Une avenue très diplomate (02/09/2013)

0.jpgL'année passé, je parlais d'une avenue pas comme les autres. Cette fois, je parlerai d'une autre avenue dans laquelle des oiseaux exotiques se bousculent aux croisements des rues: l'Avenue Franklin Roosevelt.

La Place d'Arezzo est le cadre du dernier roman de Eric- Emmanuel Schmitt, "Les Perroquets de la Place d'Arezzo"

Je la connais très bien cette place. Dans une rue adjacente, pratique mon dentiste et que de fois, n'ai-je pas tourné autour d'elle en attendant mon tour de passer sur son "fauteuil de torture". Un endroit de torture, c'est dire que je connais l'endroit et que l'on sent souvient.

Une place bien ronde et une vraie saga exotique de perruches à collier qui se font entendre de loin, suspendues aux arbres dans d'énormes nids avec déjections qui s'éparpillent sous elles. 

"Arezzo", une ville de Toscane, dans laquelle, il y a un Festival, mais pas de concerts comme celui de cette place de Bruxelles.

Quartier très huppé, pourtant.

Le livre de Schmitt est écrit comme une métaphore des relations humaines et sexuelles. 

Cet endroit m'a donné l'envie d'en faire un oxymore, de parler d'une autre avenue qui mérite tout autant, le qualificatif de "huppé", qui, n'est pas très loin et qui  cache, aussi, ces volatils exotiques mais qui répartit des "nids" plus douillets à d'autres perroquets encore plus spéciaux. 

Une avenue avec villas, maisons qui voit défiler des voitures avec un chauffeur au volant et des personnages, bien planqués sur la banquette arrière. Beaucoup plus discrets que leurs correspondants ailés, ceux-là. Enfin, tant que leur pays d'origine ne se retrouve pas subitement en ébullition. On les appelle des ambassadeurs, des consuls.  

Une avenue de "Corps Diplomatiques" dans laquelle les diplomates se bousculent, traficotent comme des perroquets de leurs pays respectifs. 

Dans cette avenue, je n'y jouerai pas au Guide du Routard mais à celui du Roublard. 

Elle n'a rien à voir avec celle du même nom dans le 8ème arrondissement de Paris.

Son nom: avenue Franklin Roosevelt. 

La diplomatie est, dit-on, la conduite de négociations entre les personnes, les groupes ou les nations en réglant un problème sans violence.

Tous les mots ont leur importance...

En route... 

0.jpgAu sortir de Bruxelles centre, cela commence mal par l'entrée de l'avenue Louise: des travaux et des encombrements. Les voitures ne passent plus, les rails sont sortis de leur gaîne et il ne me reste plus qu'à me faufiler entre eux à bicyclette, jusqu'à la place Stéphanie avec le risque qu'un camion vienne me chatouiller l'arrière train. Les magasins de luxe tirent une grise mine. 

Après la place, c'est l'avenue Louise, devenue une autoroute sans âme avec les tunnels routiers qui s'enfilent en montagnes russes.

Sans âmes... enfin, quelques-unes bien nées et bien fortunées, tout de même. Une avenue avec une histoire bien chargées d'événements joyeux et tragiques pendant la guerre.

"Louise", en hommage de l’aînée des filles de Léopold II et "Stéphanie" en l'honneur de sa sœur. 

C'est dire qu'à l'origine, l'avenue Louise était voulue comme la plus belle avenue de la capitale. Les réaménagements dus à la bruxellisation lors de l'expo 58, l'ont transformé en autoroute urbaine et ce n'est pas le monument moderne représentant des défenses d'éléphants sur l'un de ses côtés qui remédiera cette situation pour faire penser au cher Congo de Léopold II.   

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Au bout de l'avenue, le Square du Bois, appelé, à juste titre, "square des milliardaires". Il constitue les prémisses de ce qu'on découvrira dans l'avenue Roosevelt  toute proche. Ce square, caché derrière des barrières, avait été repris avec humour lors du dernier poisson d'avril. Période pendant laquelle, les émules de Depardieu pouvaient remonter jusqu'à Nicolas Sarkozy qui y trouverait sa résidence.

