Shanghai, premières (16/12/2009)

20.jpg010 sera l'année de Shanghai. Pour y arriver, cette ville a brûlé les étapes du modernisme sans se retourner vers son passé, sans même lui avoir laissé une chance de donner un arrière goût. La préparation de l'Exposition Universelle de 2010 a, comme il se doit, mis les petits plats dans les grands. Mais, une histoire moins glorieuse colle toujours au talons.

Jusqu'au 15ème siècle, la Chine a était en avance sur l'occident. A partir du 16ème, siècle, l'Europe entame sa révolution scientifique et, plus tard, elle sera industrielle. Démocratie et Droits de l'homme y gagnaient du chemin. Dans le même temps, la Chine s'essouffle. Elle ne maîtrise plus qu'elle même avec l'éthique comme seul porte drapeau. Le fossé ne fera plus ensuite que se creuser entre Occident et Orient.

Shanghai fut fondée sous la dynaste des Song (960-1276). Le premier consul de France fut nommé en janvier 1848 dans cette grosse bourgade avec 200 étrangers tout au plus.

A la fin du 19ème siècle, les Britanniques, par l'intermédiaire de "l'East India Company", fiers de leur réussite insolente, migrèrent leur important commerce de l'opium vers la Chine et exercèrent une pression économique et militaire sur le vieil empire chinois. Des hommes d'affaires sans scrupules, convaincus de leur supériorité sur la société chinoise qu'ils ne comprenaient pas, présentèrent, par leur témoignages, la Chine comme un pays arriéré. La révolution de 1911 détrône l'empereur et balaie la dynastie mandchoue.

Contemporain, le Roi Léopold II de Belgique, si le Congo et l'Afrique, l'avaient attiré, l'Orient et la Chine, en particulier, gardaient, une certaine fascination qu'il fit ressortir par création du Musée d'Extrême-Orient à Bruxelles. Le Pavillon et le kiosque, dans un souci d’authenticité, ont même été exécutés à Shanghai(photos)

Ce n'est qu'en 1950, que Joseph Needham allait faire comprendre l'erreur d'appréciation et faisait rouvrir le dossier "Chine" et, avec lui,, le dialogue entre les pays.

Mégalopole de plus de 20 millions d'habitants, Shangai a, peut-être, plus que Pékin, une histoire chargée d'erreurs de jugements et d'amertumes qui a pu seulement forcer le pardon avec le temps. Ces deux villes sont devenues rivales, alors qu'on aurait pu le croire avec Hong Kong.

Être près de l'embouchure du Yang-Tsé-Kiang, le plus long fleuve d'Asie, la privilègiait pour devenir une ville commerciale, dans un pays qui manque souvent d'eau.  Etre dans son delta du Yanzi Jiang avec la rivière Huangpu qui la traverse offre une opportunité de se retourner vers l'extérieur.

La Chine, comme nous allons le voir, a converti les allures de Far West en Far East bien avant ces deux dernières décennies.

Les étrangers, en provenance d'Angleterre, de France et des États-Unis, principalement, ont cru bon d'y faire fructifier leurs profits et cela à bon compte.

Déjà au 19ème siècle, ces riches industriels ont suivi leurs intuitions pour cette ville dont ils voulaient faire le centre financier de l'Asie-Pacifique comme une concurrente à Manhattan. Des bâtiments, de plus en plus haut et de plus en plus prestigieux, vont tenter d'embellir la ville. Les navires arrivaient, de l'occident, vides et repartaient pleins de richesses en échange d'un peu d'or vite distribué dans certaines mains.

Dans les années folles de gloire de l'occident, les fortunes se construisaient. Au début du 20ème siècle, l'argent coulait à flot. Les soirées étaient mémorables comme elles ont dû l'être, plus tard, à la Havanne d'avant Castro ou à Chicago avec la prohibition de l'alcool. Les coolies chinois, eux, ne voyaient que les miettes de cette prospérité. Un témoin écrit à l'époque:  "La majorité de la population étrangère vit des plaisirs: vin, femmes, danse, jeu. Seule une petite minorité recherche et apprécie la culture et l'esprit. Shanghai s'amuse, boit et aime outrageusement".

Quand la bouloir boue pour les uns et pas pour les autres, il y a toujours des "récalcitrants", des troubles fête qui sortent de l'ombre.

