Le "décoût" de la vie (12/02/2006)

1.jpgL'Euro, ce bouc émissaire bien venu pour voiler la réalité vraie. Le Centre de Recherche et d'Information des Organisations de Consommateurs (CRIOC) a fait son enquête.

L’Euro vient de fêter ses 4 ans mais plus il grandit et moins les Européens l’aiment. A sa naissance, en 2002, ils étaient 60% à trouver que l’Euro, c’était un bon coup. Aujourd’hui, c’est tout juste s’il décroche encore une majorité. Son pire péché serait d’avoir «apparemment » fait flamber les prix. Et même si toutes les mesures de l’inflation prouvent le contraire, plus de 80% des consommateurs en restent convaincus.

Le mécontentement est donc partout le même dans des proportions différentes et une intensité dépendante du pays, pour dire que les prix ont flambé à cause de son utilisation.

Le coût de la vie n’a, en principe et d'après les statistiques, pas été touché en dehors d’une indexation de 2% par an. Rien donc d’extraordinaire. Pourtant, la perception est toute contraire.
Pour 4/5 d’entre eux, les Belges ressentent le problème de leur pouvoir d’achat qui a diminué.
Mais on n'est pas tous égaux devant la consommation. Le sacro-saint index des revenus relié aux salaires et qui compense la hausse du coût de la vie n'a pas permis de conserver le pouvoir d'achat. Sur dix ans, les prix ont augmenté de 19%, ce qui représente quantitativement jusqu'à 3% de perte et qualitativement, les habitudes de consommation ont complètement changé. Les employés ont des plans barémiques et de carrière qui ont reçu une augmentation complémentaire. Chez les ouvriers, par contre, cela se négocie. Les fonctionnaires et les allocataires sociaux sont pénalisés parce qu'ils n'ont pas eu d'augmentation et un indice santé lissé est appliqué. Les revenus d'insertion ne modifient rien si ces consommateurs ne consomment rien parce qu'ils n'ont rien. Les dépenses de loisirs sont 14 fois moins importantes que les autres catégories.

Pour supprimer le problème des centimes de l’Euro, les prix ont souvent été arrondis déjà avant son introduction. Pas de scandale à priori. Mais, la valse des étiquettes a bien eu lieu dans les grandes surfaces.

Les augmentations de prix les plus fortes, se retrouvent dans les produits pétroliers et ses dérivés, l'alimentation de consommation courante. Le pain dont le prix a été libéralisé (31% pour les petits pains) et les pommes de terre (56%) ont explosé. L'offre et la demande avec, en plus, la raréfaction poussent le poisson vers des sommets.
Les restaurants et les cafés, secteurs sensibles, sont en effet sortis de cette limite de 2% d’augmentation et sont montés à 50% pour la tasse de café.
Les prix des nouvelles technologies, les vêtements ont baissé ou n'ont pas évolué dans les mêmes proportions. Ce genre d'achat reste marginal ou non quotidien. Cela fait donc une belle jambe !

Auparavant, il y avait 3 catégories de consommateurs, les pauvres achetaient les produits blancs et simplifiés, les moyens se fournissaient dans les marques et les riches dans les produits haut de gamme. Aujourd'hui, les pauvres restent aux premiers prix, mais les revenus moyens papillonnent en achetant des produits très chers pour les grandes occasions, gardent les marques mais ont ajouté les produits blancs. Les riches qui ont des actifs financiers en placement s'en tirent très bien, les autres qui ont des revenus du travail descendent d'un cran également. La classe moyenne s'en retrouve donc grignotée. Revanche du pouvoir qui a dû se plier aux revendications de plus en plus nombreuses des classes inférieures? A chacun de se poser la question.

