Les mystères du monde (24/05/2009)

0.jpg"La peinture décrit les mystères du monde", "La révolte est un réflexe de l'homme vivant", disait le peintre surréaliste belge, Réné Magritte. Le surréalisme plane aussi au-dessus de la Belgique dans beaucoup de domaines.

Le 20 mai, était inauguré en grande pompe, le nouveau Musée Magritte. Le Roi et la Reine ont particulièrement apprécié un des vingt exemplaires de l'"Empire des Lumières", la toile que le peintre a le plus aimé.

Ouverture au public dans l'Hôtel Altenloh, en plein centre de Bruxelles, sur la place Royale. Ce projet qui avait débuté en 2005, a coûté 6,5 millions d'euros. On y attend 700.000 visiteurs de tous les horizons. Le premier guide officiel du Japon disait à l'ouverture que les Japonais adoraient le mystère de Magritte et qu'il fallait l'interpréter en s'amusant.

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Une autre façon d'aimer la peinture, reconnaissait-il.

0.jpgLe musée avec ses 250 œuvres ne représente que 10% de la globalité des œuvres du peintre. On y rencontre 120 peintures, 61 photos, 40 dessins, 9 sculptures, des lettres et des documents. 2500 m2 sur trois étages qui remontent le temps de la vie du peintre. L'étage inférieur reprenant les œuvres les plus récentes, les plus connues. De plus en plus anciens, au fur et à mesure, de la montée dans les étages supérieurs. Michel Draguet, le conservateur du Musée des Beaux-Arts, Charly Herscovici, l'héritier en droits de la fondation éponyme sont les initiateurs avec le mécénat de compétence de l'État fédéral et du Groupe GDF-Suez.

La vie de Réné Magritte n'a été que peintures, mais ce n'est que lors la dernière partie de sa vie qu'il reçoit la reconnaissance de ses pairs et du public comme peintre d'exception, pour le moins. Aujourd'hui, mondialement connu.

Pour sortir ou s'enfuir de la réalité des jours et entrer dans son empire? Peut-être.

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La peinture, pour Magritte, n'est que sa conception préliminaire d'appréhender le réel par l'imaginaire. Fusion en inversion entre l'objet et sa fonction dans une association simple mais perturbée qui se crée, avec en toile de fond, un scénario inattendu. Patchworks de concepts et d'images bien réelles dans un contexte qui ne l'est pas. Esprit critique, ambigu, voir irrévérencieux et provoquant.

Images freudiennes composées jamais à leur place. Objets remplacés qui inquiète et amuse le visiteur.

L'histoire de Magritte est simple, bien belge. Une vie de 1898 à 1967. Son père est un tailleur et inspecteur général de la société De Bruyn qui produit huile et margarine. Coureur, violemment anticlérical et dépensier. Sa mère est modiste,  fervente catholique. Dépressive, elle se suicide par noyade dans la Sambre. Marqué par ce suicide, il peint dès l'âge de 13 ans. René suit un cours de peinture dans l'atelier de Félicien Defoin.  Elève médiocre, il lit StevensonEdgar Allan PoeMaurice Leblanc et Gaston Leroux.

Il rencontre Georgette Berger âgée de 13 ans et la perd de vue.

En il abandonne ses études et s'installe à Bruxelles, non loin de l'Académie des beaux-arts dont il a le projet de suivre les cours en auditeur libre. Avant d'y entrer il peint alors des tableaux de style impressionniste.

Au printemps 1920, il retrouve par hasard  Georgette Berger qu'il n'a pas revue depuis 1914. Il l'épouse en 1922 et le couple s'installe à Laeken.

A Paris, il rencontre les surréalistes André BretonPaul ÉluardMax ErnstSalvador Dalí le pousse à devenir un peintre surréaliste belge résistant à la psychanalyse.

