Bruxelles ma belle, ce sont des mots qui vont si bien ensemble (01/12/2013)

0.jpgUn article de commande d'un ancien bruxellois qui vit depuis quelques années au Laos et qui est revenu à Bruxelles par deux fois, cette année. Il m'a beaucoup raconté au sujet du Laos, de là où il vit, une comparaison avec sa vie d'avant était intéressante. A Bruxelles, là, où je suis resté, j'essayerai ensuite de t'en ajouter plein les manches et les bottes, cher Sapanhine.

"C’était du temps où Bruxelles bronxellait…

C’était du temps du Belge muet.

Et y’a plus de tram 33.

Ni de gonzesses en crinoline.

Dommage ! Madeleine, elle aimait bien ça…

Qu’est-ce qu’il caille ici ! J’dois aller en ville acheter des bouquins au Pêle-mêle. Faut que je m’n trouve quelques-uns avant de rentrer chez moi, à 10.000 km de chez vous. D’ici qui fut mon chez moi.

Qu’est-il devenu mon Bruxelles à moi ? "

J’cloche en périphérie depuis trois semaines. Buiten Bruxelles. En terre sacrée, même si 95% des gens y parle français. Quel monde de fous ! La minorité y commande tout… Faut zwijgen dans toute autre langue que la seule permise. Comme si parler un autre sabir faisait de nous des pestiférés.

J’profite de l’occasion pour demander à mon fils qui m’héberge de me déposer à une station de métro. Manquerait plus que ça, c’est moi qui ai payé sa bagnole et il doit aller à Anderlecht. Un métro, y’en a bien un sur le chemin, non ? Parce qu’ici, y’a que des bus pour Aalst et Liedekerke. Le matin et le soir, y’en a tout plein. Pendant la journée, un toutes les deux heures. Étonnant, non ?

Il me répond :

- C’est parce qu’ils partent tous travailler au Ministère où ils resteront assis à glander jusqu’au moment de rentrer. A Bronxelles. En terre promise, si l’on en croit Bartichon. Et quand ils seront pensionnés, ils recevront de l’argent pour ne plus jamais travailler. Et comme ils sont déjà en surnombre, on les remplacera pas. Entre-temps, ils nous abandonnent au "no future". Nous exploitent, nous traitent de glandeurs. C’est pour faire des économies, tu comprends ? Et en plus, ils disent que nous vivons sur leur dos. Ce qui fait que des bus, y’en tout plein pour eux lorsqu’ils partent turbiner dans leur colonie. Et le soir aussi, afin de retourner vivre là où ils se sentent chez eux. Qu’il pleuve ou qu’il vente. Quarante ans durant… Avec leurs tartines dans leur sacoche pour ne rien avoir à dépenser chez nous.

- Depuis le temps que ces mecs cherchent à vous monter en bateau. Comment supportez-vous ça ? que j’lui réponds.

-  Parce que si on fait la révolution, cela finira comme en Syrie. C’est trop tard, mieux vaut pas

Une circulation de dingues. Des embouteillages partout, ils vont finir par se grimper les uns sur les autres. Des ronds-points, tellement de ronds-points qu’on se demande s’il existe encore une priorité de droite. C’est pour fluidifier qu’ils disent. Et quand on peut enfin passer, y’a un autre irresponsable qui traverse le passage clouté comme si c’était lui le train. Coup de frein désespéré pour l’éviter, encore un. Et une possibilité de passage perdue, encore une. Et la bagnole qui n’arrête pas de faire tûût-tûût. Pas en dehors, c’est interdit. Rien qu’à l’intérieur.

-  C’est quoi tout ce bruit ?

-  C’est la bagnole qui me signale que j’ai pas mis ma ceinture.

-  Tiens ! Moi bien, pourquoi que tu le fais pas alors ?

-  Rien à foutre…

-  Et ce tintamarre ne te dérange pas ? Pire encore, si un flic te voit, tu recevras une amende !

