Taire le silence (22/08/2008)

Fini les complexes, pouvait-on penser en mai 68 après avoir tenté de briser des barrières. Et pourtant, il y a beaucoup de nids de poule sur la route des pensées et des mots. Nous allons le voir dans la forme et dans le fond.

parolePlus facile de le dire que de le faire. Le silence est d'or et souvent, il dort.

La plupart des familles ne laissait pas parler leurs enfants. Une prise de conscience s'est révélée au grand jour en mai 68 et puis s'est rendormie.

A l'école, souvent, la communication allait trop souvent dans un sens et pas dans l'autre pour en rechercher par l'analyse une certaine vérité logique.

Adulte, rebelote. Les amis, les employeurs en ajoutent une couche. Trouver la ligne médiane devient périlleux.

Le monde du travail est un des lieux de rencontres et donc de conflits potentiels. Le patron a ses idées qu'il ne faudrait pas trop contrarier pour garder sa place. Se rebeller revient à se fâcher et à rugir devant tout son entourage. La relation parent enfant est toujours présente. Le dominant qui a une emprise sur le dominé. Pour vivre heureux, vivons caché, est-il dit quelque part dans une charte implicite. Serait-ce "Marche à l'ombre"? Trop de "cadavres" dans les tiroirs, trop de dangers à exprimer son ego?  La famille comme charge emêche les éclats de voix. Le respect, la compréhension de l'autre, l'égalité des rapports sont pourtant les plus fructueux au moment du choix de vie et de société. L'équilibre des idées est bienfaisant. Le tempérament se fera ressentir durement s'il rabaisse et persécute par les moyens de l'intimidation. Faire des concessions en mono directionnel n'est pas la panacée, non plus. Les idées ne se sont pas réfugiées dans les seules têtes dites pensantes. Pas de gourous dans le jeu de quilles. Adoucir son comportement est le seul moyen de sortir de cet étau et en imposer un autre à son interlocuteur. Pas de résignation pour seule raison de diplomatie. Gérer son stress par l'affirmation de soi, au contraire. Déculpabiliser et raisonner pour reconnaître le bénéfice général en recherchant le but ultime de l'interlocuteur. Où en sont les limites? Une seule démonstration par l'absurde, avec l'humour peut parfois suffire pour les trouver.

Il n'y a pas besoin de perfection pour émettre une idée. Pas besoin de trouver l'église au milieu du village. Un peu de confiance en soi suffit. Chercher les idées et les personnes solidaires au projet, connaître ses limites personnelles, sont les vertèbres d'une bonne négociation. S'il y a échec malgré un bon dossier en béton en chercher la raison. Désaccord chronique? Normal, il y aura toujours des chemins parallèles et des adversaires par nature. S'il n'y en a pas, certains penseraient passer à la foi, bien sûr.

Etre extraverti peut aider, bien sûr. La timidité, c'est l'interlocuteur qui en profitera. Il faut se rendre compte que, lui aussi, a le même problème de communication. Alors, dans un suprême effort, on parle du temps qu'il fait. Comme si l'originalité n'avait pas cours à bord des relations humaines.

Et nous ne sommes encore que sur la 2ème marche de l'adulte après celui de la famille.

La vie en société est régulée par des règles et des lois générales. Si le harcèlement moral est puni par la loi chez nous, c'est de moins en moins le cas ailleurs comme nous allons le constater. Cet ailleurs n'est d'ailleurs pas toujours où on croit qu'il est. La diplomatie s'en mêle, mais, elle n'est pas universelle.

La Chine et l'Inde sortent leurs griffes avec un arsenal de bonnes volontés mais aussi des coutumes qui peuvent avoir des aspects négatifs. Au Japon, depuis plus longtemps en lice, nous sommes arrivés à un tel abrutissement des chaînes de travail dans lesquelles tous les regards se tournent vers le groupe, vers la hiérarchie et non plus pour chacun de ses membres.

Amélie Nothomb, avec sa sensibilité occidentale, en avait parlé dans son livre "Stupeur et tremblements". Alors, cela craque parfois par le stress s'il n'y a pas de soupape de sécurité. Dans le passé, on inventait un épouvantail, avec la tête du patron en effigie, dans lequel tout travailleur pouvait se défouler. Plus récemment, les jeunes se réunissent et veulent se donner des impressions d'exister. On s'habille de manière excentrique, on copie les bandes dessinées. Les "Mangas" sont des bandes dessinées. Elles sont aussi les signes d'une errance de plus en plus marquée de cette ambiance en porte parole d'une jeunesse en mal de soi. On veut désormais jouer le rôle de ce héros en papier mâché qui n'est pas soi. On symbolise encore une fois. De jeunes cadres se payent un espace temps très limité, heureux de se trouver ensemble, en cachette, dans des accoutrements totalement inappropriés à leur fonction. Sont-ce leurs "Sakés soirées"? Est-ce pour oublier qu'il faudrait, peut-être aussi sortir, un jour, de ses gongs. Est-ce à long terme la manière de rompre avec les carcans? On se tait et on travaille sans plus réfléchir.

