La philosophie, l'outil du sens (17/01/2013)
Sophie Chassat avait écrit un livret "Découvrez avec Kant les vertus de l'hypocrisie" dans lequel, elle parlait de 50 paradoxes parfois loufoques de philosophes
Parler des différences facettes de la philosophie de manière exhaustive et chronologique passe par l'art de vivre au travers des philosophes de l'histoire (1) et (2). L'erreur serait de penser que l'histoire se répète et que le passé serait plus que des références.
Ici, l'auteur mélange les vertus de l'hypocrisie, la profondeur du superficiel, le caractère ordonné du désordre, le sens de l'absurde, l'aspect savant de l'ignorance, le côté positif du négatif, du potentiel philosophique de la gym.
L'hypocrisie est l'attitude morale par laquelle on exprime des sentiments, des opinions que l'on n'a pas ou que l'on n'approuve pas. En fait, sans parfois s'en rendre compte, elle suit une stratégie secrète bien personnelle.
Le Tartuffe de Molière en serait le symbole par la voie du mensonge. L'utilitarisme et la stratégie sociale, son pardon.
En cette période troublée par des crises multiples, en perte de valeurs, les philosophes sont plus écoutés pour tenter d'expliquer aux autres, ce que peut être l'art de vivre en société.
Les philosophies du passé, s'ils servent de bases et de garde-fous, doivent subir quelques adaptations pour être transposées dans notre modernité de technologies et de compétitions multiples.
Ces idées, réunies, mélangées, choisies indépendamment de leurs auteurs, elles sont misent en exergue:
- Faire le procès de l'hypocrisie, ce serait la même chose que de considérer que les spectateurs d'une pièce ne savent pas qu'ils sont au théâtre. De la contrainte extérieure émerge l'obligation intérieure à faire des salamalecs qui cachent des tartuferies. La douceur est le tempérament qui caractérise au mieux la sensibilité démocratique, mais, pervers, il conduit à l'amollissement des âmes.
- Le ballet social n'aime pas les danseurs qui se prennent les pieds dans la robe de leur partenaire et en rire est une affaire très sérieuse qui sanctionne un comportement social inadéquat sans pour cela franchir la limite qui sépare le compromis de la compromission.
- L'orgueil, le luxe, la dépravation, la malhonnêteté sont le ressort de l'opulence générale et du bien public.
- Entre la valeur et la réalité, il y a toute la distance qui sépare ce qui doit être de ce qui est. Le désaccord, l'objection, la contestation, le conflit, la discordance comme figures de l'opposition sont nécessaires pour la formulation d'une idée valable.
- Des gens qui énumèrent des vérités peuvent être d'une bêtise crasse: il suffit qu'ils y adhèrent sans les interroger. L'antidote est l'humilité avec une force d'étonnement iconoclaste. Aucune affirmation pour si solidement étayée qu'elles se présente, n'a une force irrésistible.
- A côté de la pensée savante, domestiquée, la pensée sauvage est tout aussi légitime et logique. Le plus insignifiant, le plus littéralement ignoble, rebut ou résidu prend un sens. Si votre interlocuteur n'a pas droit à la vérité, vous n'avez aucun devoir de vérité à son égard.
- Dans toute attirance, il y a le sujet, l'objet et le modèle. L'autre n'est jamais aimé pour lui-même, mais pour ce qu'il apporte comme plaisir ou utilité, comme un prétexte à une forme sublimée de narcissisme. Quand les agréments ou les intérêts disparaissent, la belle amitié peut s'évanouir.
- Le langage est inapte à exprimer la subtilité d'une idée en caricaturant le réel dans le conventionnel et l'utilitaire.
- Le désordre est simplement l'ordre que nous ne cherchons pas. Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu'ils en ont.
- L'inquiétude est l'aiguillon qui maintient notre désir en état d'éveil. Ce qui est faux pour l'entendement peut être vrai sous des aspects perceptifs, symboliques.
- Ne pas vouloir la vérité contre la vie et être soi-même, l'artisan de la forme que l'on veut donner au monde est une révolte qui est, en même temps, un refus et une proposition. Décider de quelque chose, c'est toujours trancher sans pouvoir savoir si l'on a bien choisi. Défendre l'idée que le travail est une nécessité mais refuser qu'il soit une valeur.
