Traversée de désert (08/01/2006)

Le Dakar: course, sport, commerce ou folie?


Voilà, c'est reparti, le 28ème rallye-raid a pour nom "Lisbonne-Dakar 2006"! Après un an d'attente fébrile, de préparation de leur belle machine pétaradante et gonflée jusqu'au cou, les voilà, ces "Schumis" en herbe, amateurs ou professionnels, ces "chatouilleux de la pédale d'accélérateur" et au portefeuille parfois bien garni qui se sont lancés à l'assaut de leur traversée du désert. Toujours prêts à sacrifier leur réveillon de Saint-Sylvestre, à bord de leur charroi hétéroclite de voitures, motos et camions, ils se targuent une nouvelle fois de traverser le désert dans le minimum de temps.

Cette fois, pour 2006, la vitesse maxi des camions et des motos a été limitée à 160 km/h. Les villages seront théoriquement épargnés vu la limite de 50 km/h. De nouveaux gadgets aussi. L'avertisseur de dépassement "Sentinel" est obligatoire pour tous. Le système électronique "Iritrack" sera obligatoire et transmettra par satellite la position des concurrents et pourra apporter l'aide nécessaire en cas de besoin. La navigation par système GPS sera par contre limitée au niveau des fonctionnalités. Pour corser la course, une étape sera organisée sans aucune assistance. L'autonomie des motos passera de 350 à 250 kms pour réduire le poids et augmenter la maniabilité.
Ces nouvelles règles apporteront peut-être un peu d'apaisement entre pro et contre rallye. Pendant un an, rongeant leur frein en s'incrustant dans les files de nos routes, rien ne pourra plus arrêter ces jeunes et moins jeunes après avoir fantasmé en préparant l'épreuve reine du baroudeur qui va leur permettre de se défouler aux yeux du monde, de briller l'espace de quinze jours sous les feux de la rampe du soleil africain. Car, les médias, comme toujours, seront tous au rendez-vous de l'épreuve.
Sortant de cette effervescence, il saute aux yeux que le Dakar est vraiment la réplique parfaite de la vie de l'homme moderne qui roule à tombeau ouvert dans une fuite en avant, sans perdre un instant pour voir et prendre le temps de regarder les paysages qu'il traverse et les gens qui y habitent. Les retombées financières pour les populations africaines n'existent pratiquement pas. Toute la logistique est emportée dans la caravane. Les frigo-boxes sont pleins. A l'arrivée à Dakar, peut-être un peu plus de consommation de produits locaux à attendre. J'espère que le champagne et la bière y seront au moins bons et chers. On ne fait que passer, on laisse des traces mais on ne les efface pas. La passion n'a simplement pas de prix, mais n'aveugle-t-elle pas? Ce rallye ne manque pas de sponsors qui, pour décorer la vitrine de leur production, n'hésitent pas y mettre le prix. Plus insidieux encore, alors que l'Europe se ferme à toute publicité pour le tabac, que les lieux publics se purifient, le Dakar, plus pudique que d'habitude, y a tout de même succombé. On ne fait pas la fine bouche quand il s'agit de faire payer ses palpitations. L'Afrique offre de nouveaux débouchés à nos cigarettiers qui commençaient à manquer de souffle. 

A bord de leurs bolides, les coureurs restent insensibles aux problèmes existants ni à ceux qu'ils créent eux-mêmes en réveillant des populations qui n'ont vraiment pas besoin de cette agitation. Agression écologique et humanitaire, perturbée par la politique et le terrorisme, le Dakar est contesté tous les ans.
Le désert n'est-il plus qu'un prétexte, un attrait touristique d'aventure qui attire sans plus aucune intention d'apporter le moindre besoin d'amélioration à la sécurité routière? Celle-ci est pourtant seule encore à pouvoir apporter un plus sur nos routes aux limitations bien plus réalistes. La liberté de rêver ne peut disparaître. Trop d'embûches de la vie de tous les jours nous empêchent trop souvent d'assouvir ce besoin. Célébrer le centième anniversaire de cette course a pourtant peu de chance de se produire. Si rien de génial n'est découvert, nous auront bien avant oublié d'utiliser le pétrole restant pour nos excès. Le prix ou la pénurie de cette énergie fournie par la Nature auront tôt fait de nous ramener à une raison à une plus longue échéance. Elle même imposera de plus en plus ses propres règles. Durant les dernières décades, nous avons dépassé nos quotas en consommation de cette précieuse source de notre richesse actuelle. Alors, un rallye Dakar sur piste à vélo?

