Un hommage et des souvenirs de Lucie (01/09/2021)

0.PNGL'automne météorologique commence avec la rentrée. Pourquoi pas un hommage à une professeur de chimie qu'était Lucie de Brouckère ?

Une femme avec beaucoup d'humour tout en étant très sérieuse dans son enseignement de la chimie. 

Une véritable spécimen de femme de combattante du féminisme de cette époque en parallèle à son cours.

  Le 13 juillet, elle aurait eu 117 ans si elle avait vécu.

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0.PNGLucia Florence Charlotte De Brouckère, née le 13 juillet 1904 à Saint-Gilles et décédée le 3 novembre 1982 à Ixelles, a été une chimiste, militante féministe, socialiste, laïque, franc-maçonne et première femme à avoir enseigné en Belgique au sein de la faculté de sciences à l'Université Libre de Bruxelles en 1937.

Fille de Gertrude Guïnsbourg et du sénateur socialiste, Louis de Brouckère, célèbre politicien socialiste du xixe siècle, principal porte-parole de la gauche du POB et représentant la Belgique à de nombreuses conférences internationales.

En opposition avec la norme de l’époque, son père encourage ouvertement l’éducation des filles et soutient l’envie de cette jeune intellectuelle d’intégrer l’université. Devenue docteure en chimie en 1927, Lucia De Brouckère gravit progressivement les échelons académiques et scientifiques tout en contribuant largement à la modernisation pédagogique de la faculté.

À trente ans, pendant la période troublée des années 30’, elle préside le Comité mondial des Femmes contre la guerre et le fascisme. En 1936, elle soutient activement le camp des républicains d’Espagne. Lors de la Seconde Guerre mondiale, contrainte à l’exil, c'est à partir de Londres qu'elle participe à l’effort de guerre en effectuant des recherches stratégiques, ainsi qu’en dirigeant la section des industries chimiques du ministère des Affaires économiques du gouvernement belge.

Pendant toute la guerre 1914-18, elle poursuit ses études primaires et secondaires en Angleterre.

A cette époque, les femmes n'ont que des fonctions subalternes.

En 1923, elle choisit l’Université libre de Bruxelles pour étudier la la chimie.  À cette époque, être chef de travaux est la fonction académique la plus haute que puisse occuper une femme. 

Jusqu'en 1925, année où Irène Van Der Bracht, chargée de cours, gagne moins que ses élèves masculins, elle accède la première à un poste universitaire en éducation physique à Gand. L'Education nationale lui permet enfin d'obtenir un grade supérieur alors que cela avait toujours été refusé par le recteur et ses collègues.

En 1927, après avoir obtenu son doctorat en chimie et s'être fait couronner du prix Stas de l’Académie royale de Belgique pour sa thèse portant le titre « L’absorption des électrolytes par les surfaces cristallines », elle devient assistante de Jean Emile Charles Timmermans, professeur de chimie et historien des sciences à l'ULB et de Alexandre Pinkus professeur dans le laboratoire de chimie analytique. 

Première femme à enseigner le cours « d’Éléments de chimie générale » dans la faculté des Sciences en y comblant progressivement les grands cours de chimie généralechimie analytique et chimie physique, tout en privilégiant une formation orientée davantage vers les travaux pratiques et en cherchant à modeler les étudiants en fonction d’une idéologie non-catholique et non totalitaire.

Lucie De Brouckere trouve en Ilya Prigogine. une collaboration masculine très efficace. 

En 1934, elle est élue comme première femme présidente du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme.

Après la deuxième guerre mondiale, elle s’engage dans le combat pour la dépénalisation de l’avortement. 

En 1951, elle prend la tête du laboratoire de minéralogie et d’analyse.

Dès 1958, elle préside la Société belge de Chimie et obtient la fonction de vice-présidente du comité consultatif du Centre nucléaire de Mol.

Première femme à enseigner dans une faculté des sciences en Belgique en pédagogue hors pair. C'est à ce titre que son nom a été choisi afin de parrainer la Haute École. Sa préoccupation majeure est non seulement de former de futurs professeurs et chercheurs mais surtout de préparer ses étudiants à devenir des humanistes par son exemple.