- Le don n'est jamais réductible à un geste unilatéral. Derrière l'apparente générosité du présent, c'est en fait toujours une lutte de prestige qui se joue.
- Au creux du vide nourricier qu'est l'ennui, c'est l'exigence de donner un sens libre à notre existence qui nous est révélée. Pour réellement changer les choses, la solution n'est pas de prendre le contre-pied du problème, mais changer sa manière de penser le changement en sortant de son cadre.
- Il ne suffit pas de dire que la liberté s'éprouve pour la prouver. L'homme n'amasse pas plus mousse que pierre qui roule. La philosophie existentialiste nous apprend à ne pas distribuer de bons ou de mauvais points au nom de la liberté. Une action peut avoir des effets imprévus et non voulus par les intentions premières. Il ne suffit pas de dire que la liberté s'éprouve pour la prouver.
- La résistance est locale et ponctuelle dans des actions singulières plus que dans des groupements organisés. N'obéir à un chef qu'en ayant opiné auparavant de son propre chef.
- L'écriture produira l'oubli dans l'âme de ceux qui l'auront appris, parce qu'ils cesseront d'exercer leur mémoire.
- A trop valoriser la mémoire, on en oublie son côté mortifère. L'oubli dégage de nouveaux horizons et accorde d'écrire de nouvelles histoires.
- Se garder de tout esprit de sérieux, c'est comment écrire et lire de la philosophie. Son parfum est autre chose qu'une odeur de sainteté. L'avantage avec la philosophie, c'est qu'elle donne parfois à penser des problèmes que la vie se charge de résoudre.
Si Laurent Baffy parle de la vie comme "une période aléatoire entre le néant à le néant", il s'agit de s'inquiéter du processus à remplir entre les deux.
On est tenté de catégoriser les gens pour les insérer, au besoin, dans des statistiques pour les modéliser.
Cela aboutit, souvent, dans le caricatural et les clichés.
Avec l'allongement de la vie en ces temps bénis par la médecine, elle arrive à se diviser en quatre phases que l'on appelle pudiquement et, parfois, artificiellement "âges".
Le premier âge suivrait, selon une formulation générale, une formation intellectuelle ou manuelle pendant laquelle on sent que vu les difficultés, le jeune boit, progressivement, la "tasse".
Au cours du second âge, l'adulte se devrait de justifier la rentabilité apprise dans sa jeunesse, actif, parfois radioactif, en creusant un sillon dans une carrière entre collègues où règnerait l'esprit d'équipe, assurer une suite par sa lignée et rester, en définitive, "à la masse".
Au troisième âge, lors d'une retraite (semi-assurée), l'adulte senior s'impatienterait d'y récupérer ses acquis, tout en étant poussé "à la casse".
Plus personne ne se reconnait dans le jeu de quilles. L'Alzheimer, réel ou fictif, devient général de la part des deux premiers âges.
Le dernier âge, lui, préparerait au repos éternel en laissant les dernières traces et en "vidant la tasse".
La boucle serait, ainsi, bouclée avec des cycles parallèles dans une sorte de course relais sans fin.
La vie active se perdait dans des convenances et des relations d'affaires.
Dès le troisième âge, c'est devenir un "has been" pour l'un, un "éléphant" pour l'autre. Ce ne serait pas un vrai problème s'il s'intégrait dans l'intérêt général et le respect des particuliers en restant aimé par ses contemporains, en gardant la santé pour ne pas tomber trop vite dans la dépendance.
Ce sont des vœux pieux et, parfois, terminer en espoir déçu dans l'ignorance de ses semblables de nos civilisations dites modernes, fonctionnelles qui, hypocritement, égoïstement, ne s'intéressent qu'au chacun pour soi.
L'argent et le pouvoir, restent, dans cette modernité, les seuls dérivatifs chez les "nominés" pour se payer une virginité. "A cash city", tout reste possible.
Pourtant, à tous les âges, il s'agit toujours d'exister, d'une envie d'exercer une activité, d'utiliser les expériences, de partager son vécu et sa vision dans l'actualité avec ses contemporains.
Pour l'individu, préparer sa sortie par la porte de service ou par celle des artistes, rend la retraite parfois difficile. Les anciens liens s'étiolent puisque les attaches professionnels n'existent plus.
Plus la perception du temps s'allonge, plus l'espace se réduit, c'est une règle de la physique.
S'instruire mutuellement devient le moyen de reconnaissance et le cri de ralliement.