Partagé entre Bruxelles et Paris, il traverse les deux guerres et cela se reflète dans sa peinture par des couleurs ternes, intimistes, pour en sortir par les couleurs du "Surréalisme en plein soleil" à la la fin de la 2ème guerre se faisait sentir. Les couleurs n'étaient pas alors pas aimées et l'échec qui en suivit, le lança dans la provocation subversive de la "période vache" pour répondre à l'incompréhension de son époque. Période anarchiste, qu'il viola avec ses tripes.

0.jpg"Domaine enchanté", s'il en est.

"La Fée ignorante" hante encore son domaine. "Trop de couleurs, pas assez développées", dit-on, en coulisse.

L'abstraction, le rêve éveillé, la poésie par la peinture, voir ce que l'on ne voit pas, c'est tout l'Univers de Magritte. Pas de surprise, puisque tout est imaginé avant de voir le réel. La trahison des images est expliquée par son auteur alors que la peinture, avant lui, se détruit par sa concrétisation.

0.jpgLa peinture de Magritte s’interroge sur sa propre nature et sur l’action du peintre sur l’image. Ce n’est jamais une représentation d’un objet réel, mais l’action de la pensée du peintre sur cet objet. Magritte réduit la réalité à une pensée abstraite rendue en des formules que lui dicte son penchant pour le mystère : « Je veille, dans la mesure du possible, à ne faire que des peintures qui suscitent le mystère avec la précision et l’enchantement nécessaire à la vie des idées », déclare-t-il. Son mode de représentation apparaît volontairement neutre, académique, voire scolaire dans un puissant travail de déconstruction des rapports que les choses entretiennent dans la réalité.

Parmi les objets qui contribuent à faire de ses toiles d'impénétrables énigmes, un objet apparaît de façon particulièrement récurrente : une sphère noire, lustrée, fendue en son milieu, qui apparaît dans de nombreuses œuvres, dans des dispositions et des tailles extrêmement différentes. Souvent qualifié de « grelot », dont il n'a pourtant pas la forme, il a été successivement interprété comme un œil noir, la représentation d'un sexe féminin ou d'une simple forme géométrique. Avec un humour dont ses toiles portent souvent la trace, il laisse intact le mystère sur un objet qui concentre l'attention tout en résistant à son interprétation dans la représentation des images mentales. Pour lui, la réalité visible doit être approchée de façon objectale avec un talent décoratif qui se manifeste dans l’agencement géométrique de la représentation. Son dégoût inné de la peinture plastique, lyrique, picturale souhaite liquider tout ce qui est conventionnel. La réalité ne doit certainement pas être approchée sous l’angle du symbole mais dans le mélange d'objets associés à son imagination.

0.PNG« L’art de la peinture ne peut vraiment se borner qu’à décrire une idée qui montre une certaine ressemblance avec le visible que nous offre le monde » déclare-t-il.  Parmi les tableaux les plus représentatifs de cette idée, La Clairvoyance (1936), nous montre un peintre dont le modèle est un œuf posé sur une table alors que sur la toile, il dessine un oiseau aux ailes déployées.

Un tableau très connu "Ceci n'est pas une pipe". Qu'est-ce, donc, alors ? Une trahison de l'image? C'est la devinette que tout visiteur pourra s'imaginer avec sa propre sensibilité et son vécu.

René Magritte - 371 œuvres d'art - peinture (wikiart.org)

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L'expo et sa représentatrice

0.jpgAnne Marie Crowet, son modèle préférée, sa muse, fut la fille d'un de ses amis, Pierre Crowet. Celui-ci a été le premier à lui avoir acheté une toile. Elle a été très étonnée lors de sa première séance de pose. Il l'avait peinte avant de la voir. Une seule séance de pose pour confirmer seulement les traits du visage. La rencontre avec le modèle n'était qu'une confirmation d'un événement que l'imagination allait prolonger dans la répétition.

Il existe plusieurs versions du tableau "Les mystères du monde". Il l'a hanté tellement qu'il ne cessait d'y travailler. 

