Détour de banlieue (11/11/2005)

Les événements dans les banlieues parisiennes vont laisser des traces. Tentatives d'explications.

0.jpgPhilippe Hermant, journaliste à la RTBF, m'interpellait avec ce qui suit:

"Attention aux mots, ils nous trompent. J'y pensais ces jours-ci en regardant les images enflammées de  Clichy-sous-Bois ou de Aulnay-sous-Bois et en écoutant les commentaires des hommes politiques et des journalistes. Parlons de ce mot, le mot "banlieue" que certains prononcent aujourd'hui comme un gros mot, presque comme une insulte. La banlieue, c'était au Moyen Age un territoire où s'exerçait l'autorité de la ville.

La distance d'un lieu autour de la cité où s'appliquait le "ban", c'est-à-dire la "loi". La "banlieue", c'était donc ce qui dépendait de la ville. Aujourd'hui pourtant, on appelle "banlieue", ce qui n'appartient plus à la cité, ce qui échappe à son autorité, car pour nous, ceux qui habitent en banlieue, ce sont des "bannis". Voilà un mot, "banni" qui a également changé de sens. Lorsqu'on "bannissait" au Moyen Age, cela signifiait que l'on voulait annoncer quelque chose aux habitants du "ban". On "bannissait" ainsi souvent à coup de trompes et de tambours. Le sens nous en est resté dans l'expression "Publier les bans du mariage", par exemple. C'est-à-dire le faire savoir, le donner à connaître, le proclamer. Mais le mot "banni" a lui aussi évolué et voilà qu'il s'applique désormais à l'exclu alors qu'à l'origine il désignait des inclus. Il faudrait peut-être alors rendre "banal" les "bannis" qui habitent en "banlieue". Etre "banal" au Moyen Age, c'était appartenir au "ban" c'est-à-dire à la vie de la cité. Aujourd'hui nous avons inventé à partir du grec "polis", un mot qui a remplacé le mot "banal" et qui signifie également "de la cité", c'est le mot "politique". Réintroduire la politique, là où l'on convoque d'habitude la police, c'est peut-être bien l'un des enjeux de ces combats de rue. Est ce d'ailleurs par ironie ou par mauvais goût que les urbanistes on appelé les immeubles construits en banlieue des "cités",  des cités constituées de grands ensembles où précisément personne n'est ensemble. Ce sont des cités sans politique, c'est-à-dire un contre sens. Et les mots qui disent le contraire de ce qu'ils signifient ne peuvent faire qu'une seule chose: "flamber"." 

Hurler à l'inadmissible, comme beaucoup d'observateurs, telle a été ma réaction offusquée devant les désastres résultants de ces bagarres de rue. Voir la ville que l'on aime, mise à sac, détruite avec ses biens propres, qui avaient le malheur de se trouver sur le chemin de casseurs, est quelque chose qui dépasse l'entendement. Ce vandalisme iconoclaste est une dérive qui ne se comprend plus. Les pompiers, attaqués et refoulés de leur mission. L'école, saccagée. Un mort ...

S'il est peut-être vrai que les paroles musclées de l'autorité et celles des forces de l'ordre non adaptées attisent le feu au lieu de calmer le jeu, cette 'intifada' française, cet état de 'non-droit' sont devenus intolérables. Des minorités de caïds organisées en bandes font régner leur loi par la peur sur la population de ces banlieues.

Le texte du journaliste, ci-dessus, laissait néanmoins comprendre qu'une réflexion plus approfondie était nécessaire.

Certains jeunes relégués dans les banlieues ghettos avec lesquelles les communications réelles sont souvent devenues impossibles si pas ignorées. L'échange avec l'autre, cet essentiel, étant refusé, la marmite saute alors pour un banal prétexte complètement injustifié à première vue et démesuré dans l'ampleur des dégâts qu'il engendre.