L'écrivaine, Yasmina Reza met en scène des personnages contemporains, dont elles reflètent les défauts et le ridicule. La semaine dernière, questionnée au sujet de son dernier livre "Heureux les heureux", elle répondait: "J'aimerais toujours me sentir en devenir. La méditation mélancolique, la mort, les réflexions cocasses sur le couple font partie de mes livres. Le sentiment de ratage m'attire. La défaite m'intéresse surtout avec l'habit de la victoire, même, mêlé de secrets et de mensonges, dans une ontologie entre la naissance et la mort. Je déments être cruelle ou ironique avec mes personnages. Ils sont en totale symbiose, en totale empathie avec moi. Aucune émotion forte n'est d'une seule couleur. Douloureusement heureux, on a toujours quelque chose qui rappelle sa place et son prix dans le cours du temps. La brise qui disperse nos cendres n'est-elle pas le détail le plus important de notre destin?".
Internet a permis un transfert d'informations de génération en génération. Les contacts inter-générationnels se croisent, s'entrechoquent et les masques y tombent sous le couvert de pseudos.
Aucune recherche à fidéliser ces rencontres virtuelles, à priori.
Une fois sur la Toile, les vrais et les faux amis se côtoient alors que, souvent, seul des interlocuteurs plus ou moins valables avec des idées originales suffiraient.
La virtualité d'Internet au travers des réseaux sociaux est un "subset" de la vie réelle. Les philosophes étudient, depuis, ce milieu avec beaucoup d'intérêt.
Et pour cause, dans un tel environnement, pas question de jouer au Monsieur Loyal et de croire que les autres sont des clowns, à vouloir faire rire les enfants.
Monsieur Loyal ressemblerait-il à Manuel?
"Ne joues pas avec les autres. La roue tourne... Aujourd'hui, tu joues. Demain, tu seras le jouet".
C'est clair, l'homme est un être grégaire qui aime se sentir "normal" dans une virilité sociale.
La grande manifestation de dimanche en France posait la question du pluralisme et de la diversité en pointant les "autres d'anormaux" par les "dits-normaux". Excès de pruderie, de bigoterie, de religiosité, de soi-disant normalité?
Un philosophe répondait: "La famille est, à l'évidence, une cellule importante de la vie en société: simplement il n'y a plus, aujourd'hui, un seul modèle familial, mais une pluralité. Le vrai problème est donc ailleurs: il est dans la difficulté d'imaginer que lorsque, l'on ajoute des droits à des droits existants, une telle levée de bouclier soit possible. Ceci s'explique en grande partie par le fait que la France a, en matière de pluralité, une difficulté historique. Dans ce pays, domine une culture politique très homogène, qui estime que, lorsqu'un principe est édicté, lorsqu'un choix public est effectué, il doit nécessairement concerner la majorité, voire la totalité du corps social. C'est regrettable, car cela a pour effet de tendre très fortement le débat.".
Qu'est-ce que la normalité? Où se situe-t-elle?
Jeune, à boire la tasse?
Adulte, à travailler en se mêlant à la masse?
Pour, en finale, se retrouver à la casse?
Ou plutôt se rendre compte qu'il y a des bons et des mauvais élèves, comme le faisait, avec beaucoup d'humour, ce matin, à la radio, Thomas Gunzig dans un café serré dont il a le secret quand il ne sent pas bien:
Bruno Coppens parlait des philosophes avec un humour grinçant:
On le rappelait hier encore, il y aura toujours des mafieux qu'il faudra contrôler et limiter dans leurs actions. Jouer aux gendarmes et aux voleurs à tous les âges et parfois trouver des ripoux.
Pas de saints sur cette planète. "Nous irons tous au paradis".
Le tout est de s’aguerrir, d'apprendre à reconnaître 'qui est qui' dans ce grand jeu de quilles et de réagir en conséquence.
Alain Baschung qui a eu des débuts très difficiles, son oeuvre s'est retrouvée à titre posthume.
Figurez-vous qu'il chantait "Il voyage en solitaire", sur des paroles de Gérard Manset:
Il voyage en solitaire
Et nul ne l'oblige à se taire.
Il chante la terre.
Il chante la terre
Et c'est une vie sans mystère
Qui se passe de commentaires.
Pendant des journées entières,
Il chante la terre.
Mais il est seul.
