Birmanie ou Myanmar, est-ce vraiment l’ouverture à la démocratie ? (11/11/2015)

Préambule: Large victoire de Madame Aug San Suu Kyi qui est appelée "Papillon de Fer" par ses partisans et la Dame de Rangoon en Occident. Les dernières élections lui ont donné plus de 70% des suffrages. Elle a 70 ans, deux enfants en Angleterre. Son père qui s'est battu pour l'indépendance, a été tué en 1947 et sa mère a été ambassadrice en Inde. Des études dans les bonnes écoles de Oxford. Des idées qui suivent celles de Gandhi et de Martin Luther King. Elle a été maintenue chez elle, a fondé son parti LND (Ligue Nationale pour la Démocratie). Passive contre les indépendantistes kachins et les musulmans de Rohinga. Elle n'est pas exempte de polémiques ayant apporté son soutien à l'armée lors d'un défilé et soutenu l'entreprise Wanboo chinoise qui exploite le cuivre. Un nouveau président devra être élu en mars 2016.  

Un spécialiste en ditpodcast

Le film "The Lady", un beau film:

Nous sommes le 11 novembre, jour de l'armistice.

L'arrivée de Madame Aug San Suu Kyi, serait-ce un armistice birman? L'avenir nous l'apprendra. 

Sapanhine avait écrit dans son dernier commentaire qu'il préférait pondre un sujet sur la Birmanie. 

Le voici dans tout son exotisme de souvenirs vécus. Je vous laisse en sa compagnie.

L'enfoiré, 

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 Voici d’’abord le commentaire que j’ai publié ce lundi 9 novembre dans la Libre Belgique sur «  l’éclatante victoire de la démocratie en Birmanie

« Erreur profonde de l'ensemble de la presse internationale. Aug San Suu Kyi est d'abord une birmane de sang dans un ensemble de sept communautés différentes, dont une les RONINGHA d'obédience musulmane se voit refuser la nationalité donc le droit de vote, et trois autres ( les Karen au sud, les Wha et les Shan au nord-est ) ne se sont pas déplacées afin de conforter par leur vote le choix de celle qui n'a le statut d'icône que pour l'ethnie burma qui, à défaut d'être majoritaire, est et reste seule dominante. Elle n'a jamais eu un mot pour condamner les persécutions dont elles ont été et sont encore continuellement l'objet, ni le racket sur leurs richesses propres ( jade, rubis, bois précieux, pétrole et gaz ) organisé au vu et au su de tous par la branche militaire du groupe social dont elle fait partie. En s’étant présentée en tant que seule candidate d’opposition à une élection qui n'a de démocratique que le nom tout en tolérant que les militaires honnis puissent bloquer toute modification constitutionnelle, la dame de Rangoon est l'alliée objective de ces derniers et non un Prix Nobel de la paix rassembleur ( 1991 ), titre dont on l'a honoré à tort".
Pour ceux que cela intéresse, je les engage, pour une fois, à ne lire ne fut-ce que Wikipedia, Cette prise de connaissance vous en dira long sur la géographie, le peuplement et les subdivisions administratives de ce pays, troisième sur la liste des nations les plus corrompues du monde.
Sa victoire " démocratique " est certes un progrès mais tout, tout petit, sans plus.

Fidèle aux principes qui me guident, les considérations que je vais tenter de vous développer relèvent plus de mon expérience personnelle que d’analyses extérieures d’organes d’information qui vont tous dans le sens d’une vérité prémâchée que le bovin de lecteur se doit de régurgiter au nom de l’indiscutable vérité des urnes. Est-ce vraiment de la démocratie quand on voit – exemple Erdogan – qu’une communication intelligente emporte l’avis des électeurs, bien plus que le fond ?  

EN FAIT, où que ce soit en Occident, tous les organes de presse mainstream vont dans le même sens, disent la même chose, répercutent les mêmes mensonges, formatent de la même façon…

Bon, vous direz encore une fois : de quoi il se mêle ce Sapanhine et qui est-il pour oser émettre une opinion contraire ?

C’est donc par le petit bout de la lorgnette qu’il va vous rapporter différentes expériences de terrain qui l’ont amené à se faire un avis propre à partir de son petit vélo …et d’un hasard circonstanciel qui l’a amené à passer plusieurs jours par-delà les lignes birmanes avec l’armée KAREN de libération rencontrée lors d’un séjour dans un camp de réfugiés en Thaïlande.

