Grever la grève ? (29/10/2005)

La grève n'est pas une mince décision. Grèver ses propres ressources pour garder ses acquis. Quel serait l'autre alternative? 

Un coup d’œil au dictionnaire: 

Grever (du latin: gravare=charger) : Soumettre à de lourdes charges. Exemple: Grever l'impôt.

Grève: Jambière d'armure

Grève: (subst. fém.) Terrain plat et uni, généralement constitué de sable et de graviers, sis au bord d'un cours d'eau ou de la mer.

Grève (emprunté à un mot prélatin): Interruption concertée et collective du travail. Elle tire son nom de la place de Grève à Paris. Cette place, située en bord de Seine devant l'hôtel de ville, était un des postes d'accostage des bateaux. Les hommes sans emploi y trouvaient une embauche facile pour les chargements et les déchargements.             

Viennent s'ajouter les expressions "grève de la faim", "grève sauvage", "grève surprise", "grève sur le tas", "grève tournante", "grève du zèle", "grève perlée"...

N'est-ce pas curieux l'étymologie des mots? Je ne vais pas jouer mon petit "Raymond Devos", mais avouez qu'il y a de la matière !

La grève n'est pas une réaction récente du monde du travail. Au temps des Egyptiens déjà, le pharaon Ramsès VI, le premier, s'est vu opposé dans sa volonté de construire un de ses temples. Ses ouvriers se sont croisés les bras pour des causes qui n'auraient évidemment plus la cote de nos jours. A la révolution industrielle des 19ème et 20ème siècles, les choses se sont précisées et des "pactes de non agression" mutuels entre patrons et ouvriers par l'intermédiaire des syndicats se sont vu écrit dans les chartes du travail. 

Après une première grève nationale de "mise en jambe" du 7 octobre, nouvelles grève nationale en Belgique ce 28 octobre. Les leçons de la première viennent sur le tapis et les "pro grèves" sont en compétition avec les "antigrèves".

A cette occasion, c'est Michel JADOT, souvent appelé Dr No parce qu'il disait 'non' à tout, que recevait Jean-Pierre Jacqmin, journaliste à la RTBF. Michel Jadot est, et le sera encore jusqu'à la fin octobre avant sa mise à la retraite, directeur général du ministère de l'emploi, président du comité de direction du service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale.

En voici les grandes idées: 

Le contrat pour les générations, que le gouvernement nous vend, est relativement insuffisant et peut mieux faire par rapport aux défis que l'on est appelé à être confrontés. L'âge de la prépension pris qu'à partir de 60 ans au lieu de 58 ans est un symbole mais la problématique est ailleurs. La prépension est pour le travailleur un mécanisme de retrait du marché du travail qui n'a pas d'alternative possible. Le montant de la pension est tellement insuffisant de l'ordre de 30% du dernier salaire par rapport aux réalités de l'évolution de la rémunération. La prépension, instaurée en 1974 pour limiter la casse de l'emploi,  est entrée dans les mentalités. Chacun y trouvait son compte. L'employeur  en laissant partir leurs travailleurs âgés qui coûtaient cher par leur ancienneté. Le travailleur aussi car  la prépension est basée, elle, sur 75%, voire 90%, de la dernière rémunération. De plus, ces années de prépensions sont assimilées pour le calcul de la retraite à l'âge de 65 ans. Calcul basé en 45ème, ce qui est énorme. Depuis 1984, les pensions et les allocations sociales n'ont plus été liées à l'évolution des rémunérations dans le secteur privé. Un rattrapage énorme est à faire par rapport au secteur public. Ce rattrapage n'est prévu qu'en 2008 par un pourcentage de 0,5% à 1,5% d'amélioration des allocations sociales. Sur une pension de mille Euros, cela fait cinq Euros! Mesures qui sont une vaste rigolade. Une liaison au bien-être serait bien différente et plutôt un réajustement annuel en fonction du PIB. Le financement de la sécurité sociale après avoir été assuré par les travailleurs pourrait être aidé par les revenus du capital. Mais les 15% de taxation sur les SICAV sont totalement insuffisants et un financement structurel par des cotisations généralisées et non par des recettes affectées pourrait fournir un revenu plus stable. Donc, les décisions gouvernementales sont un compromis à court terme qu'il faudra nécessairement revoir plus tard. Notre taux d'emploi est trop faible, du côté des femmes, des jeunes et des plus de 50 ans. Pour ces derniers, on pompe 3,5 milliard d'Euro par an pour les chômeurs âgés et les prépensions belges. Pour rectifier la situation, réduire les cotisations sociales ne suffirait pas pour retrouver une fin de carrière intéressante. Une révision de la classification professionnelle s'imposerait. Un travail moins stressant avec des tâches moins lourdes pour répondre au phénomène d'usure normale des travailleurs en fin de carrière. Licencier un vieux n'a jamais donné du travail à un jeune. Jamais. Les prépensionnés sont interdits de travail et donc glissent vers le travail au noir. 

La grève est une manifestation d'inquiétude face à la mondialisation et aux restructurations plus qu'une réaction au passage de 58 à 60 ans qui ne fait pas réelle différence. Les travailleurs se battent légitimement pour des symboles et surtout pour garder leurs acquis sociaux. La négociation si elle ne trouve pas de solution se termine normalement par la grève. Celle-ci est un droit fondamental reconnu à la population dans ce pays par la charte sociale européenne. Dans d'autres pays comme en Colombie, il est vrai que la représentation syndicale est contestée, la grève est interdite et les syndicalistes sont assassinés. La grève ne doit faire l'objet de restrictions que dans des conditions très limitatives. Un barrage pour convaincre les travailleurs de participer à la grève et distribuer des tracts ne sont pas des voies de fait. Le moins d'interventions judiciaires est à espérer car ils ne résolvent rien au niveau de l'entreprise et du conflit. Les interlocuteurs sociaux ont signé un protocole en 2002 en rappelant la prééminence de la négociation et du consensus sur tout règlement par la voie judiciaire. 