Un crochet par l'Abbaye de la Cambre, un endroit de calme, de plénitude, enfoncé dans l'étage du dessous, fait oublier que nous sommes en ville sur ses bancs et ses étangs en chapelet. Son histoire commence au XIIème siècle. Fondée par des moniales cisterciennes, Saint Boniface, évêque de Lausanne, y vint pour mourir en 1265. Les troubles suivirent avec les guerres de religions. Les religieuses chassées et le cloître incendié en 1578 par les Espagnols qui avaient peur que l'abbaye ne devienne un gîte pour protestants. Successivement, le cadre devint résidence de campagne, dépôt de mendicité, siège de l'école militaire et, enfin, école artistique de La Cambre.  

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Le Bois de la Cambre, lui, mérite une visite à lui seul.

J'en avais déjà parlé via son "Robinson cambré cherche Vendredi".

Etre établi dans la Foret de Soignes et être dessiné par l'Allemand, Edouard Keilig en 1862, à la suite d'un concours et, en plus, être aménagé à l'anglaise, a de quoi surprendre vu ce qui a suivi en 1914.   

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Enfin, l'avenue Franklin Roosevelt s'ouvre et s'étend jusqu'à la Chaussée de La Hulpe pour contourner la ville tout en s'en éloignant en arc de cercle. 

L'avenue Franklin Roosevelt longe le bois de la Cambre. Partant du carrefour, elle s'étend jusqu'à l'hippodrome de Boitsfort après 2.650 mètres et sur une largeur d'une quarantaine de mètres. Une pelouse centrale, sépare les deux voies de circulation, sur laquelle sont érigées plusieurs sculptures monumentales: une destinée aux aviateurs et aérostiers tombés pendant la Première Guerre mondiale de Pierre de Soetecelle de Francisco Ferrer et enfin, celle de Simón Bolívar.

Ce n'est pas sous le règne de Léopold II, mort en 1909, que l'avenue fut tracée mais en fonction de ses vœux. Elle a traversé le site de l'Exposition universelle de 1910, comme la "Perle de la capitale". L'exposition de 1910 s'est dramatiquement interrompue suite à un terrible incendie qui a éclaté dans la nuit du 14 au 15 août. Ne subsiste de l'Exposition que la Maison DeluneEn 1922, elle prit le nom d'Avenue des Nations. Ce n'est qu'après la guerre, l'avenue des Nations changea de nom pour honorer le 32ème président des Etats-Unis dont on a seulement perdu la particule "Delano" dans la précipitation.

Luxueuse, l'avenue est bordée de riches propriétés dont une partie croissante est, aujourd'hui, occupée par des bureaux de prestige et des missions diplomatiques. Le côté bois est majoritairement constitué de villas isolées ou jumelées, bénéficiant d'un intervalle suffisant pour maintenir une vue sur le bois de la Cambre. Le côté opposé est constitué d'habitations mitoyennes, de maisons bourgeoises, d'hôtels de maître ainsi que quelques immeubles à appartements ne pouvant excéder 16 mètres de haut. Une grande diversité de styles architecturaux appliqués à un habitat bourgeois sous l'Art déco, les Beaux-Arts, l'éclectisme, le modernisme, etc. Un décorum de façades, des aménagements intérieurs des habitations avec des pièces destinées aux domestiques des années 20. 

Le décor est ainsi planté par Wikipedia. Les bâtiments d'époque, dont la liste est longue, ont tous été classés.

0.jpgLa plupart des bâtiments ne permettent pas de visites, à part la Villa Empain qui a une histoire longue en rebondissements. 

Edouard Empain, la première génération de la famille, avait construit la fortune familiale. Un de ses fils, Louis, l'a consolidée en restructurant l'entreprise et a fait construire cette Villa en 1930. En 1937, il y renonça et la céda à l'Etat pour en faire un musée d'art décoratif. De multiples péripéties vont suivre. Novembre 1943, elle est réquisitionnée par la Gestapo. Après la guerre, le fait d'être louée comme ambassade de l'URSS, ne plait pas à Louis qui la récupère en 1960. En 1973, elle est, tout à tour, vendue à Tcherkezian, louée à la radio-télévision RTL, tombée en désuétude, vandalisée avant d'être restaurée complètement dans l'état actuel par la Fondation Boghossian en 2008. Des expositions d'art s'y déroulent depuis selon les vœux de Louis Empain.

La troisième génération, avec le Baron Edouard-Jean Empain, a défrayé la chronique en 1978 dans une affaire qui a inspiré le film "Rapt". Mais c'est déjà une toute autre histoire... 

