. On se trouve à l'étage bien en dessous. Il ne s'agit pas d'antiquaires de la place du Grand Sablon de Bruxelles. Sur la plus connue Place du Jeu de Balle dans les Marolles, les antiquaires supplantent aussi de plus en plus les brocanteurs au grand dam de ces derniers et des habitants qui touchent parfois les mêmes secteurs d'activité.
Nous sommes sur une place d'une commune près de chez moi. Dans le même espace temps, je suis sûr que les mêmes scènes se déroulent de multiples fois.
La nostalgie est bien là, lascive. On prend en main certains objets, délicatement, de peur de casser. On se questionne parfois, mais que vais-je pouvoir faire de cela dans mon intérieur cossu? Et, puis tout à coup, étincelle: "et, si je mettais cette assiette au côté de celle que ma donné grand-mère qui y tenait tant ?".
On achète pourtant sans beaucoup réfléchir. L'hésitation n'est que passagère. Pris dans un engrenage avec molette à deux direction: "oui" ou "non". Le "ce n'est pas cher", l'emporte à coup sûr pour effacer le "peut-être".
On le serait à moins. Tout ce qui se trouve ici a été récupéré dans les greniers pour pas grand chose. Le pourfendeur des greniers délaissés a plus pensé à la quantité qu'à la qualité. Du moins, c'est ce qu'il a laissé comprendre au vendeur initial de ce passé d'occasion.
La Tranche Valeur Ajoutée viendra plus tard. Ici, même, peut-être, sur cette place de soleil vêtue.
Les objets ont accompagné des vivants qui ne sont plus là pour en discuter les prix. Ils auraient certainement refusé de lâcher l'objet de nombreuses fois époussetés, usés presque par le frottement de la main caressante et par le temps. Ces objets, ils veulent encore vivre dans une autre vie. Un objet ne meurt pas comme un humain. Ils se soignent, ils se bichonnent avant et peut-être bien par après pour ressusciter. Ils sont uniques par par leur physique mais aussi par tout ce qui l'ont fait vivre. Ils ont trop de choses à raconter pour celui qui sait les entendre, avant de tomber définitivement, lamentablement dans la poubelle ou dans l'oubli définitif et irrémédiable.
Je disais "hétéroclites", particuliers certainement, ces objets. C'est évident. Une vie n'est pas une autre. Celle-ci s'est effilochée dans le pluralisme et la diversité.
Pourquoi d'ailleurs chercher à rassembler les exemplaires d'un même assortiment? Tout s'éparpille, se dissous dans l'environnement créé par le hasard.
Nous, humains, ne sommes pas des clones non plus et, certes, un peu plus que des "objets" du passé. Chacun, en écho avec les objets de son environnement, y a mis du sien, de sa personnalité. Là, réside la valeur ajouté.
Je m'arrête. Je plonge la main vers un disque 33 tours qui me ferait ressurgir une musique bien connue. Un Nat King Cole de première. Vais-je me renseigner sur le prix? Non, je suis à vélo. Comment pourrais-je emporter ce souvenir sans risquer le casser? Et, je le remets dans sa caisse, malheureux, lui et moi, désolés de ne pas avoir fait plus ample connaissance. Peut-être m'aurait-il fait danser comme il l'a certainement fait dans le passé. Perte sèche pour moi.
Tout à coup, je suis sorti de ma rêverie. Mon vélo gêne un acheteur qui me le fait remarquer de manière assez ostentatoire. Je dois dégager. Ce rappel à l'ordre était certainement nécessaire. Rêver n'est pas salutaire pour tous. La réalité a de ses lois où la raison et le temps prennent la prépondérance.
Les magasins qui bordent la place n'en ont cure. C'est dimanche, on se ressource pour le lendemain. Car, demain, c'est un autre jour. Celui-ci aura été un intermède. La folie, il faut bien qu'elle trouve des exutoires.
Je souris et je m'avance un peu plus loin après une dernière photo.
Un air de revanche se dessine sur mes lèvre et je plante là mon "disturbateur" en lui disant que j'ai rendez-vous avec Louis, La Brocante, un peu plus loin. Il me regarde étonné de cette familiarité mal venue. Il ne cherchera pas à me comprendre. Il s'écarte et ne pense déjà plus à moi.
Le monde du réel est bien plus dur. La lutte entre les vide-greniers, les brocanteurs professionnels et les antiquaires n'a pas fini de faire du bruit pour dénoncer une concurrence déloyale entre ces vrais et faux métiers. Commerce parallèle et en décalage? Vu l'économe paupérisant la situation, ce marché attire de plus en plus de monde. Ce n'est plus l'attirance vers l'ancien seul qui prend le pas, mais la recherche de l'utile au meilleur prix. Peu importe le vieillissement. Des paires de chaussures de deuxième "pied" sont là pour le faire comprendre.
Alors, vendre pour combler un manque, oui. En supporter les charges, il faut y passer pour éviter de déforcer l'entièreté du commerce. Quand les gros sous entrent en jeu, des règles s'imposent plus drastiques et plus lointaines du rêve dans lequel j'avais commencé cet article.
Il paraîtrait même que les brocanteurs ont leurs secrets d'après Hubert Duez.... Un autre brocanteur (à Londres, cette fois) parlait de son métier. Dans un autre temps, en 1769, la brocante avait également son histoire.
Personnellement, je me devais d'écrire ce billet sur le vif, sur place, en direct indépendamment de l'aspect économique pourtant bien présent.
Chacun son truc et sa vision. Chez moi, l'hétéroclite finit toujours en hétero-clic ou en hétéro-script.
Michel Jonasz nous en rappeler les fondements.
Serge Lama, lui, l'associait à une vieille qui inspire à une nouvelle vocation.
Photos de la Mecque bruxelloise de l'antique sur la place du Jeu de Balles
J'espère seulement avoir réveillé vos imaginations, vos rêves par cette matinée dominicale.
Qui sait, à l'intérieur d'un de ces bibelots d'une de ces lampes du passé, y aura-t-il un sortilège compris dans le prix? En héritier, notre rêve serait alors devenu réalité pour pas grand chose.
L'enfoiré,
Sur Agoravox, sur le sujet, on chine ou chinoise?
"Les puces: émotions durables?"
Citations:
« Vieux foin est difficile à enflammer, plus difficile à éteindre. », Miguel de Cervantes « N'importe quel objet peut être un objet d'art pour peu qu'on l'entoure d'un cadre. », Boris Vian « Nos coeurs et nos greniers sont des cimetières d'objets. », Monique Corriveau « Plus un objet nous devient précieux, plus il nous semble fragile. », Madeleine Ferron
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