La bonne soupe noire (17/06/2006)

0.jpgEn 2006, je ne fume pas, je ne bois pas, je ne fraude pas. "Chouette, on n'ira plus au Luxembourg", dit le fiston. 
Non, détrompez-vous, je ne commencerai pas une nouvelle rubrique culinaire.
Il ne s'agit pas de la dernière bonne recette allongée de surcroît de légume noir. Pour vous mettre au parfum (pas avec le nez au dessus de la casserole), je me mettrai à paraphraser la chanson de Florent Pagny:

"Non, vous n'aurez pas ma liberté de frauder".

Ces recettes-là demandent une cuisine encore plus fine et des compétences diablement plus précises.
J'aurais pu commencer cet article de la même manière et avec les mêmes mots que ceux que j'avais utilisés lors de mon article intitulé "Le mal silencieux". La technique du "pas vu, pas pris" est tout aussi vrai qu'avec la corruption qui y était présentée. La fraude dans son ensemble et la corruption vont de pair. Même combat.
Détourner à son profit une partie de richesse qui aurait pu être utilisée en commun et dans d'autres buts plus éparpillés. La couverture toujours plus étroite fait rechercher les moyens d'atteindre un morceau d'étoffe en plus à son avantage. Le mot "solidarité" n'existe pas dans le dictionnaire en usage de ce milieu. Le mot d'ordre, c'est : "Après moi, le déluge".
Jouir de biens épargnés par la communauté, profiter de situations payées le plus possible par autrui est la règle: utiliser mais pas payer !
Les moyens pour aboutir dans cette voie sont innombrables et l'ingéniosité de ce côté sombre ne peut être déjouée qu'avec des compétences de très haut niveau.
0.jpgLes fraudeurs ont toujours une avance sur les gens chargés de les contrer. Etre proactif pour ces inspecteurs du fisc est vraiment une tâche difficile face à l'imagination fébrile et très productrice d'intérêts de l'autre bord. Rouler l'Etat est un réel sport. Ne pas s'en vanter sous le manteau fait parfois preuve de vieillesse prématurée d'esprit.
Cet autre bord est d'ailleurs localisé de bas en haut de l'échelle sans distinction. Tant que le jeu en vaudra la chandelle et que le risque d'avoir un retour de flamme ne sera pas renversé, il en sera ainsi.
L'importance de la malversation n'est pourtant pas à mettre sur un pied d'égalité.
Il va sans dire que plus les bénéfices de la fraude sont importants, plus les moyens à mettre en place les "systèmes" seront grands. A un haut niveau, c'est, en quelque sorte, un investissement.
S'entourer d'hommes spécialisés dans la finance, connaissant les lois fiscales jusque dans leurs moindres détails et en les conservant le plus possible à jour est devenu normal, si pas conseillé. L'"Enronite" ne peut se concevoir qu'avec l'aide de financiers créatifs bien au courant des lois.
Loin de moi l'idée d'accuser ces financiers de malversations quelconques. L'intégrité est dans la toute grande majorité des cas, mais il est aussi vrai que savoir jusqu'où aller trop loin, est une donnée ultra importante. L'intérêt de chacune des parties est différent, voilà tout.
La fraude a vraiment beaucoup de cordes à son arc.
0.jpgElle se réfugie dans des combines les plus inattendues. Dernièrement était dévoilée, une nouvelle fraude à la taxe de circulation difficile à croire, aurait été organisée par des concessionnaires de voiture de luxe. Si falsifier les chiffres en sous-estimant le nombre des chevaux fiscaux est quasiment impossible, les modifications de cylindrées après l'achat des voitures ont moins de barrières. Dans le domaine de l'automobile, les voitures et les pièces d'occasion connaissaient déjà bien d'autres sources de fraude. L’information a-t-elle été véridique? Je n’en pas eu de suivi, mais rien que de savoir que cela aurait pu se passer pourrait donner des idées.
Les départements de lutte contre les fraudes fiscales doivent souvent travailler d'une manière réactive, comme dans celui-ci, et seulement préventivement dans beaucoup moins d'occasions.
Le carrousel à la TVA implique souvent des sociétés étrangères et nécessite donc une collaboration avec les autres pays. L'informatique, les télécoms du fournisseur aux 'phone shop', le mazout, les relations entre dentistes et prothésistes, les abattoirs, la construction, l'HORECA et son travail en noir caractéristique sont des secteurs classifiés comme à risques importants et les actions de recherche sont orientées plus précisément dans ces domaines. Dans la construction où l'on compte une augmentation de 11% de demande de bâtir en six mois au vu des taux d'intérêts intéressants et ne pas constater d'augmentation de l'emploi dans le secteur, n'est pas vraiment très clair. Rétablir une concurrence loyale entre les travailleurs officiels et ceux qui le sont moins est le but essentiel des démarches d'organismes de contrôle.
Des actions ponctuelles en coup de sonde sont entreprises comme il est impossible de les viser toutes en même temps.
0.jpgLes douaniers (3500 en Belgique), qui depuis Schengen, ont un peu perdu de leur présence, doivent pourchasser et constater les infractions graves à la législation des camions qui circulent sur nos routes: contrefaçon des produits transportés, la sécurité alimentaire, la surcharge, non respect des temps de repos et de contrôle technique
Six cents millions d'euros de récupération de la fraude et de redressement fiscal sont bien en voie d'être atteint pour cette année et engrangés dans les caisses de l'état belge.
En Belgique, l'économie souterraine pourrait atteindre près de 20% du PIB, bien que l'évaluation du labeur en noir soit très difficile à quantifier. Cela représente, une fois extrapolé, une perte de 10 à 20 millions d'emplois au sein de l'Union Européenne. Cela constitue une concurrence déloyale pour l'économie officielle qui paye ses taxes et ses assurances. Elle s'accompagne de perte d'entrées solidaire pour la sécurité sociale. En 2004, les titres-services, qui offrent de petits boulots effectués au domicile des particuliers, ont permis d'une manière plus officielle de combler les temps morts de prépensionnés et de sans-emplois en mal d'occupations et surtout d'apporter un complément financier devenu indispensable. Souvent, pourtant, il s'agit d'obligation vitale, si non "morale", pour décrocher un travail futur une fois au chômage. Sans cette possibilité, pour rester dans le coup de la pratique de son métier ou simplement pour nouer les deux bouts, la vie de certains petits fraudeurs serait en décrochage comme citoyen face à des responsabilités de famille ou contractées avant la mise à l'écart de ceux-ci.

