Feu vert à Jacques Careuil (17/05/2012)

Une autobiographie rapportent les souvenirs en boîte. Pas uniquement pour celui qui l'écrit. Il les fait remonter à la surface, à ses contemporains. Voici du vécu qui n'est pas trop romancé, ce qui apporte une touche de vérité à cette époque révolue. Le médiatique, Jacques Careuil, a fait partie de notre passé télévisuel, du temps où la télé était en noir et blanc sur un écran bien bombé sur les bords. Une époque, pendant laquelle, les mœurs "déviantes" étaient controversées. Nous n'en sommes plus là, enfin...on le croit.

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Wikipedia dit de lui : Jacques Careuil de son vrai nom, Guido Neulinger est né le 8 août 1935 et est un ancien animateur belge de la RTBF. De 1966 à 1980, il présente avec André Remy les jeux télévisés "Feu vert" et avec Albert Deguelle, "Voulez-vous jouer ?". Il fait ses débuts dans une dramatique enfantine, "Il était un petit navire", diffusée dans l'émission Les "1001 jeudis". En 1964 et 1965, en alternance avec Jacques Mercier, il présente les émissions de soirée du week-end "Entrée libre". En 1995, il anime "L'Énigme du cristal" aux côtés de Sam Touzani. Entre les doublages de films, les pubs radio, les bandes-annonces télé et les services audiotels, il prête également sa voix au personnage de Tintin dans le dessin animé Tintin et le lac aux requins et participe au conseil de direction de la RTBF. Aujourd'hui, retraité, l'homme est surtout connu pour ses prestations d'ingénierie culturelle à Ibiza.

L'histoire de la télévision belge vient à la rescousse à cette entrée en matière. Un véritable carrousel aux souvenirs. Beaucoup d'acteurs ont pris de l'âge ou sont disparus.

Au verso du livre de Jacques, on peut lire: "Qui ne connaît pas les émissions "Feu Vert", "Voulez-vous jouer?"... Jacques Careuil fut l'idole de notre enfance, une des toutes premières vedettes de la télévision, l'animateur de jeux inoubliables des sixties aux années quatre-vingt. A cette époque-là, le rêve était encore unique. Une télévision, un programme, une attente hebdomadaire...".

Rien de plus vrai. Pas d'Internet, pas de téléphone portable, à l'époque. La télé était très nature avec des moyens limités. Personnellement, ce n'est qu'à la fin des années 60 que la télé est entrée à la maison et l'émission de jeu et de variétés "Feu vert" s'adressait, le mercredi, à des jeunes de 7 à 15 ans, âge que j'avais dépassé à l'époque. "Voulez-vous jouer?" m'a laissé plus de souvenirs comme beaucoup de téléspectateurs.

Son livre raconte l'histoire avec l'intimisme et la sensibilité de son auteur. Claude Rappé de RTL a été le détonateur et apporté son aide. Une préface élogieuse de Jacqueline Bir.

Dans son livre, Jacques Careuil ne dénombre pas une mais sept vies qu'il est difficile de résumer sans aller dans certains détails de sa personnalité.

Dès le départ, c'est à Pattaya, qu'il lance son "Krup-Khoun-Krap" (merci) avant de recommencer à débobiner le fil de sa vie.

Sa vie commence avec son père juif, diamantaire anversois et sa mère, une "goy" catholique pratiquante comme on dit dans le milieu. Ce qui veut dire manger casher à la maison et la fréquentation de la synagogue, le samedi. La résultante, le rejet immédiat des grand-parents. L'amour du début dans le couple s'achève après la naissance de Jacques, à Berchem Sainte-Agathe. Inimitié parentale et une tante qui attire le regard du père. Pas beaucoup de souvenirs en commun. Puis quand vient la guerre, il s'agit de se cacher dans une cave. Des souvenirs douloureux de guerre. Sa mère lui donne l'éducation et l'envoie dans une école catholique à l'Institut Notre Dame. Là, le théâtre l'intéresse. Dans le "Malade Imaginaire", son rôle est celui de Toinette, mais, dans ce genre d'école, les jupons sont interdits. Bon élève, la carrière artistique l'attire. Ce sera l'Ancienne Belgique et le théâtre.

L'argent ne coule pas à flot, donc, il faut trouver très vite son chemin.

En 1953, la radio nationale, l'INR (futur RTB, puis RTBF) lui offre une occasion, un rôle à jouer de "mousse".

A cette époque, ce n'est rien que du direct, pas de magnétoscope, pas de prompteur. Cette méthode naturelle l'intéresse.

Ce qui fait que de "Feu vert", il n'y a aucune archive si ce n'est celle enregistrée avec Joe Dassin.  

Du pain, du vin et des jeux, vont devenir ses préoccupations.

