Gand n'a rien d'un gant de velours (29/07/2013)

0.jpgRetour en arrière. Pour leurs "joyeuses sorties", la semaine qui a précédé son abdication, Albert II et Paola sont allés en premier à Gand (Gent ou Ghent) et on se demandait, ce jour-là, la raison de ce choix et de quelle manière, ils allaient être accueilli. Pourquoi la Flandre n'est pas royaliste?

 

Gand ne fait pas exception. La Flandre n'est pas royaliste et le néerlandais est la langue de la région. Un lieu commun, dirait-on dans ce cas.

Pourtant, en creusant un peu, on trouve une communauté francophone, reliée par un réseau d'expatriés français dans la ville par l'intermédiaire de son université.

Lors de la visite d'Albert II, concours de circonstances, les "Gentse Feesten" annuelles allaient réinventer l'été pour dix jours et un ou deux millions de personnes étaient attendues pour se promener, boire, parler et faire des "petits trucs" comme disaient les invités à cet interview matinal de La Première.

Effervescence, mais pas de sentiment royaliste ou nationaliste belge qui s’y affichait. 

Cette fois, ce n'était pas, Flanders Expo qui était à l'honneur comme vitrine de la Flandre.

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Les drapeaux belges, flamands et gantois étaient plantés sur les bâtiments officiels comme à l’hôtel de ville, mais, sans ostentation.

Dire que la ville de Gand a une tradition rebelle contre tout ce qui est riche, tout ce qui est grand, est une des raisons.

Au Moyen Âge, c'était déjà le cas. Depuis le 19ème siècle, c’est devenu une ville d’ouvriers qui ont toujours associé la richesse à l’oppression. Esprit renforcé par le fait que c'est la première ville étudiante du pays, statut qui en ajoute en virulence anti-monarchique. 

Pourquoi, la visite des souverains ne s'est pas faites à Anvers, première ville de Flandre?

La réponse "amusante" fut "dans l’esprit chauvin des Gantois, ce sont les charmes de leur ville qui ont attirés"

La vraie raison est presque comme enfoncer une porte ouverte que de dire que le bourgmestre républicain, indépendantiste d'Anvers, Bart De Wever, ne voit ni la famille royale ni même la Belgique dans son horizon d'une Flandre indépendante. De plus, Anvers n’est pas politiquement très qualifiée ou adaptée avec sa tradition de contre-manifestation, était-il dit. 

0.jpgLe Roi a déjà visité Gand et les Gantois se rappelle des rires de Di Rupo, en tant que premier ministre,

Comme "joyeuse sortie à la flamande", il fallait marquer l'événement en tirant à pile ou face.

Entre 1945 et 1950, c’était la Flandre, qui était plus pro-Léopold III que le côté francophone. Le Roi obtenait alors 42% du côté francophone et presque 70% du côté néerlandophone. Léopold III était, seulement, hors contexte. Son court règne avait très bien commencé, mais mal fini puisqu'il avait généré la "Question royale" qui l'avait forcé, en finale; à abdiquer.0.jpg

A la fin du 19ème siècle, les relations de la Flandre vis-à-vis de la Belgique avaient déjà été problématiques.

La Flandre avait eu plus de difficultés avec la fonction royale qui personnalisait l’unité du pays. La collaboration politique flamande était plus grande que du côté francophone rendant Léopold III, loin de la résistance et loin des alliés.

En Flandre, la relation vis-à-vis de la monarchie s'est ternie, imbibée d’une  certaine méfiance sans que la bienveillance soit absente mais sans être passionnelle. Après guerre, l'inversion des rôles des Flamands monarchistes et les Wallons républicains est un cliché plus ou moins vrai, pas toujours rationnel mais teinté de beaucoup d’émotions.

Les souverains belges sont devenus, en quelques sortes, des "étrangers" qui parlent plus le français, sont riches, sont nobles qui représentent des qualificatifs de la classe opprimante qui rend la Flandre indifférente à la monarchie en lui attribuant une fonction symbolique, utilitaire mais non-politique comme le dernier rempart au séparatisme. Gand veut vivre en démocratie libre.