Il faudrait aussi jouer cartes sur table dans ce débat du travail au noir. Le "parler vrai" est trop souvent mis en veilleuse dans l'omerta qui règne dans cette pratique. Quand il s'agit de réaliser de petits travaux chez soi, dans un temps bien précis et court, de natures diverses et qui ne constitue pas cahier des charges bien détaillé, quel est le moyen pratique pour atteindre l'objectif? Appeler chaque corps de métier séparément, un à un, pour répondre à une petite correction? Sortir ses "chèques services" officiels? Un test de réalisation par cette voie est bien instructif et très décevant en définitive. La solution: un travailleur d'"occasion" et de confiance, bien motivé pour réaliser un travail bien fait dans de nombreux domaines en même temps, toujours prêt à répondre aux plus petits problèmes. L'"homme à tout faire" ne court pas les rues. Il n'a pas ses connaissances imprimées dans les bottins téléphoniques. Mais il reste très souvent la seule alternative possible pour les petites gens esseulées. Marché parallèles? Bien sûr, surtout en se rappelant que les lignes parallèles ne rencontrent jamais (mais c'est de la géométrie euclidienne).

Le 24 mai, "Questions à la une" finissait la saison avec son émission avec deux sujets de cet acabit à qualifier de haut et de bas de gamme.

Dans le haut, elle parlait des riches Belges planqués sur le rocher de Monaco.