Complexité de l'esprit en décalage des sens à la rencontre avec un autre réel. Des thèmes qui reviennent mais qui se complètent. Des objets répétés qui se recréent.0.jpg

L'exemplaire unique de "L'Empire des lumières" qu'il a tellement aimé ne fut offert à Anne-Marie Crowet qu'à la fin de sa vie. Elle en 9 tableaux. Se moquer de lui-même était son sport, sans le reconnaître comme tel. "Pas de chiquet chez Magritte", dit, encore, sa Muse.

Ce tableau avait inspiré une scène du film "L'Exorciste".

Georgette, son épouse a été son modèle par l'inspiration des portraits. Les Loulous de Pomeranie successifs sont resté dans l'ombre de ses journées. 

0.jpgUn jour, disait-elle, lors d'une visite du Musée de peintures des Offices à Florence, à la question de savoir ce qu'il y avait aimé, sa réponse fut, laconique: "Ce sont des cartes postales qui transmettent des images sans vérités. Il n'y a qu'un seule domaine, celui du mystère dans lequel nous vivons à tout moment, quelle que soit l'ignorance que l'on peut en avoir", ajoutait-il. 

Si James Ensor pouvait être une de ses consciences de création, on est bien loin de Dali avec son caractère fantasmagorique de l'extraordinaire et extraterrestre.

Magritte ne s'intéressait pas à la Belgique, disait son épouse. René l'était bien plus qu'il ne l'aurait pensé. Qu'est-ce qui caractérise un Belge si ce n'est ce goût imprécis de l'irréel et d'en faire partie ou non?

Les images surréalistes des mystères du monde à l'inauguration du musée en un clic .

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Le vote et la politique à la belge

Être belge et ne pas s'intéresser à la Belgique n'était-ce pas justement une partie de son surréalisme? Le réel est tellement énervant, parfois que le Belge se tourne très souvent vers le surréalisme par les attitudes, la politique et la pratique de l'incompréhensible.

0.jpgUn autre exemple? En politique, c'est tout de même. On sait qu'elle n'est pas parfaite, mais dans le fond, on s'en fout. C'est du moins ce qu'on dit. Mais, on ment, un peu. En fait, on n'aime pas trop les grands bouleversements et dire pour qui on va voter. Alors, on fait semblant. On triche. On va survoler après avoir surréalisé en dernière minute.

Nous sommes à la veille de grandes élections qui, chez nous, seront doubles: régionales et européennes.

Imaginons, dès lors, Madame Tout-le-Monde belge, dans l'isoloir, devant l'écran noir de son ordinateur avec le crayon électronique à la main pour voter. Qu'y verra-t-elle? Sera-ce vraiment la liste des candidats? Non, sera-ce la table de salon qui n'aura pas nécessairement une forme de porte comme celle de Magritte? Une porte sur l'hésitation? Non, bien plus prosaïque, un cadre avec un bon repas. Et, oui, il faut vous dire qu'elle est un peu profiteuse, la belle. Elle se rappellera que son homme lui a promis un resto avec des obligations électoralistes. Elle l'attendait, depuis longtemps, ce jour-là et pas pour aller voter. Et puis, comme un dimanche comme les autres, elle imaginera encore une petite balade avec des arbres et beaucoup de fleurs, au milieu. La politique l'emmerde. C'est clair. Elle sait qu'elle doit aller voter. Elle se sent citoyenne. Point. Le vote, elle le fera, par habitude, presque par inadvertance. Dans son rêve, elle n'est plus dans l'isoloir, elle sera, déjà, dans son jardin.

Les politiciens et les médias connaissent très bien ce désintéressement, d'ailleurs. Pas de campagne à la hussarde. Celle-ci n'a commencé que dans la dernière ligne droite. Pour animer et émoustiller les esprits, on a recherché les poux, les "affaires", comme on les appelle chez nous et elles sont nombreuses. On y perdrait son latin. Elles existent, toujours, celles-là, au moment où on les attend le moins.

