Histoire des grands empires économiques (1-2) (10/11/2011)

1.jpgL'été dernier, le magazine économique Capital sortait un hors-série sur l'histoire de quelques grands empires économiques en donnant les étapes de leur création, de leur apogée, de leur déclin et parfois de leur disparition. La création d'une telle entité se crée grâce à la maîtrise du commerce, s'affine par le génie de l'innovation ou se perpétue par la passion de construire, dans ce premier volet. 

L'historien Philippe Norel, auteur de "L'Histoire économique globale", déclare en préambule que "La domination de l'occident a été surestimé".

Son site reflète la vision globale de l'histoire du monde.   

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"Du début de l'Antiquité, à la naissance du capitalisme, presque tous les progrès économiques et scientifiques ont vu le jour dans les empires orientaux et asiatiques. L'Occident a seulement pris le relais... L’Occident occupe une place prépondérante jusqu'au quatre derniers siècles de l'Empire Romains et ne reprend un rôle que lors de la Renaissance et une place de dominant, à la révolution industrielle. Cela représente huit siècles sur vingt avec une proportion qui diminue encore quand on élargit la période. L’Empire du Milieu s'attire tous les lauriers dans la majeure partie. Les progrès techniques, attribués à certains européens, ont une paternité plus ancienne. L'imprimerie par caractères mobiles, partis de Chine, a transité par la Russie, avant d'avoir été réinventée par Guttenberg. Perfectionnistes, les Européens y ont ajouté, en plus, la rentabilité en valorisant les inventions des autres. Les interactions entre les civilisations, entre les cultures, les ouvertures par l'intermédiaire du commerce et de l'économie apportent plus de pérennité aux Empires. Mais, plus un Empire s'étend, plus il coûte cher, moins il est contrôlable et rentable. Les Empires qui ne reposent que sur la conquête militaire, ont leur déclin programmé. Marshall Hodgson, William McNeil, Fernand Braudel sont cités pour expliquer ce phénomène avec la perspective du "world history".

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1. La maitrise du commerce.

Cela avait commencé par des échanges, il y a 5000 ans. Les protagonistes du commerce et des marchés sont les prémisses de ce que sera le capitalisme dans son aboutissement que l'on connait aujourd'hui. Celui-ci se retrouve déjà inclus dans le processus d'enrichissement des marchands.

De -3900 à -1600 AC: La Mésopotamie. Prospérité qui repose sur l'import-export.

Entre le Tigre et l'Euphrate, la Mésopotamie peut être considéré comme fondatrice d'un capitalisme précoce puisque des joint-ventures en faisaient partie. La ville Uruk organisait le commerce entre les cités-États alors qu'elle ne constituait qu'un agrégat d'un millier d'hommes. Extension durant la dynastie Ur. Une diaspora de marchands sumériens exportait en caravanes avec céréales, produits agricoles transformés et revenaient avec du bois, du cuivre, des roches, des pierres précieuses. La civilisation sumérienne est conquise par l'akkadien, Sargon. Deux siècle de domination, avant le retour des Sumérien. Hammurabi réunifie l'empire à Babylone. Il perfectionne le "système" avec des inventions organisationnelles, telles que l'utilisation de fonctionnaires, de banquiers, des tribunaux, une économie qu'on appellerait libérale décentralisée. La prospérité est recherchée dans des échanges en majorité locaux et tournés vers l'artisanat. Les profits restent une opportunité et pas une obligation. 

De 1100 à 1550: Les cités-états européennes, Venise, Gènes, Bruges, Lubeck, Londres et Lisbonne prospèrent grâce à un vaste marché commun non enfermé derrière des murailles.

Les villes grossissent et dépassent vite les 100.000 habitants avec des comptoirs jusqu'en Asie. La route des épices et de la soie se trace. Venise est aussi riche que la France entière. Les Flandres deviennent un grand pôle drapier. Le capitalisme financier s’organise et oublie le troc. Banques de dépôt et de change à Gênes et à Venise. Assurance contre les risques en mer, comptabilité, lettres de change et chèques. Usure est condamnée par l'Eglise. En finale, les cités-Etats cèdent la place aux nations.

De 1579 à 1700: La Hollande. Paradis du libre-échange a créé les premières multinationales sous le contrôle de bourgeois d'affaires.

La moitié de la population se regroupe en ville. L'omniprésence de l'eau donne l'expérience de la navigation. Une éthique protestante, libérale veut supprimer les taxes sur les marchandises et les remplacer par des impôts. Les Provinces Unies s'appuient sur des mairies à forte rentabilité. La spéculation s'organise. La dynamique de la mondialisation est initié. La Compagnie des Indes et la Bourse d'Amsterdam vont éliminer les concurrents portugais. La concurrence de la Hollande avec la France et l'Angleterre, les lourds investissements à l'étranger, la transformation en rentière avec les richesses accumulées à l'étranger, apportent le déclin des Provinces-Unies.

