Veux-tu être mon idole ? (21/01/2006)
Le besoin de pousser son idole en lieu et place de soi-même n’est pas nouveau mais le phénomène s’est amplifié au point que sa propre existence en est modifiée.
Après la Grande Bretagne qui avait choisi Winston Churchill comme le plus Grand Anglais, l'Allemagne optait pour Konrad Adenauer, les Pays-Bas, Pim Fortuyn, la France avec De Gaulle (devant Louis Pasteur et l'abbé Pierre), voilà la Belgique qui organisait un show médiatique à grand budget pour désigner le "Plus Grand Belge" dans sa journée de clôture le 20 décembre.
L'idée de sélectionner le plus représentatif dans tous les domaines, dans le 20ème siècle n'a pas la marque d'objectivité qui pourrait transcender. Dix d'entre eux restaient sur la liste. Organisée, dans le cadre du 175èmce anniversaire de la Belgique, ce grand show terminait une année fertile en événements et devait avec l'aide du public élire cette personnalité adulée par tous.
En fin d'émission, on a pu retrouver des personnages aussi différents qu'un chanteur comme Jacques Brel, le lauréat, le Roi Baudouin, décédé en 1993 après un règne de 43 ans et qui allait générer un engouement extraordinaire lors de ses funérailles, arrivé en seconde lieu et le père Damien, bienfaiteur des lépreux, qui a été béatifié par Jean-Paul II pour compléter le podium.
Ce besoin de starification est bien dans l'ordre du temps. La Star Académie est passée par là. Trouver le meilleur est devenu l'obligation de tous les groupes de travail, des pays pour sa compétitivité, de continent comme bloc qui est en passe de gouverner le monde. L'histoire raconte de multiples exemples de volonté de porter son représentant sur le pavois une fois élus par ses ouailles qui l'ont choisi pour un temps plus ou moins long.
Dans l'ancienne URSS déjà, à la sortie des usines, on pouvait voir les photos des meilleurs ouvriers qu’il fallait en tant que challenger tenter de renverser l'année suivante. Le Japon, la Corée et maintenant la Chine n'auront de cesse d’établir le même type de listes qui capturaient les élites modèles de ce que l'on voulait voir la plupart des autres participants partager en définitive.
Les « Awards » sont les bouteilles de champagne du côté occidental.
La plus belle femme du monde aura la chance de passer l'espace d'une année dans des endroits de luxe pour retomber ensuite dans l'oubli le plus total si elle n'y prend garde.
Le pays le plus compétitif, le plus productif, avec le plus grand PIB en vitrine n'est précédé que par le bloc économique le plus puissant. Le challenge est perpétuel et les coureurs suivent parfois péniblement. Se mesurer aux autres est le message le plus motivant que les têtes pensantes ont trouvé.
Seul le sport a par essence et pour coutume de battre des records et je n'y vois que du bien. Se mesurer avec fairplay pour atteindre toujours plus de vitesse, de hauteur, de longueur ne sont que des moments pour se surpasser, se motiver et atteindre de nouveaux sommets.
Le diplôme en fin d'étude, les « Awards » à l'américaine, les Molière, les Goncourt, les Nobel, sont là pour féliciter et honorer un vainqueur aux compétitions de la vie. Ils ont leur place bien sûr mais rechercher toujours le "plus en ceci", "le mieux en cela", "le plus fort de" dans tous les domaines qui ne jouent pas dans la même cour, c'est prendre des initiatives dans lesquelles être gagnant ou perdant n'aura aucun sens et ne servira qu’à se retrouver dans le deuxième ou le troisième choix. Tout le monde le sait bien, une publicité actuelle nous le rappelle d’ailleurs, il n'y en a qu'un qui restera en mémoire de ses semblables. Et, cela est en définitive, un dommage que ces deuxièmes couteaux auront du mal à effacer.
Le livre des records regorge de ces fantaisies sans aucune gloire et à l'esprit bien étroit.
De son côté, le règne animal a également du plus petit au plus grand le même besoin d'avoir son "champion" parmi l'un d'entre eux et qui prendra en charge le groupe dans son entier.
Chez les abeilles, la ruche a sa reine qui n’a même pas les obligations de sa charge et les ouvrières qui gravitent autour d'elle sont prêtes à lui offrir, sans en demander une compensation évidente, nourriture, protection et leur vie. La reine morte ou disparue ne laisse en générale aucune chance à la ruche de continuer à vivre.
