L'Abbaye du crime de félonie (21/07/2018)

1.JPGLa semaine dernière, je parlais de "Orta, un lac mineur du Nord de l'Italie"

En 1980, Umberto Eco écrivait le roman "Le Nom de la Rose". En 1986, il était repris au cinéma par Jean-Jacques Annaud (scénario).

Sept chapitres correspondant au nombre de jours et au nombre de morts pour découvrir un manuscrit.

Cette fiction pourrait-elle se reproduire à notre époque dans un style de policier médiéval, bâti sur un scénario similaire et transposée sur cet îlot de Orta?

Plus question d'un îlot San Julio à Orta, peuplée de serpents, voire de dragons aquatiques terrifiants que Saint Jules, évangélisateur d'Egine aurait voulu traverser d'après la légende alors que les passeurs d'Omegna le prirent pour un fou...

Plus question d'affrontements entre Novarais et Lombards que Othon 1er le Grand mit d'accord en s'en accaparant à son tour à coups d’arbalètes.

Pourtant, une basilique, un palais des Évêques avec des bénédictines dans une île où le silence et la prière sont de mise, m'y a fait penser.

...

0.JPGRésumé de "Le Nom de la rose":

En 1327, alors que la chrétienté est divisée entre l'autorité du pape Jean XXII et celle de l'empereur Louis IV du Saint-Empire, l'ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville se rend dans une abbaye bénédictine, accompagné par son secrétaire Adso. Dans un climat de conflit théologique entre franciscains et l'autorité pontificale au sujet de la pauvreté du Christ, il doit reprendre sa charge à la suite de la mort suspecte d'un des moines dans laquelle il s'immisce dans l'enquête.

Le titre du livre de Eco était à l'origine "L'Abbaye du crime".

Au départ, un manuscrit d'Adso de Melk, écrit en latin sans précision sur le lieu alors que Umberto Eco situe son roman dans une abbaye située entre Provence et Ligurie que l'Occident admire pour la science de ces moines et la richesse de sa bibliothèque. 

Dans une apostille, il précise qu'il faut 20% d'inspiration et 80% de perspiration pour écrire un tel livre.

Féminisme de notre époque oblige, il ne s'agit plus de moines mais de bénédictines qui vivent sur l'île de Orta, dans une conjecture à l'état pur et une logique tout aussi rationnelle parfois en brèche avec la foi.

Beaucoup d'adaptations ont germé depuis.

Dans ce qui suit, beaucoup de phrases du livre de Umberto Eco ont été reprises telles quelles ou réactualisées en changeant le lieu et les sortant de leur contexte où elles sont dites dans le livre mais qui restent pourtant actuelles. Les phrases en latin du livre ont été reprises et traduites au mieux de leur signification "pour garder un air d'époque et une fidélité à la source et à l'endroit" où j'ai déplacé ma propre histoire.

Plagias volontaire donc et conscient du fait...

La morale du roman:

"Il existe des idées obsédantes. Elles ne sont jamais personnelles. Les livres parlent entre eux et une véritable enquête policière prouverait que les coupables, c'est nous".  

...

La mission

Juillet 2018.

3.JPGA Rome, le pape prépare sa retraite estivale à Castel Gandolfo.

Il est informé par le camerlingue qu'un article de journal révèle qu'un exvoto relié au Christ a été caché avec la dépouille du duc de Mimulf.

Celui-ci a vécu au 14ème siècle à Orta, avait été jugé et été condamné à avoir la tête tranchée pour cause de félonie.

Cet exvoto avait été détenu jalousement comme une relique sacrée jusqu'au moment où elle avait disparu lors de l'annexion de la région par la Maison de Savoie.

D'après la légende de l'île, au 4ème siècle, Saint Jules avait rejoint l'île au milieu du lac d'Orta, à bord de son seul manteau troué.

Cela rappellerait le miracle de Jésus qui avait marché sur l'eau bien avant lui. 

Après avoir remercié son informateur, le pape se met à lire les histoires de Orta pendant laquelle des évêques y détenaient des prérogatives spirituelles et temporelles.

Secrètement, il aimerait rapprocher Musulmans et Juifs pour que le catholicisme reprenne son rôle central de cohésion de toutes les religions dans la paix des cœurs. 

Dans un climat de conflit d'excitation théologique entre franciscains et jésuites avec le sujet de la pauvreté de l'Italie et des immigrés, cet exvoto pourrait relancer la foi religieuse catholique.

Pour le pape, il faut vérifier cette information à notre  époque de "fakenews".

Quel exvoto, sous quelle forme existe-il d'ailleurs?

Rien ne le dit vraiment. Personne ne s'en souvient.

Il se rappelle seulement qu'il a grandi dans un milieu familial italien originaire du Piémont. Cette affaire d'exvoto dans la région de ses parents, l'intrigue. Son expérience de la miséricorde de Dieu, fait suite à une révélation divine qui l'a fait entrer dans les ordres à l'instar d'Ignace de Loyola.

Il faut prendre de vitesse, quelques touristes qui auraient pu avoir vent de l'affaire et se lancer dans une chasse au trésor sur les lieux de la découverte.

En secret, le pape pense charger deux anciens serviteurs argentins, Rosario et Luca d'aller vérifier l'information sur place.

Rosario a 40 ans et Luca, son jeune second a dépassé une vingtaine d'années.

Ce qui fait près d'une génération de plus de réflexions entre eux.

Tous deux avaient été enfants de chœur dans la basilique San José de Flores où il a reçu sa vocation et qui avait connu un pacte dans son histoire.

La différence entre les deux amis était qu'il y avait plus longtemps pour Rosario.

Avec aucune ressemblance avec des ecclésiastiques, leur foi chrétienne amusait souvent le pape par leurs méthodes et leurs solutions originales et "miraculeuses" de résoudre les problèmes.

Ces deux compères l'ont accompagné depuis l'Argentine jusqu'à Rome et le pape a toute sa confiance en eux pour ne pas ébruiter une telle enquête.

Ils ont connu le pape quand il s'appelait encore Jorge Mario Bergoglio et jamais ils ne l'ont trahi.

Pour eux se rendre dans l'environnement du lac d'Orta serait une aubaine de se rendre utile, et, par là même, des vacances.

Appelés par le pape, Rosario et Luca sont heureux d'entreprendre une telle mission et reçoivent tous les papiers de voyage pour s'y rendre.

En avion jusqu'à Milan et puis, pendant deux heures de train jusqu'à Orta, les deux hommes n'échangent pas beaucoup de paroles, trop occupés à consulter les informations reliées à l'histoire du lac de Orta.

Internet, guides touristiques fusionnent avec les informations reçues par le pape.

Manifestement impressionnés, leurs conversations deviennent ensuite parfois paraboliques si pas surréalistes.

9.JPGUn plan d'attaque est dressé avec le plan de la ville d'Orta devant les yeux.

Ils décident que l'îlot sur le lac sera leur point de départ et leur référence.

Le distique duc de Mimulf, plus homme d'affaire qu'homme d’État, avait voulu rentabiliser son abbaye et des évêques possédant des droits spirituels et temporels, cela ne leur rendait pas l'idée d'une corrélation directe avec la solidarité chrétienne et le crime de lèse-majesté de trahison de son suzerain.

Sa félonie en se vendant aux Francs de Childéric pour leur permettre de franchir le Simplon, leur fait sourire.

Depuis lors, d'autres cols comme sous le Mont Blanc ou le Gothard, se prêtent beaucoup mieux pour rejoindre l'Italie sans créer d'émotions et autre chose que des files de voitures pour entrer dans leur tunnel.

Ils connaissent l'histoire des papes qui ont suivi Pierre dans sa dévotion et d'autres comme le Borgia, Alexandre VI qui en a fait un lieu de débauche.

Rien de très nouveau sous le soleil des humains, se disent-ils.

- Qu'en penses-tu mon cher Watson?, demande Rosario.

- Qu'il va y avoir du suspense dans l'air du Piemonte, mon cher Sherlock. répond Luca en souriant.

Tous deux rient après cette réplique qu'ils ont déjà usée jusqu'à la corde depuis des années en tant que complices.

- Orta ou Mimulf first, rie Rosario de plus belle.0.JPG

A bord d'un taxi, ils arrivent à Orta en passant devant l'hôtel de luxe de la Villa Crespi.

S'il faut chercher un hôtel, il ne serait pas de cet ordre.

Ils n'ont jamais eu l'habitude de vivre dans le luxe, mais dans une piété expiatoire caractérielle.

Ils descendent les marches qui mènent au centre de la ville, bousculés par quelques groupes de touristes qui s'y rendent avec eux. Une petite rue centrale, étroite est surmontée de ponts et d'architraves reliant les deux pans des maisons.

Ils regardent tout ce qui leur tombe sous les yeux comme de véritables touristes et, au bout du chemin, se retrouvent sur la place centrale, face à l'île San Julio où un embarcadère attire tous les touristes, en hâte de rejoindre l'île.

Vu à la distance de 400 mètres, pour eux, ce n'est pas une île mais seulement un îlot avec un haut clocher adossé à un grand bâtiment blanc qui chapeaute toutes les autres battisses plus petites qui longent le bord de l'eau1.JPG

Ils sont prêts à traverser à bord d'un des petits bateaux à moteur pour touristes quand une agitation qui ne semble pas coutumière, attire leur attention. Un attroupement inhabituel se forme.

Plusieurs policiers et trois camionnettes stationnent à proximité de la place alors qu'un tournant plus loin, on ne croise que des touristes qui prennent des photos sous l'angle le plus favorable.

Rosario s'approche, questionne et apprend qu'on vient de ramener une morte suspecte parmi les nonnes bénédictines de l'abbaye Mater Ecclesiae de l'île.

La victime est parait-il, très jeune d'à peine, une vingtaine d'année.

Pour corser le tout, d'après les dires, il s'agirait soit d'un meurtre soit d'un suicide mais pas d'une mort naturelle.

Rapidement, ce qui semble être considéré comme un suicide prend des allures de plus en plus inquiétantes de meurtre dans l'imagination fébrile des habitants qui s'accorde à leurs gesticulations.

Les informations vont plus vite que les vérités dans ce genre de situation.