Vivant à l’époque à Chiang Maï dans le nord de la Thaïlande, j’ai rencontré nombre de demoiselles, de travailleurs clandestins et autres musiciens birmans de différentes ethnies.Une de ces demoiselles, moche et sans grâce, était femme de ménage chez une voisine et ne sortait jamais de l’enclos, terme choisi à dessein, de sa somptueuse villa. Cette « grande «  dame devenue riche pour avoir su vendre sa chair à un vrai pigeon, avait, selon un schéma bien connu, la propriété d’une villa entièrement payée par un grand directeur d’AIRBUS pour le Sud-Est asiatique déshabillé d’abord au propre et ensuite en toute légalité, passons. Elle est venue un jour, furibarde, me dire textuellement : "si tu continues à prendre une birmane pour entretenir ta maison, ne la paye au plus que 50 dollars par mois. Ces chiennes ne sont QUE de sales étrangères qui viennent voler le travail de MES compatriotes".

En fait, ma mae baan dit-on là-bas, un terme très extensif, était pour sa part une nana à la plastique hyper bombe d’origine Katchin ( ethnie du nord-est de la Birmanie ) que j’avais sortie d’un gogo-bar où elle se prostituait pour le compte d’un policier thaï véreux. Elle était depuis des mois sous méthamphétamines que lui fournissait son boss pour la garder sous sa coupe. Impossible et immoral de la toucher, elle était comme on dit, aussi participative qu’une planche à pain. Sensible à son côté canon, qui ne le serait pas ? j’ai d’abord honnêtement essayé de l’en sortir, la seule clé avant de penser à autre chose. Erreur, le calcul était rigoureusement impossible car, dès qu’elle manifestait un éclair de lucidité, elle filait deux ou trois jours sans que je sache où et revenait en son  "home d’accueil" «  c’est-à-dire chez moi, à nouveau flambée, hiératique et dans l’incapacité totale de dormir, de manger, d’avoir une quelconque réaction un tant soit peu humaine.


C’est que les Thaïs, pas tous mais… savent comment tenir ces demoiselles sous leur coupe. Elles ont toutes, jolies ou moches, un permis de séjour annuel renouvelable moyennant finances qui leur donne droit de vivre dans la seule province qui le leur a octroyé. Si on les choppe par-delà, c’est un an de prison ferme dans des conditions sur lesquelles il vaut mieux ne pas s’appesantir. Impossible donc de l’en éloigner et surtout du circuit de la drogue où on l’avait sciemment enfoncée, tant pis pour elle.

Moi, pauvre pomme, je voulais l’emmener loin de tout dans un endroit où il n’y a pas d’amphétamines pour tenter d’abord de la sevrer. Je savais que si on m’avait pris avec elle en dehors de ce périmètre provincial, je valsais également en taule comme passeur et elle disparaissait, allez savoir où… Le flic que j’avais privé de son gagne-pain m’en a beaucoup voulu, je vous épargne le reste.

Elle m’a un jour emmené dans sa famille qui vivait dans un camp de réfugiés juste avant la frontière, précisément au-dessus de Chiang Dao et je me souviens de la réaction de sa grand-mère : "si vous saviez ce que les Thaïs font de nous ! Leurs flics et militaires viennent continuellement prendre nos filles pour les faire trimer et, si elles refusent, toute la famille sera remballée de l’autre côté de la frontière où l’armée birmane n’attend que de nous faire la peau". Je lui ai donné les 100 ou 200 euros que j’avais en poche et suis rentré en songtheaw ( taxi collectif ) à Chiang Maï avec ma poupée barbie non réactive, laquelle est foutue le camp deux jours plus tard en m’ayant chipé ma montre, mon gsm, ma chaîne en or et le peu de pognon qu’il y avait à la maison. Aucun recours possible, à moi d’assumer mes erreurs, point. Ma nana, je l’ai revue tout à fait par hasard trois ans plus tard, elle avait pris 40 ans d’un coup, était cadavérique et ne tenait plus sur ses guibolles qu’en tremblant comme une hémiplégique…

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Aaron était un musicien Karen extraordinaire, j’ai encore chez moi la guitare électrique coréenne qu’il m’avait conseillé d’acheter et il me donnait deux fois par semaine des cours de blues avant d’aller jouer le soir dans des cafés où il gagnait royalement 2 euros par soir + une bière locale, un plat de bouffe quelconque à 0,5 euros et le droit de mettre une soucoupe devant lui pour les pourboires …dont la patronne du bar où je l’ai rencontré lui réclamait la moitié en fin de soirée.