Serions-nous face à un rapprochement de toutes les espèces sur terre ?
Nos gènes seraient-ils en cause dans cette volonté ? Un raccourci de l’histoire entre l'origine et le vécu de tous les jours ?
Je ne suis pas iconoclaste ni anarchiste. Je voudrais seulement retourner notre admiration sur nous-même et de ce fait obliger chacun à se respecter en se voyant dans le miroir. Pas besoin de représentants dans cette entreprise de prise de conscience.
Quand on a posé la question du choix du « Plus Grand Belge » aux personnalités de tous les horizons, beaucoup se sont prêtées au jeu et ont plébiscité l'un des choix. Le journaliste, Jean-Claude Defosset, qui patronne l'émission télévisée, "Questions à la Une" et dont j'ai déjà eu l'occasion d'utiliser certaines idées, a, par contre, répondu très simplement :
"Aucun des dix Belges ne m'inspire pour le titre de plus Grand Belge. J'en ai marre de ces starifications ! Si je devais honorer quelqu'un, ce serait un quidam. Il y a tellement d'anonymes méritants au quotidien ! Celle qui, pour moi, mériterait ce titre serait la maîtresse du mari de la veuve du Soldat inconnu".
Gageure de nominer dans ce cas.
S'il fallait choisir entre la pomme et la poire, passe encore. Mais quand il s'agit de choisir entre une pomme ou un éléphant rose, là, pas d'accord.
Mise à jour du 20 mars 2007 par Paul Hermant de la RTBF:
"L'Europe n'avait pas 50 ans que des Européens décidèrent d'élire un dictateur. Cela s'est passé dimanche dernier et c'est ce qu'on appelle une élection à bas bruit, un scrutin en tapinois. On a failli ne pas en entendre parler. Parce que voilà, tandis qu'à Berlin, un chœur en rythme chantait la Neuvième de Beethoven, les téléspectateurs portugais ont fait dimanche ce que les Belges, les Néerlandais ou les Français avaient fait avant eux, ils ont élu, lors d'un jeu télévisé, leur grand homme national. Et ce grand homme, « le plus grand Portugais de tous les temps », c'est Antonio de Oliveira Salazar. Salazar, pour les plus jeunes d'entre nous, c'est près de cinquante années d'autoritarisme, d'obscurantisme, de conservatisme. Salazar, c'est près de cinquante années de nationalisme, de corporatisme et de colonialisme. Et ce serait cela, l'image d'un grand Homme pour des Européens ? Ce qui, dans toutes les langues du monde s'appelle un dictateur ? Vous allez me dire, ce n'est que de la télévision, ce n'est qu'un jeu, tout cela n'est que virtuel. C'est vrai, car après tout, qu'avons-nous à faire de ces votes électroniques, je vous le demande… Mais tout à coup, tout de même, on a eu l'impression d'un anachronisme : le sentiment que les temps se confondaient. Parce que voilà, cette élection portugaise nous ramenait, d'un côté, dans les années 70 où l'Europe était toujours l'Europe des neuf, sans la Grèce, le Portugal et l'Espagne, pays despotiques et, d'un autre côté, dans les années 30, quand l'Europe des dictatures, des nationalismes et des totalitarismes se construisait. Celle-là même contre laquelle s'est édifiée cette Union qui fêtait son demi-siècle, à Berlin, le 25 mars dernier. Et je ne suis pas sûr que le véritable événement de cette célébration ait été le discours constitutionnel d'Angela Merkel. Moi, je crois bien que c'était plutôt cela, que des Européens ont voté dimanche, même à la télévision, même virtuellement, pour un dictateur. On ne doute pas que dans la tête de José Manuel Durao Barroso, président portugais en titre de la Commission européenne, les choses aussi ont dû se bousculer."
L'enfoiré,
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Citations:
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"L'Histoire, idole des temps modernes, depuis toujours couche avec les vainqueurs, méprise les vaincus, achève la veuve et l'orphelin, se rassasie de sang et s'abreuve de larmes", André Frossard
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"Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains.", Gustave Flaubert
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"Garde-toi des idoles, marche, danse, écris et lis, mais surtout garde la parole, sinon ce sera demain le "silence des agneaux".", Paul Virilio
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"Le peuple met autant de plaisir à renverser les idoles dont il s'est lassé qu'il en a pris à les ériger.", Wilbur Addison Smith
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Commentaires
Votre comparaison à l'animal est judicieuse mais quelque part contredit tout votre dédain pour ce mecanisme de pensée (listing, éléction du meilleur etc).