Au cours des années 60, se revendiquant libre-exaministe, elle intègre la franc-maçonnerie ainsi que de nombreuses associations militantes laïques comme l’Extension de l’U.L.B., le Centre d’Action Laïque, la Famille Heureuse, la Pensée et les Hommes, ...

En 1962, elle  participe à la fondation du centre de planning familial : «La Famille heureuse» .

A partir de 1964, au sein de la Ligue de l’enseignement, elle participe en qualité de vice-présidente à de nombreux débats.

A partir de 1965, elle fait partie du conseil d’administration des institutions internationales de Physique et de Chimie de Solvay. Elle contribue notamment à la rédaction avec Arnould Clausse de la charte de l’école pluraliste.

En 1974, c'est admission à l’honorariat.

En 1975, elle s’investit dans la restructuration de cette association scolaire.

Véritable défenderesse des libertés, de la pensée démocratique, des droits des femmes et de bien d'autres causes, très engagée dans la défense du libre examen et de la démocratie.

Femme de convictions pendant toute sa vie, elle a influencé par son militantisme.

En 1983, un an après sa mort, la Faculté des Sciences de l’ULB de Bruxelles lui rend hommage en créant une Fondation à son nom qui a pour but de contribuer d’une manière générale pour encourager la diffusion des sciences par l'organisation de cycles de conférences et pour collaborer à la semaine des expositions préparée par les étudiants de la Faculté dont elle publie une collection "Connaissance du Réel".

De son combat féministe, on retiend avant tout ses prises de position en faveur de l’avortement et de sa contribution à la création du planning familial. 

Le 1er septembre 1996 voit le jour de  la Haute École Lucia de Brouckère, constituée de la réunion de cinq instituts comme l’institut Haulot, l’institut Meurice, l’institut supérieur économique, l’institut supérieur pédagogique et économique ainsi que le site Ferry.

"C'est par l'exercice des libertés qu'on se libère progressivement des contraintes, des préjugés, des conformismes", disait Lucia de Brouckère

« Ce qui m’a frappée au cours de mes recherches, c’est l’extraordinaire cohérence interne des théories dont l’expérience a démontré de façon inéluctable quelles étaient inexactes. Ceci doit nous inciter à la prudence et à la modestie. Les sciences dites exactes et naturelles ne nous révèlent aucune Vérité absolue, définitive, clichée, immuable, aucune Vérité existant en dehors du temps et de l’espace, qu’il suffirait de cueillir comme la fameuse pomme ! Les sciences nous proposent des vérités partielles qu’il faut constamment, non seulement corriger, mais revoir dans leurs fondements mêmes. Elles exigent l’application constante du principe du libre examen qui est à la base de notre morale laïque », dit Paul Danblon lors d'une interview. 

Ce qui m'a personnellement frappé, c'est la personnalité forte de Lucie de Brouckère. 

Peut-être son allure au départ, très sérieuse et même austère, toujours habillée d'un tailleur gris avec une jupe, très stricte, des cheveux grisonnants en bataille et quelques poils de barbes blanches qui parvenaient à s'échapper du menton et des chaussures à talon plat.

Je la voie encore, dans ma mémoire profonde, s'élancer dans les couloirs qui menaient à l'auditoire de son cours, d'un pas allergique et décidé.

Malgré son allure austère, elle avait un humour à fendre un pierre quand un étudiant lui parlait.

Séducteur s'abstenir avec elle.

Une de ses caractéristiques dans sa manière de vérifier les connaissances à l'examen oral était aussi une de ses spécificités. L'étudiant examiné pouvait disposer de tous les livres de cours ex-cathedra pendant l'examen.

Ce n'était d'ailleurs pas à partir d'eux que ses questions étaient posées. L'examen servait seulement de vérification ce qu'elle appelait "l'assimilation de son cours" et non pas par sa répétition par cœur.

« La chimie : l'inscription de l'irréversibilité dans la matière », disait Prigogine

Après son décès en 1982, je n'ai pas trouvé qui avait fait fait son oraison funèbre. En 1999,  Ilya Prigogine, professeur de physique de la même époque, l'a faite pour Paul Glansdorff, que j'ai eu aussi comme professeur (lien).