Ces riches, là constituent la 4ème communauté avec 1000 résidents sur 32.000 habitants qui vivent dans la discrétion jouissant, comme ils le disent, du climat privilégié, d'une sécurité à toute épreuve et, aussi, d'une fiscalité hors concurrence de 0% d'impôts. Au sujet du climat, bien sûr, qu'il fait beau, mais ce n'est pas un microclimat, toute la côte bénéficie des mêmes avantages. La sécurité, quand on sait qu'il y a 6 fois plus de policiers et que 330 caméras de surveillance veillent en permanence, on ne peut difficilement faire mieux. Le système fiscal monégasque a quant à lui des attraits qui ne font pas hésiter bien longtemps, les adeptes du "Pour vivre heureux vivons cachés". Avant 1863, Monaco n'était qu'un petit port qui ne jouissait d'aucune fiscalité "allégée". Depuis lors c'est devenu une institution qui a des règles précises par l'obligation de subvenir à ses "grands" besoins et de résider au moins 6 mois par an sur le rocher. Sous le manteau, on affirme qu'une "caution" de bonne conduite de 300.000 euros est à mettre en banque monégasque pour sceller l'"amitié". Pour contrôler la présence et détecter les "faux" résidents, les compteurs d'eau et d'électricité sont vérifiés. De toute manière, les 'copains' sont là pour le faire croire. Sportifs, hommes d'affaires, retraités se retrouvent dans ce paradis qui se paie cher dans la location (min 25.000 euros / m2). La France est souvent entrée en conflit avec la principauté et un moindre avantage pour le français amateur du Rocher a été la conclusion. Un passage par la Belgique de ses origines s'impose. Et, on voit grand et on veut gagner des nouveaux habitants en capturant ces chers mètres carrés sur la mer. Monaco a souvent été accusée de langue de bois vis-à-vis du blanchiment d'argent. Une loi datant de 1993 devrait pourtant attester du contraire. Mais, l'expertise des autorités compétentes est souvent contestée ou volontairement mise en veilleuse. Donc, "Bienvenue sur le Rocher"...   

Dans le bas de gamme, on parlait plutôt de préoccupations vitales pour une personne sur sept qui vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Notre système d'aide sociale dont nous avons la chance de voir l'existence réelle, a pourtant des travers que l'on appelle les "pièges à l'emploi" et qui encourage la fraude. La recherche de l'emploi motivant qui se veut intégrateur dans la société vient en balance avec certaines combines bien calculées. Les réglementations de protections tout à fait bénéfiques dépassent en avantages ceux qui se retrouvent dans la filière normale du travail. Un véritable "jeu" en boucle du chômage, de l'assistance CPAS, des petits boulots pour regagner le droit au chômage s'installe. Jouir d'un statu fait sortir certains avantages de l'autre. Au risque de tout perdre, tricher est devenu la dernière extrémité pour survivre mais en gardant la peur et la honte dans le coeur de ne pouvoir se payer un minimum de bien-être. Alors, ce sont les combines et les calculs vite faits qui prouvent l'intérêt de se tourner vers elles pour nouer les deux bouts avec les minimex au mieux des possibilités offertes. Travail en noir avec allocations en sous main, intérims, adresses bidons, boîtes aux lettres fictives, paiements partiels ou oubliés des factures, mise à l'abri de saisies d'huissiers, faux statu de famille constituant une prime à la solitude... Il faut bien se débrouiller et trouver les stratégies qui s'imposent à la survie. Logique, tout cela? Les tranches de revenu sont-elles bien évaluées en fonction des besoins réel et des augmentations du coût de la vie? L'aide CPAS est souvent une machine à reconstruire le droit au chômage.  Apprendre un métier avec un contrat d'apprentissage obligatoirement sous payé et en gardant les allocations apporteront pour un temps une motivation pour éviter le rejet de la société mais qui sera vite contré par le sacro saint besoin de compétitivité.      

Pour couronner tout le manège, il y a les opérations "délation". Morale, légale, évoquant les règles autoritaires? Dans certains cas, la question ne se pose pas. Elles sont obligatoires quand il s'agit de blanchiment. Big Brother a encore du travail, lui.