-  Pff, les flics ne contrôlent que les zones à parcmètres ! Là au moins, ils sont sûrs que cela rapporte. C’est pourquoi y’en a pas Place Lemmens, faut respecter les usages sociaux des gens du coin. Eux sont tous insolvables et de plus, y z’aiment pas qu’on vienne foutre le nez dans leurs affaires. Entre nous, on appelle ce coin le petit Marseille. On voit bien que t’es plus d’ici, toi !

Encore un rond-point. Station Veeweyde, on y est. Il s’arrête sur un coin. Mais y’a pas de coin, c’est un rond-point. Un mec klaxonne derrière. Comme un enragé, sûrement qu’il est à la bourre pour aller travailler. Ou alors, c’est un livreur bizarrement productiviste. Je m’engouffre dans la bouche de métro.


0.jpgC’est lugubre, sale, long comme un jour sans pain. Quatre jeunes oisifs occupés à discuter. Je ne crains rien, j’suis pas bien habillé. Avec un sac à dos pour mettre les futurs bouquins. J’ai l’air d’une cloche. P’t’être pas tout à fait car mes godasses ne sont pas éculées, mais manifestement j’donne pas l’air du gars plein aux as. Je passe comme si je ne les avais pas vus. Ils me regardent comme si je n’étais qu’une ombre. Absence manifeste de mauvaises intentions de ma part. Ils restent cois, encore une chance.

Cent cinquante mètres de cavale sous le regard vitrifié de briquettes blanc sale, uniformité garantie. J’arrive à une machine qui distribue les tickets. Enfin, qui les distribue à sa façon. Economies d’échelle. Y’a pas un contrôleur, pas un caissier, pas un poinçonneur des lilas. A se demander pourquoi le ticket est tous les jours un peu plus cher. C’est le modernisme sans âme. La foule et ses solitudes. La ville sous terre, terrée sous terre. Putain de machine, j’y comprends rien avec tous ces boutons. Sélection-bouton-sélection-piège à cons. Salope, elle s’est bloquée sur Nederlands et veut sûrement que je m’incline devant ses ordres.  Je cherche dans quelle fente je peux lui glisser mon billet de 5 euros, celui que je garde dans ma veste passe-partout pour ne pas montrer que j’en ai plus dans ma poche-revolver. Va te faire voir, consommateur inexpérimenté ! Faut des pièces. Moi, service public, je n’accepte pas les billets, semble t’elle me dire en ricanant.

Grosse pute, tes pièces, je les emmerde. J’en ai pas une sur moi. Et si j’en avais, je les transformerais en billets de par chez moi où y’a pas de pièces, cela ferait directement une petite fortune. Votre monnaie de singes, elle bourre les poches et le soir, t’en as collationné facile pour 20 euros. Du bête métal couleur or et couleur argent, comme si le fric en minuscule ne comptait pas. 20 euros ! Là où je vis, on achète de quoi bouffer 15 jours à ce prix-là ! Ici, elle bourre les poches jusqu’à faire des trous dedans et elle fout le camp comme si elle ne valait rien.

Mais qu’est-ce que je suis venu foutre dans ce Bruxelles-là ?

Et il fait froid. Si gris. Gris et aseptique à la fois.

Vivement le retour chez moi. Même la pluie y est chaude, c’est dire !

Nouvelle contrariété, y’a que des contrariétés dans cette capitale de tous les déchets, de toutes les affres. J’ai pas de pièces pour nourrir la bête électronique et y’a pas un magasin pour me dépanner. Rien que trois affiches de fond de couloir : local commercial à louer. Pas un fonctionnaire de service non plus. Rien. Le tout à l’automatique et schnoll pour le reste. Obligé de faire marche arrière. Les 4 jeunots me regardent plus méchamment. Si je commence à faire des aller-retour, c’est que je suis un flic. Que je surveille quelque chose, quelqu’un. Ils se méfient. Moi aussi, match nul. Je ressors de la bouche de métro. 40 marches en duralumin à escalader, l’escalator ne fonctionne pas. J’avise une pompe à essence avec un petit garage autour. Je rentre du côté de la caisse, y’a personne. Et si y’a personne, c’est qu’il n’y a pas de fric non plus, me dis-je. Pourtant avec tous ces chocolats, ces canettes de Coca, ces paquets de clopes qui traînent, y’a presque de quoi commettre le casse du siècle. J’me demande pourquoi mes 4 glandeurs discutent le bout de gras dans la bouche de métro, alors qu’il y a tant de travail potentiel à deux pas. Un paquet de pognon facile à faire, suffit de rentrer, de se servir fissa et puis de cavaler. Même pas besoin d’une arme, c’est dire ! Mais moi, j’suis d’un naturel honnête, cela ne se commande pas.