L'index, baromètre du coût de la vie, qui régule les rentrées d'argent n'est plus nécessairement fiable. Il a été raboté et ne comprend plus les produits dangereux pour la santé (le tabac, l'alcool et les produits pétroliers). Cependant, ces produits ne reflètent pas nécessairement la consommation réelle. Un compromis entre patrons et syndicats est à la base de cette répartition. La modération salariale est voulue par les sociétés et les gouvernements par souci du maintien de la compétitivité. Ceux-ci tentent d’éviter une augmentation des salaires pour limiter cet indice qui est déjà une moyenne de moyenne. C'est une condition nécessaire mais pas suffisante quand les loyers augmentent de 18%, si ce n'est pas beaucoup plus dans les grandes villes. Ce loyer est aussi dépendant de la proportion que le locataire va devoir accorder à ce poste lorsqu'on considère que 6% en moyenne doit être destiné à ce poste de frais parce que les propriétaires de leur bien font baisser la moyenne. Un plan pour le gel de l'augmentation des loyers est en projet mais il est déjà contesté par l'Office des Propriétaires qui rappelle que le blocage précédent en 1985 n'avait pas été couronné de succès ou que ce serait tout à fait insuffisant si le gel n'était pas accompagné par beaucoup d'autres limitations. Le parti libéral préconise plutôt l'encouragement à l'accès à la propriété. Des déductibilités de prêts hypothécaires, la rénovation taxée à 6%, des mesures contre les immeubles insalubres sont de bonnes initiatives. Encore faut-il avoir un surplus en fin de mois pour y consacrer une partie du salaire. Des chèques logements sous forme d'allocations est une proposition honnête et une autre voie que celle du logement social parfois mal géré.

Une adaptation dans la composition de l'index est néanmoins nécessaire de manière régulière tous les 2 ou 3 ans pour coller au mieux à la réalité. Les revenus d'un ménage défavorisé avec enfants, c'est environ 1000 Euros. Le blocage des prix a fonctionné dans le passé parfois vaille que vaille. Mais quand les prix sont libérés, il faut une meilleure intégration dans l'indice des prix. Dans le cas contraire, les moins bien lotis se sur-endettent de plus en plus. Plus grave, ils ne peuvent plus choisir ce qu'ils consomment et tous les produits simplifiés ne sont pas nécessairement bons pour la santé.

En fonction de cette enquête, la méfiance vis-à-vis de l'Euro et son rejet devraient donc provenir d’ailleurs.
La mauvaise humeur de la population contre l'Euro n'a-t-elle pas été volontairement fomentée pour cacher cette vérité bien moins hypothétique?

"Faut-il brûler l'Euro?" titrait une émission de la RTBF, dans l'émission "Question à la Une".

Londres pousse un soupir de soulagement en étant resté accroché à sa Livre et accuse l’Euro de mauvaise gestion.
En France, 95% de la population se sent plus pauvre qu’avant l’Euro. Elle n’a jamais connu auparavant une période ininterrompue de chômage important.
L’Italie est prête s'il était possible de repasser à la «bonne vieille lire» dont elle savait auparavant utiliser les leviers si besoin, facilité précieuse, qui avec l’Euro, a été perdue. Elle a ressenti un désastre au niveau du pouvoir d’achat des classes inférieures et proteste contre cette vie chère inhabituelle non compensée par des salaires ajustés. Ceux-ci ont été quasiment bloqués depuis plusieurs années.