Il vit avec Serge Michel du "Théatre des Galeries" pendant 3 ans. Le rôle du prétendant français dans la pièce bruxelloise célèbre "Le Mariage de Mademoiselle Beulemans" fait partie de son répertoire.

Puis, c'est un "feu rouge". Un blocage. Remonter à Paris au départ de Bruxelles, il ne l'envisage pas.

Le feu vert vient avec les émissions cultes pour enfants, appelées justement "Feu vert". Aimer les enfants pour se faire aimer d'eux, devient la source de son succès.

Des vedettes vont défiler dans ses émissions, dans un univers qui reste, néanmoins, superficiel.

Le magnétophone arrive et permet d'enregistrer les émissions à l'avance. C'est pas vraiment sa manière de travailler.

Hergé, lui donne l'occasion d'utiliser sa voix dans une BD. Mais, fait curieux, il ne s'y retrouve pas.

Une certaine Celina lui envoie des lettres. Elle a remarqué qu'il avait une attirance homosexuelle car elle avait les mêmes tendances. Une correspondance naît entre eux et subsiste encore.

Dès 1980, les déceptions arrivent une à une.

L'émission "Voulez-vous jouer" est, pour lui, un calvaire avec Albert Deguelde, totalement opposé à sa manière d'être, qu'il déteste dans le fond de lui. Inimitié cachée et persévérance car elle dure pendant 6 ans.

Il voudrait faire des émissions culturelles, mais quand on est catalogué dans un rôle, difficile de s'en échapper.

Pour lui, il n'y aura que deux présentateurs vedettes toujours au dessus de la mêlée et des malveillances: Jean-Claude Ménessier et Luc Varenne. Deux autres disparus qui ont jalloné notre jeunesse.

Toujours soutenu par le Service Jeunesse, le jeu de la chaise musicale se produit avec son collègue, Gérard Vallet. L'objectif devient d'éjecter Jacques Careuil. Une diffamation va faire l'affaire. Un journaliste du journal "Pourquoi Pas" va s'y atteler: "Jacques Careuil regarde trop les jeunes garçons de ses émissions" !!!

"Je suis homo comme ils disent". Ce n'est pas un secret. Homo, mais pas pédéraste. Il n'a jamais tenté de vivre quoi que ce soit avec une femme. Pas misogyne pour autant. Les femmes restent des amies et pas des femmes à marier. 

Engagé au cachet, la RTBF veut offrir des CDI à ses collaborateurs. Il refuse et quitte la RTB vers d'autres vies.

Un salon de coiffure pour dame, pourquoi pas?

Les disques, la danse vont le passionner. Ce seront Maurice Béjar, Rudolf Nouréev. Des rencontres qui marquent sa vie entre Ingrid Bergman à Christiane Lenain en passant par Annie Cordy. Tout est bon pour rire et faire rire.

Jacques Careuil, c'est surtout une voix très caractéristique, reconnaissable entre toutes, claire, fine. De lui, j'ai retrouvée ce  documentaire, plutôt scientifique, à contre-pied et donc pas vraiment représentative de ce que l'on connait de lui, mais qui est intéressante parc qu'il reflète la différence de technologie de l'époque.

Un vie de voyages commence dans une septième vie.

D'abord, sur l'île d'Ibiza que sa mère à aimer, il va y élever des animaux dans une "finca". Des chèvres pour produire du fromage. Ibiza est un pied-à-terre. Il passe de l'immobilier à l'architecte "de Interiores". Dans les années 80, Ibiza est l'île de toutes les évasions. Actuellement, habitée par des fêtards plagistes en boîte, elle est devenue un débit d'alcool et de drogues pour vacanciers.

Victime de sa belgitude? Il a toujours la même émotion sur la Grand Place, à chaque visite. Mais, les paupiettes que les Belges appellent des "Oiseaux sans tête", commencent à lui peser. La cuisine belge lui manque, parfois, dans ses péripéties de véritable "citoyen du monde". La gastronomie thaï est une des plus sophistiquée au monde et cela compense.

Vont se succéder des allers et retours entre Ibiza et Pattaya, entre Bo Rai et Bruxelles.

Des coups de cœur pour le Laos, le Mékong, l’Égypte, Luang Prabang, le Cambodge, Angor Vat qui lui rappelle le Mexique. La ville de Shanghai lui permet de retrouver le "Lotus Bleu" de Tintin.

Il avoue avoir été conquis par New York et Broadway après y avoir vu la "Cage aux foles" au programme qu'il a aimé. 

Le Vietnam et Bali sont des déceptions, à ses yeux, par manque d'intérêts communs pour le premier, par manque d'amabilité des habitants et la désuétude dans laquelle est tombée les temples pour le second. Le Bhutan, son dernier voyage dans le livre, est le pays extraordinaire où il est obligatoire d'être heureux, où même le tabagisme n'est permis qu'à des endroits très circonspects. Le moyen-âge mais avec des téléphones portables plein les poches.