Au niveau international, combattre la fraude est aussi primordial. La coopération inter-étatique est réclamée de partout et beaucoup d'accords bilatéraux sur la double imposition ne trouve pas d'écho par l'échange efficace et suffisant d'informations. Au niveau européen, la fraude fiscale coûte chaque année 250 à 250 milliards d'euros (60 pour la seule TVA) qui correspond à 2,5 % du PIB communautaire. C'est dire qu'il y a intérêt de trouver des accords de renforcement de la coopération administrative. Changer les règles de la fiscalité doit être adopté à l'unanimité des membres.

Dans le bêtisier des organismes de contrôle des fraudes, la question d'un contribuable n'a pas manqué de faire sourire dans le service: "Monsieur, combien d'heures par mois puis-je travailler en noir?"
L'amnistie fiscale qui permettait de rapatrier les capitaux, la DLU (Déclaration Libératoire Unique) de l'année passée a rapporté 600 millions d'euros pour financer principalement la sécurité sociale des Belges. Traquer les gros fraudeurs, le blanchiment d'argent de la drogue, de la prostitution doit rester la tâche principale, mais pour rester pragmatique, par des opérations de déclaration spontanée, l'économie pourra en être dopée de plus belle.
Les SICAV à capitalisation jouissaient jusqu'ici de l'exonération de la taxe suivant le grand principe que la plus value ne devait pas été taxable. Quoi qu'en disent certains, l'argent placé sous forme d'obligations qui rapportait un pourcentage garanti devait un jour venir sur la table et corriger cette anormalité. Je n'ai pas honte de dire que je faisais partie du lot des heureux participants, mais il faut rester lucide et conscient qu'une injustice était latente.
La disparition des titres au porteur est programmée pour fin 2013 en Belgique. La transparence sera peut-être au rendez-vous. Le cadastre des fortunes peut-être aussi et là commencent les cauchemars pour les petits épargnants également.
Je lisais un article avec un titre assez blasphématoire: «Payer des impôts peut-il rendre heureux?».
0.jpgProvocation gratuite? Pourtant, l’impopularité de l’impôt n’est pas aussi systématique qu’il n’y paraîtrait en première analyse. Payer moins d’impôts n’est pas une fin en soi. Le lien entre la contribution au bon fonctionnement de l’Etat et du bien-être du citoyen devrait être dans ce cas d’une parfaite adéquation. Le rapport idéal entre le taux d’imposition et le niveau de redistribution des richesses et des effets sur la perception du bien-être est très changeant en fonction de pays et de la population qui est analysée. La justesse de l’impôt est cependant dépendante de l’équité, de l’égalité qu’il doit maintenir pour ne pas faire profiter une partie de population de mesures auxquelles l’autre partie n’aurait pas droit. Certains pays, anglo-saxons en général, suivent ce principe dans la «non progressivité» (édicté par Robert Hall et Alvin Rabushka) pour tous revenus en les soumettant à de même taux (entre 13 et 24%).
Imaginons un taux d’impôt de 0% pour les revenus les plus faibles. Serions-nous plus riche en bonheur? Pas sûr.
Les impôts indirects seront toujours là pour redonner un sourire.

Par ici, la bonne soupe noire !



 
L'enfoiré,

 

Citations:  

 

Mise à jour du 14/11/2006: "La lutte contre la fraude fiscale se dote d'une nouvelle arme". Vollà le titre de l'Echo. Dès le 15 juin 2007, détenir plus de 10.000 euros pourra être porté à la connaissance du fisc. Le liquide de cette somme qui entre ou sort d'Europe devra être déclaré. Le prélèvement à la source qui date de juillet 2005, les pays européens y compris le Luxembourg et la Suisse acceptaient le prélèvement automatique à la source sur l'intérêt de l'épargne. Une étape de plus pourrait-on dire. L'anonymat perd du terrain pour faire place à la transparence. 

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