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2. Le génie de l'innovation 

L'extension des connaissances monopolise les grands esprits scientifiques.

De -800 à -30 AC: La Grèce. Berceau de la démocratie et sources des connaissances. 

Les philosophies de Platon, Ptolémée, Sophocle, Archimède, Hérodote. Les sciences d'Hippocrate, Pythagore, Aristote, Aristophane. La politique, comme Thucydide et Socrate. Tous apportent une harmonie du Cosmos. L'art de la guerre intéresse avec la passion de la Terre. Alexandre Le Grand étend son empire jusqu'à l'Indus. Les exportations de laine, d'armes et de céramiques utilisent la puissance de la flotte grecque pour régner sur la Méditerranée. L'aspiration de devenir rentière par l'économie et la politique a permis les prémisses d'une démocratie. Les mythes rejoignent les sciences dans une oligarchie.

De 581 à 1279: La Chine du Moyen-Âge. Âge d'or pour l'économie, la science et les arts.

La dynastie Tang a lancé la Chine sur la voie de la prospérité. La dynastie de Sui et celle de Song vont confirmer le progrès. La capitale Chang'an, anciennement Daxngcheng) devient le pôle d'attraction de cette transformation par son urbanisme raffiné qui surclasse, en tout, celui de l'Europe de l'époque. Routes et canaux pour les communications qui arrivent au bout de la route de la soie, les achat de thé, payé par des lettres de crédit. La professionnalisation de la bureaucratie, le développement social supérieur, la production de fer, les machines inventées dans le secteur du textile, la réduction de la main mise par l’État, la monétarisation de l'économie concourent au développement et à la création du capitalisme. Le seul problème, les inventions n'aboutissent pas toujours. La boussole et la poudre à canon ne sont utilisés que localement. La peste, les assaut des Mongols mettront le holà à cette avancée. La Chine va ainsi s'endormir pendant près de 700 ans. Malgré ses atouts pour concurrencer la Grande-Bretagne, la Chine a été canalisée. Pas de miracles industriels possibles sans sortir de ses frontières. Hong-Kong faisait l'exception à cheval entre le monde oriental et occidental.   

De 632 à 1258: L'empire arabe Quand le monde musulman montrait le chemin à l'Occident.0.jpg

La  mort de Mahomet marque le début de la conquête économique avec l’Islam rayonne. Les Omeyyades, les Abbbasides, les Amoravides, les Fatimides se partagent des parties de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique, soudés par une seule langue et une seule religion. La métallurgie, les métaux précieux, le textile, le verre, la céramique apportent le soutien logistique. Le problème de l'eau est résolu par les Norias, les barrages et les canaux. Les marchands sont les rois du commerce avec des lettres de change et leur monnaie, les dinars, mais ce sera sans prêts avec intérêts interdits par le Cora. Les chiffres arabes existaient déjà en Inde, mais l'invention du zéro complète la numération décimale. L'algèbre, les équations jusqu'au 2ème degré, l'astrolabe permettent de se positionner par rapport à la Mecque. La médecine et la philosophie apportent le raffinement à la pensée. Ibn al-Haytham peut être considéré comme le Newton de l'Orient dans le domaine de l'optique. L'opposition entre l'Irak et l'Iran reste constructive. Les Mongols détruisent la puissance politique arabe. L'intransigeance religieuse sape le moral de la croissance scientifique. L'Iran, l'ancienne Perse, devient le maître à danser de ce Proche Orient.

De 1700 à 1914: La Grande Bretagne. Creuset de la technologie industrielle.

0.jpgJames Watt et sa machine à vapeur. Richard Arkwright et sa filature. Thomas Jeffrson, Benjamin Franklin, Matthew Boulton, Joseph Pristley, Erasmus Darwin ont bouleversé l'organisation économique et sociale. Politique de brevets qui arrive dans le domaine public. Textile, sidérurgie et transport, puisque le charbon abonde en sous-sol, font que la main d’œuvre se centralise dans les villes. Le train de George Stephenson permet de sortir des campagnes. 50% des souscripteurs du succès du train proviennent de l'épargne des commerçants. Le travail devient une tâche répétitive, à la chaîne, dans des temps modernes, "harmonisés" par les machines. Les conditions de travail, deviennent déplorables, à la recherche du prix minimum. La Reine Victoria se retrouve à la tête du plus vaste empire colonial dans Commonwealth  (1/4 de la population mondiale) avec Londres comme capitale. L'accès aux matières premières, à l'énergie, les marchés coloniaux contribuent à un âge d'or. La progression devient exponentielle jusqu'à ce que la bulle explose dans le krach de 1846. Vers 1890, grâce à des progrès techniques plus rapides et une stratégie identique, les USA volent la vedette de leader industriel à la Grande-Bretagne. La lampe à incandescence, inventée en 1879 par Thomas Edison et l'électricité permettent aux Etats-Unis de se hisser au top du 20ème siècle. Le train, supplanté par d'autres moyens de locomotion, ne réalise plus le seul lien entre les cultures d'entreprises malgré ou grâce à une complexité grandissante. Après la guerre de 1945, l'avance américaine s'affermit grâce à une industrie intacte, une armée et un système financier vigoureux.  