L'enquête des deux compères s'en retrouve perturbée. 

- Vraiment, il y aurait des informations que l'on aurait pu éviter, dit Luca un peu dépité parce que sans relation avec leur motivation.

Rosario, trop attentif, ne lui répond pas.

Chaque réponse peut néanmoins leur apporter des indices et qui sait, leur servir dans leur propre enquête.

Jusqu'ici, pas question d'exvoto du Christ arrivé dans ce coin perdu à partir de Jérusalem.

Cela constituait déjà un miracle, mais avec une nonne morte de manière suspecte, là, on nage en plein mystère de confusion.

Un linceul en plastique noir est emporté dans une camionnette mortuaire.

S'ils pensent pouvoir analyser les informations glanées par une confrontation avec la police, avec cette nouvelle affaire et leur enquête, ils en sont pour leur frais.

Peine perdue, aucun commentaire de ce côté. La police est plus muette qu'une carpe.

Leurs questions sur des points trop précis restent sans réponse.

Ce n'est pas par là qu'ils sortiront de l'auberge des fantômes du passé.

La lettre accréditation signée du pape pour preuve de leur mission n'y change rien.

Quant aux habitants des abbayes, ils sont en général très secrets envers les autorités temporelles.

Ils interrogent quelques touristes qui reviennent de l'île, mais cela n'apporte rien de plus.

Ce n'est pas une morte qui entraverait leurs vacances.

- Domine labia mea aperies et os meum annuntiabit laudem tuam (1), lance Rosario l'air de ne pas y toucher.

Rosario et Luca ne connaissent pas encore la tradition de silence sur l'île où ils veulent se rendre pour s'informer.

L'omerta risque de devenir une entrave bien plus ardue pour Rosario et Luca habitués à notre ère de la communication et d'interactions.

..

L'île du silence

9.JPGAprès avoir relu la documentation au sujet de l'histoire de l'île, Rosario et Luca, la connaissent désormais très bien.

Le nom de cet évangélisateur du 4ème siècle qui a formé sa légende en voulant rejoindre l'îlot de mauvaise réputation à bord de son manteau miteux et de rames et qui reposerait dans la basilique, résonne encore dans leur mémoire comme des coups de butoirs.

Sans plus attendre, ils veulent rejoindre l'île. La bénédictine découverte morte ne fait pas partie de leur mission.

Des guides multilingues pressent chaque touriste vers l'intérieur des bateaux en leur donnant le ticket comme sésame, ce qui accroit l'excitation pour être le premier près des fenêtres dans les bateaux.

"Il tempo è moneda".
1.JPGEn vacances, le temps des touristes est compté minute par minute pour s'accorder au principe des capitaines de ces esquifs. Une fois plein de touristes, le moteur des bateaux les emportent vers une aventure qui n'a rien d'inédite.

Le bateau contourne l'île par la droite avant de se retrouver devant un ponton face à la basilique du 12ème siècle.

Sans plus d'excitation, ils ont savouré leur mini-croisière en prenant photo sur photo dans toutes les directions jusqu'au moment où ils y accostent.

Un peu conçue comme une forteresse, la basilique ne donne pas un choc majeur à Rosario et Luca.

Les deux compères se dirigent dans sa direction et y entrent après avoir franchi deux battants de portes.

Encore éblouis par la lumière forte de l'extérieur en comparaison avec la pénombre de l'intérieur, ils s'étonnent immédiatement du contraste qu'apporte la magnificence intérieure de la basilique avec celle de l'extérieur.

3.JPGLeur regard est attiré vers les plafonds, les colonnes et la coupole qui présentent un concert de beautés terrestres supportés par des signaux surnaturels énigmatiques et des membres saints en images pieuses multicolores qui apporte une force parabolique et allégorique à la morale qu'ils sont sensés transmettre..

Quelques ouailles prient en silence assis sur quelques sièges de prières.

Les yeux vers le haut, ils reculent pour prendre de la distance.

Rosario a la malchance de se cogner contre un banc de prières vide qui manque de tomber avant de se restabiliser.

Si les prieurs avaient déjà réagi aux premiers grincements de la porte d'entrée, cette fois, ils jettent un œil désapprobateur dans leur direction.

Luca a la mauvaise idée d'en rire ce qui prolonge évidemment l'étonnement et la réprobation des prieurs.

- Signe-toi encore. Agenouille-toi. Cela exorcisera tous les démons que tu vas rencontrer pendant les heures qui suivent, chuchote Luca à l'oreille de Rosario en riant de plus belle.

Rosario s'exécute en plongeant la main dans le bénitier de manière ostentatoire mais qui ne set à rien puisque l'eau bénite a presque complètement disparu.

Seul un maigre filet d'eau au fond de la vasque a résisté à l'évaporation due à la chaleur.

- N'est-ce pas le geste qui compte, plutôt que la fonction de l'eau bénite elle-même?, chuchote Rosario à l'oreille de Luca.

L'incident est clos.

Les génuflexions et les signes de croix des deux compères apaisent les surprises des occupants.

Gênés de leur intrusion quelque peu tapageuse, ils ne restent pourtant pas longtemps à l'intérieur de la basilique.

Pas même le temps de faire le tour intérieur de la basilique pour observer les peintures des murs en détail.

Ils sortent en évitant le moindre bruit superflu et se retrouvent sous le soleil brutal à son zénith.

Ils entament la progression rituelle autour de l'île dans le sens inverse des aiguilles d'une montre en suivant les flèches.

A la sortie, un petit attroupement de personnes attend son tour pour déverser le trop plein de leur vessie dans un local improvisé.

Luca se met dans la file tandis que, pour l'attendre, Rosario s’assoit pensif, réfléchit en observateur dans un tour d'horizon.

Un ancien puits, le Palais des Évêques jouxte la basilique, mais aucun de signe de vie, alors qu'il y ait eu un drame suite à la mort d'une des convives bénédictines.

C'est comme si rien ne s'était passé, alors que moins d'une heure avant, la police l'avait transportée jusqu'au quai du bord du lac.

9.JPGLa communauté des 80 nonnes brille toutes par leur absence.

Invisibles, réfugiées derrière leurs murs probablement pour faire acte de leur vœu de silence.

Leur mission d'enquête, il la voit de plus en plus contrariée.

Quelques rencontres avec quelques touristes de passage mais rien d'autre de plus stratégique à attendre.

La vessie de Luca dégagée, les voilà repartis sur le chemin étroit qui contourne l'île.

Tous les 30 mètres du chemin, des pancartes sont plantées aux murs et imposent le silence d'une manière ou d'une autre. 

Elles se suivent et se ressemblent dans ce principe et chacune mérite un commentaire de Rosario.

Parfois provoquant, à la limite du blasphème et de plus en plus haut, ses commentaires ne respectent plus le silence recommandé par ces pancartes plantées dans les murs.

"Le silence est le langage de l'amour".

- Tu parles, il y a tellement d'amour qu'on se tue pour l'obtenir", chuchote Rosario à l'oreille de Luca comme s'ils étaient encore dans la basilique.

- Il vaut mieux tuer par amour que par lucre, non? répond Luca avec un sourire narquois.

4.JPG"Dans le silence, tu acceptes et tu comprends" dit une autre pancarte.

- Comprendre, on aimerait bien le faire, mais comment?, dit Rosario.

"Dans le silence, tu accueilles tout".

- Le comité d'accueil me semble un peu déficient.

"Dans le silence, tu rencontres ton Maître"

- Allo Maître, où te caches-tu?, implore-t-il avec les bras levés vers le ciel.

5.JPG"Le silence est la paix du moi"

- Pas très solidaire, ce message. La paix des autres, si on ne peut la rompre comment va-t-on se renseigner...

"Le silence est musique et harmonie"

- Où se cache les notes de cette musique harmonieuse? J'aimerais les entendre et les apprendre, ajoute Rosario, désabusé.

0.JPG- Tu as raison. Comment délier les langues dans ces conditions? Notre enquête va faire du sur place? ajoute Luca, heureux de suivre les idées révolutionnaires de son collègue d'infortune.

Rosario l'a dit tellement haut qu'une voix vient de l'arrière des deux compères en provenance d'un couple, dont la présence, jusque là, leur avait échappé.

- Bonjour, nous nous trouvons sur l'île depuis un certain temps et j'ai eu les mêmes réactions vis-à-vis de ces panneaux. Vous parliez d'enquête. Êtes-vous déjà là pour la commencer  au sujet de cette bénédictine qui a été trouvée morte. J'ai assisté à son emportement dans la navette par la police. Pour votre information, ce n'est pas de ce côté de l'île mais de l'autre côté, à partir du Palais des Évêques qu'elle a été emportée.  

Surpris, Rosasio et Luca, se retournent, se regardent et bafouillent pour trouver une réponse adéquate à ce couple de touristes qui étaient présents apparemment depuis plus longtemps qu'eux sur l'île.

La méprise de ces touristes sur leur propre type d'enquête est pour le moins naturelle. Elle pourrait même nous être utile, se dit Rosario.

- Euh... Oui. Avez-vous vu comment la malheureuse a été emportée par la police. Nous l'avons vue sur la place du village qu'emballée dans une sac noir. Qui leur a transmis la nouvelle de ce décès? Il semble que depuis, il n'y a plus personne comme comité d'accueil.

- Nous n'avons vu que la mère supérieure des bénédictines. Mais je vous assure que celle-ci n'était pas commode et elle n'avait même pas laissé entrer les policiers à l'intérieur de l'abbaye. Si vous avez l'intention de faire votre enquête, il faudra un document de perquisition. Sinon, vous ne recevrez rien d'elle comme ce fut le cas pour les policiers. Ici, la justice est réglée sous d'autres bases, dit le touriste avec un sourire sarcastique.

- Je vous remercie de nous prévenir. Nous sommes ici, pour nous donner une idée générale sur ce qui se passe sur l'île, répond Rosario en s'éloignant pour ne pas parler de l'objectif réel de leur présence sur l'île.     