0.jpgJe l’aimais bien Aaron. Mais je n‘ai jamais osé l’inviter à dormir chez moi, il était complètement sous coupe de l’opium comme beaucoup de réfugiés en Thaïlande. Un jour, il m’a invité dans sa famille, elle aussi réfugiée mais à 140 km de là entre Hot et Mae Sariang, la ville des tournesols en fleur. Je ne savais pas que son vrai but était de se recharger en stups. En fait, je n’ai compris que toute la famille était dedans que le soir de mon arrivée lorsque, dans une cahute en bois au plancher surélevé, les pipes se sont mises à circuler de bouche en bouche. Ils étaient au moins une dizaine, jeunes et vieux tous dans le même état.

Je n’ai jamais fumé d’opium, non pas par morale, mais parce que je savais et sais toujours que cela doit être tellement bon qu’il vaut mieux ne pas ouvrir une porte dont on sait par avance, dans mon cas du moins, qu’elle ne se refermera jamais. Aaron, j’y reviendrai plus tard lorsqu’il m’introduisit chez les plus hauts représentants de l’armée Karen de libération, fut à la base de mon expérience la plus folle en 12 ans d’Asie du Sud-Est.

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A l’époque, c’était il y a dix ans d’ici, il fallait en se débrouillant bien, ne passer la frontière que tous les deux mois et demi. J’allais donc régulièrement à vélo de Chiang MaÎ à Maesaï, trois jours de méchantes bosses sur 264 km. Je me souviens avoir cette fois décidé, j’avais un jour d’avance sur le visa, de passer par Mae Salong qui fut vingt ans durant le refuge imprenable de Khung Sha, le Roi de l’opium.

Je venais la veille de battre mon record de distance, 194,300 km sur un jour. Pas mal pour un mec de 59 ans, non ? Rien de vraiment exceptionnel, à l’entraînement je roulais en moins de deux heures mes 50 km tous les jours. Le lendemain, je fis donc un détour de 70 km entre Chiang Raï et Mae Salong au lieu de prendre directement le superhighway pour Maesaï – 64km.

Ouille ! Jamais je n’ai passé une journée aussi terrible sur un vélo. Parti à 11 h du matin, je suis arrivé en haut de la montagne qu’il faisait déjà noir. 25 km de plat, 8 de montée abrupte, autant de descente vertigineuse et puis l’enfer, le vrai, pour arriver en haut. C’était tellement abrupt que je dus me résoudre à grimper en zig zag des pourcentages absolument infernaux. A la ramasse, j’ai juste eu la force de boire un thé bouillant et me suis écroulé dans une guest-house tout en haut.

Mae Salong est un coin de Chine tout en haut le 3ème sommet de Thaïlande. Fier pour moi tout seul de l’avoir vaincu, j’étais heureux de me dire que le lendemain, j’allais pouvoir descendre comme une bombe. Mon œil ! Ce jour-là, il pleuvait à mort, j’ai tout dévalé ans un froid de canard, mains crispées sur mes freins. Au carrefour, je décidais de modifier mon chemin en passant par les jardins de la Reine pour éviter d’avoir à remonter la première descente de la veille, puis de passer par une petite route de crête longeant la frontière.

Rebelote, montées, descentes d’un km ou deux, juste de quoi gérer l’effort …plus un tas de contrôles successifs par l’armée thaïe qui se demandait ce qu’un cycliste pouvait foutre là alors que plus bas, il y avait l’autoroute si facile à avaler. J’ai vite compris que je passais là où je n’avais pas à passer et, en cours de route, vis plusieurs fois sur le versant birman des êtres humains tenter de franchir la frontière entre deux postes. Des motos les amenaient jusqu’à 200 mètres du sommet et à eux de se débrouiller pour le reste. J’ai entendu trois fois des rafales d’armes automatiques et fus fouillé à fond au dernier poste pour vérifier si je n’avais pas d’opium ou d’amphétamines dans mon sac.

0.jpgArrivé à Mae Saï, la ville frontière dans les délais, je n’avais plus, comme le font tous les Européens en fin de visa, qu’à franchir la frontière le lendemain, faire tamponner mon passeport, payer 10 dollars ou 300 bath et zoup, me retrouver bon pour 75 jours de Thaïlande, je connaissais le truc.

0.jpgD’habitude, car je l’ai fait plusieurs fois, je chinais un peu sur le marché de Tachilek (nom birman de la ville frontière) allais tout au fond du marché là où il y avait des antiquités et non de l’électronique chinoise ou des DVD pornos que ramenaient en masse les autres. Surtout pas de cigarettes vu la rançon que réclament les Thaïs au retour si vous vous faisiez prendre.

