01/12/2013
Bruxelles ma belle, ce sont des mots qui vont si bien ensemble
Un article de commande d'un ancien bruxellois qui vit depuis quelques années au Laos et qui est revenu à Bruxelles par deux fois, cette année. Il m'a beaucoup raconté au sujet du Laos, de là où il vit, une comparaison avec sa vie d'avant était intéressante. A Bruxelles, là, où je suis resté, j'essayerai ensuite de t'en ajouter plein les manches et les bottes, cher Sapanhine.
"C’était du temps où Bruxelles bronxellait…
C’était du temps du Belge muet.
Et y’a plus de tram 33.
Ni de gonzesses en crinoline.
Dommage ! Madeleine, elle aimait bien ça…
Qu’est-ce qu’il caille ici ! J’dois aller en ville acheter des bouquins au Pêle-mêle. Faut que je m’n trouve quelques-uns avant de rentrer chez moi, à 10.000 km de chez vous. D’ici qui fut mon chez moi.
Qu’est-il devenu mon Bruxelles à moi ? "
J’cloche en périphérie depuis trois semaines. Buiten Bruxelles. En terre sacrée, même si 95% des gens y parle français. Quel monde de fous ! La minorité y commande tout… Faut zwijgen dans toute autre langue que la seule permise. Comme si parler un autre sabir faisait de nous des pestiférés.
J’profite de l’occasion pour demander à mon fils qui m’héberge de me déposer à une station de métro. Manquerait plus que ça, c’est moi qui ai payé sa bagnole et il doit aller à Anderlecht. Un métro, y’en a bien un sur le chemin, non ? Parce qu’ici, y’a que des bus pour Aalst et Liedekerke. Le matin et le soir, y’en a tout plein. Pendant la journée, un toutes les deux heures. Étonnant, non ?
Il me répond :
- C’est parce qu’ils partent tous travailler au Ministère où ils resteront assis à glander jusqu’au moment de rentrer. A Bronxelles. En terre promise, si l’on en croit Bartichon. Et quand ils seront pensionnés, ils recevront de l’argent pour ne plus jamais travailler. Et comme ils sont déjà en surnombre, on les remplacera pas. Entre-temps, ils nous abandonnent au "no future". Nous exploitent, nous traitent de glandeurs. C’est pour faire des économies, tu comprends ? Et en plus, ils disent que nous vivons sur leur dos. Ce qui fait que des bus, y’en tout plein pour eux lorsqu’ils partent turbiner dans leur colonie. Et le soir aussi, afin de retourner vivre là où ils se sentent chez eux. Qu’il pleuve ou qu’il vente. Quarante ans durant… Avec leurs tartines dans leur sacoche pour ne rien avoir à dépenser chez nous.
- Depuis le temps que ces mecs cherchent à vous monter en bateau. Comment supportez-vous ça ? que j’lui réponds.
- Parce que si on fait la révolution, cela finira comme en Syrie. C’est trop tard, mieux vaut pas…
Une circulation de dingues. Des embouteillages partout, ils vont finir par se grimper les uns sur les autres. Des ronds-points, tellement de ronds-points qu’on se demande s’il existe encore une priorité de droite. C’est pour fluidifier qu’ils disent. Et quand on peut enfin passer, y’a un autre irresponsable qui traverse le passage clouté comme si c’était lui le train. Coup de frein désespéré pour l’éviter, encore un. Et une possibilité de passage perdue, encore une. Et la bagnole qui n’arrête pas de faire tûût-tûût. Pas en dehors, c’est interdit. Rien qu’à l’intérieur.
- C’est quoi tout ce bruit ?
- C’est la bagnole qui me signale que j’ai pas mis ma ceinture.
- Tiens ! Moi bien, pourquoi que tu le fais pas alors ?
- Rien à foutre…
- Et ce tintamarre ne te dérange pas ? Pire encore, si un flic te voit, tu recevras une amende !
- Pff, les flics ne contrôlent que les zones à parcmètres ! Là au moins, ils sont sûrs que cela rapporte. C’est pourquoi y’en a pas Place Lemmens, faut respecter les usages sociaux des gens du coin. Eux sont tous insolvables et de plus, y z’aiment pas qu’on vienne foutre le nez dans leurs affaires. Entre nous, on appelle ce coin le petit Marseille. On voit bien que t’es plus d’ici, toi !