La mise en jachère des jeunes ne peut aboutir qu'à des extrêmes de crise. Etre mis hors la loi, hors la vie, dans le désoeuvrement, les jeunes n'ont qu'un avenir sans emploi à espérer. L'école ne peut plus "prêcher" la bonne parole avec un tel horizon bouché. La motivation des jeunes ne s'invente pas, elle se construit ou se détruit grâce ou à cause de son environnement et de son entourage. L'injustice économique et identitaire est le message que les jeunes veulent lancer dans les médias. Dans un tel climat, ils sont attentistes du moindre événement qui pourrait les faire passer au devant de la scène pour se faire entendre de leur mal-être. Les symboles de l'autorité, la belle bagnole, cet emblème périmé de la richesse, les vitrines attirantes de tous leurs feux pour attirer la consommation sont visés par ces exactions. Mais, la cible de leur hargne n'est pas  bien choisie et cette erreur d'appréciation n'apporte aucun soutien de la population.

Je n'essaye donc pas d'excuser, je ne fais que rechercher les raisons de ces violences gratuites. Toute situation a son origine, sa prise en charge et son aboutissement. Sans la compréhension nécessaire d'une situation, son contrôle devient aléatoire.

Face à cette insurrection, le gouvernement n'a pourtant rien à négocier avec qui que ce soit. Le dialogue social ne peut se faire qu'avec ceux qui désirent en sortir et qui connaissent la frustration de ces quartiers de ségrégation, de sécession et prendre des actions dans les domaines de l'éducation "vraie", de la vie en commun, du civisme, des responsabilités, de ce subtil mélange de droits et de devoirs.  Trop de ministères sont parfois en charge du même problème au point d'en manquer le but à atteindre, c'est-à-dire des hommes heureux de vivre dans une société qu'ils reconnaissent et qui les reconnait. Des exemples de réussite d'intégrations existent et obligent à refuser la fatalité. La discrimination raciale ne pourrait plus renvoyer une image négative de ces jeunes parmi lesquels existent des cerveaux sous exploités comme dans tous les milieux.

La police de proximité qui pourrait faire le lien n'a pas reçu les moyens nécessaires en effectifs et en qualité à sa mission qui comportent une multitude de tâches diverses en profondeur dont le rétablissement du lien de confiance n'est pas la plus mince affaire.  Ce désordre fait tache d'huile et d'autres villes de France ont été atteintes de contagion en ajoutant au trouble, avec un manque de discussion, de conciliation et de réconciliation.

Sans vouloir jouer les redresseurs de torts d'aucune sorte, il est indéniable que d'avoir 'exporter' sa misère dans des cités satellites des grandes villes n'est pas une solution d'intégration. Une police qui contrôle, c'est bien, une police qui réprime, c'est nécessaire, mais une police qui fait une prévention efficace, avec un budget alloué non insignifiant et effectuée par des policiers ayant une mixité culturelle, n'est pas un luxe. Une police de quartier sous le contrôle décentralisé du maire-bourgmestre est également un plus. D'un point de vue technique, à moins que je ne me trompe par manque d'images, j'ai constaté l'absence d'autos-pompes qui auraient pu calmer sans dommage les "ardeurs" ou éteindre les débuts d'incendie.

Jusqu'il y a peu, le silence des autorités compétentes en devenait vite assourdissant. L'instauration d'un couvre feu décidé récemment va peut-être réduire les 'velléités' de révolte, du moins, je l'espère. Pacifique dans l'âme, je suis, bien sûr, pour l'apaisement le plus rapide.

Nous avons raison d'avoir un dégout au devant de casseurs, face à une ville dévastée chaque jour un peu plus.

Trop, c'est trop !  D'autres voies plus pacifistes existent pour exprimer son 'mal être'. Dans un état démocratique, j'ose espérer que tout n'est pas perdu. L'autorité paraît tout à coup autoritaire. Trop ou trop peu, voilà la question qui devrait être posée avec discernement pour ne pas verser dans les extrèmes.

Mais, la colère que l'on peut avoir aussi à cause de cette déchéance programmée que l'on appelle "mondialisme", de ce futur mal préparé socialement ou de toutes idées que l'on nous débarque comme obligatoires au modernisme est aussi un objet de préoccupation.

 

L'enfoiré,

 

Ce vendredi 11, jour d'armistice. Utilisons-le à plein.

Hugues Le Paige, journaliste à la RTBF analysait dans ce billet la situation avec un peu de recul.

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Citations :

 

 

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