Cette fois-là, changement de programme, je franchissais le pont frontière à 9 heures, équipé Mapeî de pied en cap, cela impressionnait les locaux et désarçonnait complètement flics, trafiquants et dénonciateurs en tous genres. Comme la frontière fermait à 17 heures, je décidais donc de me balader un peu en dehors de la ville et, chose qui allait avoir son importance, mon passeport resta obligatoirement au poste côté birman jusqu’au retour.

Me voilà donc dans l’inconnu, je comprends vite la misère, le dénuement absolu des locaux, en général de l’ethnie SHAN. Beaucoup de femmes longues et minces en tenues traditionnelles. Elles avaient toutes les joues couvertes de souffre, sans doute pour éviter la petite vérole. Des signes de main en veux-tu en voilà en guise de bienvenue. Un autre monde, tout va bien. Je passe sans y faire vraiment attention à côté d’un petit aéroport du genre de ceux qu’on imagine en Colombie et boum, me voilà pris dans la souricière par une bande surarmée de flics patibulaires.

Que faites-vous ici ?

- Je me promène, je dois rentrer en Thaïlande avant 17 heures pour la prolongation de mon visa.

- Vous ne pouvez pas. Ici, c’est interdit !

- Mais personne ne m’a rien dit, qu’est-ce que je ne peux pas ?

- Vous trouver à plus de 7 km à l’intérieur du pays, c’est là où se trouvent les bordels pour étrangers. Vous seriez-vous trompé de chemin ?

- Non Monsieur, les nanas je les aime aux environs de 30 ans et les relations pré-tarifées, c’est pas mon truc.

-  Ah bon, vous êtes un espion alors ?

- Non plus, je me promène, c’est tout.

- Mais vous êtes en pleine illégalité, c’est très grave ! On va vous emmener au poste, montez dans la jeep et restez calme, sinon ce sont les menottes. 

J’embarque sans rouscailler. Ils coincent vaguement mon vélo sur le toit, je sens que je suis vraiment mal, mal pris… Mais je connais quand même un peu le truc : ne jamais s’énerver, sourire, toujours sourire. Le chef baragouine un peu d’anglais, je lui demande de s’arrêter, j’ai soif et désirerais m’acheter de quoi l’étancher. Il est d’accord. Heureuse inspiration ! Dans un magasin hangar le long de la piste, on me vend une bouteille d’eau en plastique et je vois des casiers de bière. J’en achète illico un et l’amène froidement, chaudement plutôt, à mes flics en leur disant :

- La bière, c’est pour vous. Voilà le reste de la monnaie et tout ce que j’ai comme baths, je vous en fais cadeau

Sourires resplendissants, puis un peu déçus…

- Vous n’avez que cela comme argent ?

- Oui, désolé j’ai aussi une carte d’une banque thaï, mais je doute qu’il y ait un crache-thunes ici.

- Ouvrez vos poches et laissez-nous fouiller votre sac. 

Ils l’ont finalement gardé pour eux ainsi que mon casque.

Nouvelle intervention du chef :

- La route principale, en terre battue, finit ici. Reprenez votre vélo. Pour Tachilek, c’ est tout droit. Il reste 10 km et qu’on ne vous voit plus jamais rôder par ici.

«Coup de bol ou mansuétude ? Vous n’y êtes pas, ils avaient pigé que s’ils m’amenaient au poste, le peu que j’avais aurait été choppé par leurs propres chefs et, eux qui m’avaient capturé, ils se retrouveraient avec zéro. Mieux vaut se partager ses 25 euros environ, on lui a pris tout ce qu’on pouvait en tirer. Ouf, je m’en suis sorti sans casse. J’ai toujours mon vélo, tout va bien. Vive le retour en Thaïlande. Frontière, passeport, tampon et on oublie tout cela.

Pas plus corrompus que les flics thaïs, mais corrompus quand même…

..

La fois suivante, décidé à me faire oublier, je décidais de passer non plus via Maesaï-Tachilek mais 400 km plus au sud par le point frontière suivant à Maesot. Quatre jours de route. Aucun problème, j’vous ai dit que j’étais super entraîné. La frontière est une rivière. A gauche, le poste thaï, à droite le birman. OK, je passe. Au milieu du pont, me voici stoppé net par un civil au visage patibulaire :

- Vous devez remplir ce document sinon vous ne passerez pas, c’est 20 dollars.

- 20 dollars ? Mais à Maesaï, c’est 10 !

- Ici aussi, mais il y a 20 dollars à me payer avant. En Birmanie, ce sont les Birmans qui commandent, pas vous ! 