Deux minutes plus tard, arrive un mec en salopette :

-  Et pour Monsieur, ce sera ?

-  Un chocolat, j’ai pas de monnaie pour le métro.

-  D’où sortez-vous, vous ?

- Du métro, vous dis-je. J’dois aller en ville et j’ai pas de monnaie. J’me suis fait surprendre, je ne pensais pas qu’il n’était possible de ne payer qu’avec des pièces. Cela fait vingt ans que je ne vis plus en Belgik. A dire vrai, j’me sens un peu perdu chez vous.

-  Z’avez bien fait de partir. C’est devenu dingue ici, vous savez. On n’est plus chez nous, vous comprenez ?

Un peu. Mais je ne vais pas en rajouter, j’ai besoin de monnaie. Pas de m’entendre seriner des lieux communs.

- Un euro cinquante !

- Quoi, 60 francs pour un petit bâton de Côte d’Or ! Mais de mon temps, même du vrai or coûtait moins cher que cela. Quand je suis parti il y a 20 ans, je ne les ai plus depuis longtemps.

- Ouais, le bâton on aurait dû l’employer pour leur foutre sur la gueule et chocolat, c’est nous qui le sommes. Et ça s’arrangera pas demain, vous savez !

M’en fous. J’aime bien le chocolat et j’ai enfin 3 euros cinquante de monnaie. Le passe pour Bronxelles sous terre. Les jeunots me regardent à nouveau. Y’en a un qui dit «  eh vieux, tu cherches du shitt ? «  J’fais celui qui comprend pas, le balourd, le kouffar. Pratique pour le bizness au détail, le métro. Les rares fois où les flics y descendent pour voir ce qui se passe, on peut foutre le camp dans toutes les directions et bye-bye salut ! Au pire des cas, les juges te libéreront demain, tout le monde sait ça. Mais y’a jamais de flics, on les occupe à foutre des amendes là où on a trouvé rentable de planter des horodateurs. Un racket juteux ! Au moins, les automobilistes ont de quoi payer. Quant aux brigades d’intervention, elles ont autre chose à faire. Du boulot à tout casser, cela tombe sous le sens. Y’a même des jours où cela ressemble au Far-West, ils sont entraînés pour. L’adversaire aussi…

Retour à la machine qui poinçonne, vend, accueille, avale votre fric sans dire merci, renseigne. Y’a encore plus de boutons que tout à l’heure, dirait-on.  Un gros noir sous lunettes de soleil attend derrière moi. J’finis par lui demander comment cela fonctionne. Il ne parle qu’anglais mais lui, il a déjà appris à dompter le bazar. Un rigolo, il a l’air sympa. C’est pas tous les jours qu’il reçoit le droit de prendre l’autre pour un imbécile.  Je le lui précise. En anglais aussi. Il rigole, me dit

- Crazy. Here, they are all crazy, men ! 

Il a tout pigé le gros négro. C’est pas à lui qu’il manque une case…

Une petite vieille m’accoste :

- J’dois prendre le métro, Monsieur. J’ai peur toute seule dans ces couloirs. Vous voulez bien m’accompagner jusque là ?

- Bien sûr, Madame. Vous allez où ?

- A Erasme voir mon mari à l’hôpital. Vous y allez aussi ?

- Non, j’vais en ville. Mais j’attendrai sur le quai avec vous, j’suis pas pressé.

- Oh, vous êtes gentil, vous ! Y’en a plus beaucoup comme ça, vous savez !