Shanghai premières_05.jpgDou Yuesheng fut de ceux-là. Un Don Quichotte, mais bien plus intelligent que sont émule, qui voulait attaquer des moulins à vent et conquérir la richesse à son propre usage quitte à s'allier avec le diable.

Né d'une famille très pauvre, orphelin à 5 ans, il fut élevé par son oncle. Mais il prit très vite le mord au dent. A 14 ans, il quitte la maison familière et son petit village, Gao Qiao, après avoir juré qu'il n'y reviendrait pas avant d'avoir fait fortune.

Les petits métiers, pour lui, allaient se succéder à un rythme d'enfer.

Sur la rive du Huang Pu, il apprenait, avec intérêt, toutes les vicissitudes d'un port avec l'opium, le jeu, les bordels comme distractions préférés de ses contemporains.

Trainer avec les voyous lui donnait de plus en plus d'idées. Dou était bien plus malin, que ses collègues ou coéquipiers de la misère. S'il volait au magasin et se faisait tabassé avant de se retrouver viré, il en retirait toujours une expérience et une renommée d'intelligence de plus.

Opportuniste, les salles de jeu, les femmes l'attiraient avec l'envie qu'elles travaillent, un jour, pour lui.

Les bandes existaient et se faisaient concurrence. Il s'engagea dans l'une d'elles, la « Bande verte ». Rien à voir avec l'écologie d'aujourd'hui. Son chef le remarqua très vite et lui donna des responsabilités dans les contacts orageux avec la police français. Il avait suffisamment des dons innés de persuasion. et de compromis à l'avantage de toutes les parties d'une table des négociations. En 5 ans, il monta les échelons et évinça un à un, ses chefs précédents, trop tournés vers l'argent sans la malice suffisante pour le faire fructifier. Véritable parrain avant la lettre, il avait compris que pour être respecté, il fallait donner un peu pour en recevoir beaucoup ensuite. Choisir ses lieutenants devenait un sport d'équilibriste et il y excellait. Des accords avec la police furent « signés » dans les mémoires, mais rarement sur papier. Un pacte avec la police française se destinait à éliminer l'ennemi commun, la pègre, la mafia et les bandes. Mais, pas la principale, la "Bande verte", évidemment. Les pouvoirs de la ville étaient désormais dans les mains des deux dirigeants: l'officiel et l'officieux avec des bénéfices partagés.

En 1927, Tchang Kaï-Chek le poussa à créer la Société pour le Progrès Commun. Ca ne s'invente pas.

Devenu l'interface entre les deux mondes, l'occidental et l'oriental, en « bon capitaliste », il augmentait son assise dans la vie publique contre les "mauvais socialistes".

La triade de Dou fut, donc, appelée pour briser les grèves organisées par les nouveaux mouvement turbulents avec pour origine les voisins soviétiques. La ville prit, dès lors, le qualificatif de « spéciale » dans la République chinoise.

A Shanghai,, la chute de Wall Street de 1929 fut amortie avec une réponse aux faillites dans une suite d'échanges entre dollars américains et mexicains.

Mais, les frasques de Shanghai attiraient les regards envieux des pays voisins.

Le 28 janvier 1932, premiers coups de butoir de la marine japonaise qui bombarde Shanghai pour, officiellement, répondre aux étudiants de la ville et à leurs protestations.

Entourloupe habile de Dou, en réponse.

Les syndicats communistes furent dépassés par leur gauche et se retrouvèrent dirigés par Dou.

Homme d'affaire philanthrope, il continuait, à plus grande échelle, à se faire aimer par ceux qui voyaient en lui, une figure de proue dans la sécurité du pays. Prince incontournable., les postes les plus prestigieux se succédèrent pour lui.

La richesse de Dou et son pouvoir associé arrivèrent à leur paroxysme entre 1927 et 1937. La source de beaucoup de revenus, l'opium n'avait plus bonne presse là-bas ou ailleurs. On en découvrait progressivement les ravages sur la santé. Il fallait limiter  la consommation de drogue au plus vite. Dou est nommé comme "exterminateur" de l'opium. Il s'attribua du même coup, en exclusivité, cette fonction et les bénéfices de cet opium.

Le gouvernement de Tchang compta même, sur lui, pour son effort de militarisation.