- Mais grâce à l'engagement de Saint Jules, en affermissant notre foi en combattant l'arianisme hérétique, la primauté sur les autres Églises n'a qu'à bien se tenir. Si le Christ était parfait, il ne serait pas divin. Le mystère de la Sainte Trinité et la doctrine chrétienne ne sont qu'à moitié rationaliste, dans leur interprétation. Cette mère qui prêche sa doctrine, finira par céder quelques mètres de plus, dans son terrain de prières, mais cela ne nous intéresse pas, souffle Luca à l'oreille de Rosario.

- Tu ne rends pas compte des obstacles qu'elle pourrait organiser pour ne pas permettre leur enquête sans parler de la nôtre. Allons de ce côté. Il parait que les bénédictines du lieu confectionnent des pains cramiques avec raisins et noisettes à la fête de Saint Jules. Cette fête n'a pas lieu en juillet. J'ai pourtant vu près de la basilique un magasin pour touristes qui pourrait en vendre. Si ces pains risquent d'être complètement rassis par le temps, ce ne serait cette fois qu'un demi-mal, lance Rosario comme s'il jouait au guide avisé.

- T'as raison, ici, on dit c'est Sexte et j'aimerais bien en goûté. J'attrape faim. Nous n'avons plus mangé depuis Laudes, répond Luca.

- Nous avons fait le tour de l'île sans voir beaucoup de monde qui pourrait nous donner des informations pour notre enquête, non plus.

Ils reviennent  devant la basilique et trouvent dans ce magasin, le fameux pain aux raisins et noisettes.

- Asseyons-nous sur cette pierre et sort nos provisions. On réfléchira à une stratégie en mangeant, dit Rosario en sortant du magasin dans lequel on trouve tout ce qu'un touriste serait en proie d'espérer.

Luca délie son sac à dos et ils s'installent dans un coin avec une vue sur le lac. Les pains aux raisins et noisettes sont presque un supplice sans boissons pour le déglutir.

- Rien à voir avec la sècheresse de notre pain aux raisins et noisettes, mais le supplice de la tête tranchée de ce fameux félon était parvenu dans la presse de quelques pays depuis quelques années, sans générer d'émois particulier en dehors de ceux des historiens. Pourquoi en est-il autrement aujourd'hui pour cette pauvre nonne. Notre pape François ne doit pas nous avoir tout dit. Nous n'allons pas menacer cette 'mère courage' à nous dire tout ce qu'elle sait sur cet exvoto du Christ. Nous n'allons pas attendre le concert de musique classique prévu en septembre, dit-il.

- L'existence d'un exvoto du Christ, n'est pas une petite affaire. Il n'a pas de valeur intrinsèque pour un touriste mais pour un receleur, cela prend une valeur inestimable. Classons nos maigres connaissances pour éviter toutes les envies de faire monter les enchères de ce vestige historique dont on a été chargé de ramener à Rome.

- A y réfléchir, cela va être vite fait. Jusqu'ici, on n'a rien.

- Il faudrait d'abord apprendre de quoi il s'agit. Ce qu'on sait c'est qu'à l'arrivée de Saint Jules, il y avait des démons et des monstres immondes et peut-être des hommes décharnés sucés par les serpents, en hurlant leur propre damnation avec des harpes, des chimères comme alibi.

- A part, quelques lézards qui s'échappaient sous nos pas, je n'ai rien vu de tel.

- Au Moyen âge, les populations toutes entières vivaient dans des enfers de l'Armageddon sous le signe d'une apocalypse à faire froid dans le dos aux prieurs témoins d'un céleste carnage. Seul Dieu serait venu pour séparer les vivants des morts. "Jesus venturus est et homini debent" (2) faire pénitence, dit Rosario en mélangeant sa pensée à la langue latine ancienne. 

Luca se lance dans une diatribe inattendue pour Rosario.

- Le peuple n'est plus illettré aujourd'hui, s'il l'a jamais été complètement dans le passé. Les seigneurs ont aussi des faces blanches comme les pauvres, mais ces derniers meurent d'avantage parce qu'ils sont en plus grand nombre (rire). Les prédicateurs annoncent la fin des temps mais ce n'est pas la première fois. Les temps sont toujours sur le point de finir. Une grande ignorance en matière de science et de logique, existe mais pas de sots ou d'ingénus. Cela n'empêche pas des charlatans, des dupeurs, des bélîtres, des ermites qui vivent sur la crédulité d'autrui par une folle mélancolie qui comme la boue coule par les sentiers de notre monde se trouvent à l'affut de nouvelles proies, qui promettent des indulgences en échange de compensations sonnantes et trébuchantes. Il faut bien choisir des ennemis plus faibles, quand les vrais ennemis sont trop forts. Les puissants savent toujours avec grande clarté qui sont leurs vrais ennemis. Il y a une identité en des hommes différents quant à leurs terminaisons superficielles sous forme de troupeaux de brebis surveillées par des mâtins, des guerriers du pouvoir temporel voulant les droits de l'autre qui, sous la houlette des pasteurs interprètes de la parole divine, laisse exclu une part de paysans sans terre. Les citadins, eux, n'appartiennent ni à un art ni à une corporation et sont la proie de tous comme menu peuple, hais par les autres qu'ils voudraient tous lépreux comme eux . 

- Tu as raison. Tu as bien étudié ta leçon, dis (rire). L'image est limpide et c'est ce qui rend la nature du troupeau imprécise. Ces distinctions n'apparaissent pas au grand jour parce que tout semble égal à tout, répond Rosario surpris par la clairvoyance de Luca.

Il continue après un court silence.   

- La philosophie est propice devant le spectacle de nature que nous avons devant les yeux nous permet d'ouvrir notre esprit à la nature des choses qui nous entourent. Le concept de loi universelle impliquerait que Dieu fut prisonnier. Dieu, s'il le voulait; d'un seul acte de sa volonté, pourrait rendre le monde autrement. Ce que nous faisons, on pense savoir pourquoi on les fait. Certains en sont même sûrs de le savoir. Quant à moi, je dis pourquoi, je me sens aussi peu sûr de ma vérité même si j'y crois.

- C'est être mystique, cela?

- Un peu, peut-être. Dans notre enquête, je ne veux pas savoir qui est bon et qui est mauvais. J'essaye seulement de rattacher les faits les uns aux autres pour trouver par quel effet, une cause a été à la base. Puis par déduction, j'imagine de faire le chemin inverse, pour essayer de trouver les autres effets que cette cause aurait pu créer. En anglais, on appelle cela "If this then that or else that".0.JPG

- Donc, il y a un ordre du monde...

- Un ordre? Pas dans ma pauvre tête en tous cas. Regarde Donald Trump se dit le maître du monde avec un élan orgasmique vers l'avant, un jour. "Urbi et orbi" comme le pape.

Il est obligé de faire marche arrière le jour d'après et de tout effacer même en menant au passage sur les raisons de son dérapage non contrôlé.

- En effet. Les erreurs de jugement deviennent des problèmes et les problèmes, des séismes dans notre monde connecté. Les lendemains de fête se traduisent alors par des gueules de bois en espérant que cela se passe dans le temps par l'oubli des gens.

- Et souvent cela marche. Même l'amateurisme du choix de la résistance des fusibles ne laisse pas un souvenir dans le populisme caractériel et intransigeant de notre époque. Mais cette fois, il faudrait qu'on nous ouvre des portes de la parole et l'accès à l'information. Je préfère quelque chose de positif ou de négatif mais pas de l'absentéisme des idées.

Difficile de questionner en silence. Si on a appris le latin, le langage de la chrétienté, ni l'un ni l'autre ne connaissons le langage des signes.

Luca site les conclusions historiques qu'il avait apprises avant leur voyage. 

- Si certains historiens avaient déduit que le cadavre avait été inhumé dans la base d'une colonne, faisant à présent office de tronc pour les aumônes dans la basilique, il faudrait peut-être suivre la même logique dans notre enquête. Les pierres contiennent des secrets ineffaçables par le temps. De la période du Haut Moyen Age, une pierre tombale seule fut mise au jour, en 1697, par les fouilles ordonnées par l'évêque Visconti. Sur la pierre on pouvait lire l'épitaphe de l'évêque de Novara Filakrio. En 1982, lors d'importantes fouilles dans la basilique, on y découvrit les fondations d'un édifice religieux remontant au Ve siècle, ainsi qu'une pierre tombale présentant des paons et des palmiers gravés sur sa surface avec des fragments très riches de marqueterie en marbre.

- Ce n'est pas beaucoup. Ces éléments ont un rapport étroit avec la légende des deux saints, Jules et Julien, tous deux missionnaires grecs, ils  avaient évangélisé la région vers la fin du IVe siècle. Se mettre à scruter toutes les pierres que nous avons rencontré sur nos pas, c'est pas demain la veille que l'on va trouver un exvoto. Notre enquête s'est corsée en plus avec cette nonne trouvée morte sur l'île.

Cette histoire en plus sur les bras cela donnait un certain vertige à Rosario.

- Morte pour quel mobile? Et si un troisième lieu de cette île, allait nous donner des indices dans nos recherche?

Rosario avait lu les enquêtes de Sherlock Holmes, mais celui-ci n'était jamais venu en Italie pour rechercher des exvotos.

Son fidèle Luca lui apporterait-il une inspiration comme l'inspecteur Watson pouvait le faire?

Il faudrait un nouveau miracle.

Du moins, il le pensait, jusqu'au moment où Luca demande:

- Est-ce que la nonne ne l'aurait-elle pas découvert comme un trésor de guerre personnel et qu'on l'aurait tuée pour le lui prendre? Cet exvoto était peut-être une des richesses spirituelles de l'abbaye. Les autres nonnes doivent avoir eu une peur bleue du scandale qui pourrait survenir à la suite de la mort mystérieuse de l'une d'entre elles. Un crime ne leur profiterait pas. Le crime si crime il y a, peut avoir été commis par l'intérieur et par l'extérieur lors de la visite de quelqu'un intéressé par cet exvoto.

7.JPG- Tu as peut-être raison. Les affaires sont peut-être liées. On voit que tu es devenu mon fidèle lieutenant. Remonter dans l'histoire et de ce qui a précédé la mort de cette nonne. Ce serait un bon départ, bien que nous ne disposons pas de beaucoup de temps. dit Rosario en riant.9.JPG

Un quart d'heure suit sans paroles à réfléchir, à déglutir, en même temps, quelques pitances primaires et à boire une bouteille de vin achetée dans la petite boutique de souvenirs à se demander si les touristes ne venaient pas sur l'île seulement pour prendre le frais.

