Journal d'un cancer du sein vu par l'autre bout (2-4) (16/09/2013)

Acte 1: 2012: une fin d'année de tous les dangers?

 

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2012, on le disait sur tous les tons, une année à risques.

Certains annonçaient la fin du monde le 22 décembre de cette année. Il n'en fut rien.

Une année que les médias estimaient être de transition. Je l'avais reflété à l'époque.

La transition, elle eut lieu de manière plus insolite, plus inattendue, plus intime pour mon épouse et par ricochet, pour moi-même.

Ce ne furent ni les 65 ans que l'on fêtait cette année, ni les 40 ans de mariage qui avaient donné l'illusion de calme et de recueillement pour stigmatiser l'événement des souvenirs. Rien ne présageait notre fin de cette année.

Mardi 20 novembre : A la base, une visite de routine chez le gynécologue pour fixer la date de la mammographie suivante pour mon épouse. Son sein gauche, toujours surveillé de près. Des kystes calcaires y apportaient parfois un peu de douleur mais cela n'avait occasionné aucun danger potentiel. Des "masses spiculées" comme on dit dans le jargon médicale.

Un gynécologue, tout neuf. Le précédent avait pris sa retraite. Il découvre une grosseur dans le sein droit. Un rendez-vous est pris, immédiatement, chez une sénologue. Lors d'un de ses interviews, celle-ci parlait du dépistage qu'il fallait prévoir avant cinquante ans. Mais le dépistage est remis en question. Un conseil qui avait été observé depuis cette époque. Trois jours d'attente, trois jours d'inquiétude. Le suspense commençait...

La ménopause de mon épouse avait été contrée par divers médicaments hormonaux, depuis près de 15 ans. Ceux-ci étaient sensés agir pour éviter les effets primaires de sudations de la ménopause et secondairement pour mieux appréhender la vie. A y réfléchir, ces médicaments la shootaient, la dopaient. Comme pour le coureur cycliste en danseuse sur son vélo, ce dopage lui permettrait d'atteindre la dernière ligne droite du Mont Ventoux avec un minimum de fatigue apparente, mais, quelque part, toujours en porte-à-faux... Quatre ou cinq heures de sommeil lui suffisaient.

Le dernier médicament en date de la sorte : le Climen.

Vendredi 23, 08:00: Chez la sénologue, dans la salle d'attente, l'hystéroscopie du sein, une ponction en vue d'établir une biopsie. L'occasion pour moi, de voir un véritable défilé de dames jeunes ou plus âgées dans la salle d'attente. J'espère secrètement que toutes n'ont que des visites planifiées normalement pour se rassurer et rien de plus.

La sénologue m'appelle dans son bureau, enfin, pour dire ces mots tragiques "Ce n'est pas bon". Sa voix est douce mais ses paroles ne sont pas tendres. Elle poursuit par "Il faudra extraire cette grosseur. Il faut attendre les analyses de la biopsie pour déterminer quelles suites à donner".

Le choc. Mon épouse est en pleurs. Moi qui n'en mène pas beaucoup plus large avec une boule dans la gorge tout en tentant de minimiser maladroitement cette annonce.

Un weekend à attendre dans l'angoisse pour obtenir les résultats de l'analyse.

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Lundi 26, 16:00 : Coup de fil du gynéco. Une discussion entre médecins a déjà eu lieu. Une extraction de la tumeur cancéreuse devrait intervenir après une chimio pour réduire les effets de la grosseur. Pour plus d'assurance, il propose de passer à l'examen IRM.

La nuit, on pleure une première fois, ensemble. La peur s'insinue dans nos habitudes. La chimio, on ignore un peu tout d'elle. Les mots de "traitement dévastateur" me viennent à l'esprit. Prononcés devant notre médecin traitant, ils n'ont pas l'air de lui plaire lors d'une visite. Rien n'est encore clair, bien établi. L'IRM devait clarifier ou noircir, encore plus, le tableau.

Vendredi 30, 16:30 : IRM, à l'Institut Bordet de Bruxelles, spécialisé dans les tumeurs cancéreuses. L'examen est pratiqué par les opérateurs. Ils ne donnent aucun commentaire. Sont-ils capables ou non de donner un diagnostic préliminaire ? Probablement, mais trop partiel.

