Le mal silencieux (04/10/2005)
La corruption est la véritable plaie dans notre monde de profits faciles. Le progrès en est souvent freiné.
Dans notre plus tendre enfance, nos parents nous ont toujours prodigué (à de rares exceptions près qui n'étaient d'ailleurs pas naturelles) une récompense sous forme d'argent de poche pour tout acte nécessitant un effort ou non.
Plus tard, l'habitude en a été prise et devenant adulte, la mentalité de certains n'est pas parvenue à sortir de ce cercle vicieux.
S'il est normal d'espérer une rétribution pour un travail accompli sous le sceau d'un contrat, il n'est pas toujours avouable de vouloir percevoir des allocations parallèles à tout prix ou en évitant de se couvrir par les règles de l'éthique. Beaucoup de chemins, en y réfléchissant bien, ne sont pas à prendre même s'ils sont à notre portée ou s'ils nous sont proposés sans risques. Je dirais même qu'à fortiori s'ils semblent trop faciles, il y a danger pour notre bien-être moral.
Dans le règne animal, la recherche du moindre effort dans la capture d'une proie est instinctive. Chez l'homme aussi, la loi du rapport prix/performance est bien vite de retour dans l'esprit du rapport travail/récompense. Les animaux survivent g'âce à l'économie d'efforts, nous jouons ou travaillons à l'économie de moyens pour arriver à nos fins. La manière d'y arriver est différente, l'objectif et le principe sont les mêmes.
Sans même le vouloir ou en ressentir le mal, des déviations par rapport aux règles établies, des malversations bénignes arrivent à nous tenter. Nous voilà à la porte de la corruption, de ce mal silencieux.
Pourtant, la différence entre la rétribution et ce mal est bien claire et ne nécessite que rarement une explication. La corruption reste silencieuse et cachée. Quand elle se retrouve sous forme d'argent, le pot de vin, le dessous de table ne trouvent pas de traces évidentes. L'imagination n'a pas vraiment de limite en la matière.
Active ou passive, la corruption fait des dégâts depuis que l'homme existe. Elle est la gangrène de l'espoir en un futur meilleur. Elle sape par l'intérieur les plus beaux élans de générosité. Que de temps perdu, elle a pu engranger inutilement à fond perdu pour ceux qui court-circuitent les dons généreux!
Et cela commence très bas. Le pourboire glisser subrepticement alors que le service a été payé, fait déjà partie du mouvement. Les pourboires échappent à l'impôt. Le népotisme est une autre forme de passe-droit. On touche alors à l'éthique.
Arrivé au sommet d'une hiérarchie du pouvoir, chacun pourrait être tenté, et parfois sollicité, d'utiliser ce nouveau pouvoir, lié à cette position en semi intouchable, de dévier et de corrompre le système ou les hommes à son propre avantage. Vulgairement dit, "Par ici, la bonne soupe". Le détournement de fonds dont on a la charge est une corruption. Les techniques sont nombreuses et c'est plutôt la devise "pas vu, pas pris" qui prévaut. Recevoir un "passe-droit", détourner les biens publiques de leur objectif d'origine, bénéficier d'avantages non reconnus, gagner un marché par des dons divers sont des pratiques qui frisent ou tombent dans l'irrégularité même si elles pouvaient avoir un côté positif au préalable.
Parfois, la corruption se retrouve en deuxième main. Souvenons-nous de l'adage "Les amis de mes amis sont mes amis".
Toujours mafieuse dans le fond, elle se manifeste encore de beaucoup de manières différentes par le blanchiment d'argent, la criminalité organisée, le racket, le trafic des armes ou de la drogue, la prostitution, l'escroquerie financière ou le banal dessous de table. Les délits d'initiés en bourse ou ailleurs doivent être éradiqués. Parfois, il s'agit de "criminels en col blanc" ou de "criminels aux mains rouges" travaillant à l'échelle mondiale et s'employant à subvertir les hommes d'Etats. Les cartels, il en existe dans beaucoup de partie du monde où la transparence des pratiques ne fait pas l'unanimité. La complaisance des autorités est parfois le premier échelon de la corruption.