Le métro à ma petite vieille arrive. Il est presque vide. Tant mieux, y’a plein de banquettes pour elle toute seule. Interdit de traverser les voies, y’a même pas besoin de panneaux pour le préciser. Re-escalator pour arriver de l’autre côté, celui-là ne fonctionne pas non plus. Encore une volée de marches à escalader. Retour direction ville. Là, l’escalator fonctionne. Dans le sens de la descente. Rien que la descente, c’est l’automatisme qui veut ça.

A nouveau dix minutes d’attente. Arrive une rame elle aussi presque vide. Veeweyde-Lemonnier, c’est pas vraiment ce qu’il y a de plus pratique. Y’en a pour un peu plus de deux kilomètres à vol d’oiseau, mais l’ennui, c’est qu’il faut changer trois fois de rame pour y arriver et c’est bien ce que me précise le panneau indicateur comme s’il avait, lui aussi, le droit de se foutre de ma gueule. Plein de griffures, le panneau. Serait-ce un nouveau support expressif à la culture populaire ? Y’a aussi trois «  fuck you «  écrits au magicolor, le dernier dans un espèce de demi encadrement sous forme de bite. Et pour couronner le tout un «  j’t’emmerde, connard ! « en lettres de feu. Encore un mec qui a tout compris mais j’trouve quand même qu’il aurait pu éviter de faire valoir ses états d’âme sur plexiglas. Surtout avec trois fautes d’orthographe !

Sur du mobilier public, vous vous rendez compte ?

Ceci dit, il a raison le philosophe. On est toujours le konar d’un autre, non ?

Tûût, c’est la rame qui redémarre. Y roule vite le métro. L’ennui, nouvel ennui, c’est qu’il ne va jamais en ligne droite. Paraît que la Stib sait ce qu’elle fait. Sinon, c’est le bus, la circulation de surface. Tous ces gens qui rentrent par l’arrière sans payer… Une heure, un peu moins si on a de la chance avec les feux rouges. Et les ronds-points. Encore et toujours des ronds-points pour encore et toujours ralentir le bazar, tout engluer. Des sites propres. Tellement propres qu’on supprime toutes les voiries qui empêchent de les créer. Et depuis, les automobilistes qui n’ont pas d’autre choix que d’aller travailler finissent parqués comme des moules-frites dans leurs files propres, dans l’attente impatiemment. Y’a pas plus rationnel pour dégoûter les gens de boulotter. Ils feraient mieux de se mettre au vélo. Pour qu’il n’y ait plus d’embouteillages, on devrait ne permettre qu’aux Ministres d’avoir une voiture. Avec chauffeur pour créer de l’emploi. Aux Ministres et à leurs ayant-droits… Comme en Chine avant la libération, pardon la libéralisation.

Beekant-Beekant annonce la présentatrice électronique dans les deux langues. Plus de la moitié de la foule descend en bon ordre que cela fait plaisir à voir. J’finis par comprendre que je dois suivre le mouvement et me diriger vers le quai juste en face, là où c’est marqué dans de grands ronds bleus M1 et M2. On dirait qu’on est à Cuba, les lézardes, la zwanze, les flics en civil et les vélos-taxis en moins. En regardant bien, j’ai vu que dans un coin il était discrètement inscrit direction Brouckère, Arts-Loi et puis Delta. A mon avis, les autres le savaient déjà. Je me suis donc contenté de suivre le mouvement. De faire comme tout le monde, ne rien demander à personne. Votre monde est si social que vous ne vous apercevez même plus que tout le monde l’ignore…

Dix minutes d’attente de plus. La rame s’obstine à rester portes fermées. C’est pour éviter les dégradations, vous comprenez ? «  Fuck you ! «  telle est votre devise.