Un nouveau weekend à passer dans l'angoisse totale.

Il me faut trouver un coach. Quelqu'un qui connaît, qui est passé par là... Une voisine me vient à l'esprit. Elle a connu cette épreuve, il y a trois ans. Je l'appelle pour un quart d'heure. Ce quart d'heure se poursuivra pendant deux heures à tenter de rassurer la nouvelle victime du cancer.

Mardi 4 décembre, 15:30 : Nouvelle visite chez le gynéco. Catastrophe, un deuxième nodule cancéreux a été découvert par l'IRM. La mammographie ne l'avait pas détecté. Nouveau rendez-vous fixé chez la sénologue.

"En réunissant la théorie et la pratique, rien ne fonctionne et personne ne sait pourquoi", constatait Einstein dans un autre espace-temps et sur un autre sujet..

Vendredi 7, 08:00 : Il neige. Pour être sûr d'arriver à temps, départ bien avant l'heure. Attente dans le hall d'entrée de l'hôtel tout proche. Deuxième ponction douloureuse à l'aide du pistolet à pression pour viser le point névralgique. J'y assiste. Echographie Pour déterminer comment orienter ce pistolet. Des sourires pour dédramatiser l'atmosphère.

Nouvelle biopsie et nouvelle attente anxieuse pendant un autre weekend.

Mardi 10: Les mauvaises nouvelles continuent. Le pire empire. L'examen est dit positif. Drôle de mot "positif" en l'occurrence. Le cancer du sein est dit « invasif » puisque quatre ganglions sont atteints.

Mon épouse est effondrée. Je ne m'y habitue pas, mais j'assume.

Le scénario, envisagé au départ, change complètement. L'ablation du sein, la mastectomie est préconisée. Un nom barbare dont j'ignorais jusqu'au nom.

Une entrée à la clinique d'Ixelles est fixée.

La question nous hante. Quelle peut être la cause ? Une cause, il y en a toujours une. Est-ce un problème de génétique, de transmission de cette maladie par les parents?

Non, pas d'antécédents. Le début d'une nouvelle chaîne? Le chaînon manquant que l'imprimante 3D de la nature va reproduire, en test, bêtement, sans se poser la question si c'est bien ou mal?

Les médicaments hormonaux pour la contrer la ménopause reviennent à l'esprit. Miracle comme l'eau de Jouvence, dernières merveilles de la pharmacopée... Là, on entre en "terra incognita" que personne n'aime remettre sur la sellette.

"Non, les médicaments hormonaux contre la ménopause ne sont pas forcément en cause" est-il répondu à ma question par les médecins. Mes soupçons restent pourtant entiers. Ces médicaments ne vont-ils pas contrer la nature, en agissant contre la dégénérescence sexuelle avec le pouvoir d’effacer les bouffées de chaleurs. A l'actif, les effets positifs plus importants que les risques à mettre au passif. Une affaire de comptables que personne ne semble vouloir pointer comme coupable potentiel. Les statistiques sont là pour leur donner raison et la confirmation du choix d'une telle médication. Pas question de rester sur ce point d'interrogation litigieux. « Notre vie actuelle recouvre sans pouvoir l'effacer notre vie passée, qui lui sert de soutien et de secrète assise », écrivait dans une lointain passé, Jean-Marie Guyau. Remonter en arrière ne se fait pas quand la flèche du temps l'a décidé ainsi.

Comme Quino, je resterai un tantinet humoristique en reprenant ses paroles "J'ai décidé d'affronter la réalité. Alors dès qu'elle se présente bien, prévenez-moi".

Désormais, il faut parer au plus pressé, au côté pratique: Beaucoup de temps depuis la découverte. Il faut aller dans le détail, l'hospitalisation et préparer l'opération. Apprendre comment tout se passe à la maison, l'intendance, la lessive et le reste qui m'était resté très « parallèle ». Prendre notes des renseignements donnés par l'experte. Enregistrer les explications en vidéo si nécessaire. Pour les repas, il y a le resto à proximité.