Je me suis exécuté. Maudite crapule, mais j’avais besoin du tampon birman sinon c’était l’overstay en Thaïlande à 10 dollars par jour. Un racket organisé et pas d’échappatoire. Je passe le poste birman, une simple entrée-sortie qui me laisse pourtant le temps de me faire accoster par des dizaines de vendeurs :

- Cigarettes ? Des aigues-marines, ce sont les plus belles du monde ! Des rubis, vous êtes intéressé par de beaux rubis de Mandalay ? Vous voulez des filles ? Des petits garçons ? 

Je comprends que je dois me tirer vite fait et surtout ne pas acquiescer à la moindre sollicitation. En rentrant côté thaï, j’aperçois des files entières de Birmans passer la rivière à gué, tous munis de sacs à dos bourrés de cigarettes, d’alcool et que sais-je encore. Je fais celui qui ne voit rien et retourne à ma guest-house côté thaï où j’avais laissé mon vélo sous cadenas, une fois mais pas deux. Une ville glauque. Le soir même, je demande à un tuk-tuk :

- Il y a un endroit marrant où boire un verre ici ?

- Oui, je vous y conduis. C’est à 3 km d’ici. Montez à bord, je vais vous montrer. 

Il m’emmène à bord de son engin puant et m’arrête au seuil d’un endroit borgne d’où s’écoule une musique indéterminée.

- Voilà, c’est ici, cela fait 200 bath.

Je sens le piège plein tube et lui réponds :

- Non, non, reste avec moi, je t’offre une bière et puis on rentre, je te payerai 400 ( 10 euros ) en arrivant ! 

On pénètre à l’intérieur du bidule, il me dit :

- Tu veux des filles ? Y’a des birmanes plein les cahutes, viens voir !

Ma curiosité, je dis bien ma curiosité me pousse à dire oui. Et que vois-je ? Une pièce à côté de laquelle une cellule occidentale est un palace. S’y trouvait une fille les yeux écarquillés de terreur et enchaînée au pied du lit !!  C’est une petite sans doute Karen quasiment nue et famélique qui devait avoir 15 ans maximum. L’horreur ! Je n’ose qu’à peine regarder l’esclave sexuelle et dis :

- Non, cela suffit, on rentre !

Réponse du gars :

- Mais t’es con toi ! Ce n’est qu’une birmane… Saute la, elle ne te reviendra que 10 dollars. Pour nous, c’est seulement cinq. Offre-en moi une, nous n’avons pas vos moyens ! 

J’ai encore le visage terrorisé de la demoiselle devant mes yeux si je les ferme…

Et vous lecteur, ne jouez pas au Père la pudeur. Si vous vous offusquez, c’est vous qui recevrez un pruneau dans la tête et ce sera de toute façon pour rien car elles sont des centaines, des milliers dans les mêmes conditions. Vous ne résoudrez rien, sinon votre propre mort. Ces filles dites de joie, la loi thaïe les ignore et c’est probablement pire de l’autre côté, allez savoir…

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La der de der si vous n’êtes pas encore dégoûté. Pas de moi j’espère, j’ai gardé une certaine moralité, ne vous en déplaise. Il ne sera plus question de filles, la marchandise qui rapporte le plus avec la came. Retour à Aaron le musicien. Je suis fâché sur lui. Le con, il vient de fumer de l’opium dans ma chambre, l’odeur âcre va flotter durant au moins huit jours. Putain, si un flic vient ou qu’un zig me dénonce, je me ferai foutre en taule alors que je n’ai rien commis de répréhensible, il ne manquerait plus que cela.

Il est ce qu’il est, Aaron. il m’apprend un tas de riffs des Rolling Stones. Je commence à me débrouiller dans le solo de « Honky tonk women « et les accords déments de «  Sympathy for the devil «, j’adore.

Il me dit un jour :

- Tu ne me verras pas durant une semaine, je pars à Maesot. Si tu veux, viens avec moi, j’accompagne un religieux de l’Eglise baptiste américaine qui doit voir de hauts dirigeants Karen.

…En fait, un agent de la CIA qui raffole de ce genre de couverture.

- Tu pourras renouveler ton visa plus tôt et tu feras connaissance avec des dirigeants de notre armée de libération.

Le cureton US est plein aux as. Il a loué un van à huit places :

- Tu ne devras même pas payer le transport A/R.  

Je marche. Le lendemain, RV vers les huit heures du matin dans le hall d’un des plus somptueux hôtels de Chiang Maï. Buffet déjeuner sur son compte. Tous les larbins sont langue à terre, respectueux comme il se doit envers ceux qui ont vraiment de l’argent et savent le dépenser ostensiblement. Aux environs de 15 heures, nous arrivons à Maesot que je connais donc déjà, mais pas ce coin-là.