La résidence "Donghu Lu" lui donna une assise dans la concession française. Elle deviendra, plus tard, un hôtel prestigieux toujours dans les mémoires des guides à l'effigie de Dou.

Quand novembre 1937 arriva et que l'invasion japonaise fit des ravages dans la ville, il fuit à Hong-Kong. Il rejoignit ensuite, son ami, Tchang avec son gouvernement nationaliste. Cette invasion allait couper net l'élan du progrès et la ville s'endormit pendant 40 ans.

Les bordels changèrent seulement de clients et les occidentaux s'arrangèrent avec les nouveaux occupants japonnais.

Shanghai devint le 5ème port mondial. Les rétrocessions commencèrent, ensuite, l'une après l'autre. D'abord par le Royaume Unis et enfin par le Japon.

Le nombre de banques de Shanghai doubla et monta à 300 en moins de 10 ans. Elles liquidèrent et gérèrent les rétrocessions à la République de Chine.

En 1945, après la défaite du Japon, Dou pensa retourner à Shanghai. Tchang ne voyait plus d'intérêts dans son soutien. Dès 1946, il tremblait sur ses bases dans une guerre civile. En 1949, l'infidélité de Tchang à son égard, Dou se réfugia à Hong-Kong pour y finir ses jours.

A Taiwan, il repose, désormais, près de Tapei, avec une épitaphe de son ancien ami, Tchang.

Mao Zedong avait reçu un nouveau soutien, celui des soviétiques dans un pacte "kominterm ou Troisième Internationale". Celle-ci était théoriquement sans rapport avec l'État soviétique, bien qu'elle fut, très vite, mise au service des intérêts de Staline.

Le gagnant, Mao, eut la mémoire mauvaise et Shanghai sombra dans une période de glaciation. Mao l'ignora.

Le communisme lança le même processus que l'on appellerait aujourd'hui "rationalisation", mais qui passerait du productivisme privé au collectivisme d'Etat en se basant sur la force humaine plutôt que machinale. Le même cycle reprenait de plus belle mais avec d'autres têtes et une autre couleur, une révolution qu'on appellera "culturelle" avec l'aide d'un petit livre rouge comme Bible.

La culture populaire n'oublia pas Dou. Elle le sublime, encore, comme un héros de la révolution contre l'occident. Il est devenu une sorte de symbole de la résistance à Shanghai. Le « Capone de Chicago » aurait eu beaucoup à apprendre de lui pour régler sa propre prohibition.

La gloire de la modernité n'a pas de prix. Pour elle, les compteurs furent remis à zéro.

La renaissance de la « Perle d'Orient » eut lieu dès 1990. La corruption n'a pas disparu, mais sa découverte officielle, est désormais punie et utilisée à la gloire du régime. Le maire est destitué quatre ans après la désignation de Shanghai pour organiser l'Exposition universelle.

Désormais, Shanghai est devenue une ville futuriste que les qualificatifs se perdent à décrire avec de tels arriérés historiques. La mémoire a de ses trous que la raison ressentira toujours avec des tendances d'anarchistes.

Les bicyclettes n'existent plus que dans des quartiers bien loin des artères de la décision. Les voitures neuves ont pris le relais. Les habitations caractéristiques du patrimoine historique ont disparu.Shanghai premières_02.jpg Les quartiers de basses maisons avec ses hutongs, (Dun Hui Fang) ont été rasés pour laisser place au modernisme triomphant, à la merci des sociétés de démolitions qui jouent à cache cache avec les habitants.

Certains gratte-ciel de l'époque se partagent les bâtiments, tout en hauteurs, d'aujourd'hui. Le "Shanghai World Financial Center", avec 101 étages, fait rêver à sa tête de décapsuleur. Il ne sera pas le plus haut édifice du monde, pendant longtemps. On ne rêve désormais que de plus d'hauteurs comme partout, avec un ratio de 5000 tours et 120 gratte-ciels de plus chaque année.

Une vieille ville, le Shangaide, un Chinatown interne comme on voit ailleurs, existe encore à Shanghai mais ne passionne pas vraiment les touristes. En oubliant le côté pittoresque du patrimoine, Shanghai a réalisé le contraire du but: les attirer. A trop vouloir ressembler à des modèles occidentaux, on en arrive à perdre son âme alors qu'elle aurait pu devenir l'antidote à l'Occident.