Voilà ce qui était dit ce matin-là en résumé dans l'interview.  

Pas facile à comprendre comme le disait notre Flamand de service, Bert Kruysmans dans son dernier café serré.

Gand est une ville en forme de surprise glacée. Dès le Moyen-Age, ses habitants étaient à l'avant-garde du combat pour l'autonomie communale.

Si elle a vu naître un gamin, nommé Horta, ce n'est pas pas une raison que celui-ci y ai trouvé l'inspiration de l'Art nouveau.

Tout est historique dans cette ville et son histoire fait bien plus penser à un drame shakespearien.

Des batailles qui succèdent aux batailles. Des combats d'influence, des traitrises, des rebelions et des prises de pouvoir par la force s'y entrechoquent.

Si vous vous souvenez du feuilleton de télé des "Rois maudits", ici nous sommes en présence des "Comtes maudits" qui se déroule dans le "Monde sans fin" de Ken Follet mais limité comme une "Ville sans fin"..

S'il existe des traces d'occupations qui remontent au paléolithique, c'est entre l'âge du bronze et celui du fer, que des urnes funéraires sont sorties de terre.

Ville romaine, au nom de 'Ganda', ("confluent" en celte), elle naît de la fusion de la Lys et de l'Escaut.

Entourée d'eau, au milieu d'anciennes terres inondables et proche du Meetjesland, constitués de polders, ce sont seulement deux abbayes, celles de Saint Pierre et de Saint Bavon, la présence d'un port et d'un castrum qui confirment sa fondation en tant que ville.

Charlemagne y fixe, bien, sa flotte pour lutter contre les Vikings, mais pour de maigres succès.

Les comtes de Flandres, eux, y édifient une forteresse carolingienne entre France et Flandre.

0.jpgA l'époque, l'industrie drapière rend la ville prospère et, même, la plus peuplée après Paris.

Comtes de Flandre, patriciens et tisserands en tirent toutes les ficelles sous le Conseil des Trente-Neuf.

Tourner les autres corporations en dérision et prendre le parti de l'Angleterre contre la France sont les options prise dès le départ.

Les Leliaerts, pro-français se retrouvent ainsi contre les Clauwaerts pro-flamand.

La Bataille des Eperons d'Or de 10 juillet 1302  avec le comte Dampierre est une victoire contre Philippe le Bel. Mais cette victoire est de courte durée, à peine un mois, Situation renversée à la suite d'une autre bataille tout aussi sanguinaire. Aujourd'hui, cette bataille des Eperons d'Or reste encore comme le symbole de victoire pour toute la Flandre lors de la fête flamande du 10 juillet. 

En 1337, la guerre de Cent Ans casse l'élan de la ville. La laine anglaise, destinée au tissage, ne parvient plus à destination. La crise économique force à se liguer dans une certaine neutralité entre Pays-Bas et Angleterre. Des milices, les "Hooftmannen" entrent en scène sous le commandement de Jacques van Artevelde, comme peut être un homme providentiel. 

Regrouper Brabant, Zélande, Hainaut, Hollande, Liège, Limbourg,Luxembourg et comté de Flandre pour diminuer les taxes douanières et unifier la monnaie est son idée et fait penser à la création d'une mini-Europe avant l'heure ou, au moins, aux Benelux.

Mais, entre les tisserands  de "Weverij" et les foulons, sous-prolétaires, nait la dissidence qui s'envenime au "Qwaeden Maendagh" (Lundi faché). Les choses se détériorent progressivement pour Jacques van Artevelde, qui accusé de corruption, tombe sous la hache de Geraard Denijs.

De nouvelles révoltes s'enchainent avec Jan Yoens et Philippe van Artevelde, le fils du précédent malgré le modernisme du centralisateur, Louis Maele. Une résistance de cinq ans enflamme les esprits poussés par la famine. Elle se termine, le 27 novembre 1382, par la défaite de West Roesebeke.

Philippe le Hardi tente une politique centralisatrice, mais ne parvient pas à isoler Gand, la "rebelle".