Hugues Le Paige, journaliste à la RTBF disait: 

Au-delà de la contestation sur les fins de carrières, c'est l'expression d'un refus de la remise en cause des droits sociaux qui s'exprime. Qu’un syndicat revendique, le voici accusé d’obstacle à la compétitivité, qu’un syndicat défende des droits durement acquis, le voilà classé dans la ringardise antiéconomique. L’adjectif « acquis » pèse son poids de mépris et condamne celui qui le prononce du moins s’il est de provenance syndicale. Car les droits acquis des actionnaires ou des propriétaires ne souffrent évidemment pas de la même opprobre sémantique. 

Une grève générale n'est pas un événement banal. Une grève générale ne se décrète pas. La mobilisation sociale qui se dessine de jour en jour va sans doute au delà de son objet même ou en tout cas témoigne d'un refus d'une évolution globale de la société sur le plan des inégalités et des mises en cause des droits sociaux. Le mouvement qui se développe n'est pas sans rappeler celui qui s'est manifesté contre la Constitution Européenne. Il recouvre des inquiétudes et des refus auxquels on ne saurait répondre par le mépris. Il serait illusoire et diffamatoire de réduire ce mouvement à une défense d'intérêt catégoriel ou d'égoïsme générationnel. Il serait dangereux d'opposer des mesures judiciaires ou répressives qui seraient ressentis comme autant de provocations.  Les problèmes sont plus complexes et méritent un autre débat et surtout devraient inspirer une réflexion plus ouverte et moins dogmatique. C'est ici qu'il faudrait parler du danger non pas du droit mais des idées acquises. Simplement, quelques remarques, pour confirmer la nécessité de prendre en compte les analyses alternatives aux affirmations proclamées indiscutables. Elles existent et méritent qu'on s'y arrête. Sur le choc démographique ou, par exemple, sur le financement à long terme des pensions, les bureaux d'étude syndicaux ou certains économistes ont apporté des contributions qui nous forcent à la réflexion et méritent un détour. Littérature engagée, me direz-vous, certes, mais pas plus que celle qui nous est offerte tous les jours sous le sceau de l'évidence. Une seule remarque puisée dans ces textes, les réductions structurelles des cotisations patronales accordées massivement depuis 15 ans auraient permis de couvrir ce que le vieillissement de la population nous coûtera en 2030. Comme quoi, il reste de la marge pour les choix politiques. 

Après la grève du 7 octobre qui aurait occasionné des piquets de grève utilisant la force ou l'intimidation, certains se sont sentis obliger de préparer une nouvelle loi qui autoriserait la liberté de choix aux travailleurs de se retrouver sur leur lieu de travail s'ils ne veulent pas faire la grève et qu'ils veulent travailler.  La Convention de 2002 liant les syndicats et les patrons existe mais ne suffirait, donc, pas! Les dérives et les débordements, bien que minoritaires, (sic), devraient être réprimés par des astreintes.  Le pavé est lancé dans la mare.

La grève est une affaire de solidarité et les bénéfices des grèves par les améliorations sociales le sont aussi. Les syndicats ne sont pas présents dans les PME de moins de 50 personnes. Et si parfois, les relations y sont bonnes et quotidiennes entre le patron et les travailleurs, il n'en est pas moins vrai que la protection des syndicats quand elle existe permet d'avoir un intermédiaire qui a une connaissance de cause (voir encore un autre texte sur l'Anti-Syndicalisme primaire du même auteur). Barrages filtrants, blocages, bouchons ne sont que les reflets d'un certain ral le bol. De toute manière, disent les syndicats avec humour, les bouchons journaliers à l'entrée des villes ne sont pas toujours dus aux grèves. 

Le gouvernement ferme la porte à de nouvelles négociations alors que les textes de l'accord eux-mêmes ne sont pas finalisés. Convaincre tout le monde en quelques jours et quelques nuits n'a peut-être pas été la panacée dans la recherche de solutions durables. Alors, "wait and see" ?   

La grève générale décrétée en front commun syndical de ce 28 octobre n'entravera pas les parutions dans la presse. En échange, les éditeurs se sont engagés de publier une communication émanant des syndicats. Voilà, déjà, un compromis !

A mon avis, la limitation drastique de la prépension conventionnelle et générale portée à 60 ans au lieu de 58 me parait totalement  inappropriée eu égard des différences énormes d'intensité et de charge entre les professions. Les carrières incomplètes ou à mi-temps n'auraient plus accès de fait à cette prépension. L'exemple du patron de la SNCB qui fixait dernièrement en radio cette échéance pour les travailleurs de l'entreprise à 55 ans sans en chercher plus de justificatifs, est suffisamment éloquent.

Quant aux sanctions appliquées aux travailleurs débauchés par la restructuration qui ne joueraient pas le jeu, ce serait se mettre un bandeau sur les yeux face à la situation de l'emploi disponible réellement.   

En Grande Bretagne, Toni Blair au gouvernement libéral de l'Europe, sera confronté à une grève également car il désire repousser la retraite à 65 ans, voire même à 70 ans pour contrer la compétitivité des pays asiatiques. Qui dit mieux?

Epilogue de la manifestation d'hier à Bruxelles: Rassemblement de 70.000 à 100.000 manifestants qui ont défilé dans les rues sans voie de fait, sans barrage, sans débordement, mais avec la conviction de vouloir faire changer leur avenir. A suivre donc ... 

 

L'enfoiré

 

Citations:

 

 

Les Images, en grèves? Non...

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