Encore un rond-point. Station Veeweyde, on y est. Il s’arrête sur un coin. Mais y’a pas de coin, c’est un rond-point. Un mec klaxonne derrière. Comme un enragé, sûrement qu’il est à la bourre pour aller travailler. Ou alors, c’est un livreur bizarrement productiviste. Je m’engouffre dans la bouche de métro.
C’est lugubre, sale, long comme un jour sans pain. Quatre jeunes oisifs occupés à discuter. Je ne crains rien, j’suis pas bien habillé. Avec un sac à dos pour mettre les futurs bouquins. J’ai l’air d’une cloche. P’t’être pas tout à fait car mes godasses ne sont pas éculées, mais manifestement j’donne pas l’air du gars plein aux as. Je passe comme si je ne les avais pas vus. Ils me regardent comme si je n’étais qu’une ombre. Absence manifeste de mauvaises intentions de ma part. Ils restent cois, encore une chance.
Cent cinquante mètres de cavale sous le regard vitrifié de briquettes blanc sale, uniformité garantie. J’arrive à une machine qui distribue les tickets. Enfin, qui les distribue à sa façon. Economies d’échelle. Y’a pas un contrôleur, pas un caissier, pas un poinçonneur des lilas. A se demander pourquoi le ticket est tous les jours un peu plus cher. C’est le modernisme sans âme. La foule et ses solitudes. La ville sous terre, terrée sous terre. Putain de machine, j’y comprends rien avec tous ces boutons. Sélection-bouton-sélection-piège à cons. Salope, elle s’est bloquée sur Nederlands et veut sûrement que je m’incline devant ses ordres. Je cherche dans quelle fente je peux lui glisser mon billet de 5 euros, celui que je garde dans ma veste passe-partout pour ne pas montrer que j’en ai plus dans ma poche-revolver. Va te faire voir, consommateur inexpérimenté ! Faut des pièces. Moi, service public, je n’accepte pas les billets, semble t’elle me dire en ricanant.
Grosse pute, tes pièces, je les emmerde. J’en ai pas une sur moi. Et si j’en avais, je les transformerais en billets de par chez moi où y’a pas de pièces, cela ferait directement une petite fortune. Votre monnaie de singes, elle bourre les poches et le soir, t’en as collationné facile pour 20 euros. Du bête métal couleur or et couleur argent, comme si le fric en minuscule ne comptait pas. 20 euros ! Là où je vis, on achète de quoi bouffer 15 jours à ce prix-là ! Ici, elle bourre les poches jusqu’à faire des trous dedans et elle fout le camp comme si elle ne valait rien.
Mais qu’est-ce que je suis venu foutre dans ce Bruxelles-là ?
Et il fait froid. Si gris. Gris et aseptique à la fois.
Vivement le retour chez moi. Même la pluie y est chaude, c’est dire !
Nouvelle contrariété, y’a que des contrariétés dans cette capitale de tous les déchets, de toutes les affres. J’ai pas de pièces pour nourrir la bête électronique et y’a pas un magasin pour me dépanner. Rien que trois affiches de fond de couloir : local commercial à louer. Pas un fonctionnaire de service non plus. Rien. Le tout à l’automatique et schnoll pour le reste. Obligé de faire marche arrière. Les 4 jeunots me regardent plus méchamment. Si je commence à faire des aller-retour, c’est que je suis un flic. Que je surveille quelque chose, quelqu’un. Ils se méfient. Moi aussi, match nul. Je ressors de la bouche de métro. 40 marches en duralumin à escalader, l’escalator ne fonctionne pas. J’avise une pompe à essence avec un petit garage autour. Je rentre du côté de la caisse, y’a personne. Et si y’a personne, c’est qu’il n’y a pas de fric non plus, me dis-je. Pourtant avec tous ces chocolats, ces canettes de Coca, ces paquets de clopes qui traînent, y’a presque de quoi commettre le casse du siècle. J’me demande pourquoi mes 4 glandeurs discutent le bout de gras dans la bouche de métro, alors qu’il y a tant de travail potentiel à deux pas. Un paquet de pognon facile à faire, suffit de rentrer, de se servir fissa et puis de cavaler. Même pas besoin d’une arme, c’est dire ! Mais moi, j’suis d’un naturel honnête, cela ne se commande pas.
Deux minutes plus tard, arrive un mec en salopette :
- Et pour Monsieur, ce sera ?
- Un chocolat, j’ai pas de monnaie pour le métro.
- D’où sortez-vous, vous ?