Les portes s’ouvrent. Les masses populaires s’engouffrent. Tûût, c’est la chenille qui redémarre. Les pieds en équilibre au milieu du soufflet, y’a une jolie noire en équilibre avec un gosse dans un espèce de filet posé sur sa poitrine. Je lui souris, elle ne me le rend pas. Étangs Noirs, on dirait que l’invasion n’attendait que cela pour occuper le dernier carré d’espace vital. Un Roumain totalement identifiable monte en premier avec une boîte à rythme et un espèce d’harmonica à bouche. Crac Boum-hue !  il enclenche Dieu sait quelle rythmique du genre techno-tsigane et crachote dans son truc comme s’il était Luis Armstrong. Heureusement qu’il n’a pas de violon, il aurait fini par en éborgner quelques-uns ! Dans l’indifférence la plus totale. M’est avis qu’il devrait se recycler en apprenant à jouer la Brabançonne au Conservatoire, celui qui ne joue que du classique que plus personne n’écoute, sauf en smoking. Rentrent en force trois barbus en chasuble blanche aussi. Dont un avec un veston par-dessus. Pour faire chic ? Allez savoir… Avec la tronche qu’il se paye, il se pourrait bien qu’il transporte des grenades. Et plein de jeunes ensuite. Tous avec des falzars qui leur pendent aux fesses, un kioske à musique individualisé sur les oreilles et des casquettes de base-ball à l’envers. Des grosses têtes. J’croyais qu’à cette heure, ils devaient être à l’école.

Tûût, c’est encore la chenille qui… Ah béh non, elle démarre pas ! V’là que deux bonnes sœurs en soutane noire tentent à tout prix de rentrer en dernière seconde. Elles bloquent les portes, chacune avec une poussette. La plus grosse avec une double, on dirait un bus à deux étages. Vous verrez, bientôt elles réclameront une plateforme pour elles toutes seules. Et ces bonbonnes à l’air libre poussent comme des enragées pour se frayer une place, exigent qu’on se tire pour leur permettre de se frayer une place, traitent un pauvre type ratatiné sur son journal de raciste parce qu’il n’a pas bougé d’un pouce. J’fais un signe à la jolie noire et son gosse bien abrité dans son filet. Lui en bonnet rouge, elle toute de mauve vêtue. D’un geste des deux bras, je tente de lui faire comprendre que les deux bonnes sœurs devraient plutôt porter leur landau sur la poitrine. Cette fois, elle rigole …toujours ça de gagné !

Comte de Flandres, même topo. Alléluia, les deux poussettes à génération future descendent et les deux bonnes sœurs ont l’air vraiment vexées qu’on ne leur laisse pas l’entièreté du passage. D’autres poussettes toutes aussi encombrantes les remplacent tout aussi vite …avec d’autres bonnes sœurs en fichu autour. Toutes interchangeables. Toutes regard baissé. Toutes à s’être donné le mot d’être aussi indésirables les unes que les autres. Moins excitées cependant, comme si la foule avait déjà été matée. On dirait une invasion en coulée continue, la force de l’habitude, une usine à embouteillages sans les capsules qui vont par-dessus..

Sainte Catherine, pas d’incident. Y’a que des restos grand-luxe ici. Aucune raison de s’y arrêter. Seul le plouc ratatiné sur son journal descend. Il a l’air résigné sur son sort…

Brouckère. Tout le monde y descend pas. Mais avec ceux qui s’obstinent à vouloir monter en même temps, c’est tout comme. Les sardines en boite sans le Aldi qui va autour. Une autre négresse de passé cent kilos crie «  Au voleur ! «  Y’a un mec aux cheveux crollés qui fout le camp dans l’indifférence la plus totale. Sauf un type qui dit :

- Mais Madameke, quand tu prends le métro, tu dois garder ton sac serré contre toi !      

0.jpgSûrement un gars des brigades de prévention, il paraît que cela existe…

Reste l’ultime kilomètre sous le ventre de la ville. Troisième et dernier métro pour Lemonnier. Mais comme à Bronxelles on n’a rien pour rien, faut encore se farcir 200 mètres à pinces. Cette fois, il ne s’agit que d’un tram mais je lui pardonne, il est arrivé trois fois plus vite que les métros ultra-rapides. Retour à l’air libre. Me voilà sollicité par une pléthore de magasins qui vendent ce que, de mon temps, on ne trouvait que rue de Brabant. Plus un magasin de seconde main à l’enseigne Oxfam. Et des snacks hallal, encore et toujours hallal comme si on était en plein pays cathare. Pardon, au Qatar, le luxe et l’abondance en moins. Un tas d’autres barbus en toge mais plus vieux colonisent les bancs publics, tous les bancs publics. 0.jpgDes groupuscules de zigs dans la force de l’âge discutent au milieu de la place Anneessens. Tous à attendre qu’on veuille bien leur donner du travail, sans doute. Bizarres ces Muslims. C’est chez eux qu’on trouve à la fois le plus d’entrepreneurs et le plus de chômeurs. Allez comprendre…