Jeudi 13: La veille de l'opération, l'admission à la clinique. Hôtel "trois étoiles", en théorie, vu le prix de la chambre. En soirée, visite du chirurgien et du gynécologue pour rassurer la "victime" du lendemain. Tout pour essayer de montrer l'opération sous les meilleurs auspices. Le soir, il me faut quitter après des embrassades qui ne se terminent que difficilement.

Vendredi 14, 08:30: L'ablation du sein doit avoir commencé pendant que je m'organise à la maison. Sans les habitudes d'usage, c'est le jeu de l'apprenti sorcier. Le resto de la grande surface, ce sera chaque midi. Passer à la clinique le reste de la journée. Le soir, visite dans le frigo, puisque tout y a été stocké avant l'opération.

Le weekend, rien ne se passe à part, un kiné qui a fait très mal à mon épouse. Cela ne frise pas l'euphorie dans la chaumière aux murs blancs. Les drains font affreusement souffrir. Se laver, seule, avec l'armada de fils à tirer comme le boulet au pied du condamné, c'est pas coton.

Les jours suivants ne se départiront pas de cette impression négative. La télé pour faire passer le temps quand tout est dit avec les feuilletons qui meublent les heures de l'après-midi, c'est déjà mieux que de parler toujours de la même chose.

Mardi 18: Le matin, surprise. Le retour dans les pénates est planifié pour l'après-midi. Toutes les instructions pour "at home" sont écrites sur des feuilles pré-imprimées. C'est dire que le scénario est rodé et qu'il n'est pas question de commencer des entourloupes de mauvais aloi. On ne parle pas de l'amour en boîte qu'il faudra fournir pour soulager le patient. Faire appel à un autre kiné pour continuer la remise en forme et articuler le bras endolori, je sens que cela ne va pas être de la tarte vu les essais infructueux.

Lundi 31: Pour le dernier jour de l'année, visite chez l'oncologue. On aurait pu s'attendre à autre chose de plus festif pour le dernier jour de l'année. Une visite pendant laquelle tout est expliqué dans les règles de l'art "chimio-éthique", étiqueté comme le nec plus ultra. Le scénario est tellement connu qu'il est écrit sur une feuille, étape après étape, mais à la main pour faire plus vrai, plus particulier. Chaque cas est différent et chaque patiente est différente, est-il rappelé. Cela rassure presque. Nous ne sommes pas des numéros, mais des humains en détresse. L'oncologue, aidée par l'infirmière de contact, tentent de rassurer en affirmant en chœur "nous sommes un cas unique". Mon vocabulaire et mes connaissances risquent de s'étendre, de s'imprégner dans ce terreau.

Le programme est pourtant variable en intensité.

Il contient 3 FEC et 3 TAXO. Des noms que je vais m'empresser de chercher sur Internet en rentrant. Six séances successives, distancées chacune de trois semaines.

0.jpgEffets secondaires garantis ou seulement potentiels: perte de cheveux (l'alopécie), fatigue, aphtes et nausées, au programme. Un avertissement, si la fièvre vient à monter au dessus de 38°C, ce n'est pas les pompiers qu'il faudra appeler, mais c'est se rendre d'urgence à la clinique pour enrayer une infection potentielle. Pour la chimio, deux versions proposées: par intraveineuses ou par l'intermédiaire d'un port-à-cathéter dont le nom plus intime de Port-à-cath devient la norme. Quand je vois "par voie orale" sur le site, j'ai des soupçons de masochisme. C'est la version « porte-à-cath » qui est choisie. Moins de risques du côté « thrombose ». Les produits cytotoxiques sont à prendre au sérieux. Le but de la chimio ? Attaquer l'ADN pour qu'il perde sa faculté de se reproduire sous former de cellules cancéreuses. Une autre source, la Fondation Mimi informe sur la manière.

0.jpgLundi 7 janvier 2013: Ventriculographie. Le cœur a ses raisons que la raison n'est pas sûre de connaître. Une séance d'attente pour moi et peu d'explications fournies par mon épouse si ce n'est du produit injecté.