En face du Bois, l'Université Libre de Bruxelles, édifié sur le campus du Solbosch, avec la statue de son fondateur Théodore Verhaegen qui a sa Saint V, tous les ans, sous l'égide des Fleurs du Mâle.

L'université, un endroit de l'éducation supérieure, répétée, d'année en année, en perroquet par des professeurs de différentes disciplines aux élèves mais aussi une histoire de contestations estudiantines.

Le mois d'août, la période de deuxième session et les étudiants révisent.

Je me suis adressé à l'un d'eux, assis sur le bord d'un trottoir avec l'ordi sur les genoux. Ce 10 août, il avait déjà passé son premier examen de deuxième session m'a-t-il dit. Le premier avant trois autres.

- Pas assez préparé ma première sess, m'avoue-t-il.

Pas assez répété ses cours...

"Mauvais perroquet, quoi...", me dis-je en mémoire interne, sans le lui répéter.

0.jpgDerrière lui, le bâtiment moderne, tranchant comme un couteau, que je ne connaissais pas, la bibliothèque de l'université et qui a, vu sa forme, été surnommé le "Toblerone". 

Sur l'avenue, un autre bâtiment, tout aussi moderne, est destiné à l’amphithéâtre Solvay. Sa statue, en face... Un anniversaire en octobre: 150 ans d'existence.

Une spéciale de "C'est du Belge" lui était consacrée.

Hormis ces deux nouveautés, je reconnais tout le reste. Rien de changé depuis plus de 40 ans, en apparence du moins. Seul les professeurs d'antan ne sont plus là pour me rappeler mes lointains souvenirs. Dernièrement, on apprenait le classement annuel des universités établi à Shanghai. Harvard, Stanford, Berkeley font donc toujours partie des tops trois des universités mondiales. Leurs budgets financiers, dix fois supérieur à celui de l'ULB, expliquent très certainement l'écart. 

Remonter sur le vélo et poursuivre mon "chemin des diplomates" en suivant les drapeaux sur les façades. 

Les ambassades se suivent, mais ne se ressemblent pas. Ce n'est pas nécessairement le prestige du PIB du pays qui soit directement proportionnel à celui de leur ambassade. 

La liste des ambassades est longue: Egypte, Iran, Venezuela, Congo, Uruguay, Brésil, Japon, Danemark, Koweit, Arabie Saoudite, Autriche, San Marino, Somalie, Guinée Bissao, Tanzanie, Niger, Mexique, Colombie, Barbades, Jordanie, Yemen, Soudan, Moldavie, Emirats arabes, Qatar, Singapour, Algérie, Ouzbekistan, Sénégal, Surinam, Djibouti, Kurdistan, Côte d'Ivoire, Sultanat d'Oman, Brunei, Chypre... Cela, sans compter celles qui se trouvent dans les rues adjacentes.

C'est rare qu'on puisse voir ces diplomates. Il y a une occasion qu'ils ne manquent pas le 21 juillet, le jour de la fête nationale. Alors, ce sont les défilés des voitures avec plaques "CD" qui convergent vers le palais du Roi.

Vu le nom des rues qui croisent l'avenue, c'est aussi l'exotisme assuré.

'Viva America del Sud'...

Cela passe de l'Avenue du Brésil, à celle du Venezuela, du Chili, de l'Uruguay, de la Colombie... Pour couronner le tout, la statue  de son plus grand personnage trône au milieu de l'avenue: celle de Simon Bolivar

Cette promenade à vélo est plus un "épi-end" qu'un "happy end" quand on sait que toutes ces ambassades sont exemptes de tracas nationaux comme le précompte mobilier et bien d'autres exclusivités d'intouchabilité.

Avec un passeport diplomatique, ils bénéficient d’une immunité diplomatique qui dit qu'ils ne peuvent être poursuivis devant les juridictions pour aucune infraction, qu'ils commettent sur le territoire du pays dans lequel ils exercent quelle qu'en soit la nature.

Un privilège qu'ils ne manquent pas d'utiliser. 

Mais la crise est aussi présente dans leurs rangs et des rappels à l'ordre s'imposent.

Un article de jeudi lançait "Ça nous emmerde, mais c'est comme ça." des paroles prononcées par un ambassadeur français en égratignant le langage diplomatique sous les lambris dorés des salons de l'Elysée. L'objet de son irritation portait sur "l'évolution du réseau diplomatique et des antennes diplomatiques dans les pays où les intérêts sont inexistants.".