Le gugusse à Dieu le Père est sympa, il me dit venir d’Oregon et parle effroyablement du nez comme tout Donald Duck qui se respecte. Le chauffeur stoppe devant un hôtel d’un luxe époustouflant. Je demande à Aaron :

- Dis, y’a une guest-house tout près d’ici, j’espère ?

- Non me répond-il. T’occupes, c’est lui qui régale. Puisque t’es journaliste, t’auras rien à payer, on va se la couler douce pour une semaine. 

Je ne tiens pas à le vexer, lui qui dort d’habitude sur une natte dans un temple. Pourquoi l’empêcher de vivre pour une fois largement, très largement au-dessus de ses moyens. Pas les miens car j’ai de quoi, mais je n’aime pas le luxe ostentatoire. J’suis comme ça, je n’y peux rien.

Le soir même, on boustifaille guide Michelin au resto de l’hôtel. C’est vraiment du trois étoiles filantes, si pas quatre. Je commence à discuter avec un Karen distingué assis à la même table que l’on me présente comme un chef important. En cours de conversation, il me dit :

- Oui, notre organisation compte ouvrir une maison des intérêts Karen …à New York ou Washington, je ne sais plus.

Ma réponse fuse :

- Mais vous devriez plutôt l’installer à Bruxelles ! C’est la capitale de l’Europe et comme cela au moins, vous toucherez 15 pays d’un coup ( c’était avant le dernier élargissement ) au lieu d’un seul et vous ne serez pas catalogués pro USA, c’est tout bénef pour votre cause. 

Le gars me fixe de ses grands yeux noirs et me dit :

- Viens avec moi, on va voir le Général, tu lui expliqueras ce que tu viens de me dire.

Deux minutes plus tard, nous voilà introduits dans une suite modèle Las Vegas série B. On me présente au Général engoncé dans un uniforme kaki tiré à quatre épingles, je lui débobine mon laïus et rajoute qu’avec un peu de temps, je peux même l’aider à trouver une maison pas trop loin du Rond-Point Schuman, j’ai gardé les relations qu’il faut pour. Manifestement, je viens, sans l’avoir cherché, d’attirer sa confiance :

.- C’est une excellente idée, combien veux-tu pour cela ?

- Rien, je connais les atrocités auxquelles les Birmans se livrent à votre égard. Vous aider à faire connaître votre cause me suffit largement pour toute rémunération. Si, je veux bien une chose : voir de mes yeux le sort exact de votre peuple. Je suis journaliste, donc ne crois que ce que je vois, vous comprenez ?  

- Très bien, me répond-il, tu veux voir un camp de réfugiés ? Les Thaïs n’autorisent pas que des gars comme toi viennent fouiner là mais avec nous, tu pourras.

0.jpgBien sûr ! Le lendemain, re-Van, me voici embarqué avec deux Américains au crâne rasé que je n’avais pas vu la veille + une estafette passe-partout pour les autorisations. Je ne pose pas de question et les deux Ricains me sont d’office antipathiques. Après une centaine de km le long de l’autoroute des Japonais, une route à deux voies qui serpente à travers un restant de forêt primaire et appelée ainsi puisqu’elle fut la voie de pénétration de l’armée nippone vers le pays Karen et le centre de la Birmanie. Le sud, ce fut via le pont de la rivière Kwaï. Lui, tout le monde connait. Nous arrivons à un endroit indescriptible collé à flanc de montagne et entouré de barbelés. Passé le poste de contrôle en effet franchi sans encombres, se chevauchent des tas de phalanstères tôle et bois. A vue de nez, il y en a au moins mille. Du délabré high tech, c’est dingue. 

-  Quelle horreur, des êtres humains vivent vraiment ici ?

 - Beh oui et encore, tu devrais voir les conditions en saison des pluies. On a de la chance, il fera encore sec trois mois !

Nous montons à pied, un jeune local qui parle anglais nous accompagne. Pas besoin d’être grand clerc pour le comprendre, c’est la misère et le dénuement absolu partout ! Bizarrement, le long d’une allée centrale à mi colline des espèces de bureaux dénotent : Médecins sans frontières ici, Handicap International là-bas et d’autres et d’autres. On dirait que ce que le monde entier compte comme associations humanitaires s’est donné rendez-vous ici, j’ai la sinistre impression qu’elles se font concurrence.

On nous emmène dans un local avec un grand crucifix de bois, il s’agit donc d’une église. Deux jeunes catéchisés jouent trois accords de guitare et chantent avec une conviction rare «  Jesus, Jesus, I love you «. Deux minutes plus tard, commence le sermon d’un zouave pro-paradis pour demain. C’est grandiose ( ? ) il officie. Des tas de Karen faméliques sont regroupés sur des banquettes de bois. Après le sermon biblique que je n’écoute pas, ils se mettent en file et, après une profonde génuflexion doublée d’un signe de croix, reçoivent un sac de victuailles, suite à quoi ils font un waï ( signe de respect traditionnel les mains jointes par-dessus la tête ).

