Tunnel sans fond (05/08/2006)
"Faut-il fermer le tunnel sous la Manche ?". Voilà le titre blasphématoire de "Question à la Une" du 22 février 2006. C'est aussi devenu le suspens de ces derniers mois pour les actionnaires.
Eurotunnel est-il le fiasco du siècle ? Il ne faudrait pas réfléchir longtemps pour le désigner comme tel.
Le chantier gigantesque inauguré en grande pompe ce 6 mai 1994 à Coquelles, dans le Nord de la France, est bien menacé de faillite aujourd'hui. En présence de la reine d'Angleterre, Elizabeth II et du président de la République François Mitterrand, l'entente cordiale était scellée et fêtée sous la Manche.
Tout semblait alors devant un avenir radieux. On avait vaincu les préjugés les plus virulents. Du même coup, la Grande Bretagne allait perdre son insularité. La fin du chantier du siècle concrétisait une idée vieille de 1802. L'ingénieur Albert Mathieu-Favier, cette année-là, proposait à Napoléon d'ouvrir une voie souterraine pour relier l'Angleterre au continent. Les Français ont porté le projet à bout de bras contredisant les promoteurs méfiants ataviques de l'autre côté du Channel. Le succès de l'entreprise apparaissait dans toute sa splendeur. Ceux qui ont toujours peur de prendre l'avion ou la mer allaient enfin pouvoir visiter l'Angleterre. Pour relier Sangatte à Cheriton, l'ouvrage mesure 49,4 kilomètres dont 37 sous-marins. 10 millions de m3 de craie ont été extrait grâce à onze tonneliers de 300m de long pour arriver à bout de deux tunnels ferroviaires.
Remontons encore un peu le temps, le début des travaux commença en décembre 1987 après trois années de tergiversations. Le 1er décembre 1990, la rencontre entre les équipes française et l'anglais, par 100 m sous la mer, se serrèrent les mains et échangèrent les drapeaux symboliques. Le 20 juin 1993, le premier TGV Eurostar franchissait la Manche à 30 km/h. Le 14 novembre 1993, le trafic était ouvert aux TGV Eurostar 9011 à 10:13 précise entre Paris et Londres sans panne. 10 millions de passagers pour 1996 était le challenge pour un tarif de 1290 FF aller et retour en 2ème classe. On affiche complet dès le départ. Le 22 décembre, le tunnel est ouvert au Shuttle qui emmène, en douceur à 140 km/h, 25 wagons du terminal français à Cheriton en 35 minutes.
Toutes ces données de temps et réalisations pharaoniques, c'est pour le rêve car, en 2006, ce rêve tourne au cauchemar. Dés le départ, lorsque Margaret Thatcher et François Mitterrand signent le traité de construction, le chantier est vérolé par un contrat de dupe. Un consortium de constructeurs composé de grandes entreprises française et britannique se met à l'ouvrage en revendant à la société d'exploitation les navettes, les rails? Résultat : le chantier devait coûter 5 milliards de francs français. Au final, la facture s'élèvera à 100 milliards de francs français.
On séduit les petits actionnaires en France, en Belgique, en Grande Bretagne partout où cela est possible. Mais personne n'informe les petits épargnants des risques réels.
Un million d'actionnaires ont investi dans le projet. Au lancement, l'action coûtait 5,3 euros pièce et elle ne vaut actuellement plus que 0,40 euros.
Une dette énorme de 9 milliards d'euros mène le projet vers la faillite virtuelle telle que certains imaginent de fermer le tunnel. Avec le recul, il semble bien que ce projet a été la véritable escroquerie du siècle. Les tergiversations de 1987 étaient surtout dues à Margareth Thatcher qui ne voulait absolument pas financer une livre dans le projet et ne pas se porter aval. Tout devait être financé par des capitaux privés. Une propagande suivit pour récolter l'argent chez le public à grand renfort de publicité qui présentait la réussite comme certaine et le bénéfice assuré en bout de course.
Trois augmentations de capital ont essayé de relancer le projet toujours soutenu par des perspectives mirifiques. Il fallait influencer au maximum les ignorants de la Bourse par le sentiment patriotique si besoin. L'excellent placement d'avenir tourne plutôt au piège qui entraîne la chute. Les banquiers ont résolument pris le parti d'être des boutiquiers avec leurs clients et pas des conseilleurs avisés et prudents.
Le 17 juin 2005, ça chauffe vraiment chez les petits actionnaires qui commencent à ressentir l'oignon et à se sentir comme grands floués lors de l'assemblée générale. Mais comme toujours, pas de pitié pour les boursicoteurs considérés comme spéculateurs.
Il s'avère pourtant que de fausses études de marché avaient été à la base du projet. Sauver l'entreprise est un "must", du moins pour certains. Les audits démontrent que le désastre était programmé dès le départ sans aucun parachute. Le sacrifice était déjà coulé dans la première pierre. Pas de pénalité prévue dans le contrat de construction. Les 5 milliards d'euros évalués sont devenus 100 milliards en fin de construction et il faut pouvoir assumer et rembourser la dette.