Tout ce que nous avons en commun avec les animaux est naturel. Dans ce cas la pourquoi interpréter cette manie classificatrice comme typique de notre époque ? De tout temps l'homme a eu besoin de se trouver, d'élire des leaders, selon différents critères en fonction des époques, de la civilisation, du contexte et de l'enjeu.
La loi du plus fort, la compétition, la Récompense du vainqueur est naturelle et inéluctable : cela va de la course des spermatozoïdes pour accéder au Graal Ovule, à la loi de la jungle pour se procurer la vitale nourriture.
Alors oui, ces listings, ces élections, ces classifications font partie du fonctionnement de la Nature mais il est vrai que quand tout ceci est orchestré par les médias imprégnés de l'illogique logique occidentale capitaliste, cela donne des classements du type "les 50 français préférés des français", ou Mimi Mati figure en 7éme position et Yannick Noah en 2nd.
Vous parliez d'anarchisme. Si les anar' ont bien compris une chose c'est qu'il fallait mener un combat dans le domaine, depuis toujours dominé par notre animalité, de la hiérarchisation de la société. L'experience de Milgram, ainsi que l'Histoire, nous montre à quel point un système pyramidal est nocif pour la société, et pour l'Homme.
Cette préoccupation rentre dans le domaine plus général d'un défi doit remporter l'homme dans son évolution : atténuer les traits animaux néfastes (le surhomme, le post humain). Nous avons commencé avec la création de l'Etat et du Droit, afin de supprimer l'aliénante Loi de la Jungle.
Nous devons dorénavant essayer d'horizontaliser au maximum la hiérarchie. Ne pas créer un environnement tentant pour les désirs viscéraux fait aussi parti de ce défi (pulsions animales primaires -sexe, violence, domination).
La classification, la hiérarchie et la relation dominant/dominé sont naturels et nécessaires, mais il est de notre devoir d'êtres conscients de les atténuer au maximum ; ceci est la quête presque déchue de l'Homme afin de sortir du cercle immuable et aveugle de la Nature, afin de créer son propre Système selon nos critères (qui dépendent toujours de l'époque, de la civilisation, du contexte et de l'enjeu).
En attendant, votre réponse. Amicalement.
Écrit par : Watchtowher | 10/01/2010
Watchtowher,
"dédain de la pensée"?
Bien au contraire, la pensée mériterait plus d'universalité tout en ne tombant pas dans la masse des idées reçues. L'animal, l'homme sont tous deux naturels, pas de doute, mais chacun a une fonction spécifique à remplir sur notre planète évolutive. Rien à voir avec une époque. Ce phénomène est intemporel. Élire, c'est guérir, ai-je écrit un jour. http://vanrinsg.hautetfort.com/archive/2007/05/26/elire-c-est-guerir.html
L'article publié avant les élections française avait été un bide.
Le darwinisme apporte de l'eau à votre moulin du côté compétition dans la Nature, bien sûr.
Inéluctable? Là, c'est pas sûr. Élire, cela entraine aussi une décharge de ses propres responsabilités sur un autre. Règle de facilité de moindre effort personnel. Tout de suite dénigrée dès qu'elle ne correspond plus à l'idée que l'on se fait de la politique.
L'esprit est une entité en lui-même qui ne dépend d'aucun facteur extérieur.
Les médias ne sont que l'instrument de notre petitesse à déléguer notre pouvoir de recherche de l'information vraie.
La hiérarchisation de la société et ses risques, l'horizontalité des relations, j'en ai parlé dans le récent "L'avant d'après". La structure en étoile comme un réseau neuronal serait tout aussi naturelle. L'homme, son propre chef, son propre esclave dépendant d'un ensemble structuré.
Je suis d'accord avec vous, nous avons encore du chemin pour être un "homme" avec les pleins pouvoirs de réflexions.
Un bonjour du zombie land.
Amicalement.
Écrit par : L'enfoiré | 11/01/2010