0.jpgEn France, quatorze ambassadeurs sont visés dont la Jamaïque, le Népal, le Malawi, la Gambie, la Sierra Leone et le Sao Tomé qui devront quitter leur résidence, mise en vente par l'Etat français avec leur ambassade rayée de la carte au nom de ce principe d'économie. La logique économique prend le pas sur celle de l'universalité.

On lit dans le même article que "le réseau diplomatique français est encore le 3ème au monde (163 ambassades bilatérales et 16 représentations multilatérales) derrière les Etats-Unis et la Chine." 

J'ai consulté les informations au sujet des ambassades en Belgique.

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J'ai dénombré 209 représentants de pays étrangers en Belgique. Près de 40 se trouvaient sur cette avenue très diplomate.

Dans l'autre sens, 200 représentants belges se trouvaient à l'étranger.

Représentants qui peuvent être des ambassades, des consulats ou de simples contacts voir moins comme "potentiel de représentants". Comme la Syrie est dans l'actualité, j'ai pu constater qu'en Belgique, aucune ambassade ne se retrouvait dans la liste.

De plus, en Syrie, l’ambassade de Belgique est temporairement fermée avec la mention "En cas de besoin, veuillez vous adresser à l’Ambassade de Belgique à Amman (Jordanie)".

C'est-à-dire que que les ressortissants belges devront s'y référer puisque les intermédiaires, les porte-paroles, ont levé le camp.

Le ballet diplomatique se trouve ailleurs. A un autre étage, bien plus élevé...

La postface du livre de Schmitt correspondrait, ainsi, encore plus:

"une ronde effrénée qui devient une encyclopédie des désirs, des sentiments et des plaisirs qui se retrouvaient dans les comportements amoureux de notre temps." 

La moralité simple du livre comme celle de ma promenade, s'il y en a une, serait "le désir qui nous tient debout, mais c’est aussi le désir qui nous ravage".

En 1985, Georges Moustaki chantait "L'AMBASSADEUR

Je suis l'ambassadeur du temps et de l'espace
Mon pays c'est un peu toute la galaxie
Je ne suis pas d'ailleurs je ne suis pas d'ici
Je suis contemporain de chaque instant qui passe

Je viens de l'infini et de l'intemporel
Je hante les bas-fonds et fréquente les cours
Mes lettres de créance sont des mots d'amour
Dans toutes les langues de la Tour de Babel

J'ai les clefs du futur et de la nostalgie
Ma carte de visite est une mappemonde
Exilé de partout mes chemins vagabondent
À travers tous les signes de l'astrologie

Demain lorsque le vent effacera mes traces
Demain lorsque l'hiver étouffera ma voix
Demain lorsque la mort aura raison de moi
Lorsque viendra le temps de rejoindre l'espace
Le ciel d'Alexandrie sera mon dernier toit.



0.jpgSi ce n'est pas Alexandrie, ce qu'il en disait me correspondait dans son idée de liberté comme citoyen du monde. Insatiable à le connaître ce monde.

Mais pour l'instant, rien que d'avoir relié ornithologie, diplomatie et histoire, en descendant et remontant alternativement en selle sur mon vélo, m'avait épuisé et je devais encore retourné dans mon propre nid et pas celui des perroquets.

Pas de "CD" devant ma porte comme lien de reconnaissance ou comme cri de ralliement. 

Là, on ne parle plus d'oxymore, de situation décrite de manière inattendue, mais de perroquets oxydés, de peroxydes qui comportent plus d'oxygène qu'un oxyde normal. 

Non, vraiment, cette avenue pourrait faire le cadre d'un nouveau livre d'Eric-Emanuel-Schmitt, avec des secrets qui sortent des cheminées. 

Passons, dès lors,...

aux photographies prises au cours de cette promenade.

 

L'enfoiré, 

 

Citations:

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Mise à jour 2/9/2013: Les Belges font leur rentrée en France. A la télé et à la radio, difficile de passer à côté des Belges qui percent en France. Chaque émission veut "son Belge".
"Je ne gomme pas le côté belge, surtout pas la bonhomie et l'humilité" dit Alex Vizorek
Gageons qu'il n'a pas envoyé trop de perroquets à Paris.
 
 
Mise à jour 27/11/2015: Les barons Empain, la dynastie fracassée.

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