Au niveau de l'Etat, cette corruption est encore plus préjudiciable pour le peuple qui espère des jours meilleurs après chaque élection. Elle agit à contre courant de la démocratie. Les scandales financiers que l'on surnomme pudiquement "Les affaires" éclatent et ne sont pas rares dans tous les régimes politiques. Sans frontière d'état ou économique, la corruption gangrène toutes les formes de gouvernement. Elle existe dans les pays dit "bananiers", mais aussi chez les pays les plus puissants de la terre. Les films américains nous montrent souvent le mauvais chemin en nous apportant des images jouées par un acteur dont la langue se délie subitement après que celui qui est en recherche de renseignement aura subrepticement glissé le billet ad hoc sous la table. La cascade des responsabilités à la suite de malversations découvertes fait des dégâts pour l'appréciation de la démocratie elle-même et de nombreux fusibles sautent dans la logique déséquilibrant les autres membres du gouvernement. Les "Châteaux en Espagne" pour le corrompu se transforment alors par le "Château de carte" pour les autres membres du groupe. Tout le monde en est éclaboussé, la classe politique d'abord, les citoyens ensuite par les plans qui en sont ébranlés. Après le séisme politique récent en Belgique, les rails tordus du Plan "Marshall_eke" qui devait relancer l'économie de la Wallonie vient peut-être d'en faire les frais. L'image du parti en sera ternie pour un temps certain. Merci, la démocratie, car grâce à elle, les médias en "caisse de résonnance" (comme le disait Xavier Mabille) font sortir du chapeau ce genre d'abus.
Le combat à l'échelle locale du pays est voué à l'échec, la corruption n'a pas de frontière pour agir. Ce mal-là n'est pas un bobo mais un véritable cancer généralisé qu'il faut combattre avec le concours de toutes les nations volontaires. La tâche est importante mais essentielle au progrès de la société. Face à l'importance de la tâche et à l'obligation de l'éradiquer au mieux, l'OCDE se mobilise pour la contrer par une approche multidisciplinaire. Grâce à la Convention de 1997 sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et les recommandations contre la déductibilité fiscale des pots-de-vin. Les Conventions de 1999 et 2000, elles, luttent contre la corruption dans les systèmes nationaux de crédits à l'exportation. Au niveau des entreprises US, des actions ont été prises pour culpabiliser les gens qui se trouvent au plus haut niveau de la décision en cas de malversation. Dans le privé, les opérations liées sous le nom de "Sarbanes-Oxley" vont dans ce sens, même si l'excès contraire est parfois atteint comme nous le verrons bientôt dans un de mes prochains billets.
Pourtant, en parlant avec votre entourage, la réaction la plus classique devant cette situation pernicieuse sera dans la plupart des cas: "Moi, je ne mange pas de ce pain-là". Chevaliers blancs, attention, grattez un peu, cependant. Dans le "corps le plus sain", sommeillent les extrêmes les plus contradictoires. Rappelons qu'il s'agit d'instinct chez l'animal comme nous l'avons vu.
Tout n'est souvent qu'une question de "montant" de nombre de zéros bien placés à droite du chiffre le plus significatif possible pour passer le cap dangereux! Bien sûr, plus haut l'échelle sociale du candidat à corrompre est élevée, plus haut en sera le prix. L'impact de la prise du mauvais chemin sera aussi plus important.
L'intégrité est l'antidote au côté obscur de la corruption. C'est un savant mélange de justice, d'honnêteté, de rigueur, d'objectivité, d'éthique, de sens de l'honneur, de morale. Elle ne se mesure pas. On est tout simplement intègre dans sa manière d'être ou non, voilà tout, sans aucune autre forme de procès.
Dans tous les domaines de relation entre les hommes, elle est requise et demandé en préalable. Au niveau sportif, professionnel, politique ou familial, toute entorse est appelée à être sanctionnée dès la reconnaissance d'un manquement. Cela restera une affaire d'éducation. De ce côté, je ne suis pas sûr que les cours de civisme poussent suffisamment son enseignement.
La signature au bas d'un document, prêter serment sont des actes avec un caractère solennel sans échappatoire, sans tergiversation. L'acceptation d'un code d'éthique avec signature d'acteur est requise dans beaucoup d'entreprises qui ne veulent plus subir le genre d'effet "à la Enron" ou "à la Parmalat". Comme la frontière entre l'éthiquement permissible ou à rejeter est parfois floue, l'étude de situations pratiques viennent à l'appui de la morale bien pensée et font réfléchir les intéressés.