Pas dupe, l'électrice, pourtant. Ces quelques secondes devant l'écran lui paraitront longues, trop longues. Il faudra qu'elle se dépêche. Qui saura, elle aura, peut-être, la chance de rencontrer la voisine sur le chemin de retour, juste avant de se préparer pour le resto. Alors, vite, son coup de pinceau, pardon, de crayon électronique qu'il faut appliquer sur cette liste de malheur et puis s'en vont. Elle s'est entraînée avec le nouvel ordi acheté récemment. C'est devenu une pro.

1.PNGDans un autre bureau de vote, ce sera son homme qui se trouvera dans la même situation. Lui, dans l'écran, il verra en imagination le match de foot de l'après-midi avec le steak bleu avec frites et mayonnaise sur le côté.

Faut pas croire qu'il ait tout le temps une brique dans le ventre, comme le laisserait penser les médias.

Surréalistes, nos élections, notre sport, notre cuisine... Je ne suis pas ici, pour l'approuver mais le constater.

2.jpgRâleur, bougon, dans un monde irréel, ce Belge, mais toujours bon enfant... trop.

Ce sera sans révolution, seulement par glissements et tassements de terrains qui se dessineront dans le décodage des résultats à la proportionnelle. Une véritable quadrature que ne renierait aucun cercle et surtout pas avec des élus au milieu.

Je vous l'avais bien dit, que nous avions quelque chose de spécial. Je ne parvenais pas à le définir, à vous en trouver les raisons quand j'ai écrit mes articles sur Bruxelles. Magritte m'en a donné la peinture. Du surréalisme, mixé à du pragmatisme, la voilà, donc, cette raison.0.jpg

Le Musée Magritte n'ouvrira ses portes au public que le 2 juin. Je ne pourrai vous en donner les échos avant cela.

3ème étage, Magritte avant Magritte avec les mots et les images.

2ème étage, Échappée belle en plein soleil et la Période Vache.

1er étage, Mystère de l'Ouvrage et son Domaine enchanté.

Mais attention, le Musée de Magritte n'est, peut-être, pas un Musée.

"Non, peut-être", dirait le Belge tandis que le Français, lui, serait tenté de dire "Oui, assurément".

Circulez, y a rien à voir, mais tout à rêver.

 

L'enfoiré,

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PS: Je m'en voudrais de ne pas signaler un autre musée sur le même sujet à Bruxelles là où il a habité à Jette.

Des amateurs surréalistes sur Agoravox

 

Citations: 

  • « L'idée de surréalisme tend simplement à la récupération totale de notre force psychique. », André Breton

  • « On peut très bien éprouver le sentiment de l'absolu en se faisant la barbe ou en mangeant des gaufres. », Marcel Havrenne

  • « Tout porte à croire qu'il existe un point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et l'avenir, le haut et le bas, le communicable et l'incommunicable cesseront d'être perçus contradictoirement. », André Breton

  • « Je déteste mon passé et celui des autres », Magritte

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 30 mai 2009: c'était la partie festive avec d'autres photos.

23 juillet 2009: Le Nouvel Obs en parle

9 février 2015: Les Magritte du cinéma belge mettaient à l'honneur les frères Dardenne

 10 février 2015:   why Sir Paul McCartney keeps René Magritte’s Spectacles on his desk. 

"Art evokes the mystery without which the world would not exist." - Rene Magritte 

 

22 septembre 2016: Exposition "La trahison des images" au Centre Pompidou à Paris:

 

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17 aout 2017: Cinquante ans après la mort de Magrittepodcast

11 octobre 2019: les Musées royaux des Beaux-Arts rassemblent Salvador Dali et René Magritte dans une exposition pour déceler les rapports et influences  entre ces deux surréalistes. Is ses sont seulement rencontrés une fois à Paris en 1929 mais c'est à Cadaquès que la rencontre se révèle décisive de manière philosophique et esthétique à travers plus de 80 peintures pour défier le réel et pour bousculer nos habitudes.

1 mars 2022: Vente du tableau "Empire des lumières" à Sotheby
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