Charles le Téméraire n'aime pas plus cette ville. Sa jeune fille, Marie de Bourgogne qui lui succède, est même prise en otage, obligée de concéder le "Grand Privilège" qui réinstaure les anciennes chartes et d'épouser Maximilien de Habsbourg avec la complicité de Louis XI qui récupère la Flandre par la paix d'Arras.

Charles Quint, né à Gand, ne parvient pas à ponctionner la ville par des impôts pour payer ses batailles. Il "concède" la suppression de leurs privilèges avec sa "Concession Caroline" qui modifie la structure de la ville et qui muselle son corporatisme.

Son fils, Philippe II, bigot notoire, met le feu aux poudres avec l'Inquisition contre tout ce qui n'est pas catholique et envoie son Duc d'Albe pour y mettre bon ordre. L'action de celui-ci sonne temporairement le glas de la prospérité flamande. Elle se réveille par la razzia appelée "Furie espagnole" qui précède ce qu'on appelle la "Pacification de Gand".

Cela n'empêche pas Gand de rester une république municipale calviniste, enchevêtrée dans une guerre de religions pour plus de 20 ans avec des Saint Barthélémy à la belge.0.jpg

Louis XIII et Louis XIV n'ont de cesse de garder annexée, la Flandre occupée.

L'âge d'or revient avec la machine à filer le coton, la Mule-Jenny, rapportée en secret d'Angleterre par Lievin Bauwens, un espion économique.

Le Traité de Gand met un terme à la guerre de 1812 entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Pendant les Cent-jours, Louis XVIII de France se réfugie à Gand dans l'Hôtel d'Hane-Steenhuyse, ce qui le fait surnommer par les satiristes en "Notre Père de Gand".

Le 21 septembre 1815, à Guillaume 1er d'Orange des Pays-Bas prête serment sur la la place Royale de Bruxelles. Guillaume avait un rêve de grandeur et voulait créer l'Union des Pays-Bas. Il crée un jonction fluviale entre Gand, Amsterdam et Rotterdam.

L'indépendance de la Belgique de 1830 n'arrange pas Gand, orangiste qui lui est favorable. Gand est protestant...  

Ce n'est qu'en 1838 qu'il accepte cette indépendance voyant qu'il ne parviendra pas à réaliser son rêve. Il démissionne à la suite de ce qu'il considère son échec. 

Sans plus d'accès à la mer, Gand rechute, une nouvelle fois.

En 1857, elle devient le centre du combat syndical du "Broederlijke Wevers" et un fief socialiste pendant un siècle et demi.

Nous revoilà, au départ de ce billet.

Si l'histoire explique, bien mieux, une ville comme Gand, passer à la visite sur place apporte d'autres confirmations.

Le musée de la ville, le STAM, dans les anciens bâtiments de l'abbaye du Bijloke en donne la première leçon tandis que le Designmuseum  suit l'actualité derrière une façade 18ème siècle.

La visite de Gand, à bord de l'un des Bootjes van Gent est peut-être la meilleure formule de prise de conscience, bien avant la promenade en calèche mais après la visite de quelques édifices. La cathédrale Saint-Bavon détient le retable de l'Agneau mystique. La halle aux draps entre dans le Guiness Book pour la durée de sa construction de 1426 à 1903 en mélangeant ainsi tous les styles. Le beffroi domine la ville de ses 95 mètres et servait de tour de guet et de coffre-fort des chartes. L'hôtel de ville et la maison des Parchons... puis en bootje...

0.jpgAu Korenlei, ce sera une autre occasion de passer au Graslei, du Château des Comtes au Kraanlei par la Maison d'Alijn, celle de "De Werken van Barmhartigheid" avec ses "neuzekes" (cuberdons), du Predikherenlei au Patershol (Trou des Pères) à la taverne de "Bij den Wijzen en de Zot", du couvent des Augustins Sint-Stefanus avec sa bière au Vrijdagmarkt avec son "Bond Moyson" socialiste en "style Macaroni" et arriver au Vlasmakt où se déroulent, ces Fêtes Gantoises dont on parlait au début...

Gand est une ville de lumières. Depuis 2010, les façades sont dotées d'éclairage tard dans la nuit et, en été, les terrasses du Graslei sont encore pleines à craquer.