La gestion a elle aussi à se reprocher de gros écarts dans ce jeu de poker menteur. Le train de vie des administrateurs n'était pas en rapport avec les nécessités. Des mesures de précautions ont loin d'avoir été prises pour arrêter la catastrophe. Eurotunnel a pour diminuer les frais renvoyé 928 salariés avec une confortable indemnité. L'état Français, les banques et la direction d'eurotunnel ont berné l'opinion publique et ont, surtout, escroqué ce million de petits actionnaires dont de nombreux Belges.
Le 1er juin, un nouveau ballon d'oxygène pour le tunnel est proposé. Son énorme dette devrait être divisée par deux auprès des créanciers. La réduction de 54% de la dette est, en effet, programmée, ce qui représente près de 4,4 milliards d'euros. Pas moins de trois banques ont été sollicitées pour financer l'opération. A la clé, la société Eurotunnel devrait se restructurer une nouvelle fois en une nouvelle société mère via une OPE et espère accueillir de nouveaux investisseurs. Onze administrateurs désignés à la tête. Une nouvelle action pour quarante anciennes pour donner bonne figure dès le départ. L'A.G. de juillet décidera de cette solution ou ....du dépôt de bilan.
Ce 13 juillet, derniers sursauts, dernière recherche dans les fonds de tiroirs. La "bête" est blessée. A mort? Non, car les administrateurs décident de se mettre sous la protection d'une espèce de concordat puisque les petits actionnaires, eux, n'ont plus confiance. Le 2 août, la décision tombe de geler les avoirs pendant 6 mois. C'est le 'ouf' de soulagement de la part des petits porteurs qui ont énormément perdu dans l'affaire et surtout des administrateurs. Est-ce encore une fois reculer pour mieux sauter?
Le 30 octobre, le conseil d'Eurotunnel présente le projet de refinancement aux créanciers après l'avoir approuvé: "Propositions finales de l'entreprise" disait le PDG,, Jacques Gounon. La proposition tient compte d'une réduction de la dette à 54% pour lui faire prendre la forme d'un emprunt bancaire sur 40 ans.
C'est toujours suite au prochain numéro.
L'Angleterre n'est plus une île, c'est un fait. Les petits actionnaires, eux, ont pris place sur une île appelée "Désespoir", mais celle-ci n'est présente sur aucune carte.
Ca ne veut pas dire qu'il faille faire la manche pour autant.
L'enfoiré,
Deux autres avis :"Eurotunnel: une réussite technique, un échec financier", "Eurotunnel, Europe et crédibilité institutionnelle".
Citations:
- "Quand vous verrez la lumière au bout du tunnel, priez pour que ce ne soit pas le train.", Daniel Lemire
- "Le rêve est un tunnel qui passe sous la réalité. C'est un égout d'eau claire, mais c'est un égout.", Pierre Reverdy
Mise à jour 1 décembre 2010: Vingtième anniversaire de la poignée de main et de l'échange de drapeau entre l'anglais Graham Fagg et le français Philippe Cozette sous la Manche. Le projet avait coûté 12,5 millions d'euros. L'impact économique est dit modeste. Le marché a été surestimé. Des incidents ont été de la partie pour empêcher le trafic (incendie, neige...). Le profit est en baisse à 1,4 millions d'euros. En quinze ans, cela a épargné tout de même l'(équivalent de 3,5 millions de tonnes de CO2.
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Commentaires
Depuis 1/12/1990, l'Angleterre n'est plus une île. Vingtième anniversaire de la poignée de main et de l'échange de drapeau entre l'anglais Graham Fagg et le français Philippe Cozette sous la Manche. Le projet avait coûté 12,5 millions d'euros. L'impact économique est dit modeste. Le marché a été surestimé. Des incidents ont été de la partie pour empêcher le trafic (incendie, neige...). Le profit est en baisse à 1,4 millions d'euros. En quinze ans, cela a épargné tout de même l'(équivalent de 3,5 millions de tonnes de CO2..
Écrit par : L'enfoiré | 01/12/2010
Encore une fois de vieux fous se sont servis de l'état pour assouvir leurs rêves personnels, c'est exactement comme l'Europe .
D'ailleurs créer l'Europe avec l'Angleterre, en changer la géographie sans arrêt est le meilleur moyen pour que l'Europe soit un échec .
Toujours pas à l'Euro les english !
Pour les 3.5 millions de tonnes de Co2 tu as du oublier de calculer les milliards de tonnes de Co2 qui ont été produites pour la construction du tunnel .
J'ai travaillé quatre ans à sa construction, j'ai une petite idée sur la question.
Écrit par : Sun Tzu | 01/12/2010
Et trente ans après le TGV qu'est-il devenu?
http://www.linternaute.com/actualite/magazine/photo/l-histoire-du-tgv/les-grandes-dates-de-l-histoire-du-tgv.shtml?f_id_newsletter=4765&utm_source=benchmail&utm_medium=ML8&utm_campaign=E10195906&f_u=768081
Écrit par : L'enfoiré | 17/04/2011