Il se dit solitaire mais très entouré avec une passion pour tout ce qu'il entreprend.

Le Thaïlandais, Lang, est son nouvel amour. Avec lui, les projets se construisent. Il se sait accepté si pas intégré comme pourrait l'être tout "Farang". L'absence de culpabilité judéo-chrétienne, du péché originel qu'il a bien connu dans sa jeunesse ont fait place à la tolérance implicite en accord avec la mentalité thaïlandaise, sans, pour cela, passer par le bouddhisme. On peut tout y faire et entre autres choses, être heureux. Et, il l'est et le dit à ceux qui veulent l'entendre. Mais, encore une fois, comme le chantait Eddy Mitchel, on n'aime pas les gens heureux.

Nous sommes bien loin de la doctrine chrétienne qui poussée à l'abstinence en arrivent à la pédophilie chez ses représentants du culte. Certains paragraphes sont explicites à ce sujet.

Il y dit, entre autres, je cite: "Qu'il faut être opportuniste des petites choses qui rendent la vie heureuse. Qu'il faut accoster un instant. Peut-être avec une femme, même une pute de Pattaya, mais un être humain, une rencontre avec quelqu'un qui probablement a vécu plus de drames qu'un Européen. C'est, ce dernier, le fautif, s'il faut parler de faute. Il y a toujours un lendemain aux mots de passe. En Thaïlande, rien n'est grave. Peuple débonnaire, sali par beaucoup, mais exemplaire. La noblesse n'est pas dans les taux de change de l'euro, mais dans la générosité et dans cette faculté de vie telle qu'elle est, pauvre ou riche. La prostitution n'est pas une vocation pour les Thaïs, mais une question de survie. Je ne crois ni au ciel ni à l'enfer, mais à une forme d'énergie en moi qui ne disparaitra pas tout à fait à ma mort comme un Thaï qui croit à la réincarnation. Vivre au jour le jour, en attendant, sans prosélytisme en gardant pour chacun la liberté de croire ce qu'il veut."

Il avait décidé d'arrêter à 70 ans ses "activités". Près de 77 ans, aujourd'hui, Cela fait penser à la devise qui entourait les livres de Tintin qui étaient destinés aux lecteurs de 7 à 77 ans et qui le lisent encore plus tard.1.jpg

Ce n'est pas mon habitude d'écrire ce genre de billet ni de faire la promotion d'un livre. Mais ici, il y avait l'envie de présenter un cas aux multiples facettes. Facettes qui se sont enrobées de philosophie. Fataliste, le destin, pour lui, pousse les gens là où, parfois, ils doivent, simplement, être.

Ne pas nuire et vivre heureux en vivant sa vie au mieux, n'est ce pas la meilleure des philosophies? 

Dans ses chapitres, des références à des voyages avec Guy et Pierre dont il oublie les noms. Avoir vécu 23 ans avec Guy, en pleine harmonie, sans aucune perversité, jusqu'à sa mort qui l'a beaucoup affecté, explique cela. Seul les prénoms gardent une importance.

1.jpgIl espère avoir été un petit lutin de consolation.

Que dire comme conclusion?

Un livre bien écrit d'un belge bourlingueur à travers les monde.

Les enfants, Jacques les aime, comme les gens, qui oublient parfois de le lui rendre. Il a fait son deuil d'avoir des enfants de ses propres gènes. Il parle d'une petite cousine avec beaucoup d'amour pur.

Où est la normalité ou l'anormalité? On assume sa vie comme elle est, sans chercher à forcer le destin outre-mesure. Dans ce cas, le "qu'en dira-t-on" n'est pas de mise.

Pas de panique, artiste voyageur, les mentalités changent. L'homosexualité, l'homophobie entre en pleine actualité par plusieurs voies. L'humour a changé. On n'en parle plus comme d'une "Cage aux folles". Laurence Bibot avait un Café Serré, très chaud sur le sujet, la semaine dernière. Ce jour est, en plus, la "Journée internationale contre l'homophobie".0.jpg

Un interview très récente de lui, avec des anecdotes et l'humour toujours présent.

Samedi dernier, c'était la Belgian Gay Pride et il y a eu 50.000 participants. La journée se partageait avec la fête à l'Europe pour dissiper tous malentendus éventuels.

Tout cela, ici, en quelques photos, prises le matin.

Comme Jacques n'aime pas le mot "FIN", je terminerai, comme lui, dans son livre.

Ce sera donc au revoir, hasta la vista, good bye et Sawâsdee krap...

 

L'enfoiré,

 

Citations:

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