Mardi 8: Comme les cheveux se feront la malle, il est question de passer au choix difficile d'une perruque. Peut-être une erreur de le faire avec les cheveux en place. Les cheveux naturels prennent encore de la place.

Jeudi 10, 08:00: Placement du port-à-cath en une matinée. Protubérance dans la poitrine du côté opposé bien visible. Il aurait mieux valu être bien en chair pour ne pas trop en apercevoir l’excroissance alors qu'il était dit être plus réduit dans les versions récentes. Plus qu'apparent, son exiguïté n'a pas été très flagrante. Douleurs, au réveil, après son installation. Les Dafalgan Forte  ne permettent de supporter la douleur que de quatre heures en quatre heures. Opération à répéter même la nuit.

Lundi 14: Jour de la réception de la perruque choisie. Décision de raser le crane prise en échange standard avec elle. Premières impressions, premières constatations. Ça baille, un peu. La couleur avait été choisie approchante. Ce qui veut dire pas "identique". Je sens que les foulards vont, dès lors, être plus souvent utilisés.

Mercredi 16, 08:30. Première chimio FEC après prise de sang de contrôle. Visites successives. Quatre flasques de produits à injecter, une à une au travers du fameux porte-à-cath avec la petite sonnette pour avertir. Les précautions sont de mises. Bal masqué & Co pour le donneur et le receveur.

Ces produits ont été découverts en 1943, donc, cela devrait être bien connu. Le produit rouge est le fossoyeur des cheveux, mais comme le travail a déjà été réglé et que le bonnet de sécurité est en place...

Du côté, médication supplémentaire, il faudra s'accrocher. Pas à dire, désormais, le patient devient un très bon client du pharmacien. Les assurances pour frais de soins ambulatoires vont jouer, mais il ne faudra pas oublier la petite souche de récépissés.

Contrairement à ce qui était annoncé, pas de nausées. Les aphtes dans la bouche sont bien là, elles. Elles empêchent de parler et quelques fois de manger. Deux flacons de prescription de Lidocaîne à cet effet: un pour la préemption et un autre curatif. Cela ne marche qu'un temps. La Lidocaïne perd de plus en plus d'effets curatifs. Cet empêchement de parler clairement engendre une incompréhension de l'interlocuteur à l'autre bout, moi-même. Pas contente de devoir répéter.

- T'es toujours aussi sourd, l'artiste...

(T'es toujours en cycle "mono", avais-je envie de répondre avant de renoncer de justesse).

Dimanche 20: La voisine, que j’appellerai, pour la cause, la "sauveuse", vient prendre des nouvelles. Elle confirme les symptômes et ce que mon épouse ressent. Tout est normal, quant à dire "under control", là, il ne faudra pas pousser trop sur ce champignon-là. Pas sûr qu'elle puisse rassurer à chaque coups. Parfois, elle parvient à effrayer sans le vouloir. Mais, tout le monde est content de sa visite comme pour les notaires de situations rocambolesques. Je lui ai laissé voir la l'histoire en vidéo de Césile et Sophie que je mentionnais en préambule dans le billet précédent. Sa réaction fut, à peu près, la même que la mienne: "ce n'est pas ça". C'est ça au sujet de la vidéo montrant toutes les phases du traitement d'un cancer du sein, mais beaucoup moins pour la manière de l'assumer pour toutes les victimes. Bien plus dure à supporter que ces belles images de nature, la musique douce qui s’immisçaient dans la vidéo pour adoucir ces moments de tourments. Mais c'est leur histoire et chacun à la sienne.

Lundi 21: Dans ces moments d'exceptions, je m'aperçois que l'agressivité monte très vite. Paré à ce genre d'éventualité, garder son calme, restreindre encore d'un cran, mes répliques font partie de la solution aux problèmes. Constater qu'il n'est toujours pas question de remplacer, aussi facilement, une femme de maison qui a des habitudes entérinées depuis des années par un "vulgaire" ex-homme de bureau. Mais cela va s'arranger dès le lendemain et j'y crois.

