Des paroles lourdes de conséquences (14/09/2005)

Les catastrophes s'expliquent parfois en demi teintes sans y voir de relations immédiates. 

En 1961, J.F. Kennedy prononçait un discours qui allait changer les attitudes des Américains pour de nombreuses années et dont les paroles allaient se retourner en définitive contre eux. Sous une forme anodine qui appelait, au premier degré, à de nombreux applaudissements, il lançait le 20 janvier 1961 lors de son investiture: 

"Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays. 

Sous un chapeau galvanisant l'esprit "dompteur" américain, par ces mots, il montrait et portait aux nues le chemin de l'individualisme à outrance et diabolisait l'"Etat Providence". La solidarité, la pauvreté: connais pas! La réussite attend ceux qui savent l'atteindre avec ses propres atouts dans le jeu de la vie.

Aujourd'hui encore, les Etats-Unis ne se sont dotés d'aucun moyen d'assurer à tous leurs citoyens un minimum de bien-être, de sécurité au niveau de la santé.  Nous assistons au schisme entre l'Américain du côté face de la pièce d'un dollar, ceux qui vivent sur le haut du pavé, logés parfois dans des villas de millions de dollars dont on voit en vitrine le reflet  par les films à la gloire du pays et du côté pile de la pièce, les sans-abris qui vivent dans l'ombre des porches des gratte-ciel à même le pavé en hiver par des températures glaciales. Ces deux mondes se croisent sans se voir, sans que le second puisse espérer bénéficier du moindre égard ni de la moindre sollicitude ou compassion du premier.

Dans le pays de l'Oncle Sam, la sécurité sociale, dont nous jouissons de ce côté de l'Atlantique, est quasi inexistante. La mutuelle et la santé sont affaires d'assurances payées, rubis sur l'ongle, aux sociétés d'assurance privées accessible uniquement par le groupe des nantis. Le second subissant les affres de la vie sans beaucoup aide sociale (si elle existe).   

Pourtant  des deux partis qui gouvernent alternativement le pays, le parti démocrate, plus proche du "social", aurait pu déjà apporter certaines solutions. Depuis le temps, on aurait pu penser voire sortir les indigents de cette ornière. Et bien, non, seuls de maigres progrès ont été accomplis.

Que voit-on récemment comme résultats de ce que je viens de rappeler?

La catastrophe des suites du cyclone Katrina  aurait pu faire, aux dernières nouvelles, plus de 1.000 morts (selon un bilan toujours provisoir), des villes sinistrées complètement à reconstruire. La météorologie avait prévenu de l'ampleur prévisible du cyclone, donc pas de prise au dépourvu. L'alarme d'une gradation maximale de force 5 sur l'échelle Saffir-Simpson avait été même envisagée, mais a pu être rétrogradée d'amplitude. L'opération d'avertissement se résumait, en tout et pour tout, en un conseil de quitter la ville ou de se calfeutrer au mieux dans sa maison. La protection de ses ressortissants contre des éléments naturels déchainés bien plus fréquents aux US qu'en Europe, n'a pas généré plus d'idées dans l'esprit des autorités pour préparer les secours qui allaient être nécessaire. Ni bus, ni camions envoyés par le gouvernement pour évacuer les démunis. On aurait pu s'attendre, comme chez nous, à voir polices, pompiers, protection civile prendre les choses en mains. Il faut constater que la Garde Nationale US a malheureusement un tiers de ses effectifs en Irak et, d'autre part, que 60% de l'argent nécessaire pour fortifier les digues de protection avait été utilisé pour cette même destination. 