Un jour,
L'amour
L'a quitté, s'en est allé
Faire un tour de l'autre côté
D'une ville où y'avait pas de place
Pour se garer.
Il voyage en solitaire
Et nul ne l'oblige à se taire.
Il sait ce qu'il a à faire.
Il chante la terre.
Il reste le seul volontaire
Et, puisqu'il n'a plus rien à faire,
Plus fort qu'une armée entière,
Il chante la terre
Mais il est seul.
Un jour,
L'amour
L'a quitté, s'en est allé
Faire un tour de l'autre côté
D'une ville où y'avait pas de place
Pour se garer
Et voilà le miracle en somme,
C'est lorsque sa chanson est bonne,
Car c'est pour la joie qu'elle lui donne
Qu'il chante la terre.
Alors, restons philosophes et respectueux de la vie dans toutes ses formes même en "stand alone".
L'enfoiré,
Mais, la philosophie peut-être très sophiste "Ce texte philosophique n’est pas pour Onfray ni BHL ; mais est-il pour vous ?
Citations:
- « Une philosophie meurt nécessairement avec son philosophe... Une philosophie qui reste devient une religion. », Pierre Michel Duffieux
- « L’hypocrisie est seulement un hommage à l’intérêt. », Eduard Douwes Dekke
- « Mourir puis revenir, ce n'est pas une bonne expérience », Jean Bourgeois
- « Oh, quelle inextricable toile nous tissons, lorsque nous commençons à nous exercer au mensonge. », Sir Walter Scott
Commentaires
Le sujet du livret de Sophie Chassat
« Mentir, c’est mal » ; « Les apparences ne comptent pas ! » ; « La gourmandise est un vilain défaut ! » ; « Glander est un péché »… Et si la société tout entière avait tort dans les reproches qu’ils nous font et dans les ordres qu’ils nous donnent ?! Et si les philosophes nous encourageaient à faire ce qu’on nous a toujours interdit ?
Dans ce livre, Sophie Chassat balaie les clichés et autres idées reçues moralisatrices qui courent les rues, nous envahissent et nous rendent la vie parfois bien désagréable. Grâce aux plus grands philosophes, nous allons pouvoir justifier de nos actes les plus vils ou plus simplement faire ce que l’on veut comme on l’entend.
Etre hypocrite, se soucier de son apparence physique, ne penser qu’à soi, ne pas payer ses impôts, mentir, tout cela devient légitime avec Bergson, Nietzsche, Foucault, H.D. Thoreau, Socrate ou encore Kant !
Plus de 50 idées développées avec humour, malice et légèreté – de la moralité de l’adultère à l’intérêt de l’inutile en passant par les bienfaits de l’hypocrisie –, ce livre est à mettre entre toutes les mains.Ancienne élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm et agrégée de philosophie, Sophie Chassat a enseigné 7 ans la philosophie au lycée et à l'Université. Elle intervient désormais en entreprise comme consultante philosophe indépendante (Vuitton, Canal +). Elle a été plusieurs fois productrice pour France Culture et deux de ses ouvrages sont en préparation aux éditions l’Express.
Écrit par : L'enfoiré | 17/01/2013
Ne vous laissez plus manipuler !
Parents, conjoint, amis, collègues se livrent souvent au chantage affectif : ils sèment en nous le doute et le malaise, et minent l’image que nous avons de nous-mêmes. Et vous, ça ne vous arrive jamais d’en faire autant ?
Conclusion de l'article: Refuser la manipulation, c’est accepter de passer pour une « mauvaise fille », un « mari égoïste », un « collègue difficile ». Donc renoncer à une image idéale de soi. Vous y parviendrez en prenant conscience de votre valeur. Et cela se travaille. Vous deviendrez peut-être moins « aimable » aux yeux du manipulateur, mais, en vous libérant de ce regard extérieur, vous gagnerez un bien précieux : votre liberté.
http://www.psychologies.com/Moi/Moi-et-les-autres/Relationnel/Articles-et-Dossiers/Ne-vous-laissez-plus-manipuler
Écrit par : L'enfoiré | 17/01/2013
Philosophie selon Nietzche mise en pratique
http://www.rtbf.be/video/detail_le-cafe-serre-de-bert-kruismans-28-1-13?id=1794695
Écrit par : L'enfoiré | 28/01/2013
Marcel Proust, cent ans à rechercher le temps perdu
« La Recherche du temps perdu » a été mis en vente il y a exactement 100 ans. On ne lit pas Proust; on le relit. Même si on ne l’a jamais ouvert.