Mardi 22: Nouvelle épreuve pour l'épouse : céder le terrain des opérations de l'entretien, la maintenance abandonnée par la fée du logis "en congé de maladie". Une visite préliminaire de l'aide extérieure vient prendre note de l'inventaire des tâches à accomplir.. Elle viendra, désormais, faire le ménage tous les mardi après-midi qui suivent. Je redoute quelques confrontations, mais je n'en laisse rien voir. Moi, qui ai fait été "outside help" (aide externe) dans certaines phases de ma vie active, je peux aisément me rendre compte du choc des caractères dans toutes délégations et des manières tellement différentes d'exécuter les mêmes tâches.

Dimanche 27: Les aphtes dans la bouche commencent à faire cruellement souffrir. La fatigue engendre un sommeil massif avec ronflements fréquents. Moi qui était censé être le seul responsable de ces bruits incongrus, je les assume à mon tour sans broncher. "Ronfle en douceur, mon amour", écrivais-je, il y a longtemps. Dans le lit, les coussins se juxtaposent pour garder une position presque verticale.

Mardi 29: Première de l'aide ménagère. Le soir, le rapport est là avec sa conclusion "elle n'est pas habituée à faire cela" ou encore "elle utilise beaucoup de produits". Ce qui me fait beaucoup sourire.

Chocs de cultures, de techniques, d'organisation et de processus, comme je m'y attendais. J'ai cru entendre les critiques d'un ancien chef. Critiques qu'aurait pu ressentir certaines personnes dont j'avais la charge à mon tour.

Mardi 5 février: Préparation de la 2ème chimio FEC. Arrivé à la réception, on nous y envoie à la prise de sang. Prévue à 11:30. Problème connu, pas de veine à trouver pour la prise de sang. Les globules blancs en question. Ils tiennent le coup. La chimio peut avoir lieu. L'incompréhension de l'agenda de la journée crée un problème. Après, nous sommes rentrés à la maison. Une jeune oncologue-bis espérait que l'on revienne pour une visite médicale. L'après-midi, elle nous téléphone, de mauvaise humeur. Sa consultation se fera 'en ligne' dans un style questions-réponses. Pas le temps de tergiverser. On sent qu'elle a autre chose à faire que de rester pendue au bout du fil.

Mercredi 6 , 08:00: 2ème chimio. Drillée, cette fois. Plus de quiproquo, cette fois. Tout est fait dans les règles du planning. Dans le lit voisin de mon épouse, un italien qui relance son discours mêlé de questions répétitives dans un cycle sans fin, et empêche l'oncologue-bis de s'échapper. Cette « comedia del arte » me fait sourire. Sourire mêlé de revanche, je l'avoue. Notre propre oncologue vient pour nous réconforter. A la narration de l'événement de sa jeune collègue, sa réponse est dite en chuchotant "Elle doit encore un peu vieillir". Est-ce vraiment une question d'âge ou d'expérience ?

Jeudi 7: La fatigue de mon épouse s'épaissit. Elle devient quotidienne. Quitter le lit, de s'échapper de rêves circonstanciés, devient pénible. Le calvaire s'endurcit à se retrouver avec le crane nu face au miroir de la salle de bain. Nouveaux pleurs qu'il faut minimiser, assécher. Une tâche dont je prends l'habitude.

Nouvelle visite chez le gynéco. Il trouve que tout va bien, à part un petit soucis à "l'étage sous-sol" mais qui ne devrait être qu'un détail. Temporiser, ne pas mélanger les problèmes, sa technique.

-Pourquoi ne pas partir en vacances en septembre?, nous lance-t-il.

Échange d'idées, de destinations, de périodes à envisager. Colombien, il connaît bien les vicissitudes des voyages collectifs en avion.

Le lendemain, la décision de partir dix jours en vacances est prise, presque à l'arraché. Décision qui génère une dispute : « je ne suis pas bien et tu me pousses à partir ». Passons, le voyage est enregistré pour bien plus tard... Patience et longueur de temps... Vous connaissez la suite. Les habitudes ont trop l'habitude de s'accrocher à elles-mêmes. Quant aux futilités et aux lubies aberrantes, elles ne font partie que du tableau final.