Le flic de Shanghai se retrouve au cinéma avec une étiquette de bon vivant et de pirouettes loin de toutes corruptions. Pour dénoyauté celle-ci, il devient même cowboy.

Visiter Shanghaï, on en parle encore pour un weekend, voir pour 36 heures. Pas plus.

Une population de près de 3000 habitants par km2. Un revenu moyen plus élevé que dans les campagne d'environ 400 euros par mois. 0,05 % du PIB du pays. De l'électronique et des gadgets, au meilleur prix, comme attrape-mouches.

Nous voilà, cette fois, à la veille d'une autre Shanghai. Celle de 2010 et de son Exposition Universelle. Pendant les JO, Pékin était la vitrine de la Chine pour le monde et est restée opaque. Aux dernières nouvelles du site de La Chine, à Shanghai, on s'y prépare tout azimut.

Que n'a-t-on pas écrit sur la Chine à l'occasion des JO de Pékin? A distance, j'ai tenté de les résumer à l'époque (1), (2), (3). Clichés, caricatures étaient peut-être dans l'exercice.

Puisons quelques articles caractéristiques dans le site qu'un rédacteur français et parti là-bas, m'avait recommandé pour approcher au mieux de la situation et qui s'était chargé d'éclairer notre lanterne sur la Chine. 20090503Tintin Musée.jpg

On chasse le chinglish. « Les traductions en chinglish ternissent l'image des entreprises », estime Zhang Ripei.

L'hotelerie de luxe se presse dans le même temps, mais, elle voit rouge aussi.

Tandis qu'à 1100 euros le mètre carré, la propriété reste un rêve inaccessible.

Une première Gay Pride mais sans défilé.

Le site Taobao fait rêver les apprentis e-commerçants, tandis que la dénonciation des sites pornos rapportent 1000 euros.

Côté insolite:  la jeune mariée bat le record de la plus longue traine.

Les 5200 toilettes publiques sont rénovées.

François Fillon est en visite en Chine du 20 au 22 décembre, pour éteindre ou rallumer la flamme des échanges entre la France et la Chine. La flamme olympique avait eu un passage chaotique au printemps 2008.

Sun Tzu avait écrit "L'art de le la Guerre". Il a été revu par Alastair Iain Jonhston.

Sa stratégie de la guerre a fait son chemin dans les écoles militaires. Le résumé de sa doctrine serait "le meilleur moyen de faire face à une menace pour la sécurité d'un pays est de l'éliminer par le recours de la force pour annihiler au besoin l'adversaire". C'était peut-être une idéologie pour l'époque impériale dans une continuité idéologique. Avec la mondialisation, nous n'en sommes plus là. Détruire l'adversaire serait se détruire soi-même à plus ou moins longue échéance.

Shanghai serait-elle devenue la véritable « Windows 2010 »?

C'est vrai, Windows, même s'il reste propriétaire, est interactif. Ce logiciel a un clavier, un écran et une souris comme outils de transferts d'informations. Le joystick, lui, reste optionnel.Shanghai premières_04.jpg

Les bases d'un développement peuvent, à nouveau, très bien être moins avouables, qu'aucune vitrine ne reprendrait à son actif.

Tout s'embrouille très vite quand les intérêts s'amoncèlent de partout. Drapeaux, chansons et musiques ont toujours servi pour entrainer les patriotismes. Les diktats de toutes sortes et des horizons les plus divers, seront toujours là pour donner les raisons au plus fort avec une force qui n'a pas de patrie.

Espérons seulement que les mémoires ne seront pas éternellement enfumées et perdues dans les habitudes du passé.

Mais c'est pas gagné d'avance, car il y a des incitateurs, des réalisateurs, des consommateurs, des créditeurs et des... débiteurs.

La 44ème Exposition universelle s'est ouverte le 12 décembre à Shanghai.

Now, back to a better future, hoping, for both sides of the world table...

 

L'enfoiré,

 

Sources: les cahiers de Science et Vie,1.jpg

ARTE: Shanghai, Les années folles

Sur Agoravox, des idées de Shanghai

 

Mise à jour de 30 octobre 2010: Pluie de records

 

Citations:

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