Le titre choisi ce matin n’est pas de nous. Beau, très beau, il nous a été suggéré par 7Dias.com.do: «Un siglo buscando el tiempo perdido de Proust». Un site de… République dominicaine! C’est dire le rayonnement du monsieur, l’auteur «mythique» d’A La Recherche du temps perdu, dont le premier tome, édité chez Bernard Grasset – cette «Monumental entrance to the cathedral of Marcel Proust», selon The Australian – a été mis en vente il y a exactement 100 ans, le 14 novembre 1913.
Au final, le roman sera beaucoup plus long que tout ce que Proust avait cru. Et un siècle après, «cet automne 2013 est très proustien», lit-on sur le site Actualitté: «On peut peut-être railler un peu cette proustomanie éditoriale. Mais par rapport à des personnalités qui font réellement le buzz (par exemple Nabilla), soyons réalistes, cette proustomanie reste très confidentielle. Ce n’est pas Charlus et Swann qui font vendre du Coca-Cola ou des corn flakes.» Même si elle irrigue un fleuve de publications auxquelles le New York Times consacre un article très documenté: «More to Remember Than Just the Madeleine.» Ah, le titre, le titre!
De la fortune du pyjama
Une boisson au cola, non, mais de la mode? Peut-être! «Est-ce un besoin de cocooning issu de la crise? s’interrogent Les Echos. Pyjama et consorts sortent – timidement – du lit. On aimerait le croire, on n’ose l’espérer: l’œuvre de Marcel Proust irrigue sans doute moins qu’on ne le souhaiterait le vocabulaire de mode de la création contemporaine. Demeure que, chez Dries Van Noten ou Alexander McQueen, en passant par Kris Van Assche, on retrouve un soupçon d’esprit boudoir, un air de confort à ne pas sortir de sa chambre, entre manteaux longs aux allures de robes de chambre et ensemble sweats appelant sinon la lecture in extenso des vicissitudes du cœur du petit Marcel, du moins le canapé, le feu de bois, en un mot, l’hibernation.»
Reste que cet événement littéraire-là, «à quelques mois de la Grande Guerre, c’est un peu comme si la modernité, à Paris, frappait à grands coups à la porte du siècle», écrit avec extase Le Devoir de Montréal. «Au cours de cette année charnière, Marcel Proust a 42 ans. Il traverse, comme d’habitude, des complications sentimentales et vient d’essuyer des pertes à la Bourse, où il s’amuse à spéculer après avoir hérité d’une petite fortune à la mort de sa mère en 1905. Il sort aussi de moins en moins, conséquence à la fois d’une santé fragile et des exigences du gros roman auquel il s’est harnaché, l’œuvre de toute sa vie.»
Le remords de Gide
Et puis, «pour publier Du Côté de chez Swann, son gros manuscrit dactylographié qui enfle au gré des corrections, refusé par tout le monde – notamment par Gallimard et la NRF sur les conseils d’André Gide […] – Proust doit finalement se résoudre à mettre la main à sa poche.» Le symphoniste pastoral reconnaîtra d’ailleurs plus tard que ce fut là «la plus grave erreur commise par la NRF», rappelle El País.
D’ailleurs, dans Le Temps daté du 13 novembre 1913, relève le blog «Le journal d’un lecteur», «paraît un entretien avec Marcel Proust (la veille, en fait, car le quotidien est publié l’après-midi et daté du lendemain). Le brouillon au moins partiel des réponses de Marcel Proust se trouve dans le deuxième volume de Fragments d’œuvres et correspondance conservé» à la Bibliothèque nationale de France et consultable sur le site Gallica. Mais «comme le font remarquer de nombreux commentateurs, la spontanéité n’est pas la caractéristique principale de cet article d’Elie-Joseph Bois. Il est souvent cité, mais rarement donné dans son intégralité.»
«On ne lit pas Proust; on le relit»
Pour Antoine Compagnon, professeur au Collège de France qui s’exprime, lui, du haut de sa chaire de littérature française moderne et contemporaine, «le roman de Proust est devenu un classique; son titre est inscrit dans le marbre; sa première phrase, reproduite sur des tee-shirts et des écrans de montre, est familière aux enfants des écoles. On ne lit pas Proust; on le relit. Même si on ne l’a jamais ouvert. Le livre s’impose à nous; il a l’air nécessaire, solide. Nous ne nous rendons plus compte ni de sa contingence – les corrections incessantes de Proust ont exigé jusqu’à cinq séries d’épreuves – ni du choc qu’il produisit sur ses premiers lecteurs.»