- Du métro, vous dis-je. J’dois aller en ville et j’ai pas de monnaie. J’me suis fait surprendre, je ne pensais pas qu’il n’était possible de ne payer qu’avec des pièces. Cela fait vingt ans que je ne vis plus en Belgik. A dire vrai, j’me sens un peu perdu chez vous.
- Z’avez bien fait de partir. C’est devenu dingue ici, vous savez. On n’est plus chez nous, vous comprenez ?
Un peu. Mais je ne vais pas en rajouter, j’ai besoin de monnaie. Pas de m’entendre seriner des lieux communs.
- Un euro cinquante !
- Quoi, 60 francs pour un petit bâton de Côte d’Or ! Mais de mon temps, même du vrai or coûtait moins cher que cela. Quand je suis parti il y a 20 ans, je ne les ai plus depuis longtemps.
- Ouais, le bâton on aurait dû l’employer pour leur foutre sur la gueule et chocolat, c’est nous qui le sommes. Et ça s’arrangera pas demain, vous savez !
M’en fous. J’aime bien le chocolat et j’ai enfin 3 euros cinquante de monnaie. Le passe pour Bronxelles sous terre. Les jeunots me regardent à nouveau. Y’en a un qui dit « eh vieux, tu cherches du shitt ? « J’fais celui qui comprend pas, le balourd, le kouffar. Pratique pour le bizness au détail, le métro. Les rares fois où les flics y descendent pour voir ce qui se passe, on peut foutre le camp dans toutes les directions et bye-bye salut ! Au pire des cas, les juges te libéreront demain, tout le monde sait ça. Mais y’a jamais de flics, on les occupe à foutre des amendes là où on a trouvé rentable de planter des horodateurs. Un racket juteux ! Au moins, les automobilistes ont de quoi payer. Quant aux brigades d’intervention, elles ont autre chose à faire. Du boulot à tout casser, cela tombe sous le sens. Y’a même des jours où cela ressemble au Far-West, ils sont entraînés pour. L’adversaire aussi…
Retour à la machine qui poinçonne, vend, accueille, avale votre fric sans dire merci, renseigne. Y’a encore plus de boutons que tout à l’heure, dirait-on. Un gros noir sous lunettes de soleil attend derrière moi. J’finis par lui demander comment cela fonctionne. Il ne parle qu’anglais mais lui, il a déjà appris à dompter le bazar. Un rigolo, il a l’air sympa. C’est pas tous les jours qu’il reçoit le droit de prendre l’autre pour un imbécile. Je le lui précise. En anglais aussi. Il rigole, me dit
- Crazy. Here, they are all crazy, men !
Il a tout pigé le gros négro. C’est pas à lui qu’il manque une case…
Une petite vieille m’accoste :
- J’dois prendre le métro, Monsieur. J’ai peur toute seule dans ces couloirs. Vous voulez bien m’accompagner jusque là ?
- Bien sûr, Madame. Vous allez où ?
- A Erasme voir mon mari à l’hôpital. Vous y allez aussi ?
- Non, j’vais en ville. Mais j’attendrai sur le quai avec vous, j’suis pas pressé.
- Oh, vous êtes gentil, vous ! Y’en a plus beaucoup comme ça, vous savez !
Le métro à ma petite vieille arrive. Il est presque vide. Tant mieux, y’a plein de banquettes pour elle toute seule. Interdit de traverser les voies, y’a même pas besoin de panneaux pour le préciser. Re-escalator pour arriver de l’autre côté, celui-là ne fonctionne pas non plus. Encore une volée de marches à escalader. Retour direction ville. Là, l’escalator fonctionne. Dans le sens de la descente. Rien que la descente, c’est l’automatisme qui veut ça.
A nouveau dix minutes d’attente. Arrive une rame elle aussi presque vide. Veeweyde-Lemonnier, c’est pas vraiment ce qu’il y a de plus pratique. Y’en a pour un peu plus de deux kilomètres à vol d’oiseau, mais l’ennui, c’est qu’il faut changer trois fois de rame pour y arriver et c’est bien ce que me précise le panneau indicateur comme s’il avait, lui aussi, le droit de se foutre de ma gueule. Plein de griffures, le panneau. Serait-ce un nouveau support expressif à la culture populaire ? Y’a aussi trois « fuck you « écrits au magicolor, le dernier dans un espèce de demi encadrement sous forme de bite. Et pour couronner le tout un « j’t’emmerde, connard ! « en lettres de feu. Encore un mec qui a tout compris mais j’trouve quand même qu’il aurait pu éviter de faire valoir ses états d’âme sur plexiglas. Surtout avec trois fautes d’orthographe !