- Dommage qu'il n'y ait pas de barbecue avec vue sur les bords du lac et les navettes, finit par dire Luca sans attendre de réponse.

Nous nous sentons arrivé à un point mort ne sachant que décider 

Rosario continue son mutisme de réflexion.

Absent, le regard perdu à regarder sans rien voir toujours en train de mastiquer comme s'il en retirait un statut de calme extérieur et d'excitation intérieur.

Soudain, il dit et s'arrête sur sa lancée:

- Certes, on pourrait....

- On pourrait quoi?

- Attendons Complies quand il n'y aura plus de touristes. Plus personne. Il fera moins chaud. Nos esprits surchauffent trop même à l'ombre. Il paraît que les jeunes ont besoin de sommeil plus que les vieilles, qui pour leur part ont déjà tant dormi, qu'elles s'apprêtent à dormir pour l'éternité. Pour nos bénédictines, cela doit être la même chose. La nuit porte conseil mais pas seulement.

- Tu n'as pas dit quel conseil, la nuit pourrait t'apporter.

- Ce n'est pas simple à réaliser, mais ce serait efficace. Il doit y avoir une bibliothèque interdite aux étrangers et à presque toutes les bénédictines dans le palais des Évêques. Mais pour cela, nous avons le temps pour faire plusieurs petits explorations autour de l'île. Luca, tu es le plus jeune et le plus agile d'entre nous pour transgresser les règles du palais. Je pourrai avoir à faire appel à tes services, répond Rosario d'un air sibyllin.

- Transgresser le palais? Tu veux dire quoi?

- Oui, bien après Complies, tu vas te remettre au boulot. En attendant, prenons encore quelques vacances en dépassant les yeux touristiques, répond Rosario avec un sourire cynique sans en dire plus.

Il cache probablement une solution à l'insu de son plein gré.

L'enquête

0.JPGPendant None, il faisait vraiment trop chaud. Une chaleur qui étouffe toute envie de faire quelque chose. 

A l'abri du soleil, après les considérations échangées de Luca, Rosario décide de s'allonger les yeux ouverts à la vue du panorama pour s’adonner à une sieste méditative. Luca se résout de la respecter en faisant de même.  

Arriver aux Vêpres, le coucher de soleil est de plus en plus superbe.

Il vire du jaune cru, à un orange tendre pour finir par un rouge de feu en passant par toutes les variances sans atteindre la ligne d'horizon cachée par les montagnes.

Quelques nuages ont ajouté quelques touches de peintures décoratives pour en faire un tableau tortueux.

En juillet, les corps ne jouissent d'un repos tranquille que dans les heures nocturnes.

Luca lui pose des questions à brûle-pourpoint.

- Comprends-tu les bénédictines dans leur manière d'être et de vivre?

- La vie des bénédictines est une école au service de Dieu où on apprend à aimer Dieu, à se donner à lui. La moniale vit sous la Règle stricte de saint Benoît, avec une Abbesse, mère de la communauté. Pour elles, l'excitation, le bruit, l'agitation fébrile, l'extériorité, la foule menacent l'homme dans son intériorité. L'authentique parole intérieure, l'ordre, la prière, la paix de soi-même, c'est ce qu'un cloître bénédictin est sensé apporter par des réserves de silence, de libération totale, d'entraide désintéressée, de solidarité dans la souffrance et de chants d'action de grâce mais le plus souvent entre elles à l'écart du monde. Pour elles, la nécessité la plus urgente dans la modernité d'aujourd'hui est celle de la gratuité qui fournirait aux hommes le miroir pour se reconnaître et déchiffrer la transcendance. L'esprit de communauté qui les lie entre elles, forme le ciment et la cohésion de l'abbaye. Dans l'ensemble, ce sont de beaux principes théoriques mais en pratique, cela dénote une certaine peur de ce monde qu'elles ne comprennent pas ou plus. "Deus qui est sanctorum splendor mirabilis et Iam lucis orto sidere" (3).

- Ne reproches-tu rien à cette doctrine?

- Le discours officiel que je viens de donner est, quelque part, la parole publicitaire pour inviter les jeunes à suivre la voie de la doctrine chrétienne qui par une sorte de scarification de son être ou de son âme, sans nuance intermédiaire entre le bien et le mal, le beau et le vilain. Pour réaliser ce vœux, le savoir est dissipé par ceux qui savent en menant la doctrine. Les connaissances  ne sont pas suffisantes sans l'esprit critique et sans alternative. Les métaphores souvent utilisées, peu les comprennent. Le politiquement correct sert alors pour tanner ceux qui ne la suivraient pas avec la décadence du monde au bout du chemin. Cette doctrine existe depuis plus de deux mille ans. Aristote dans son livre "Poétiques" vouait le rire comme solution ultime alors que la chrétienté brime les gens par des tonnes de raisons reliées aux Sept péchés capitaux qui encombrent plus l'esprit qu'ils ne le sauve. Ce n'est que bien plus tard que l'Occident a pris conscience des philosophies grecque comme Virgile, Aristote et Platon qui l'initièrent aux raffinement des Édifices de l'Orient en imprimant du même coup, un véritable bain de jouvence. "Omnes enim causae effectuum naturalium dantur per lineas, angulos et figuras. Aliter enim impossibile est sciri propter quid in illis" (19).

Luca manque de perdre pied suite aux déclarations de Rosario tout en remarquant que parfois il va dans ce sens.

- Je me demande souvent si ce que j'éprouve est l'amour d'amitié où le semblable aime le semblable et ne veut que le bien d'autrui ou un amour de concupiscence où plus individualiste, je veux mon propre bien où l'incomplet ne veut que ce qui le complète.

- Ne t'inquiète pas au sujet de la concupiscence, l'ordre dominicain est contre l'idée de la pauvreté et contre l'ordre des franciscain. Il sculpte des statues du Christ avec une tunique de pourpre, d'or et de cothurnes somptueux pour leur autoriser l'usage de l'argent à des fins religieuses acquises comme "taxae sacrae poenitentiariae" (21).

Rosario sourit en pensant au thème qui dit tous pour un et Dieu pour tous.

Il ajoute une nouvelle couche historique:

- En 1300, Fra Dolcino avec sa compagne Margherita, en orateur intelligent, érudit et en avance sur son temps, devint le chef du mouvement apostolique dolcinien, influencé par les théories millénaristes de Joachim de Flore. Ses idées se résument par le refus de la hiérarchie ecclésiastique, du système féodal et des assujettissements pour libérer des contraintes. Rien n'est plus suspect que l'amour et les idées qui pénètrent l'âme de quelqu'un Ils ont, tous deux, été brûlés sur le bûcher pour hérésie et pratique de simonie, avec la fermeté du martyr et l’opiniâtreté des damnés. Beaucoup lui ont dit en vain de ne pas chercher la mort et de renier leurs idées. Rien n'y fit. Il a connu cette fin tragique pas loin d'ici dans un village du Piémont. Beaucoup de ses contemporains l'avaient dénoncé comme manipulateur et séducteur, utilisant des arguments religieux pour asseoir une autorité personnelle en créant une secte. Quinze ans plus tard, rebelote, même sort pour ses disciples. La félonie à la doctrine chrétienne était considéré une trahison passible du bûcher. Peu importait s'il s'agissait d'une avancée ou d'un recul de l'idéologie. "Pulchra enim sunt ubera quae paululum supereminent et tument modice, nec fluitantia licenter, sed leniter restricta, repressa sed non depressa"(20). 

Luca n'a jamais entendu ces paroles qui touchent au blasphème, sortir de la bouche de Rosario.

- La période de l'Inquisition n'était pas vraiment une époque bénie des dieux à mettre en référence de la doctrine chrétienne. Quel a été ses ennemis principaux dans l'histoire?

- Les libres penseurs. Les Francs Maçons. Ceux qui pourtant partagent beaucoup d'idées en commun mais sans les imposer à ses membres de la confrérie. Parfois, il faut dépasser une ligne imaginaire qui dans la religion catholique se nomme "péché" pour trouver des vérités. 

Sur cette île, le rire n'a pas bonne réputation. L'expérience m'a appris qu'avec lui, les choses les plus dures passent pourtant beaucoup mieux. 

Luca sent que l'on s'écarte de leur problème actuel et le remet sur les rails.

- En ce qui concerne notre enquête, comment penses-tu progresser?

- Ne sois pas pressé. Je t'apporte le contexte qui correspond le mieux à notre enquête. Il faut attendre 22 heures avant d'agir pour que l'obscurité prenne le relais, percée seulement par les halos de quelques faisceaux de lumière. J'ai observé comment cela se passe sur cette île. Vivre complètement en autarcie n'y est pas possible. Les nonnes ont chacune une petite maison dans laquelle, elles vivent seules. Mais les moments de rassemblements se passent dans le palais des Bénédictines comme centre du monde. Les touristes sont acceptés étrangement sur l'île alors qu'ils gênent leur culte de la solitude. Il n'est donc pas possible que les bénédictines empruntent le même chemin qu'eux. Il doit y avoir un autre passage sur les bords du lac pour s'y rendre et un petit commerce avec les navetteurs pour les approvisionner. On note tout dans une abbaye. Dans le palais doit se trouver une bibliothèque avec les archives de l'ordre qui nous donneraient quelques explications à ce qui est arrivé. Ce sont des notaires nées. Le chemin parallèle, c'est ce que j'ai cherché à trouver.

- L'as-tu trouvé avec un moyen de pénétrer dans la bibliothèque?

- Oui, j'ai repéré un passage du côté du lac. Pour la bibliothèque, on verra. Mais j'aurai besoin de tes dons de serrurier. "Forte potuit sed non eo usus fuisse"(4). 

Rosario et Luca continuent à discuter et à philosopher devant une collation.

Du porc cuit à la broche, du poulet, du fromages secs, de la viande comme graisse animale arrosé d'olives et de l'eau pour effacer les effluves odorantes, constituent leur souper de Vêpres.