Le journaliste de la RTBF Hugues Le Paige ajoutait le texte suivant:
Une vie de chien
Le plus souvent, la vie d'un homme politique est une vie de chien. Il ne faut pas avoir peur des mots ni hésiter à le rappeler alors la tempête n'a pas fini de souffler sur ceux qui ont choisi la chose politique comme activité professionnelle. Qui ont choisi et qui aussi ont été choisis par l'ensemble des citoyens. Etre représentant du peuple, à quelque niveau que ce soit, exige du courage, de l'abnégation, des sacrifices que consentent l'immense majorité des élus. Certes les bénéfices narcissiques ne sont pas absents du métier de représentation et les rémunérations ne sont pas négligeables même si à responsabilités comparables celles du secteur privé sont d'une tout autre ampleur. La fonction est exigeante et on a raison d'exiger beaucoup de ceux qui la remplissent. Comme il est indispensable, et tout simplement démocratique, de dénoncer les dérives d'un système où les locataires provisoires du pouvoir en viennent à se comporter en propriétaires abusifs. On a déjà dit on dira encore un peu partout, et avec pertinence, la nécessité impérieuse d'une révision fondamentale des règles et des comportements en matière de responsabilité publique. Il ne s'agit pas de sous-estimer ou de relativiser la gravité des faits en cause mais simplement de rappeler quelques évidences sur le métier politique, quant à notre responsabilité collective dans quelques dysfonctionnements et plus largement sur l'air du temps. L'activité politique est tout la fois éreintante, usante et frustrante. A l'homme politique on reproche tout à la fois son omnipotence et son impuissance : ce qui est moins contradictoire qu'il n'y paraît. Il n'est pas inutile de souligner, par ailleurs, que le clientélisme justement vilipendé suppose des partenaires. La déviance anti-démocratique n'est pas unilatérale : pour qu'un passe-droit soit accordé il faut qu'il ait été sollicité. Enfin la politique n'a pas échappé à la marchandisation généralisée de notre société. Les valeurs du marché qui, depuis un quart de siècle, dominent les esprits et imposent leurs lois à tout activité humaine ne sont pas de celles qui s'embarrassent d'éthique. On ne peut l'oublier ni dans la dénonciation des scandales ni dans les tentatives d'y remédier.
L'argent, ce veau d'or, reste, pour la plupart, le mirage, l'aboutissement d'une vie bien remplie.
Le bonheur, lui, réside plus modestement dans le fait de se sentir bien dans sa peau.
L'enfoiré
Citations :
- 'La pire des corruptions n'est pas celle qui brave les lois ; mais celle qui s'en fait à elle-même.", Louis de Bonald
- "La république... la corruption sans doute y paraît plus grande que dans les monarchies. Cela tient au nombre et à la diversité des gens qui sont portés au pouvoir", Anatole France
- "Révélée, la corruption financière peut être combattue et sanctionnée. La corruption des idées est plus insidieuse, plus subtile et, à ce titre, d'une dangerosité plus essentielle", Edwy Plenel
- "La corruption de ce qu'il y a de meilleur est la pire.", Maxime Latine
- "Un dictateur n'est qu'une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes et irresponsables dont la tyrannie et la corruption deviennent bientôt insupportables", Gustave Le Bon
Images corrompues...???
Commentaires
La dimension de la corruption ou même son existence n'est-elle pas liée à la présence d'un pouvoir. Autrement on l'appelerait un pourboire (qui lui est attaché à un service).
Vu la multiplication des mandats assumés par une seule et même personne (je me demandes comment ils font pour remplir dans une journée de travail toutes ces responsabilités même en travaillant 24 heures par jour) la corruption ne s'arrêtera pas.
Écrit par : Narcisse | 05/10/2005
Cela me gêne de me faire l'avocat du diable pour une cause indéfendable. Je me contenterai donc d’un raisonnement par l’absurde dont je suis spécialiste. Comme tu l'expliques, ce comportement est inné. Par exemple, chacun de nous, s’il se voyait confié quelque responsabilité, serait confronté au choix des ex-collègues : soit faire profiter ses amis de ses nouvelles prérogatives, –copain oblige- soit au contraire rester intègre et donner au mérite, passant alors pour un parvenu égoïste. En définitive, je te rejoins ; c’est un problème de société au sens large. Car si en tant que parent tu marginalises tes enfants en leur enseignant des valeurs trop strictes voire trop intègres, d’une part tu leur interdis toute possibilité de carrière politique :-) , et d’autre part tu leur fermes des portes. Encore une fois, l’éducation est la clé de voûte de ce que nous sommes en tant que « société ». Les mêmes valeurs doivent être partagées dès l'enfance.
Écrit par : Fabien | 06/10/2005