Sur du mobilier public, vous vous rendez compte ?
Ceci dit, il a raison le philosophe. On est toujours le konar d’un autre, non ?
Tûût, c’est la rame qui redémarre. Y roule vite le métro. L’ennui, nouvel ennui, c’est qu’il ne va jamais en ligne droite. Paraît que la Stib sait ce qu’elle fait. Sinon, c’est le bus, la circulation de surface. Tous ces gens qui rentrent par l’arrière sans payer… Une heure, un peu moins si on a de la chance avec les feux rouges. Et les ronds-points. Encore et toujours des ronds-points pour encore et toujours ralentir le bazar, tout engluer. Des sites propres. Tellement propres qu’on supprime toutes les voiries qui empêchent de les créer. Et depuis, les automobilistes qui n’ont pas d’autre choix que d’aller travailler finissent parqués comme des moules-frites dans leurs files propres, dans l’attente impatiemment. Y’a pas plus rationnel pour dégoûter les gens de boulotter. Ils feraient mieux de se mettre au vélo. Pour qu’il n’y ait plus d’embouteillages, on devrait ne permettre qu’aux Ministres d’avoir une voiture. Avec chauffeur pour créer de l’emploi. Aux Ministres et à leurs ayant-droits… Comme en Chine avant la libération, pardon la libéralisation.
Beekant-Beekant annonce la présentatrice électronique dans les deux langues. Plus de la moitié de la foule descend en bon ordre que cela fait plaisir à voir. J’finis par comprendre que je dois suivre le mouvement et me diriger vers le quai juste en face, là où c’est marqué dans de grands ronds bleus M1 et M2. On dirait qu’on est à Cuba, les lézardes, la zwanze, les flics en civil et les vélos-taxis en moins. En regardant bien, j’ai vu que dans un coin il était discrètement inscrit direction Brouckère, Arts-Loi et puis Delta. A mon avis, les autres le savaient déjà. Je me suis donc contenté de suivre le mouvement. De faire comme tout le monde, ne rien demander à personne. Votre monde est si social que vous ne vous apercevez même plus que tout le monde l’ignore…
Dix minutes d’attente de plus. La rame s’obstine à rester portes fermées. C’est pour éviter les dégradations, vous comprenez ? « Fuck you ! « telle est votre devise.
Les portes s’ouvrent. Les masses populaires s’engouffrent. Tûût, c’est la chenille qui redémarre. Les pieds en équilibre au milieu du soufflet, y’a une jolie noire en équilibre avec un gosse dans un espèce de filet posé sur sa poitrine. Je lui souris, elle ne me le rend pas. Étangs Noirs, on dirait que l’invasion n’attendait que cela pour occuper le dernier carré d’espace vital. Un Roumain totalement identifiable monte en premier avec une boîte à rythme et un espèce d’harmonica à bouche. Crac Boum-hue ! il enclenche Dieu sait quelle rythmique du genre techno-tsigane et crachote dans son truc comme s’il était Luis Armstrong. Heureusement qu’il n’a pas de violon, il aurait fini par en éborgner quelques-uns ! Dans l’indifférence la plus totale. M’est avis qu’il devrait se recycler en apprenant à jouer la Brabançonne au Conservatoire, celui qui ne joue que du classique que plus personne n’écoute, sauf en smoking. Rentrent en force trois barbus en chasuble blanche aussi. Dont un avec un veston par-dessus. Pour faire chic ? Allez savoir… Avec la tronche qu’il se paye, il se pourrait bien qu’il transporte des grenades. Et plein de jeunes ensuite. Tous avec des falzars qui leur pendent aux fesses, un kioske à musique individualisé sur les oreilles et des casquettes de base-ball à l’envers. Des grosses têtes. J’croyais qu’à cette heure, ils devaient être à l’école.