J’y arrive enfin au Pêle-mêle. Juste à côté, devant une baraque à l’abandon, extérieurement à l’abandon, un zig crasseux fait la manche. J’réfléchis pas, j’lui donne de bon cœur les 50 centimes de monnaie qui me traînaient en poche. Y me mate de ses yeux chiasseux, me dit «  Tu pourrais au moins me donner un euro, j’ai pas de domicile ! 

J’y crois pas …ou alors c’est bien fait pour lui, y’a deux canettes de Cara-Pils 33cl étales à ses pieds. Un incroyant, cela ne souffre aucun doute. Comme je ne suis qu’un salaud de classe moyenne, je l’ai regardé d’un air méprisant. Le pauvre ! Il a dû croire que je travaillais dans une banque d’affaires, chez Dexia par exemple. Alors j’suis rentré me sécuriser dans mon monde de rêves à dormir debout et j’ai fouillassé le Pêle-mêle de fond en comble. Des heures durant, sans rien penser d’autre et j’en suis sorti avec une quarantaine de bouquins dans un sac que la nouvelle direction m’a fait payer 40 centimes, y’a pas de petit profit. Presque 100 euros les bouquins, une affaire. Une affaire ou la honte. Chez moi, à 10.000 km de ce Bruxelles que j’ai quitté il y a 20 ans, c’est ce qu’on gagne sur un mois. A raison de 6 jours de présence au boulot par semaine. Sans rouscailler, sans syndicats, sans rien sinon ne pas oublier de dire merci au patron d’en donner autant.

Me serais-je endurci à ce point pour être devenu indifférent à la misère humaine ? Non ! Pour m’être érigé en prophète en vous ayant donné une autre vision de ce qui se passe tout à côté de chez vous ? Non plus ! Pour vous affirmer que j’ai fait le bon choix de me tirer avant que votre quotidien n’ait pris le temps de devenir le mien ? Là, sûrement ! Tout ça pour être parti chercher des bouquins de seconde main qui causent de social, d’égalité illusoire, d’histoire de l’humanité, de politique-fiction, de cul puisque l’humain ne pense à rien d’autre. Les romans de la vie. Ceux qu’on feuillette page après page. Celle à côté de laquelle vous semblez à peu près tous être passés…


J’ai repris le métro jusqu’à la gare du Nord.

Dix sept heures. En sous-sol, du côté opposé à celui de la rue d’Aerschot qui connaît un autre type de transports, j’vois au moins huit bus en vitrine, tous en attente de partir pour Aalst ou Liedekerke.

L’air est irrespirable, huit moteurs vrombissent en chœur, polluent d’autant plus Bronxelles, ma ville à moi. Alors je dis à la madame chauffeur en exagérant mon accent francophone de manière encore plus pointue que Di Rupo :

- Das twintig jaren dat ik ben buitenland weg gegaan. Ik ben van hier niet meer en ik ben blij dat ik zal overmorgen bij me thuis terugkomen. Uw bus, hij stopt in Zellik ?

- Ja, Mijnheer. Natuurlijk !

Fin d’équipée touristique. Retour chez mon fils qui m’héberge. Une heure pour huit kilomètres. A cause des embouteillages sans les capsules qui vont autour.

C’était du temps où Bruxelles bronxellait…

M’en fous, j’suis de retour chez moi !



1908: Bruxelles colorisée par Rick88888888


 

Alain Sapanhine

 

 

 

PS: La première photo fait partie d'un ensemble de photos de nuit à Bruxelles Elle provient de l'exposition "Bruxelles, Derniers Rêves" de Thomas Gunzig 

Les Beatles et Michel me paraissait le plus adapté pour terminer ce texte.  

Réponse, demain...

L'enfoiré,

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