L’insatisfaction est donc générale. L'Euro est devenu le bouc émissaire de leur mécontentement.
Mais, l'Euro, qu'on le veuille ou non, c'est la réussite la plus éclatante de l'Union depuis 10 ans. Dans l'opinion publique il n'échappe pourtant pas au marasme qui frappe l'Europe. Et ce n'est qu'à moitié paradoxal.
Parce que la réalité n'est pas vraiment drôle. Ce n'est qu'une coïncidence, mais au moment même où l'Euro résonnait dans nos poches, la croissance économique était frappée de paralysie. Et depuis le chômage flirte obstinément avec des sommets. On rêvait d'une monnaie européenne pour ne plus dépendre des soubresauts du dollar. Or si l'Euro est cher, c'est uniquement parce que le dollar est faible. Et pendant que l'Euro cher handicape nos entreprises à l'exportation, les patrons américains eux, peuvent compter sur ce dollar faible pour doper leurs ventes à l'étranger.
Les Etats-Unis ont toujours su jouer de leur monnaie pour servir leur croissance. L'Europe en est incapable. La faute à la banque européenne, diront certains. Mais c'est plutôt la faute à l'Europe et à ceux qui la gouvernent. Ils ont eu la drôle d'idée de confier le gouvernail aux banquiers centraux en les priant de lutter contre l'inflation.
Comme si on pouvait gérer la monnaie européenne sans se préoccuper de l'Etat de l'Union. Aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, le pilotage de la monnaie se fait en coopération entre la banque centrale et le gouvernement. En Europe, la banque centrale indépendante n'a pas d'interlocuteur. L'Europe est une sorte de club qui surveille, analyse, recommande mais ne décide pas. Il y a dix ans, les plus optimistes prédisaient que l'Europe monétaire entraînerait forcément l'Europe politique. C'est tout le contraire qui se présente à l'arrivée. De ce fait, l'Euro n'a pas empêché la montée de l'euroscepticisme. A en croire les sondages, il serait même dans le coup.
L’Europe navigue dans le brouillard et sa cause est en recul. Comment vendre encore cette idée européenne?  
L’Europe politique est en panne et les prix qui ont augmenté ne tiennent pas la route de la concurrence des Chinois. Barroso propose d'améliorer l'éducation civique "pour aider les personnes de tout âge" à utiliser des outils tel qu'internet et ainsi leur donner accès au débat européen. La Commission suggère également la création d'une Charte de l'information et de la communication pour redorer le blason de l'UE. Le social, dans tout cela, est passé au bleu. La directive Bolkestein  est de retour avec les ongles un peu limés mais toujours dans toute sa "splendeur" et son "innocence fictive" (rappel: "Directive Bolkestein: 'Machin' qui permettait, à l'origine, d'importer, chez vous, une concurrence déloyale sous forme de travailleurs avec le bagage complet de règles du pays d'origine bien plus souples"). Ce 16 février 2006, un vote à la Commission décidera de son sort, mais, indépendamment du résultat, il laissera des traces. 

L’Europe a intégré l’Euro dans l’unification mais pas la politique qui aurait dû l’accompagner. Elle n’est pas fédérale. Son budget, 20 fois moindre que celui des Etats-Unis, est bien maigre pour donner le punch décisif à l’économie. La Banque centrale, indépendante, gère les biens de tous les pays assujettis et agit souvent de manière incompréhensible à première vue. Des taux d’intérêts en hausse ne peuvent pas contrecarrer les 10% de chômage en moyenne. Voilà le problème: une politique économique qui va a contrecourant de la politique financière. Moins de pouvoir d’achat veut dire moins de consommation. Moins de consommation pas de relance de l’économie. Une diminution drastique des impôts pour espérer un meilleur niveau de vie ne peut s’envisager tant que la dette publique restera importante.

En attendant, le Belge épargne et un Belge sur trois déclare plus de 50.000 Euros en dehors des actifs immobiliers. Sans qu’il le sache, le Belge est devenu l’épargnant le plus riche d’Europe. La belle tenue de la Bourse de Bruxelles et le système de sécurité sociale ne sont pas étrangers et apportent une partie d’explication. Mais dans le même temps, parmi les autres concitoyens, on compte 15% de pauvres, coïncidence, juste le même pourcentage qui ne parvient pas à épargner.

Le plan Marshall, - après un autre qui "marche mal" -, supposé redonner du tonus à la Wallonie pourra-t-il corriger la situation? Un milliard d’Euros prévu. Créer des pôles de compétitivité, stimuler la création d'activités en allégeant la fiscalité des entreprises par des incitants pour attirer les investisseurs privés, doper la recherche et susciter des compétences pour l'emploi. Pour créer de l’emploi, tous ces points seront les priorités.

Les intérêts notionnels devraient attirer les investisseurs d’après la bonne prestation de vendeur du premier ministre belge aux Etats-Unis et la visite d'Etat, non moins influente, du Roi Albert II en Chine.

Le cœur de l'Europe, comme certains appellent notre petit pays, va-t-il battre plus fort?  
On ne demande qu'à voir et on rêve.

 

L’enfoiré,

 

Sur Agoravox, d'autres commentaires 

 

Citations : 

 

| Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : argent |  Imprimer