Ne plus passer par les villages africains, comme ce le fut lors de précédents rallyes, éviteraient de nouvelles victimes qui s'ajouteraient aux "dégâts collatéraux". Plus de fillette, surprise par ce tohu-bohu, qui se fait happer par une voiture au passage. Plus d'accidents prévisibles mais fatals (*). Le spectateur, devant sa télévision, cette fois, épargné des émotions inappropriées dans un sport. Demander ce que pensent les Africains eux-mêmes de la course, ne serait aussi pas inutile. Sont-ils heureux du passage de la colonne du rallye (la réponse venant sans l'appui des autorités locales)? Assez de compensations financières? Il serait intéressant, rien que pour info, de faire un sondage (on est très friand de cela chez nous) pour savoir si les habitants de nos chers contrées verdoyantes seraient intéressés par un rallye sous leur fenêtres.

Dans l'histoire du Dakar, vu les excès de vitesse pratiqués pour sauter buttes et dunes du désert, trop d'années noires ont fait partie du lot de malheur. Depuis 1978, morts (43) et blessés à vie du côté des participants n'ont pas altéré cette lutte pour une victoire très éphémère et si peu productrice de progrès.

Chaque année, la mémoire courte aide à repartir de plus belle en pleine insouciance. 



Cette année 2006 ne fait pas exception.
Article journalistique du 4 janvier :  

"Plus kamikaze que cascadeur, Masuoka fut le premier à faire parler la poudre en effectuant plusieurs tonneaux avec son Pajero MPR 12." Mais, nous sommes rassuré d'entendre le même jour Calos Sainz, vainqueur de la 3ème étape dire : "Je continue à apprendre. Je n'ai pas la sensation de prendre des risques inconsidérés.". Et pourtant... certains, et non des moindres, affirment que le rythme imposé depuis le départ par l'ancien champion du monde des rallyes est bien trop élevé pour pouvoir rallier Dakar sans accident... «C'est tout bon pour le spectacle mais je dirais même que ça roule un peu trop vite», glissait, pour sa part, Luc Alphand, 3e de l'étape et seul pilote Mitsu en pointe, derrière l'étonnant buggy Schlesser de Thierry Magnaldi. «C'est moyen pour la sécurité, parce qu'on est bien obligé d'y être. On ne va pas laisser du mou...» 

A l'arrivée, bien sûr, pléthore de journalistes seront là pour féliciter et pour acclamer les vainqueurs.
A cette occasion, une interview surréaliste pourrait très bien se dérouler ainsi: 

- Comment c'était l'Afrique?
- Très dur, vraiment très dur.
- Oui, mais l'Afrique, comment l'avez-vous trouvée?
- Quelle Afrique? , serait la réponse du héros d'un jour, très surpris.


Quand aurons-nous enfin des simulateurs de pilotage assez réalistes pour permettre de s'éclater à l'aise sans coup férir et remplacer ce remue ménage tellement consommateur de ce carburant si précieux?

"Tais-toi, l'Enfoiré. Tu ne comprends rien. Ca, c'est du sport !"
 

Je me retire sur la pointe des pieds et plonge dans le dictionnaire:

"Sport": Ensemble d'exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, pratiqués en observant certaines règles et sans but utilitaire immédiat".


Je reste donc à ne pas comprendre, mais mon dictionnaire date, lui, de 1975. Mais, je n'engage que moi, bien sûr.
Le Dakar, une traversée du désert ou un désert dans l'âme?

"Ave Dakar, qui morituri sunt te salutant" 

 

(*) 2006 : 1 participant tué, 2 jeunes africains de 10, 12 ans happés par la course et tués (mais toutes les précautions ont été prises, dixit l'organisateur).




L'enfoiré,
 

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Citations: 


Les images ensablées

 

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