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3. La passion de construire.

Technologies frustes et croissance nulle, mais dirigeants tout-puissants sont à la base de monuments pour magnifier leur grandeur dans la pierre.

De -3000 à -30 AC: L'Égypte Une économie figée, routinière mais prospère.

Pharaon est Dieu sur Terre avec une fenêtre sur cour du clergé, des notables et des scribes en castes sociales. Hiérarchie et centralisation. Autorité et traditions. Concept de la croissance est inconnu. Même s'ils ont dompté le Nil, les Egyptiens sont moins développés dans le commerce. Le tissage du lin contre importation de bois. Main d’œuvre gratuite et libre pour la construction de merveilles mais cela reste à fonds perdus. La conquête romaine y mettra fin.

De 300 à 1532: Les Précolombiens. Archaïsme flamboyant.

Ni roue, ni animaux de traits, ni outils en métal. Mayas, Olmèques, Toltèques, Azteques, Incas construisent des temples et des palais. Maïs, tomates, oignons, patates, piments entrent dans l'alimentation. Sciences et arts, les codex en glyphes, l'almanach pour le contrôle du temps à l'aide de nombres en base 20 (vingisémal). Tenochtitlan comme capitale. Cortes mettra un premier terme. Pizarro, un deuxième chez les Incas.   

De 802 à 1431: Les Khmers. Bâtisseurs de cités préindustrielles.

Anghor. Temples, canaux, bassins qui maitrisent l'hydraulique pour le riz. Pas de société civile. Seuls les artisans majeurs sont libres. Un million d'habitants. Opposés aux Champa, les Thaïs détruisent la ville d'Anghor. 

De 1526 à 1857: Les MogholUne grande puissance éprise de raffinement.

0.jpgBâbur envahit Kaboul avec son artillerie. Empire indien est agraire. Les richesses en bijoux, le Mausolée de Taj Mahal et autres monuments prestigieux sont créés par une main d’œuvre bon marché. Pas de flotte navale, ils laissent les étrangers possèder les ports et contrôler le commerce. Les castes empêchent la mobilité sociale. Pas de classe moyenne. La décadence est accélérée par la conquête britannique.  

 

De 1643 à 1715: La France de Louis XIV. Grand siècle de rayonnement européen.

Le Roi Soleil compte 54 ans de pouvoir dans un régime absolu de droit divin. "S'agrandir est la plus digne et la plus agréable occupation des souverains". Une armée menée par Condé et Turenne supporté par le génie de Vauban et une politique de Le Tellier et Louvois. Une diplomatie efficace, officielle ou officieuse, mêlée de corruptions. Une langue utilisée comme vecteur du savoir et de la culture propagée par Molière, Racine, Corneille, Boileau, La Fontaine, La Rochefoucauld, Perrault, Bossuet, Pascal, Poussin... Les constructions par Le Nôtre, Le Vau, Le Brun, Mansart. L'intendance des finances de Fouquet, dispendieuse, opposée à la rigidité de Colbert. L'obligation de conquêtes par la guerre pour payer la dette militaire qui en période de conflit, dépasse 75% du budget. Les ouvriers embauchés sous la contrainte et le monopole étatique, basé sur la taxation. Freiner les importations et accroître les exportations comme stratégie économique. Empire colonial avec des comptoirs en Inde, au Madagascar, en Louisiane, au Canada et dans les Antilles. Culture du ver à soie, du lin, du chanvre et du bois. Le protectionnisme, le centralisme, l'interventionnisme et le dirigisme ne permettent pas de libéralisme.

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Commentaires et événements.