Si le vin passe à l'apostasie en Italie, il délie un peu les langues en espérant tout de même de garder l'équilibre de son consommateur.

Mais, ils boivent sans exagération pour accompagner l'eau, non sans plaisir.

Connaissant Rosario, Luca revient au sujet de leur mission comme meilleure à propos, pour ne pas tomber dans le piège qu'il semble lui tendre.

- Que proposes-tu? Quel est ton plan pour ce soir? 

- D'objectiver le fond du christianisme et subjectiviser ses formes (rire). La population n'est pas assez curieuse de ce qui l'entoure et de ce qui les dirige. 

- Où veux-tu en venir?, n'y trouvant pas la réponse adéquate à sa question.

- Pour remplir la mission que la sagesse de notre saint père nous a confié, comme nous n'avons trouvé personne pour répondre à nos questions et que je n'en espère rien de plus de la mère de l'abbaye, nous n'avons plus qu'une autre alternative plus drastique celle-là, même si elle n'est pas très catholique. J'ai pensé qu'il fallait ne pas s'en remettre au bras séculier mais qu'il fallait pénétrer par effraction dans le Saint du Saint. Nous avons l'aval du pape avec son habeas corpus. Nous devons considérer que nous avons carte blanche et son pardon par procuration. La bibliothèque contient des témoignages de vérités et d'erreurs commises dans le passé. Nous allons y entrer de gré, de force ou par trahison. Attention, hanter la nuit dans ce qu'on appelle "l’Édifice" peut nous apporter des choses épouvantables. "Fabulae poetae a fando nominaverunt quia non sunt res factae sed tantum loquendo fictae" (11).

- D'après toi, qu'est-ce qu'on devrait y trouver pour notre enquête?

- Des indices, des paraboles pour instruire les allégories qui pour elles, leur permettent de mériter le paradis tout en soignant les humeurs et la mélancolie. Sans rire, le signe de la rationalité du besoin et de la décision est toujours un signe de sottise et une source de doute. "Stultus in risu exaltat vocem suam" (12).

Luca a toujours apprécié la vitesse de réflexion et les prises de décisions de Rosario parfois plus brusques qu'il ne le pourrait penser, mais cette fois, elle dépasse son entendement.

Un long moment de silence et de réflexion de Luca suit...

Alors que Rosario s'attend à recevoir les objections de Luca pour cette entreprise hasardeuse, il reçoit comme réponse:

- En d'autres temps et d'autres endroits, ces choses seraient épouvantables mais pas pour nous. Je te sens très curieux et prêt à tout. Une question: Pourquoi veux-tu savoir et comprendre ce qui s'est passé avant d'agir? 

- Pourquoi? Parce la science ne consiste pas seulement à savoir ce qu'on doit ou peut faire, mais aussi à savoir ce qu'on pourrait faire quand bien même, on ne doit pas le faire. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille parfois pas cacher certains secrets de fabrication qu'on découvre pour que quelqu'un d'autre n'en fait pas mauvais usage. "Omnibus nundi creatura quasi liber et pictura nobils est in speculum" (13). Le pape aurait dû prévenir la mère supérieur de l'abbaye de notre visite mais il ne l'a pas fait. Il aurait pu envoyé un émissaire officiel du pape, il ne l'a pas fait. Avec humour, ce que nous faisons me rappelle la bande enregistré du feuilleton "Mission impossible" qui disait à ses agents "votre mission, si toutefois vous l'acceptez, comme d'habitude, si vous-même ou l'un de vous se fait prendre, la confrérie nierait avoir eu connaissance de vos agissements. Ce document s'autodétruira dans les dix secondes. Bonne chance car vous allez en avoir vraiment besoin", lâche Rosario en riant de l'humour de la dérision.   

- Allons-y. Nous allons voir si la félonie de jadis n'a pas généré des émules jusqu'à aujourd'hui. Les deux affaires sont peut-être liées entre elles, dit Luca en prenant l'initiative de se lever et en surprenant Rosario. 

- Mon cher Watson, tu dois avoir raison. Si cet exvoto du Christ existe, il doit avoir été inscrit quelque part dans les archives de l'abbaye de cette échevelée de mère supérieure. As-tu une pile électrique avec toi, parce qu'ici, cela va très vite être le noir absolu pour couronner le silence absolu de l'île?

- Bien sûr. Encore un peu de patience. Avoir, un éclairage dans ses bagages, c'est une obligation prise par habitude. Cela fait partie des talents que tu espères de moi depuis toujours, non? Je me demande pourquoi le pape est tellement intéressé à redorer le blason de l'église catholique avec des exvotos? Rien ne semble ébranler la chrétienté. Y a-t-il un besoin de miracle? Il doit avoir des raisons que nous ne connaissons pas.

- En période de crise, en manque de repères, les religions stimulent la foi des gens sur l'évocation de tourments infernaux avec des appels à la pénitence par l'imaginaire des réseaux sociaux. Mais, si tu ne le sais pas, c'est l'islam qui a pris du galon orchestrés par des attentats perpétrés par des kamikazes. Rassie-toi encore un peu. Pas d'impatience. Profite encore du temps présent et du panorama. C'est encore trop tôt. Les seuls repères éclairés se trouvent alors au sommet de la basilique et les nombreuses lumières des rives qui bordent le lac. Arsène Lupin qui volent les riches, soit avec nous.

La bibliothèque est un lieu interdit d'accès pour toutes ses occupantes sauf peut-être pour la mère supérieur et la bibliothécaire. Les livres de la bibliothèque recèlent toujours secrets, vérités et mensonges de l'histoire d'une abbaye qui ne sont pas bons pour tous les yeux et les oreilles. 

- Pourquoi faut-il tenir secret un livre religieux? Cela pourrait être profitable de répandre de bonnes paroles. La foi n'est-elle pas une vertu théologale?

- Un livre inoffensif est comme une graine qui peut fleurir en un livre dangereux ou en fruit doux d'une racine amère. Pour comprendre un tel livre, il faut en lire d'autres complémentaires car les livres parlent entre eux. La vertu théologale principale est que l'espérance que le possible soit.

- Mais à quoi sert de cacher les livres, si on peut remonter le visible à ceux qu'on occulte?

- Aujourd'hui, à l'aulne des siècles, à rien. A l'aulne des années et des jours, cela sert à quelque chose pour désorienter.

- Donc une bibliothèque ne sert pas comme instrument pour répandre la vérité, mais pour en retarder l'apparition. Comment pouvons-nous nous fier à la science antique dont on ne cesse de rechercher les traces, si elle nous a été transmise par des livres mensongers qui l'ont interprétée avec une telle liberté?

- Les livres ne sont pas fait pour être crus, mais pour être soumis à l'examen. Pour notre enquête, il y en aura qui parlent de mages, de cabales de juifs, de fables de poètes païens et d'autres qu'il faut cacher qui ne nous intéressent pas et d'autres qui pourraient clarifier les choses même si ce ne sont pas des vérités à prendre au premier degré. Ils masquent une vérité morale, allégorique, analogique en filigrane qui demeure vraie. La lettre doit être discutée, même si le sens latent garde sa justesse. Au XIIIème siècle, il y a eu le moine méconnu et horriblement persécuté pendant sa vie, Roger Bacon qui est considéré comme l'un des pères de la méthode scientifique qui repose sur l'expérience. Ses ingénieuses observations sur la lumière en soutenant la vision de Robert Grossetête qui avait entrepris des réformes dans l'esprit de Thomas Becket en revendiquant pour l'Église un pouvoir que le pouvoir séculier n'était pas prêt à lui accorder. Aujourd'hui les gens désirent des réformes pour que rien ne change avec leurs habitudes.

- Penses-tu qu'il faudrait réformer en restreignant leurs libertés?

8.JPG- Tout dépend de quelles libertés il s'agit. La liberté de penser est toujours à croître. La liberté de faire n'importe quoi, de penser que l'on croître indéfiniment sans prendre le temps de consolider nos acquis sans guide parfois coercitif est un risque pour l'humanité. Il faut rester méfiant. Notre climat, si tu l'oublies, devient intenable à plus ou moins long terme. En cette saison, le tourisme de masse fait des dégâts à cause de tarifs irréalistes au point que le caractère social sans mesures va rendre notre terre invivable. Voitures, avions, population explosent... Plusieurs voyages pour se ressourcer en se dorant la pilule à la piscine de leur hôtel dans l'espace temps d'un weekend parce qu'ils ne sont pas chers... Notre pape qui nous demande de chercher un exvoto du Christ... Tu sais parfois, je me demande si ces bénédictines qui vivent avec le minimum et qui s'en foutent de tout cela, dans le silence de leurs réflexions, en voyages spirituels de la méditation, n'ont pas découvert une autre vérité bien plus profitable. Les plaisirs et les infamies de notre monde moderne dit "civilisé" en s'alliant au mercantilisme, pousse l'auxiliaire "avoir" attiré par son seul charme apparent et en oublie son complément "être". 

Luca, dépassé par la sagesse surprenante de Rosario, installe une pause dans leurs réflexions.           

Moins d'une heure après, une nuit d'encre envahit l'île avec une myriade d'étoiles qui brillent dans le ciel. 

Il n'y a plus que le chant des oiseaux qui rompt le silence. 

C'est le moment où Rosario se lève à son tour.

- Allons-y, Luca. Les navettes se sont arrêtées. Au travail. Alea jacta est. J'espère que je ne vais surtout pas faire la même connerie que quand nous sommes entrés dans la basilique. Tous les bruits sont amplifiés dans la nuit. Espérons aussi qu'il n'y ait pas de somnambules ou d'insomniaques parmi les bénédictines (rire), chuchote Rosario.

De commun accord, ils se lèvent et commencent à remonter le chemin circulaire autour de l'île. Luca suit Rosario à l'aveuglette derrière l'ombre de la lampe de poche projetée contre les murs dans un silence à faire pâlir une mouche.

Quelques longues minutes suffisent pour se retrouver devant le portique du palais des Évêques que Rosario contourne en se rapprochant du lac. Le palais doit être déserté depuis quelques temps.

Tout à coup, Rosario pointe une petite porte souterraine avec sa lampe. Il l'avait repérée lors de leurs tours de l'île. 