Tûût, c’est encore la chenille qui… Ah béh non, elle démarre pas ! V’là que deux bonnes sœurs en soutane noire tentent à tout prix de rentrer en dernière seconde. Elles bloquent les portes, chacune avec une poussette. La plus grosse avec une double, on dirait un bus à deux étages. Vous verrez, bientôt elles réclameront une plateforme pour elles toutes seules. Et ces bonbonnes à l’air libre poussent comme des enragées pour se frayer une place, exigent qu’on se tire pour leur permettre de se frayer une place, traitent un pauvre type ratatiné sur son journal de raciste parce qu’il n’a pas bougé d’un pouce. J’fais un signe à la jolie noire et son gosse bien abrité dans son filet. Lui en bonnet rouge, elle toute de mauve vêtue. D’un geste des deux bras, je tente de lui faire comprendre que les deux bonnes sœurs devraient plutôt porter leur landau sur la poitrine. Cette fois, elle rigole …toujours ça de gagné !
Comte de Flandres, même topo. Alléluia, les deux poussettes à génération future descendent et les deux bonnes sœurs ont l’air vraiment vexées qu’on ne leur laisse pas l’entièreté du passage. D’autres poussettes toutes aussi encombrantes les remplacent tout aussi vite …avec d’autres bonnes sœurs en fichu autour. Toutes interchangeables. Toutes regard baissé. Toutes à s’être donné le mot d’être aussi indésirables les unes que les autres. Moins excitées cependant, comme si la foule avait déjà été matée. On dirait une invasion en coulée continue, la force de l’habitude, une usine à embouteillages sans les capsules qui vont par-dessus..
Sainte Catherine, pas d’incident. Y’a que des restos grand-luxe ici. Aucune raison de s’y arrêter. Seul le plouc ratatiné sur son journal descend. Il a l’air résigné sur son sort…
Brouckère. Tout le monde y descend pas. Mais avec ceux qui s’obstinent à vouloir monter en même temps, c’est tout comme. Les sardines en boite sans le Aldi qui va autour. Une autre négresse de passé cent kilos crie « Au voleur ! « Y’a un mec aux cheveux crollés qui fout le camp dans l’indifférence la plus totale. Sauf un type qui dit :
- Mais Madameke, quand tu prends le métro, tu dois garder ton sac serré contre toi !
Sûrement un gars des brigades de prévention, il paraît que cela existe…
Reste l’ultime kilomètre sous le ventre de la ville. Troisième et dernier métro pour Lemonnier. Mais comme à Bronxelles on n’a rien pour rien, faut encore se farcir 200 mètres à pinces. Cette fois, il ne s’agit que d’un tram mais je lui pardonne, il est arrivé trois fois plus vite que les métros ultra-rapides. Retour à l’air libre. Me voilà sollicité par une pléthore de magasins qui vendent ce que, de mon temps, on ne trouvait que rue de Brabant. Plus un magasin de seconde main à l’enseigne Oxfam. Et des snacks hallal, encore et toujours hallal comme si on était en plein pays cathare. Pardon, au Qatar, le luxe et l’abondance en moins. Un tas d’autres barbus en toge mais plus vieux colonisent les bancs publics, tous les bancs publics. Des groupuscules de zigs dans la force de l’âge discutent au milieu de la place Anneessens. Tous à attendre qu’on veuille bien leur donner du travail, sans doute. Bizarres ces Muslims. C’est chez eux qu’on trouve à la fois le plus d’entrepreneurs et le plus de chômeurs. Allez comprendre…
J’y arrive enfin au Pêle-mêle. Juste à côté, devant une baraque à l’abandon, extérieurement à l’abandon, un zig crasseux fait la manche. J’réfléchis pas, j’lui donne de bon cœur les 50 centimes de monnaie qui me traînaient en poche. Y me mate de ses yeux chiasseux, me dit « Tu pourrais au moins me donner un euro, j’ai pas de domicile !
J’y crois pas …ou alors c’est bien fait pour lui, y’a deux canettes de Cara-Pils 33cl étales à ses pieds. Un incroyant, cela ne souffre aucun doute. Comme je ne suis qu’un salaud de classe moyenne, je l’ai regardé d’un air méprisant. Le pauvre ! Il a dû croire que je travaillais dans une banque d’affaires, chez Dexia par exemple. Alors j’suis rentré me sécuriser dans mon monde de rêves à dormir debout et j’ai fouillassé le Pêle-mêle de fond en comble. Des heures durant, sans rien penser d’autre et j’en suis sorti avec une quarantaine de bouquins dans un sac que la nouvelle direction m’a fait payer 40 centimes, y’a pas de petit profit. Presque 100 euros les bouquins, une affaire. Une affaire ou la honte. Chez moi, à 10.000 km de ce Bruxelles que j’ai quitté il y a 20 ans, c’est ce qu’on gagne sur un mois. A raison de 6 jours de présence au boulot par semaine. Sans rouscailler, sans syndicats, sans rien sinon ne pas oublier de dire merci au patron d’en donner autant.