Nous y sommes. L'argent dans les pays développés s'est arrogé le droit de parler en représentant de tous. Dans ce cas, il ne restera que la solidarité comme remède. Une balance avec une personne et un million de dollar dans un plateau avec un million de personne avec un dollar dans l'autre.

Le tsunami nous a beaucoup occupé l'esprit en son temps à la Noël 2004. Une collecte mondiale a été au secours des populations sinistrés. Élan de solidarité sans précédent. Dans les bénéficiaires, nous avions le Sumatra et Banda Aceh dont on n'ignorait l'existence avant la catastrophe. Qu'apprend-on aujourd'hui? Les dégâts de la catastrophe sont toujours visibles. Par contre, aussi, un retour de bâton dans cette vitrine de La Mecque. L'obscurantisme a été utilisé pour museler les populations. Les châtiments corporels par la charria sont au programme. Baiser voler ou regards furtifs sont pénalisés sans pitié comme pour de véritables "criminels". Alors, parler, on n'y penserait même pas. Lois d'un autre temps, qu'il faudra également un jour éclaircir dans ses tenants et aboutissants. Les talibans en Afghanistan n'ont pas encore dit leurs derniers mots dans cet obscurantisme désiré et le non respect des femmes.

Nous arrivons cette fois au dernier étage. Là, c'est, d'après le dicton qui se veut révolutionnaire: "La dictature, c'est, ferme ta gueule. La démocratie, c'est, cause toujours".

Les élections sont devenues dans les démocraties trop abstraites, trop éloignées des problèmes au jour le jour. Les référendums, en prenant en compte les minorités culturelles, bien plus concrètes, font, eux, peurs aux politiciens des démocraties. Il faudra qu'ils expliquent ce sentiment de rejet.

Le journaliste Paul Hermant tenait une chronique sur La Première belge et ce n'était, comme d'habitude, pas innocent.

"Hier, parce que le téléphone a sonné et que j'ai été toute la journée en contact avec des gens que je connaissais pas, je pensais vous faire une chronique sur une de ces choses qui taraudent l'esprit de l'homme post-moderne. Je veux parler de ces gens que l'on arrête un jour parce qu'ils n'ont rien fait que d'être là où on ne les souhaitait pas et que l'on enferme dans des centres fermés, ces prisons du nouvel âge. Et donc hier, ayant été mis au courant d'un de ces nouveaux cas - une personne bien intégrée comme l'on dit, ayant relations et amis, investie dans la vie économique, pesant aussi peu que possible sur le système social, présente sur le territoire depuis presque dix ans, un curriculum remarquable que l'on me confirmait ici et là -, je m'en allai, pour finir, m'inquiéter auprès de l'avocat de l'état du dossier. Ah non, me répondit-on, ne faites surtout rien, n'écrivez surtout rien, ne dites surtout rien, l'administration pourrait le prendre mal et votre intervention risquerait bien de s'avérer contre-productive. C'est étrange, lorsque l'homme n'était pas encore post-moderne et que l'Europe était encore partagée entre deux blocs et qu'il y avait, à tout prendre, moins de pays démocratiques que de doigts sur mes mains, citer le nom de quelqu'un était très important. Prononcer le nom d'un dissident tchèque ou d'un prisonnier politique espagnol, c'était déjà lui donner du répit. Le publier, l'inscrire sur une carte postale, l'écrire sur une pétition, c'était souvent le sauver. Des tas d'associations se sont créées ainsi, dont de très célèbres, aujourd'hui nobelisées, rien que pour scander le nom de gens qu'elles non plus ne connaissaient pas, rien que pour faire assez de bruit pour arriver à faire taire le silence. Parce qu'elles connaissaient le pouvoir de la parole. Elles savaient bien que les mots traversent les murailles et que les noms les font sauter. Elles savaient bien que dire Andrei Sakharov, Vaclav Havel ou Doina Cornéa, c'était les sauvegarder. Aujourd'hui, dans mon pays de bonne humeur, citer le nom de Rexhep, Rachid ou Sylvana, ce serait leur faire tort. Aujourd'hui, dans mon pays de bonne humeur, dire le nom de gens enfermés dans des geôles de non droit, ce serait les mettre en danger. Aujourd'hui, dans mon pays de bonne humeur, dire tout haut qu'une injustice est sans doute en train de se commettre, ce serait courir le risque d'être contre-productif. Donc, on ne fera rien, on ne dira rien, on n'écrira rien. De peur d'effaroucher une administration qui pourrait le prendre mal. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je n'ai pas fait de chronique.