On lit cela dans Le Huffington Post qui, ce petit malin, propose aussi un article qui donne «quatre moyens de faire croire que vous avez lu Proust». Plutôt drôle, à l’instar de ce conseil potache: «Interrogez votre conjoint(e) avant de lâcher un résonnant: Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre!»
La mutilation!
Car c’est toujours bien de savoir qu’avec «Swann», on a affaire aux fondations de cet immense roman «que l’on abrège hélas en Recherche du temps perdu, voire en Recherche», regrette l’auteur du blog off-shore.hautetfort.com: «Simplification qui tourne à la mutilation tant le «à» est essentiel pour aborder la geste proustienne. Ce n’est pas un état qu’expose l’écrivain – et incidemment le narrateur qui lui sert de relais – mais un travail, une forme en devenir. Le «à» porte sur lui la tension, le désir-vers, sans lesquels on passerait à côté» de cette grande originalité de l’écrivain auquel CLUM, la revue littéraire de l’Université de Montral, consacre un important dossier.
Pourtant, «Proust est-il vraiment si moderne qu’on le crie partout, avec son fétichisme du terroir et de l’origine?» se demande Le Nouvel Observateur, non sans provocation à l’égard de celui qu’il considère comme un réactionnaire: «Le narrateur de Proust ne bande pas pour la Femme désancrée, abstraite, sans attaches, fantôme sans feu ni lieu; il s’enflamme pour l’indigène, la paysanne […] dans son village, dans son pays. Pâmoison dans le sillon.»
«Essentialisme fripouille»
Et de poursuivre, non sans lyrisme, cette fois: «Son essentialisme fripouille a pour nous l’attrait de l’interdit. Qui a grandi dans la modernité ne trouve-t-il pas dans la tradition le charme de la transgression, le vertige du Nouveau, le cool de l’Inconnu? Rossignol de l’immuable, du sang et de la glèbe, Proust, par ses trilles, par ses psaumes, hypnotise, ligote, séquestre le nomade contemporain, ce touriste las de tourner en rond. C’est le côté Barrès de Proust. Le premier fait l’éloge politique du «racinement»; plus qu’un plaisir esthétique, le second en fait une jouissance aphrodisiaque – comme une orgie d’outre-tombe.»
Voilà pour le cérébral. Mais il y a du sensible aussi. En allemand, même. «Lange Zeit bin ich früh schlafen gegangen»: la Neue Zürcher Zeitung évoque la première phrase du roman dans une tentative, infructueuse, de se mettre en recherche d’un Proust allemand: «Auf der Suche nach einem deutschen Proust», titre-t-elle. De ce type qui aurait un clone quelque part? Jean-Yves Tadié, en grand spécialiste de la Sorbonne, évoque l’œuvre et sa réception pour La Croix et explique le caractère unique de cette écriture romanesque, en répondant à la question: «On dit parfois d’un style qu’il est «proustien», souvent de manière abusive ou parce que les phrases sont longues. Que signifie vraiment un style «proustien»?»
Pour lui, «cela ne veut pas dire grand-chose […]. Pour que la phrase soit «proustienne», il faut qu’elle soit construite à la manière latine, c’est-à-dire structurée, qu’elle comporte des images poétiques, des éléments comiques et des éléments de connaissance. Y parvenir n’est pas aisé. La longueur des phrases n’a rien à voir avec le style proustien. On trouve chez lui de très belles phrases courtes, dont certaines ressemblent à des maximes du XVIIe siècle.»
Des phrases sans doute encore très utiles pour le XXIe.
http://www.lesoir.be/360910/article/culture/livres/2013-11-14/marcel-proust-cent-ans-rechercher-temps-perdu
Écrit par : L'enfoiré | 14/11/2013
Bruno Coppens parlait du philosophe avec l'humour qui le caractérise
http://www.rtbf.be/lapremiere/emissions_matin-premiere/nos-rubriques/cafe-serre/article_bruno-coppens-le-cafe-serre?id=9069808&programId=60
Écrit par : L'enfoiré | 03/09/2015