Dans toutes forteresses, des moyens de les quitter existent en secret même par une sorte de catacombes.

- "Eris sacerdos in aeternum in coram monachos" (5), chuchote Luca.

La dextérité de Luca n'est pas surfaite.

La petite porte dérobée du portail qui donne sur le lac résiste très peu et finit par s'ouvrir. La serrure est d'une simplicité enfantine pour Luca dont les mains sont éclairées avec la lampe de Rosario. Ils entrent et doivent faire attention de ne pas avoir les pieds dans l'eau. Un conduit suit un chemin intérieur qui continue sa route tout le long du lac avec une porte qui permet d'entrer dans chacune des maisons comme Rosario l'avait imaginé.

Ils empruntent celle qui doit donner une entrée au palais.

Pour Luca, un miroir magique reflète sa curiosité et sa peur en aller-retour.

Après quelques pas en pente, ils arrivent au rez-de-chaussée qui donne accès, de part et d'autre, aux cuisines à gauche et à un réfectoire à droite. 

Dans les cuisines constituées d'un immense vestibule, une odeur de fumée persiste et signe sa présence suite à de nombreuses cuissons qui ne sont pas parvenus à s'échapper par manque d'ouverture de fenêtres.

Dans un coin, un énorme four à pain refroidit en ayant seulement perdu ses flammes rougeoyantes mais pas son odeur de pain.

Le réfectoire comprend plusieurs longues tables qui laissent imaginer qu'à chacune des extrémités, doit patronner une cheffe gradée dans la religiosité du lieu mais tout est déserté à cette heure.

Dans les réfectoires, Rosario imagine qu'en période d'affluence, les échanges de paroles et d'idées doivent se dérouler dans un silence monacale.

Il ne faut pas perdre de temps et d'un doigt élevé dans la direction de l'escalier et un autre qui fait en croix devant sa bouche pour imposer le silence, il montre le premier étage.

Celui-ci est destiné aux dortoirs des deux côtés de la maison.

80 lits sont vides. Les béguines empruntent probablement ces lits dans les conditions de crise.

Après un regard rapide pour voir s'il n'y a pas âmes qui y reposent, tous deux grimpent immédiatement au deuxième étage.

L'escalier mène au scriptorium où les nonnes se réunissent pour lire et écrire en dehors des heures de prières et des obligations de la vie en communauté.

Une petite chapelle improvisée se trouve dans un coin de la place pour se recueillir dans la prière et ne pas devoir se rendre à la basilique.

La bibliothèque est généralement installée au dernier étage.

Au troisième, une porte possède la mention "Biblioteca" et ses serrures sont multiples et modernes.

Luca se remet à l'ouvrage, fier de l'expertise que Rosario lui a octroyé.

Avec le doigté dont il fait preuve, une serrure après l'autre lui résiste avant de lui céder.

- "Mundus senescit" (6), dit Rosario.

Plusieurs minutes d'attente s'écoulent que Rosario met à profit en entrant dans le local jouxtant la bibliothèque. Le local de la mère supérieure des bénédictines est heureusement entrouvert.  

Sur le bureau, un registre mi-agenda, mi répertoire est visiblement souvent mis à jour probablement par elle.

Rosario ouvre ce registre et découvre par date, les entrées et les sorties des co-locatrices de l'abbaye.

Les sorties pPour cause de décès sont mentionnées par une croix à la date du passage assigné au paradis des bénédictines.

Les entrées, elles, sont suivies de précisions sur les prestations antérieures presque sous forme de curriculum vitæ comme dans tous les engagements de personnels avec des remarques circonstanciées sur les états de services de candidates avec bizarrement, leur capacité financière. Un nombre de points sur dix leur a été accordé pour leur acceptation dans l'abbaye.

Les risques et les intentions de sortie, de quitter leurs vœux de silence sont aussi mentionnées.

Sœur Henrietta apparait à la dernière page avec une icône qui indiquerait un danger.

Cette Henrietta a apparemment été repérée par la mère supérieure comme une renégate potentielle qui risque de devenir un ver inséré dans la pomme.

- Tu n'as pas entendu le nom de la nonne décédée? Elle semblait vouloir quitter l'abbaye. N'est-ce pas Henrietta? questionne Rosario en chuchotant.

- Non, je n'ai pas entendu son nom. Mais si c'est elle, ses vœux ont été exhaussés. Elle est sortie définitivement les pieds devant. L’Édifice religieux doit en avoir été très perturbé.

- Pas sûr. Mais ses vœux initiaux n'ont pas été exhaussés selon ses désirs. Le monde extérieur, les envies des plaisirs de chair peuvent exister même chez les nonnes. Si, prise de remords, elle a cherché quelqu'un pour l'absoudre de ses désirs d'évasion en la personne de la mère supérieur ou de quelqu'une du même gabarit, elle s'est trompée de personne de confiance. Ici, c'est un job ad vitam æternam. Un CDI à la mode religieuse.

- Tu ne vas dire que c'est la mère supérieure qui a fait le coup, tout de même.

. Non, mais il y a parfois des complicités, des moyens pour faire comprendre à quelqu'un qu'il est dans l'erreur. Tu peux rendre la vie invivable par une psychologie adaptée et pousser au suicide.

- Ne vois-tu pas d'autres mobiles? 

- Pas à première vue, mais on va voir, une fois dans la bibliothèque.

La porte de la bibliothèque cède enfin et ils entrent ensembles.  Ils pénétrer dans l'antre de la connaissance de l'abbaye.

Une odeur de renfermé et de moisissures s'introduit immédiatement dans les narines.

Le long des parois, dans des armoires, des milliers de manuscrits étiquetés par des cartouches écrits en caractères anciens.

Le peuple de Dieu a toujours été enclin de conserver les souvenirs entre commerce et guerres suspendues au bord de l'abîme, de factions et de sources. Les histoires d'hérésies de la période de l'Inquisition ont dû s'y glisser pendant plusieurs années.

Devant eux, une grande bibliothèque d'incunables, de livres dont la poussière cache difficilement l'usure du temps de leur vieillesse dans un labyrinthe spirituel.

Rosario se dirige immédiatement vers les archives sous forme de livres.

Les tranches du livre mentionnent les années avec un séparateur plus important pour les siècles.

Des titres de livres inconnus sont côte à côte certains anodins que l'on pourrait dire "publicitaires" avec d'autres très célèbres.

L'ordre ne semble être que chronologique suivant l'acquisition ou les donations. Mais cet ordre est respecté à la lettre par une maniaque. Rien ne traîne sur les tables qui ne soit pas à sa place. Si quoi que ce soit a été mis en lecture, il n'y est resté aucune trace.

-"Habeat Librarius et registrum omnium librorum ordinatum secundum facultates et auctores reponent que eos separatum et ordinate cum signaturis per scripturum applicatis" (7), remarque Rosario.

La bibliothécaire doit avoir une compétence, une mémoire que la maladie d'Alzheimer ne peut avoir touché et surtout avoir la confiance de la reine mère. Il faudrait récompenser celle qui s'occupe de cela pour son zèle.

Aucun index donnant un accès direct à l'information.

Le positionnement sur un siècle ou une année demande seulement une lecture séquentielle du début à la fin.  

Les archives sont côte à côte, bien alignées, sans un trou, sans un interstice entre eux. C'est alors que Rosario est attiré dans une direction.

A un seul endroit, un trou important saute immédiatement aux yeux de Rosario.

Un des livres concernant la fin du VIème siècle brille par son absence. L'époque pendant laquelle Mimulf, complota et devint félon pour son suzerain.

Rosario cherche sur toutes les tables de lecture mais il n'est nulle part d'autre.

- J'ai comme l'impression que si je n'ai pas découvert l'acteur de la mort de la nonne, j'ai découvert son mobile, mon cher Watson. Ton idée que cette mort est liée à notre affaire d’exvoto me semble être la bonne. Si cette nonne voulait se construire une nouvelle vie ailleurs parce que la vie monacale ne lui plaisait plus que ferait-elle d'après toi, mon cher docteur Watson?, lance Rosario.

- Soit se suicider, soit disparaître sans laisser d'adresse et vendre une information qui aurait une valeur marchande à l'extérieur de l'abbaye, mon cher Sherlock...

- Exact et, en plus, le vendre au plus offrant. Je pense que les nonnes ont aussi évolué avec le temps et gardent un œil vers l'extérieur par l'intermédiaire d'Internet. Je suis certain que ce qu'elle a trouvé et donc, une "peu volé", valait une somme suffisamment rondelette pour assurer financièrement sa retraite dans une deuxième vie à l'ombre des palmiers d'un pays exotique. S'il s'agissait d'une volonté de changer de vie après avoir senti faire fausse route à l'écart du monde, autant qu'à faire, il valait mieux assurer son avenir avec les monnaies d'échanges reconnues à l'extérieur de l'abbaye.

- Elle aurait volé cette archive?

- Si elle avait voulu l'empruntée, l'archive serait encore là ou une mention spéciale qui explique son absence.

- Mais, elle a peut-être exagéré l'importance et qui sait, son acheteur s'est peut-être senti floué dans la transaction. L'assassin viendrait alors de l'extérieur et a tenté d'empêcher la vente dans les règles de l'art hors abbaye.

- "Oculi de vitro cum capsula" (14). L'information stratégique était peut-être aussi mentionnée à l'intérieur de l'archive? Comment savoir? Si on ne connait pas en quoi consistait cet exvoto du Christ pour qu'il reste jalousé? Si elle faisait partie du corps de chacune des nonnes de génération en génération, ce livre d'archives devait contenir des informations parfois anodines, temporelles et parfois essentielles au point qu'elles restent intéressantes aujourd'hui pour avoir une valeur aux yeux de la nonne et pas de ceux de l'acheteur. Je te propose de consulter les livres précédents. Qu'en penses-tu?

- C'est un bon enthymème. Le Vième siècle devrait nous aiguiller mais nous le rapporterait pas. L'incunable avec le lien vers le Christ est peut-être déjà loin. Qu'allons-nous pouvoir rapporter au pape? Notre mission sera un fiasco.