Le premier groupe des Américains nantis s'est donc retrouvé pare-choc contre pare-choc sur les routes du Nord pour échapper au désastre annoncé.  Le second, lui, n'avait qu'à subir et attendre que cela passe. Le cyclone détruisit tout sur son passage et, une fois passé, la désolation pouvait faire penser que la Louisiane se retrouvait voisine du Bangladesh en période de mousson. La "vengeance" de ces déshérités explosa et se manifesta par des pillages des magasins désertés pour, au départ, se donner une chance de survivre. Ensuite, ce sont des objets moins utiles mais chers accessible en général à l'autre groupe qui intéressèrent. Bien que cela soit répréhensible, bien sûr, il n'en est pas moins vrai que pour une fois la chance était à leur portée pour sortir du marasme de tous les jours en emportant quelques télévisions ou appareils de HiFi. Les commentaires des journalistes ont été involontairement éloquents d'un autre phénomène de société endémique des US: des images montraient, selon eux, un noir qui "vole" et une blanche qui "trouve" à manger.  

Horrifiés, nous l'avons tous été en voyant les hélicoptères portant secours aux sinistrés et se faisant tirer dessus comme des lapins par ces "pilleurs de fortune". N'était-ce pas une mise en oeuvre logique préconisé par J.F.K. de ne rien espérer de l'Etat, du "self management" et plus grave du "self defense" par les armes à la main? La possibilité de détenir des armes est dans la stratégie individualiste et imprimé dans le 5ème Amendement. 

Pour répliquer, la réaction des autorités dans ce pays le plus riche du monde, complètement dépassées par les événements, désorientées devant leur propre manque d'efficacité à sauver les populations sinistrées se retrouvant souvent sur leurs toits pour échapper aux flots, a été d'autoriser de tirer sur les pilleurs et  les armes ont parfois été préférées à toute aide pour empêcher ces pillages indignes d'une Amérique autoritaire et très près de son portefeuille. Le mot d'ordre est de "protéger le bien du Capital". L'esprit "Titanic" n'a toujours pas coulé dans le naufrage: il y a toujours les canots de sauvetage pour les uns, la force et les balles pour les autres. L'aide humanitaire, si souvent demandée par un pays en détresse aux autres pays du monde solidaire, n'a pas été demandée.  Proposée même par les anciens ennemis, une aide logistique seule mais non médicale a été acceptée du bout des lèvres par le gouvernement américain. Le parti démocrate actuellement dans l'opposition ne manque évidemment pas de fustiger l'administration Bush de ce manque de clairvoyance, de sa présence cinq jours après le passage du cyclone et  pointent du doigt le besoin majeur de changer de stratégie. La polémique n'a pas tardé, donc, mais les dix milliards de dollars offerts généreusement par le président W. Bush sont de bien piètre figure devant le Sud du pays en ruine. Les dollars vont affluer, la reconstruction aura lieu. Les cours des actions dans le secteur de la construction en témoignent. Le chef de l'équipe économique de la Maison Blanche  "bien intentionné" n'a pas hésité d'affirmer que la catastrophe du Katrina n'aura qu'un impact modeste sur le PIB des Etats Unis et que la reconstruction pourrait même créer des emplois et faire croître l'économie. Après une telle assurance, il n'y aura vraiment plus 'aucune crainte' à avoir !

Les météorologues, eux, baignent un peu moins dans l'"optimisme". D'après eux, la saison 2005, particulièrement atypique du fait de la précocité des cyclones (Dennis et Emily) mais aussi, et surtout, parce qu'ils rappellent que 90% de l'activité cyclonique se déroule entre août et octobre.       

La leçon a-t-elle été entendue cinq sur cinq? Ira-t-on définitivement plus loin dans le problème social dans la suite? Je ne mettrai pas le moindre dollar sur la table dans ce genre de pari !

Se retrouver avec un thermomètre précis au centième de degré sous le bras et ne pas avoir de réaction à la mesure des dangereux 40°C de température du corps est un peu le niveau de l'incongruité ou de l'inadaptation vis-à-vis de la situation.  

Michael Moore vous donnera son avis de l'intérieur sur la question.