Me serais-je endurci à ce point pour être devenu indifférent à la misère humaine ? Non ! Pour m’être érigé en prophète en vous ayant donné une autre vision de ce qui se passe tout à côté de chez vous ? Non plus ! Pour vous affirmer que j’ai fait le bon choix de me tirer avant que votre quotidien n’ait pris le temps de devenir le mien ? Là, sûrement ! Tout ça pour être parti chercher des bouquins de seconde main qui causent de social, d’égalité illusoire, d’histoire de l’humanité, de politique-fiction, de cul puisque l’humain ne pense à rien d’autre. Les romans de la vie. Ceux qu’on feuillette page après page. Celle à côté de laquelle vous semblez à peu près tous être passés…
J’ai repris le métro jusqu’à la gare du Nord.
Dix sept heures. En sous-sol, du côté opposé à celui de la rue d’Aerschot qui connaît un autre type de transports, j’vois au moins huit bus en vitrine, tous en attente de partir pour Aalst ou Liedekerke.
L’air est irrespirable, huit moteurs vrombissent en chœur, polluent d’autant plus Bronxelles, ma ville à moi. Alors je dis à la madame chauffeur en exagérant mon accent francophone de manière encore plus pointue que Di Rupo :
- Das twintig jaren dat ik ben buitenland weg gegaan. Ik ben van hier niet meer en ik ben blij dat ik zal overmorgen bij me thuis terugkomen. Uw bus, hij stopt in Zellik ?
- Ja, Mijnheer. Natuurlijk !
Fin d’équipée touristique. Retour chez mon fils qui m’héberge. Une heure pour huit kilomètres. A cause des embouteillages sans les capsules qui vont autour.
C’était du temps où Bruxelles bronxellait…
M’en fous, j’suis de retour chez moi !
1908: Bruxelles colorisée par Rick88888888
Alain Sapanhine
PS: La première photo fait partie d'un ensemble de photos de nuit à Bruxelles Elle provient de l'exposition "Bruxelles, Derniers Rêves" de Thomas Gunzig
Les Beatles et Michel me paraissait le plus adapté pour terminer ce texte.
Réponse, demain...
L'enfoiré,
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Commentaires
Ja, mein Herr, natürlich ! Geen probleem ...
Écrit par : zelectron | 01/12/2013
Bonjour à tous. N'allez pas croire que Bruxelles, je le résume à ça, ni que je fais des fixations. Tout dépend d'un instantané du moment, du décalage, d'une vérité étrange, d'un voyage à l'étranger qui a duré un peu plus de trois heures. Secoué le poète, il n'aurait pas du tout écrit la même chose s'il avait vécu ces quelques jours à Wolumé ou à Fort Jaco. Mais il y a une constante qui se dégage de ces deux visites à quelques mois d'intervalle. Votre monde est aseptique, non émotif primaire, sans passion, sans rigolade et sans joies, sauf celles que l'on se réserve chez soi et les jeunes ont l'air abandonnés à eux-mêmes. Bon, c'est vrai : il fait trop froid pour que la vie se passe dans la rue. Mais bon dieu de bon sang, qu'est-ce que ce monde est atone !
Hou-hou, Bruxelles es-tu là ?
Écrit par : alain sapanhine | 01/12/2013
Oui, il est là.
Pas 24h sur 24. Ce n'est pas New York, the town who never sleeps.
( http://www.youtube.com/watch?v=M0_S62E2ylY )
La photo et celles que tu peux suivre par le lien le prouve.
Pour ce qui est de la rigolade, il suffit d'aller dans les caberdouches, Certains ne désemplissent pas.
Mais j'arrête ici.
La suite est pour demain.