- Nous n'avons pas assuré le pape du succès de notre mission. Continuons jusqu'au matin à consulter ce siècle d'archives.

- La manipulation diabolique de l'information devient une œuvre du diable qui risque de construire la ruine de l'humanité à travers des artifices dont on n'aura même pas le droit de parler.   

9.JPG-  Tu as raison. La magie divine devrait se distiller au travers de la science pour transformer la nature, prolonger la vie de tous avec quelques secrets pour mieux vivre aujourd'hui. Peu importe si elle est récupérée à partir de païens. "Tanquam ab iniustis possessoribus" (8).

Nous avons peu d'heures avant que les nonnes se réveillent, que la vie reprenne son cours dans les mouvements et le silence de l'abbaye.

On se couche tôt après les Complies, mais on se lève très tôt aux Laudes. Nos bénédictines sont chargées de prier toutes les trois heures. Les nuits pour elles doivent être très courtes et donc, il faudra enquêter intelligemment en lisant ces archives.   

Rosario trouve des noms qui parlent et tourne autour de l'imaginaire chrétien.

Luca trouve le saint Évangile de l'apôtre Marc, reconnaissable par l'image d'un lion représenté par une créature monstrueuse. L'image que cela lui fait, est à la fois celle de l'ennemi et celle du Christ Seigneur qui devient Saigneur par procuration...

L’Évangile selon Mathieu, représenté lui par un homme qui l’effraye encore sous forme d'un cataphracte.  

L'histoire de l'antipape, Laurent est caractéristique de cette époque tumultueuse. Archiprêtre, il fut élu après un scrutin contesté et marqué par la corruption. Il s'enfuit, revient, accuse son remplaçant d'adultère et de rapacité. Débouté, mais les troubles recommencent à Rome jusqu'à sa mort.

Les hypotyposes sont du parcours sous toutes les formes et la bibliothèque devient un labyrinthe réduit sur une surface limitée pour celui qui n'est pas habitué à la consulter. Heureusement, Rosario connait parfaitement le latin.

0.JPGLa beauté des livres résident dans les enluminures des textes des psautiers. Ils devait avoir nécessité des heures, des jours de passion et de patience pour leurs créateurs que l'on devrait consulter avec précaution et gants blancs.1.JPG

Les débuts de chapitres commencent par une lettre ou un mot en acrostiche qui nécessiterait parfois une loupe pour en déceler tous les détails et pour satisfaire sa curiosité.

Sur certaines pages, des dessins de monstres sacrés, de sirènes, de chimères bicéphales, de centaures, de dragons de griffons, de créatures diaboliques avec animaux anthropomorphes et zoomorphes qui obligeait l'admiration sans rire et sans peur...

Au fil des siècles du Moyen âge, Rosario sait que la pratique religieuse fait office d'ordre social en s'appuyant sur des textes canoniques racontant l'histoire du monde dans une relation transcendantale de l'Homme à son Dieu par des symboles imaginaires et en jetant son discrédit sur tout qui osent la défier.

La propagande chrétienne provient automatiquement de l'imaginaire, des rêves de paradis parfois mixés aux cauchemars de l'enfer.  

- "Sanctus. Verba vana aut risui apta non loqui"(9), pense Rosario mentalement.

Les femmes ont été visées comme la source des malheurs quand elles se laissaient tenter par la sorcellerie et par la magie.

C'est pour cela qu'elles furent les premières brûlées pendant l'Inquisition après un jugement de Dieu tout aussi rapide que douloureux et injuste sur de seules présomptions.

- C'est à travers la femme que le diable pénètre dans le coeur des hommes, non?, rie Luca.

- Les choses ont drastiquement changé depuis l'année passée. Les "balance ton porc" à la moindre incartade pourrait rendre "Les hommes obsolètes", d'après la philosophe Laetitia Strauch-Bonart pour refroidir les ambitions machistes.

- "Elle a fait un bébé toute seule", chante Goldman alors pourquoi pas un désir de vertu porté aux nues dans le chef d’œuvre de la création au féminin?

- Aujourd'hui, parait-il, les bénédictines n'ont aucun mal à trouver de nouvelles recrues bénédictines à Orta. La liste d'attente pour rejoindre l'abbaye est longue. De nombreuses volontaires ont fait des études supérieures. Sur l'autre rive de Orta, les chapelles du Mont sacré sont en pénurie de moines masculins.

- Ce qui prouverait que le désir du pape de renforcer la doctrine catholique n'est pas encore dans l'impasse et que son exvoto du Christ ne fera pas plus exploser le nombre des fidèles.

- Aujourd'hui, à l'heure des communications par les réseaux sociaux, la religion catholique a besoin d'un sursaut de conscience.

Si notre époque est dite "connectée", l'époque féodale l'était déjà mais parfois en tête à queue. Tu y trouves parfois un âne connecté à la lyre, des bœufs attachés par miracle à la charrue ou l'inverse, une poule pondant un œuf qui devient un coq, les eaux de fleuve reliés aux rivières jusqu'à la source ou à l'embouchure à la mer...  

- Au Moyen Age, recevoir publiquement les sacrements, assister à la messe le dimanche, c'était pour les gens du peuple une quasi obligation.

Pour la royauté, le besoin de l'onction ecclésiastique servait à imposer la doxa chrétienne en puisant ses racines et ses justifications dans l’œuvre de Saint Augustin d'Hippone qui soumet les hommes à l'impitoyable règle "Hors de l’Église, point de salut".

- Étudiée par des sectes chrétienne monophysites, nestoriennes ou juives, la religion a laissé les œuvres antiques en dépôts dans les écoles et les bibliothèques musulmanes en s'en désintéressant de manière volontaire et ostentatoire.

Les vérités et mensonges d’États ont pris la relève jusqu'au moment où la virtualité du Web et les besoins d'économie ont tenté de percer les tendances de liberté comme nouvelle religion dans la virtualité des nuages, du"cloud", tout aussi troubles.

Le cerveau de Rosario est en ébullition dans une philosophie sans fin ni lois.

Mais, ni Luca, ni lui n'étaient pas là pour convertir ces richesses matérielles en les transférant vers des richesses immatérielles par voie anagogique.

Ce qu'il est sûr après une telle expérience c'est que l'idée ancienne de la bibliothèque éclairée par des feux follets ou par des bibliothécaires trépassés qui reviennent visiter leur royaume, était un mythe et que le temps s'écoulait plus rapidement que prévu en philosophant sur leur lecture.

Progressivement, Rosario constate que la lumière des lampes de poche n'est plus nécessaire.

A Matines, le soleil a dû poindre derrière les montagnes.

Ils sont obligés de conclure qu'ils ne sont pas beaucoup plus avancés dans leur enquête.

Ils restent sur leur faim tandis que doivent se passer d'autres faits qui leur restent inconnus.

Il est temps pour eux de disparaître en effaçant au mieux toutes traces de leur passage.

Luca referme la porte de la bibliothèque en crochetant un tour d'une des serrures, redescendent les escaliers et claque la porte d'entrée en silence et reviennent sur le chemin.

L'air frais roboratif de la nuit efface leur sueur et leur apporte un baume divin. 

Rosario espère que les nonnes ne remarqueront pas trop rapidement que les lieux ont été visités par des intrus.

Quant à la police, elle n'entrera pas dans l'abbaye sans perquisitions.

Une abbaye a d'autres juridictions à respecter.

La mère supérieure suivie de ses deuxièmes couteaux se chargeront-ils de comprendre un peu plus l'indigence qu'il faut respecter pour la condition humaine?

Rien n'est moins sûr.

Rosario fait part à Luca de ses conclusions qui dépassent les suppositions par des affirmations les plus logiques qu'il ait pu trouver.

La logique peut grandement servir à condition d'y entrer et puis d'en sortir.

- A qui profite le crime de cette malheureuse ou plutôt à quoi le criminel pourrait attacher autant d'importance pour accomplir son geste? L'indulgence, la gaieté et le rire doivent faire partie d'une autre rive de l'esprit absente dans l'histoire de cet ilot.

- Une offre d'achat d'un incunable du 6ème siècle, sa volonté de liberté et la jeune nonne est devenue félonne.  

- Exact. Dans une abbaye de cette époque, elle devait être considérée comme néfaste, transformée en prostituée comme une couleuvre en chaleur. Si l'époque ne permet plus de brûler une telle renégate, son décès inopiné n'a pas dû émouvoir nos hôtesses d'une nuit. Cette pauvre nonne n'avait pour seule faute qu'espérer une autre vie à chercher une solution chez celles qui en savent trop et pas chez celles qui ne savent rien qui auraient pu l'aider. Si c'est elle qui a fait disparaitre cette archive. Je me demande seulement comment elle en a pris connaissance et comment elle a pu la sortir de la bibliothèque. Était-ce suite à une indiscrétion ou par une supposition de son existence?

- La miséricorde n'est pas à la portée de toutes les volontés dans notre siècle de communications dans lequel tout est volontairement connecté l'un à l'autre par le péché mignon de la luxure. Une Église devient pauvre eu égard de la modernité.  "Homo nudus cum nuda iacebat" (17).

- S'insinuer dans les disputes pour en tirer une occasion pour prêcher la lutte contre le bien d'autrui se fait aussi au nom de la pauvreté. On définit dans la religion quatre âges. Le premier qui est celui des prophètes qui intiment la convictions qu'il faut se multiplier. Le second est celui des apôtres, de la sainteté et de la chasteté. Le troisième accepte les richesses terrestres pour pouvoir gouverner. Le dernier s'insurge contre la domination et les richesses terrestres. 

- Et si c'était ailleurs qu'ici que l'assassine désirait maquiller son crime et dévier l'attention d'un enquêteur. 

- Tu as peut-être raison. Tout est dans le signe que l'on veut donner à ses actes. "Omnis mundi creatura, quasi liber et pictura" (15). Quelqu'une de l'intérieur a pu la frapper pour qu'elle n'oppose aucune résistance pour lui donner l'occasion de pousser la malheureuse par la fenêtre et ainsi faire penser à son suicide. Cela ne m'étonnerait aussi qu'à moitié. L'enfer, c'est le paradis vu par l'autre côté.

- De quel côté, le vois-tu?