Une chronique, c’est comme un colloque que l’on entreprend avec son ordinateur pour se divulguer ensuite sur les ondes de la place publique. On parle beaucoup avec soi en écrivant une chronique. Tout simplement on la parle. C’est beaucoup d’intimité extravertie. Evidemment, on prend le risque de l’« altérité ». Le singulier quand il devient pluriel peut défaire des ministres. Qu’est-ce qu’on a à faire avec des problèmes de notre temps quand on n’est pas impliqué dans les problèmes et que l’on ne sait pas soi-même remédier à ces mêmes problèmes? Responsable de rien. Quand les mots surgissent et qu’ils viennent de l’autre côté de la perception, on y est toujours attentif, voire attentionné. On les entend ces mots, on les prend avec soi et même, on peut les parler. Alors, on se pose des questions sure notre temps. (le journaliste citait, ici, des exemples au sujet des fractures sociales, des statuts de chacun, auxquels réagissaient de manière aléatoire, les autorités responsables). Alors, est-ce à fond perdu ? Ce qui fait avancer le monde, c’est le développement des mentalités et puis, le changement de cultures. L’illusion, c’est de croire que tout est à l’économie qui doit diriger le monde. Ce qui prône l’économie, ce sont les dignes héritiers du Marxisme. Voici, une proposition singulière qui vaudrait bien un colloque."

 

ddeb4493c80a89b4e8e391664fc176dc.jpgKrishnamurti dans son livre "Vivre dans un monde en crise" écrivait que dans un temps de tourmente économique, sociale ou morale, il fallait le fonder sur la responsabilité individuelle et l'importance du rassemblement des peuples. Selon lui, chacun aurait autant de quotités de décision. Il constatait que l'évolution démarrait de la barbarie et se terminait par elle. Violence larvée par notre ego. Pourtant, toutes entreprises qui se déroulent à contre sens de l'autre côté de la terre aura tôt ou tard des effets néfastes par propagation de ce côté. Logique conservatrice de l'espèce?

Dans un dossier de la semaine passée, le Nouvel Obs s'intéressait à la méthode. Avec un titre de "Comment en parler?", il tentait de donner des pas de conduite pour se frayer un chemin au travers des dogmes religieux ou autres qui fleurissent de plus en plus. Il rappelait certaines affaires telle "Charlie-Hebdo" et d'autres plus récentes comme BHL et les orages médiatiques qu'elles avaient provoqués. Bouc émissaire et maladresses étaient du voyage du conscient ou de l'inconscient. Faire amende honorable, alors, laissait toujours des traces.

En rire, ensuite, est la solution de secours avant le stress.

Pierre Desproges, 20 ans après, a été complètement oublié et dépassé par la virulence. On peut, de moins en mois, rire de tout. Le sens de l'humour ne court pas les rues. Les mots préfixés de "anti-" sont là pour expliquer cette constatation sous le couvert de la politique. On n'est pas là pour rire, on est là pour travailler et de plus en plus, encore. Une police de la pensée pour ne blesser personne, serait-ce la panacée? Pierre Nora répondait en donnant les risques. D'après lui, la vérité légale qui ne combattrait que les contrevérités historiques serait d'ordinaire propre aux régimes totalitaires en faisant obstacle à la liberté de recherche historique. Le poids des vérités officielles serait plus lourd à supporter. Les subtilités régionales du langage, les préjugés, les blagues ne peuvent pas tous être soupçonnés d'arrière-pensées mais simplement portés par le besoin d'être original et humoristique, bien loin de la polémique et de la trivialité. La dérision et surtout l'autodérision sont des armes imparables contre la violence.

Alors, taire le silence est-ce un danger? Oui. Exemple parmi d'autres.

Faut-il faire résonner de nouveaux sons? Certains y pensent pour les jeunes. Circuler, y a rien à entendre.

"Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté" chantait Guy Béart déjà en 1968. Cette chanson pourrait être tout aussi bien actuelle. Espérons que la parole aura toujours son mot à dire en réaction à l'action, partagés entre critique et autocritique. Parler n'est ce pas ce qui nous avons de nouveau dans la genèse? Rugir ou chanter n'apportent que des moments de stress. L'entropie des mots n'est pas un mythe. Elle constitue une succession non chaotique au progrès et pas par une convention culturelle dogmatique. L'originalité naît du pluralisme des idées. Le brévet n'est qu'une temporisation avec le partage négocié avec éthique.

"On attend que le monde change, on attend que la vie nous range", dit la chanson de Suarez.

Il faudra savoir, seulement, jusque quand?

 


L'Enfoiré,

Un autre article sur le sujet

Agoravox a-t-il de la voix ou du silence?

 

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