Je glisse à l’oreille du petit jeune qui nous accompagne :

- Vous devez vraiment faire ça ? 

Il me répond d’un air entendu :

- Pas le choix, sinon on ne reçoit rien à bouffer. Toutes les églises et associations ont chacune leurs protégés. Nous, c’est l’église baptiste, ça va, ils sont plus généreux que la moyenne ( sic ! ) J’en ai marre, l’officiant continue son prêche paradisiaque, la multiplication des pains sans doute. Je file à l’anglaise explorer la bazar avec mon petit jeune à mes basques. Loin, loin dans le fond du camp, coincé à côté du vide-ordures, une autre baraque avec une tour intitulée secours islamique. Tout à côté un tas de sacs de riz vides empilés sur lesquels il était écrit : don de l’Arabie Saoudite.

Je m’en étonne et mon petit jeune me répond :

- Ce sont eux les plus généreux, mais personne n’en veut. Nous Karen, nous sommes soit animistes, soit catholiques. Muslims, ce serait la fin de tout. Les Roninghas, c’est de la merde. Heureusement qu’ils vivent entre eux dans le nord et pas ici… 

Rideau. Cent km retour, on rentre à l’hôtel trois étoiles filantes. Un demi chef vient me chercher alors que j’étais encore sous la douche :

- Dépêche-toi. Le Général veut te voir, il a accédé à ta demande. Si tu veux, tu pars demain avec un groupe de guérilleros en reconnaissance par-delà les lignes de l’armée birmane. Sais-tu que la frontière est simplement de l’autre côté de la route ? Compte 3 jours, tu verras les tombes de ceux qui sont morts pour notre cause et les traces des combats qui nous opposent à eux. Ces salauds occupent la vallée. Ils ont des grenades, des mitrailleuses, des roquettes et des fusils à lunette. Attention car si on se fait prendre, personne ne reviendra. Fais-nous confiance, c’est notre territoire, notre jungle, on passera. 

J’ai dû mordre sur ma chique, avaler des km de jungle, crever de soif sous le soleil, ne bouffer que du riz froid car il n’était pas question de faire du feu pour ne pas se faire repérer. Ils marchaient à une allure souple et démente… c’était vraiment difficile de suivre malgré ma condition physique.

A moment donné, on s’arrête :

- Le mois dernier, quatre de nos camarades sont tombés ici. Le combat fut sûrement rude, tous les arbres sont déchiquetés. Voici leurs tombes. Paix à leurs âmes, ils sont morts pour notre liberté. 

Honnêtement, je n’ai rien vu. Mais je crois que ce devait être vrai. Une heure plus tard, un autre en haillons et avec un mousquet. Oui, oui, un long fusil fabrication locale qui tenait ensemble avec un cordage, un peu de poudre et trois balles ! Il me dit :

- Tu vois ces petites pierres noires ? Ramasse-en une. Ce sont des météorites, il y en a plein ici. Cela vient du ciel. Un jour, Dieu nous rendra la liberté et nous pourrons enfin vivre en paix…

 Cette météorite grande comme un demi-doigt, je l’ai toujours. Elle partira avec moi, tout comme le nez d’espadon offert par mon vieux pêcheur cubain dans le village où vécut Hemingway.

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                       Revenons à Madame Aug San Suu Kyi : jamais elle n’a eu un mot ni exprimé la moindre compassion pour les ethnies minoritaires. Jamais ! Elle sait pertinemment à quelles persécutions se livre l’armée birmane au nord, à l’est et au sud de ce pays qu’elle saigne à mort depuis qu’elle occupe le pouvoir. Je ne dirai pas que j’ai du mépris pour elle, car sa vie d’exilée interne fut certainement très dure. De là à penser que la moralité dont elle se prévaut délivrera le Myanmar de ses démons ethniques, il y a un pas que je ne franchirai pas.