Lundi 11: Au matin, la prothèse définitive, la "siliconée", est apportée par une dame. Valable pour un an avant d'en recevoir une autre l'année suivante. Elle raconte sa propre histoire. Presque plus tragique. Ablation double des seins. Refus de traitements car elle se donnait pour tâche de continuer à travailler pour son fils puisque son mari l'avait quitté. Plus tard, prise à contre pied, une certaine Laure restera, dans le forum Agoravox, sans répondre à ceux qui lui jetaient des commentaires comme "que gagne Laure à venir raconter son histoire, choquante à souhait?". Comme s'il fallait gagner quelque chose pour apporter un témoignage.

L'après-midi, première sortie en ville. Il fait beau, ce ne sera pas pour en profiter. La perruque, choisie, avec les cheveux naturels, ne tient pas vraiment. Une erreur de départ qui se manifeste ? La resserrer, une solution partielle au problème. La vraie raison est plus générale. Elle ne plaît pas à mon épouse, qui ne se sent pas sur la note adéquate avec elle. Une chevelure en Do... n'équivaut pas à celle en Ré. La couleur, rêvée, celle d'avant n'existait pas au rayon des perruquiers. La taille de la perruque ne s'ajustait pas au crane. Deux heures de plus, chez un autre perruquier. Peine perdue à chercher le modèle impossible. Les modèles sont pourtant nombreux et les catalogues sont multiples. Mais, de là à accorder couleur et taille pour rappeler la coiffure du passé... faut pas rêver. Retour bredouille après un nouvel achat bidon d'un couvre-tête, style turban, qui ne sera utile qu'avec l'arrivée des beaux jours. Il faut prévoir, voyons.. .

Lundi 18: Dernière séance de la première série de 18 du kiné. Celui-ci part en vacances pour trois semaines. Les jours qui suivent vont se faire avec mon aide en attendant. Massages et mouvements d'assouplissements ne correspondent pas totalement à son travail de professionnel. Je lance un "Help" dans sa boîte de mail pour qu'il recommence ses séances, dès son retour.

Lundi 25: J'en ai déjà parlé, à cause de la maladie, l'agressivité gonfle très vite en intensité et cela demande une certaine remise à niveau de part et d'autres des conjoints pour en sortir indemne. Disputes initiées par des problèmes tellement banals qu'ils feraient rire ou pleurer à posteriori. Alors, quand on arrive presqu'au paroxysme sans s'en rendre compte, il n'y a plus qu' un pardon, un "Ave et un Pater" pour que tout rentre dans l'ordre. C'est ce qu'on appelle compatir à la souffrance sans pouvoir prendre une part à la maltraitance de la vie. Péter un plomb, quand on connaît le prix du plomb, ce n'est pas à recommencer trop souvent.

0.jpgMardi 26: Nouvelle prise de sang, bien planifié, celle-là. Troisième et dernière FEC. Nouvelle consultation pendant laquelle, est annoncé la phase suivante, les 3 taxotères. Autre produit "miracle", autre attaque contre le cancer.

Les lendemains se suivent mais ne se ressemblent plus. Ils sont de plus en plus difficiles à supporter. La fatigue et les tremblements de froids et de chauds ne sont pas rares. Le moral dans les tallons et le caractère irascible passe en montagnes russes. Les aphtes sont toujours là et quelques symptômes de nausées se présentent, subreptices, mais sans excès.

Samedi 2 mars: Une tasse cassée par mon épouse. Jetée à la poubelle par mes soins. Poubelle qui elle-même, casse et c'est une nouvelle dispute qui nécessite une remise au point sur les rôles de chacun. Espérer me transformer en une fée du logis. C'est nenni...Pas un naufrage du cœur. Juste une mise au point de l'esprit pour retrouver son calme. L'indulgence vient au secours de la mauvaise humeur comme une pierre plate que l'on jetterait sur la surface lisse d'un lac.

Dimanche 3: Visite providentielle, pendant mon absence de la "sauveuse". Elle va tenir mon épouse, une nouvelle fois, par la main. Les pleurs, je n'ai pas eu à y assister. Ma séance de jogging dominicale sauve parfois les meubles.

Lundi 4: Rappel hargneux de l'épisode de la poubelle. La poubelle a tenu le coup après quelques rafistolages. Paix et reconnaissance à sa détermination de garder sa fonction.