- Du côté du savoir en déterminant s'il est constitué de parties ou d'un tout par syllogisme. Aujourd'hui, il y a de quoi être effrayé par tout le monde et surtout par ses dirigeants. Je ne vais pas te citer des noms mais tu vois de qui je veux parler. La bénédictine décédée a été confrontée au supplice de Tantale ou au fruit défendu originel d’Ève si tu préfères. Ces bénédictines ont trop lu et quand elles ont été confrontées avec les réalités de la vie, elles ont revécu les visions qu'elles y avaient reçues par les romans parfois à l'eau de rose. Le paradoxe du Moyen Age était d'interdire l'accès au savoir dans une chape de sophismes en confrontation avec le secret de la confession alors que pendant l'inquisition, on connaissait mille façon de délier les langues.  

- Que penses-tu que la police trouvera d'autres? Ne vois-tu toujours pas d'autres mobiles?6.JPG

- Bof... peut-être. Ne change pas mes suppositions ou illusions, en certitudes. La police, elle, tout aussi en manque d'informations, terminera probablement leur rapport au sujet de la nonne décédée en parlant de mort naturelle suite à un accident. Le temporel a son champ d'application trop pragmatique. Le spirituel, un chemin de rêves ou de cauchemars.

- J'aime ta manière de résoudre notre enquête.

- Résoudre un mystère ne se fait pas à la suite d'une déduction à partir de principes premiers. Il faut se trouver en face de quelques données particulières qui apparemment n'ont rien en commun et tenter d'imaginer si elles peuvent devenir un loi plus générale que tu ne connais pas encore, non énoncée car trop tortueuse.

- Est-tu plus conservateur que progressiste?

- Je jouis d'un certain conservatisme romantique qui progresse à petit pas. Ce serait moche de perdre les beautés du passé dont on a eu un exemple dans la bibliothèque. J'ai un idéal de beauté. Rien à voir avec de la nostalgie mais si je détruis quelque chose, j'aime le reconstruire en mieux sans être iconoclaste. "Salva me ab ore bonis" (16)

Ils vont vers le ponton de débarcadère pour attendre la première navette. Rosario est content de quitter ce val du silence entouré d'eaux troublées par l'histoire.

7.JPGIl est obligé de penser que la grandeur de l'ordre réside dans le seul fait que pendant des siècles et des siècles, ces béguines ont vu faire irruption la tourbe des barbares, saccager parfois leur abbaye, s'abîmer les règnes dans des tourbillons de feu et ont continué à lire à fleur de lèvres des mots qui se transmettaient de génération en génération en tant que copistes et transmettent aujourd'hui encore aux siècles à venir.

Cette bénédictine a, pense-t-il, profané l'esprit par l'adultère de la foi et la bibliothèque qui détient les épisodes de leur histoire comme une Jérusalem céleste, dans un monde souterrain aux confins de la terre inconnue et des enfers.

Cette bibliothèque les domine par ses promesses et ses interdits à la fois, pour elles et contre elles, dans l'espoir coupable d'en violer un jour tous les secrets et risquer la mort comme cette nonne pour satisfaire une curiosité de son esprit ou comme les autres qui pouvaient être prêtes de tuer pour empêcher quelqu'un de s'approprier un de leurs secrets jalousement gardé.

Pendant longtemps, l'ordre des bénédictins n'a pas eu le privilège des dégénérations tellement il était devenu puissant en rivalisant avec les rois.

6.JPGEn ce XXIème siècle, ce n'est plus que par le silence qu'elles en imposent encore aux profanes et aux grandes gueules psychopathes de notre temps par le trop plein de versions de la pensée.

Le savoir numérique sert maintenant de monnaie d'échange.

Le psychanalyste Michael Stora a écrit dans son livre "Et si les écrans nous soignaient" en révélant que les écrans peuvent être une addiction ou une thérapie pour les jeunes en manque de repères.

La foi religieuse poussée dans ses extrémismes et son exclusivité, n'en serait-elle pas son complément?  

Raison d'orgueil, motif d'ostentation et de prestige que certains chevaliers modernes présentent comme des étendards idéologiques de vertu avec une croix virtuelle sur les réseaux sociaux et forums citoyens mais corrompus par la dispute, la suffisance quodlibétique qui veut passer au crible du sic et non chaque mystère et chaque grandeur.

Ces pensées traversent l'esprit de Rosario.

Rosario et Luca n'ont pas dû attendre une navette très longtemps.

9.JPGDix minutes après leur arrivée sur le ponton, la première du matin arrive et les ramène sur la berge opposée du lac vers la civilisation moderne des gens qui ont d'autres choses à faire et à penser.

Personne ne leur demande ce qu'ils ont pu faire pendant la nuit même si cela aurait pu sembler étrange d'avoir passé la nuit sur cette île.

Rosario jette un dernier regard rêveur vers elle comme s'il s'agissait d'une île flottante au milieu de nulle part où le temps s'est arrêté dans un espace de vie minuscule.

Il en revient avec beaucoup de questions et de doutes sur notre époque.

Rosario et Luca étaient chrétiens dans l'âme mais ils ont toujours vécu dans la ville du tango, à Buenos Aires avant d'accompagner le pape à Rome. 

Ils se connaissent depuis plus de dix ans.

Luca était l'employé de Rosario dans une petite entreprise d'outillage avant d'accompagner le pape à Rome.

Rosario aime rire, philosopher sans s'arrêter, trouver l'explication à l'emprisonnement volontaire de ces nonnes muettes lui laisse un dilemme indélébile dans la tête entre libertés individuelles et libertés guidées.

Ces bénédictines le font rêver à cause de l'abnégation qu'il leur a fallu pour vivre recluses, pas vraiment enterrées vivantes mais pas tellement différentes à ses yeux.

- 'In omnibus requiem quaesivi, et nusquam inveni nisi in angulo cum libro"(10), conclut-il à l'oreille tendue vers lui de Luca. 

Ce voyage dans le temps semble leur avoir apporté une coïncidence d'événements de crimes et de félonies.

L'échec de leur mission n'est-ce pas une nouvelle preuve que parfois "Mors Est Quies Viatoris, Finis Est Omnis Laboris" (18)?

Sur le chemin du retour, tous deux tombent de sommeil.

A None, Rosario et Luca font part de l'échec de leur mission au pape.

Ils racontent leur escapade sans parler des détails de leur intrusion dans l'abbaye.

Le pape prend alors un sourire qui n'exprime ni reproches ni regrets.

C'est même comme s'il espérait leur échec.

- Tout est pour le mieux dans le meilleur des monde, dit-il.

Les jours passent sans aucune nouvelle importante en provenance de Orta.

...

Épilogue

1er aout: Ce sont les canicules. Du latin "Canicula" diminutif de "canis", "petite chienne". Le romain Varron a traduit le grec ancien κύων kúôn en nommant Canicula l'étoile particulièrement brillante de la constellation du Grand Chien, nommée Sirius. Du 24 juillet au 24 août, cette étoile très lumineuse se couche et se lève en même temps que le Soleil : ce constat avait laissé penser aux anciens qu'il existait un lien entre l'apparition de cette étoile et les grandes chaleurs météorologiques.

A Bruxelles, le climat a battu tous les records dans une température qui atteint 35°C, tandis qu'en Italie, les 40°C sont atteints ou dépassés comme presque partout dans les pays du sud de l'Europe. 

Les gens bougent de moins en moins en cherchant la fraicheur.

Dans l'impasse du "Val des Roses"...0.JPG

- Chérie, aujourd'hui, nous avons atteint aujourd'hui l'overshoot day, le jour du dépassement. C'est encore plus tôt que l'année passée. En plus ils disent que si c'était la Belgique en référence, nous l'aurions atteint le premier avril.

Tu te souviens de cette bénédictine que la police avait emportée quand nous étions sur l'île de Orta.

Viens voir cet article qui est paru sur Internet:

"Orta, 1er aout 2018,

Il y a près d'un mois, une bénédictine qui vivait sur l'île de Saint Jules, avait trouvé la mort dans des circonstances mystérieuses.

L'enquête a démontré que la victime avait eu un malaise et qu'elle était tombée du deuxième étage de l'abbaye en s'occupant de tâches ménagères. Elle avait succombé de ses blessures à l'arrivée des forces de l'ordre". 

L'enquête se termine plutôt en queue de poisson dans l'eau du lac.

Cela me rappelle la séquence des tops et des flops de l'émission "Un été d'enfer" de la semaine dernière dans lequel Pierre Kroll parlait de Jésus avec un humour bien à lui:podcast.

A Rome, Rosario a également lu cette nouvelle. Aucune ligne ne fait mention d'une archive disparue dans la bibliothèque de l'abbaye. Quant à l'exvoto du Christ, cela a dû être un mirage pour cause des grosses chaleurs de l'été.

"Terribilis ut castrorum acies ordinata" (22)

"Omnis ergo figura tanto evidentius veritatem demonstrat quanto apertius per dissimilem similitudinem figurae se esse et non veritatem probat" (23)


 

Traductions approximatives des expressions latines.

...

Et pendant cela, en Belgique

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Eriofne,

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7/8/2018: "Et Dieu dans tout cela"podcastpodcastpodcast

Secrets de cathédrales : La face cachée des Édifices (lie0.JPGn avec les Francs maçons)

Erwin von Steinbach serait le fondateur de la loge des bâtisseurs de la cathédrale de Strasbourg, une organisation ne prenant ses ordres que du roi ou de l'empereur.

0.JPGAux yeux des Francs-maçons, il serait l'une des racines de leur confrérie où l'homme devient son propre dieu représenté au travers de symboles et l'alchimie.

Le pouvoir temporel chevauche le pouvoir spirituel.

Le pouvoir spirituel se chercherait par des voies théoriques qui ne sont pas tellement différentes dans la pratique puisque là aussi, il y a seulement les initiés qui sont conviés derrière un jubé réservé au clergé dans les cathédrales. Les fidèles se doivent d'avoir une foi irrationnelle qui se manifeste par le pèlerinage, se représente par des reliques, des images polychromes et qui reçoivent en compensation des miracles pour renforcer l'existence de Dieu.

 

Extrait significatif au sixième jour du livre "Le Nom de la rose":

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