La Birmanie finira comme la Yougoslavie : elle va imploser à moins que les grandes puissances n’en décident autrement : les Américains qui n’ont plus que les Philippines comme base arrière lorgnent le pays Karen d’un côté. Les Chinois pour le bois précieux, les métaux, le jade, le rubis de sang et surtout l’ouverture d’une voie ferrée donnant sur la mer d’Adaman - gain de 4.000 km pour écouler leur production de l’intérieur - l’autre. Ils se partageront la dépouille, c’est sûr. Le trafic de jade rapporte à lui seul plus de cent % du budget national. Il est énorme, j’en ai vu de mes yeux vu dans de multiples magasins de la plus belle rue commerçante de Djinhong dans le Xixamphanna – nom chinois de l’ouest du Yunnan – que j’ai visité une semaine durant, encore avec mon vélo et une autre copine dont les parents chez qui j’ai passé deux mois habitaient à 10 km de la frontière nord du Myanmar, zone de tous les trafics. Entre-temps, les Wha tiennent encore et toujours celui de l’opium et la production à grande échelle d’amphétamines dont ils inondent toute l’Asie du Sud-Est …pour s’acheter des armes, se protéger de l’extermination par les autorités militaires birmanes disent-ils.

0.jpgCharmante ville Djinhong. J’y ai acheté pour moins de cent dollars une magnifique pièce en jade translucide jaune et vert, le plus rare. Un médaillon avec une représentation de Bouddha sculptée avec une finesse artistique rare que j’ai offert quinze mois plus tard à une autre nana, la jolie lao avec laquelle je voulais faire ma vie. Purée, encore et toujours raté ! Envolé le Bouddha. Elle m’a lâché pour un zig qui se faisait un salaire mensuel en euros à cinq chiffres dans les hautes sphères de la représentation des intérêts de la Communauté européenne à Vientiane. Lorsqu’il est parti se faire du fric ailleurs, en mission dit-on, elle m’a demandé de la reprendre. Je lui ai dit merde et suis sûr qu’elle n’a jamais compris pourquoi.

0.jpgBirmanie, Laos, Thaïlande, Cambodge, les principes de « l’amour courtois « restent partout les mêmes et les plus belles parmi les pauvres finissent dans les grandes villes pour nourrir la famille et les moins chanceuses dans les bordels de campagne ou les champs de riz… Ça, la dame de Rangoon, où les demoiselles de location courent les rues, n’en a jamais parlé non plus.

0.jpgJe ne puis finir sans vous conseiller de lire deux bouquins :

Le premier, un roman intitulé BIRMANE écrit par Christophe Ono-dit-Biot. Prix Interallié 2007, éditions Plon et paru depuis en livre de poche. Un roman, donc pas vraiment la vérité mais il vous en apprendra beaucoup sur les rapports entre la Birmanie et la Chine

Le second, mi photos, mi textes intitulé BIRMANIE, LE TEMPS SUSPENDU conçu par Michel HUTEAU et Stephen MANSFIELD, éditions Anako 1996. Michel Huteau, je le connais bien. C’est un gars fabuleux, un pur, une encyclopédie vivante qui a tout photographié en Birmanie, à Sarajevo lorsque la ville valait Alep aujourd’hui, en Corée du Nord où il a pu saisir librement la vraie vie du peuple nord-coréen, dans les tribus les plus reculées du Nord Laos dont, sans lui, la culture serait restée sans traces.
0.jpgSi un jour quelqu’un vous envoie une carte postale représentant des indigènes de montagne du Laos, regardez la signature de l’artiste, ce sera lui. Il est maintenant vieux et très malade. Nous avons beaucoup parlé ensemble. Enfin parlé, c’est beaucoup dire. Je l’ai écouté des heures, des jours, chaque fois qu’on se voyait ou que je lui rendais visite en son petit magasin sur Sissatharat dans le centre de Vientiane. C’est le genre de zig qu’on n’interrompt pas, il a plus de 80 ans et m’a beaucoup appris sur les ethnies d’Asie du Sud Est. C’est une chose que je dis rarement : tous mes respects, Michel. Que mes vœux t’accompagnent pour que ta fin de vie qui approche à grands pas soit douce. Merci de tout cœur pour tout ce que tu m’as appris, Michel. Tu es un des trois gars que je regretterai sur les six ans que j’ai vécu au Laos.  

0.jpgAu Laos, pas en Birmanie ce nouvel eldorado pour les grandes entreprises internationales et, bien entendu, aussi chinoise. Pas pour les pauvres Birmans et encore moins pour ceux des ethnies minoritaires. Si vous désirez aller un jour en Asie du Sud-Est, choisissez plutôt le Nord Laos. La Birmanie est chère pour les petits budgets et ceux qui opteront pour les voyages organisés, qu’ils se rassurent à l’avance, ils ne comprendront rien du tout.

Birmanie ou Myanmar, est-ce vraiment l’ouverture à la démocratie ?

Sa victoire " démocratique " est certes un progrès mais tout, tout petit, sans plus.

Alain Sapanhine,

 

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