La culture et l'histoire se disputent  la préséance de cette ville. Manger et boire en donnent les moyens vitaux.

A la brasserie Gruut, Blondes, Ambrées, Brunes ou Blanches sont brassées selon une recette médiévale à partir d'épices (gruut) et non de houblon entrecoupée de balades culinaires.

Les boutiques sont légions dans la Mageleinstraat, la Voderstraat,, la Koestraat, le Brabantdam. L'apéritif à la terrasse du théâtre NTG. Les gaufres de Bruxelles ont un rendez-vous avec le visiteur chez Max.

La course cycliste Gand-Wevelgem, une occasion de rêver à une excursion à vélo dans les environs.  

La boucle serait-elle ainsi bouclée? Aurions-nous tout expliqué de l'état d'esprit flamand?

Si je vous ai promené dans l'histoire et en puisant un peu dans les guides que l'on dit touristiques, c'est pour en extrapoler quelque chose de plus essentiel.

A y réfléchir, on peut facilement comprendre la différence importante avec une ville comme Bruxelles dont j'ai parlé récemment de l'histoire via sa Grand-Place.

La Flandre a toujours espéré être gouvernée par des Comtes locaux, "fait maison" et faire du commerce, au besoin, pour les excédents, avec l'Angleterre et les Pays-Bas, tandis que les populations de Bruxelles attendaient tous genres de visiteurs pour commercer avec eux en espérant qu'ils n'exagèrent pas, ensuite, leurs ponctions par les taxes.  

Expliquer les mentalités des deux avec un Roi, tout neuf, et une Belgique coupée entre deux cultures, avec un rôle de faiseur de compromis sur mesure. entre Belges riches et un Etat pauvre avec un pouvoir de plus en plus éparpillé est quelque part jouer à l'équilibriste par grand vent...1.jpg

Une Belgique est-elle le dernier des pays du nord ou le premier pays du sud?

Une question que se posait Le Soir et qui pousse à tenter une réponse citoyenne en expliquant les différences par un jeu de nordistes contre sudistes à l'Américaine avec une guerre de Sécession qui a fait des morts en pure perte sans aboutir.

C'est aussi, dans le cas belge, constater avoir une Flandre qui a dépassé son apogée en phase descendante face à une Wallonie, en phase montante, échelon par échelon pour atteindre l'apogée par une autre voie et par un labyrinthe aux mille recoins, dans une incompréhension mutuelle derrière le sandwich au poulet andalouse...

Bravo, pour les formules...

Quand on se rappelle du film "Bienvenu chez les Chtis", c'était aussi une méconnaissance des habitants du sud vis-à-vis de ceux du nord. Rien d'exceptionnel, donc.

Les problèmes sont donc plus généraux avec des différences d'approche et de résolutions aux problèmes qui sont en définitive bien plus particuliers. 

Et si on ressortait le goedendag?

Tout cela "C'est du belge", dit Brel, béat d'admiration dans son coin.

Ay Marieke Marieke je t'aimais tant


Entre les tours de Bruges et Gand


Ay Marieke Marieke il y a longtemps


Entre les tours de Bruges et Gand

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Son histoire reflète encore mieux son esprit rebelle

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En photos, tout cela donnerait peut-être aussi ceci.

 

L'enfoiré,

 

Citations:

Mise à jour 5 septembre 2013: Le Vif publie un article sur Gand. Ville du futur. Une ville où il fait bon vivre. La 1ère ville où le VB (Vlaamse Block) a reculé et où la NVA se fait toute petite. Son bourgmestre Daniel Termond a battu largement Siegfried Bracke de la NVA. Tant pis pour les flamingants. A mille lieu de la mesquinerie des autres communes flamandes. Un "meldpunt" (point de contact) entre francophones et néerlandophones. Contrer les discriminations.
La futur gare Gand-Saint-Pierre,, la bibliothèque "Waalse Krook" sont dans les projets. 
 
Mise à jour 25 mai 2015: Au foot, les Buffalos accueillis en héros par leurs supporters à Gand (vidéo)

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