- Les "Enfants d'Abraham" organisait une confrontation intéressante entre religieux de trois confessions  et économistes. La question: "L'argent gouverne-t-il le monde?"  Les religieux, en présence, n'étaient pas dupes envers les banques et les indignés. Le pouvoir temporel ou spirituel a toujours trouvé des relations très intimes avec le pouvoir et l'argent. Pourquoi en serait-il autrement en temps de crises? Comme le disait le journaliste, Jean-Marc Sylvestre: "Le capitalisme a toujours servi à optimiser les facteurs  de production. Ce sont les acteurs qui doivent être moraux pas le système. Seuls des contre-pouvoirs efficaces seront habilités à les contrôler ". A la question posée par le rabbin, «Que faudrait-il mettre à la place ? », répondre par «Le royaume de Dieu!», ne correspond pas à la solution. Les solutions ne sont pas à chercher, du côté des religions, une responsabilisation, même si certains de leurs principes de vie sont à emprunter dans la pratique. "Ce n'est pas leur boulot", achevait le dialogue. Une autre réunion expliquait mieux en ne pas mélangeant pas les menus.

Demain, 11 novembre 2011 à Bruxelles, aura lieu la première réunion du G1000, basé sur la conviction que les citoyens ont quelque chose à dire sur le fonctionnement de la société, même entre deux élections. Une goutte d'eau dans un immense océan de 7 milliards d'individus? La réforme du capitalisme et de l'économie dépasserait le cadre d'un pays trop dépendant de l'extérieur de ses frontières et ne sont apparememnt pas dans les sujets. Des tentatives identiques ont existés au Canada, au Danemark (Danish Board of Technology). La parole aux citoyens.

Renseignements pris au Québec, les conclusions, livrées ci-après, sont moins dithyrambiques: "Lorsque le Parti québécois est arrivé au pouvoir, en 1976, il a entrepris une série d'études pour mener à terme cette réforme. Velléités de réformer le scrutin électoral par la proportionnelle mixte (élus et nommés) au Canada. Manque de volonté ou fléchissement des intérêts pour la question, la réforme a été reléguée aux oubliettes. Les Conservateurs à Ottawa avaient également promis une telle réforme. Une fois au pouvoir, ils ont miraculeusement oublié cette promesse électorale. L'homme est ainsi fait. Lorsqu'il est dans l'opposition, il se promet de réformer. Lorsqu'il est au pouvoir, il oublie de réformer. Etre au pouvoir, c'est goûté à la corruption de l'être et des idéaux. La Belgique est une démocratie représentative depuis sa constitution en 1830. Ce qui montre les limites d'un tel système électoral. Quel que soit l'option politique qui nous gouverne, David Van Reybrouck constatait avec une certaine lucidité que les élections ne permettent plus la constitution d'un gouvernement, mais font paradoxalement obstacle à une gestion politique valable. Et l'article six du manifeste du G1000 stipule bien que: La démocratie s’est corrompue en une dictature des élections. La lecture de ce manifeste est révélatrice du malaise qui secoue le monde, divisé entre les possesseurs de la richesse mondiale (la minorité) et les laissés pour compte (la grande majorité). Je voudrais bien être aussi optimiste que le G1000 lorsque ses organisateurs écrivent dans le manifeste: Si des citoyens lambda sont en mesure de décider d’une vie humaine, ils sont en état de se faire une opinion nuancée et mûrement réfléchie sur certains aspects cruciaux de l’avenir d’une société. Cela est contraire aux théories des masses et au caractère amorphe des grandes minorités qui se laissent gouverner et dicter leur vie face à leur impuissance de changer l'état des choses. Restons optimistes. La Belgique encore une fois montrera peut-être la voie.". Le 11/11/2011 à 11:11:11 tout est possible. :-) 

Pour donner un peu d'entrain à l'histoire, toujours un peu fastidieuse, passons à la révision caricaturale, parfois amusante, de ces dix dernières années.

Le quotidien L'Echo, l'hebdomadaire le Vif-L'Express font appel au caricaturiste, Nicolas Vadot, de nationalité franco-britanico-australienne. Il apporte de splendides dessins, faits de couleurs et de finesses qui dépassent le seuil de la caricature. Approche différente des problèmes de notre temps qui mérite le détour et qu'il rassemble dans son livre

"Onde de choc: 150 dessins sur une décennie agitée".

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Les années 2000-2011 créent chez lui des couleurs toutes particulières.

Une exposition lui est consacrée, en partage avec Marec. Il me semblait intéressant de laisser, à Nicolas Vadot, le soin de dessiner sa vision du monde.

Je vous y invite en cliquant sur une de ses images -------------->

Dans deux semaines, la suite de l'histoire des grands empires économiques qui ont cru à la stratégie de la conquête et sont arrivés à penser à la création d'un ordre mondial avant un nouvel ordre mondial, car tout est éternel recommencement en cycles.

Volet 2

 

L'enfoiré,

 

Citations:   

ancre

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