Un appel téléphonique va remettre le feu aux poudres. Un papier de garantie à retrouver. Éclats de voix qui se transforme en engueulade.

- Pourquoi n'as-tu pas tenu ce papier parmi les tiens?

Pris dans l'ambiance délétère, je pète un câble sans le vouloir. Marre de faire semblant de supporter l'insupportable. Un coup de poings dans mon bureau pour conclure. Non, il faut que les vérités se disent parfois. Heureusement, mon bureau n'a pas souffert, même si mon poing a un peu changé de couleur pendant quelques temps. Une aspirine suffit pour remettre les choses sur les rails.

Apprendre à écouter son corps et son esprit ne sont que les conclusions de cette première série de traitements de chocs. Oublier les moments difficiles. La vie continuerait-elle, sinon?

La pharmacienne connaît bien les notes de musique de la deuxième série de chimio. Trois jours avant et après. Manger léger puisque, c'est le foie qui devrait encaisser. Des légumes et des fruits. Une heure de promenade à l'extérieur ne ferait pas de tort. Vrai ou faux? De toutes manières, rien n'est à rejeter, rien n'est catastrophique à respecter. Pas eu de nutritionnistes comme c'était le cas pour les deux copines du préambule. Les promenades n'ont pas été de la partie quotidienne.

0.jpgOn lit sur le net, "TAXOTERE en association à la doxorubicine et au cyclophosphamide est indiqué dans le traitement adjuvant du cancer du sein opérable, chez des patients présentant un envahissement ganglionnaire. En association à la doxorubicine est indiqué dans le traitement du cancer du sein localement avancé ou métastatique chez les patientes n'ayant pas reçu de chimiothérapie cytotoxique antérieure dans cette affection. En monothérapie dans le traitement des patientes atteintes d'un cancer du sein localement avancé ou métastatique après échec d'une chimiothérapie cytotoxique, ayant comporté une anthracycline ou un agent alkylant. En association au trastuzumab est indiqué dans le traitement du cancer du sein métastatique avec sur-expression tumorale de HER2, chez les patients non pré-traités par chimiothérapie pour leur maladie métastatique. En association à la capécitabine est indiqué dans le traitement du cancer du sein localement avancé ou métastatique après échec d'une chimiothérapie cytotoxique ayant comporté une anthracycline".

Pas très engageant, tout cela. Enfin, cela dépend si on comprend le jargon de l'emploi. Plutôt à une posologie mayas, à mes yeux.

- Comment apprenait-on ce jargon quand Internet n'existait pas ? Les Mayas avaient tellement d'avance... On commence à comprendre leur vanité à fixer la finalité du monde.

On inventerait bien une nouvelle chanson qui commencerait par les mots "Taxo, Taxo, Taxes à terre".

Vendredi 08: Premières nausées. Les problèmes se corsent. Cette troisième chimio FEC est la moins bien supportée... jusqu'ici, du moins. Les problèmes de températures se creusent entre des chauds et des froids, portés et pas supportés par des fatigues excessives.

17 mars: France2 programme "Les bruits des glaçons", une comédie noire sur le thème du cancer. Un homme rencontre son cancer du cerveau. Une femme, son cancer du sein.

"Bonjour, je suis votre cancer. Je me suis dit que se serait peut-être pas mal de faire un peu connaissance".

Des paroles d’outre tombe, quelque peu sinistres.

Heureusement, mon épouse est endormie pendant le film. Je suppose qu'elle aurait pu dire, que cette visite, elle l'avait déjà reçu et cela lui suffisait.

« J'en ai marre », des paroles qui sortent le plus souvent de la bouche de mon épouse.

- The show must go on. Even when it's not a good show, aurais-je répondu si l'anglais avait été sa langue maternelle.

Quant aux prédictions mayas, on sait maintenant qu'il y avait quelques erreurs sur leurs tablettes rondes de pierres ou du moins, une mauvaise appréciation de ce qu'on en a compris avec nos moyens ultra-modernes d'aujourd'hui.

La semaine prochaine, la suite de ces aventures "médico/sénales".


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