Ce vendredi 2 septembre, la première de la RTBF diffusait le billet original mais très lucide du journaliste Paul Hermant  que je me suis fait un plaisir de transcrire :

Le cyclone de Katrina, c'est l'effet papillon à l'envers. Vous connaissez la formule sur quoi repose une bonne part de notre compréhension du chaos. "Le battement des ailes d'un papillon au Brésil déclenche-t-il une tornade au Texas" disait le météorologue Lorenz en 1972? Un cyclone en Louisiane peut-il déclencher une tempête dans nos cuves à mazout, a-t-on envie de se demander aujourd'hui? Vous l'aurez remarqué, cette interrogation sur la hausse des cours du pétrole a été plus rapide que la montée de l'émotion. Les sinistrés, cette fois, nous importent fort peu. Ce cyclone d'août est tout comme le Tsunami de décembre, une catastrophe naturelle. Mais, tout se passe comme si nous étions concernés par ce cyclone pour des raisons inverses de celles qui nous avaient appelés pour le Tsunami. Car cette fois, c'est nous qui sommes les victimes, des victimes économiques certes, mais des victimes tout de même. Voici une catastrophe naturelle entre gens riches et c'est aux gens riches, cette fois, de se prémunir et d'inventer des chèques de solidarité, des ristournes de solidarité, des délais de paiement de solidarité.  Tout ce qui permettra au mieux d'encaisser le choc de la catastrophe et du pétrole. Ce cyclone qui n'avait pas arrêté de décroître sur l'échelle des risques laisse sous lui des victimes physiques également. Mais nous les voyons fort peu ou bien nous ne les regardons pas. Nous observons plutôt ces images de pillage, filmées sans qu'il faille même se cacher. Les dernières scènes que nous avions vues comme cela c'était à Bagdad, il y a deux ans. Vous vous souvenez: les musées, les vases et déjà nous nous demandions pourquoi les troupes américaines n'intervenaient pas. Ici, c'est pareil. La garde nationale semble absente et c'est ainsi souvent en regardant les Etats Unis, nous voyons bien qu'il y a un président, mais nous nous demandons où se cache l'Etat? La Louisiane jette là-dessus une lumière cruelle : avoir les pieds dans l'eau quand vos pieds sont d'argile n'a jamais été une bonne idée.      

 

Dans notre pays, l'Etat social providence, longtemps soutenu par les partis socialistes, coûte cher,  c'est un fait. Nous avons toujours à déplorer un quart-monde qui ne mange pas toujours à sa faim, mais nous avons une infrastructure qui permet d'apporter l'aide à ceux qui le désirent: les CPAS, les "Restos du Coeur" lancés par Coluche ne sont pas des mirages. La solidarité, aussi, n'est pas un vain mot.

En Belgique, la Sécurité Sociale et sa gestion centralisée reviennent périodiquement sur la table des réunions de nos ministres. Les ministres flamands ne ratent pas une occasion de relancer l'idée de scinder cette institution de protection du citoyen de part et d'autre de la frontière linguistique.  Ce que l'on oublie de rappeler c'est que cela impliquerait un doublement des postes de gestion à pourvoir et donc un coût presque doublé pour un bénéfice d'autonomie bien aléatoire.  

Heureusement, certains tiennent bon et empêchent de détricoter une force contre le destin si précieuse et si difficile à mettre en place. D'autre encore, reprennent à leur compte l'idée de J.F.K. pour réduire au maximum cet "Etat Providence" devenu trop cher. Les idées et concepts américains ont la cote dans ces temps d'incertitude. Revoilà le "Plan Marshal" qui va, paraît-il, sauver la Wallonie. Ce n'est pas nécessairement un danger, plutôt une chance dans ce cas précis, mais ne faut-il pas l'amender pour éviter tout effet négatif que l'histoire pourrait  faire ressortir. Se poser la question est déjà la meilleure initiative. 

Une question pour finir : Lira-t-on sur votre T-shirt la mention "Proud to be American" ou "Fier d'être Européen"?

 

L'enfoiré    

 

Citations :

 

Les Images parlent d'elles-mêmes   

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