Paul Glansdorff était né la même année que Lucie de Brouckère.

Que reste-t-il de Lucie de Brouckère aujourd'hui?

La Haute Ecole Lucia de Brouckere à Anderlecht et dans le Brabant wallon, une résidence en son nom à l'ULB dans le quartier d'habitation des étudiants annexé à l'Université. 

Le féminisme a beaucoup changé. Il s'est affermi et s'est extraverti dans de nouveaux combats. Aujourd'hui, on arrive à la diplomatie féministe pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes comme le montrait le billet "Generation equality" jusque dans la politique étrangère depuis 2014 en Suède et depuis 2018 en France.

Le film "Première année" m'a rappelé quelques souvenirs dans une faculté de médecine française pendant les nineties. 

Synopsis: Antoine entame sa première année de médecine pour la troisième fois. Benjamin arrive directement du lycée, mais il réalise rapidement que cette année ne sera pas une promenade de santé. Dans un environnement compétitif violent, avec des journées de cours ardues et des nuits dédiées aux révisions plutôt qu'à la fête, les deux étudiants devront s’acharner et trouver un juste équilibre entre les épreuves d’aujourd’hui et les espérances de demain. L'un des deux craque doit se reposer et saute des semaines de cours. Il demande à son ami de lui faire rattraper son retard. Ils réussissent à la délibération mais l'ami ne se présente pas à la présentation des lauréats.


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2.PNGPasquale Nardone, professeur de physique à l'ULB, que je présente quelques fois sur cette antenne, a 65 ans et prend sa retraite à la fin de ce mois.

Il a eu Lucie de Brouckère en première candi dans les seventies alors que moi, ce fut au cours des sixties.

Peut-être par opportunisme, j'ai choisi les nouvelles technologies, dites sciences exactes, encore dans les limbes quand j'ai commencé.

2.PNGLe numérique a ainsi pris la relève comme violon d'Ingres et la chimie a été mise entre parenthèses.

Préparée par la création de ce journal, ma retraite a commencé, il y a exactement 15 ans. Nouveau changement, nouveau challenge, c'est en y ajoutant les sciences humaines de la psychologie souvent en arrière-plan. 

Pour Pasquale, il faudra peut-être que je ressorte mon billet "Savourer l'instant".

Aujourd'hui, à l'anniversaire de mes 74 ans, j'ai voulu jeter un regard dans le rétro en présentant Lucie de Brouckère comme une femme à l'université de la libre pensée, mêlée d'un féminisme avant l'heure.

Auteure de différents manuels comme notamment:

Je possède encore ses deux volumes de "Chimie générale" avec son introduction historique et son résumé des notions dans l'enseignement secondaire avant d'aller dans les fondations de son cours par les états physiques de la matière.

J'ai repris leur lecture et les souvenirs me sont revenus.

Sa bibliographie écrite en son hommage est importante et éloquente. 

Nous trouvons de tout dans notre mémoire. Elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met au hasard la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux.”, Marcel Proust.

0.PNGComme d'habitude, j'ai reçu un nouveau cartable, seule différence, sa virtualité avec de nouveaux challenges se présentent déjà...

Il y a deux manières de parler de la rentrée.

Celle de Thomas Gunzig, plutôt négative après un été de merde
podcast

et celle de Lecastel au cactus avec la solution à la pénurie des professeurs
podcast

Personnellement, je préfère la seconde version.

0.PNG

Avec l'âge, il faut seulement apprendre à prendre plus de temps pour faire la même chose qu'auparavant.

Lucie ne mérite-t-elle pas cette chanson "Lucy in the Sky with Diamonds"?  

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Picture yourself on a train in a station
With plasticine porters with looking glass ties
Suddenly someone is there at the turnstile
The girl with the kaleidoscope eyes
Lucy in the sky with diamonds

Ps. Claudine Monteil présentait son livre "Marie Curie et ses filles" au 28 sur ARTE'. Elle parlait de sa famille avec le même genre de passé. Podcat:podcast.
 
Allusion

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Les coulisses du pouvoir en parlent
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suivi par la Ministre des Pensions Karine Lalieux 
podcast
4/9/2021: Mathieu Pelletier pose la question Le plaisir rend-il heureux?

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