Écrit par : L'enfoiré | 01/12/2013
Bruxelles ma belle – Winston McAnuff et Fixi
http://blog.lesoir.be/frontstage/2013/12/03/bruxelles-ma-belle-winston-mcanuff-et-fixi/
Écrit par : L'enfoiré | 03/12/2013
J'avais oublié de te signaler ceci: http://www.come4news.com/journee-des-droits-de-lenfant-582641 avec les commentaires ça va de soi :-)
Écrit par : zelectron | 22/12/2013
Le Cambodge ? J’ai beaucoup aimé surtout les 3 jours où j’ai rayonné dans Angkorvat : 250 km de vélo et je n’en ai même pas vu le quart, c’était magique. Sihanoukville également. Le souvenir d’une soirée dingue dans une piscine…et un crocodile heureusement harnaché. La pauvre bête, elle n’a pu que jouer au voyeur, mais de très près. Je ris, il y avait surtout les gosses de la ville. Avec mon vélo de course et mes équipements lunaires pour eux, je ne passais pas inaperçu. Le 3ème jour, deux gamins m’ont demandé de m’accompagner. Quelques jours plus tard, ils étaient 10, 20 et puis tellement. Il y avait une formidable grimpette à la sortie de la ville, au moins 7 km. Leur apprendre à rouler en peloton, ne pas louvoyer, ne pas se foutre derrière un camion dans les descentes. Cela se terminait au sprint dans l’avenue centrale, je crois que jamais les locaux n’avaient vu ça. Puis il y eut mon accident pour tout gâcher. Pris en sandwich entre une bagnole qui roulait à contresens et une autre qui sortait d’une station-service comme si elle était seule au milieu du désert. Je suis tombé sur le côté de la tête, c’était le jour où la France a perdu la finale de la Coupe du monde contre l’Italie. 8 ans déjà… Le mec à contresens est sorti de sa 4X4 pour me chopper mon ceinturon avec passeport et fric. Ma tête tournait, c’est une petite vieille qui l’a chassé. Ensuite, j’ai demandé à la pompe un peu d’eau pour essuyer le sang qui me coulait du bras. Le mec m’a montré le pistolet à carburant en rigolant. Le lendemain, le proprio de la "guesthouse" est venu faire un scandale car il y avait du sang plein SON oreiller. Je suis resté près de 8 jours au pieu sans bouger, puis ai repris un avion pour Vientiane où je suis encore resté alité durant une quinzaine.
Adios le Cambodge…
Le Vietnam : à écouter tous les demi-routards et amateurs de voyages non organisés, cela ne m’a jamais donné envie d’y aller. Les Viets sont agressifs, cherchent continuellement à te rouler, c’est comme un leitmotiv. Je suis allé en vélo jusqu’à 40 km de Dien Bien Phu, du côté lao de la rivière qui fait la frontière, je n’irai jamais.
La Thaïlande a fini par me dégoûter. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, ce sont des flics. J’étais venu ici au Laos et c’était la saison des pluies. Le toit a percé et quand je suis rentré, le plafond gondolait La proprio qui était l’épouse d’un Anglais chargé de la sécurité des Airbus pour l’Asie du Sud-Est …et la maîtresse du chef de police du coin les a envoyés me sauter dessus. Je me suis retrouvé à terre et sans passeport, ils m’ont racketté de 800 euros. Bye-bye !!!
La Nouvelle-Zélande, j’aurais voulu mais, si le pays est incontestablement magique, je peux te garantir que les nationaux qu’on ne voit pas mal par ici, sont tous des bourrins. J’suis pas bégueule mais à part la bière et un accent incompréhensible, c’est eux qui m’ont fait reculer. Dommage, c’était un pays que j’aurais voulu visiter, surtout l’île la moins peuplée, celle des Maori.
Dans une autre vie peut-être.
Le Laos, Un dégoût, il me vient petit à petit ici. Je crois que j’en ai marre de ce je m’en foutisme absolu, de ces flics qui ne cherchent qu’à racketter les Blancs, de cette circulation automobile où le n’importe quoi est la règle, mais que tu dois éviter car, si carton il y a, ce sera toujours de ta faute. Je vois au moins deux fois par semaine des accidents mortels: de bagnoles en contresens, motos qui se télescopent, jamais de casque. Feux rouges qui ne comptent pas. Ils roulent tous au milieu, puis décident d’aller à gauche ou à droite quand ils en ont l’envie. Sans regarder, le rétroviseur ne sert qu’à se recoiffer.. Tantôt encore, un flic est venu droit sur ma voiture, histoire de chercher une infraction. Je lui ai répondu qu’il aille se faire foutre, il m’avait déjà fait un coup similaire la semaine précédente et je lui ai montré toutes les bagnoles garées sur les trottoirs en lui disant de s’occuper plutôt de celles-là. Il s’est fâché, je lui ai montré mon téléphone en disant : tu vois, ce numéro-ci, c’est celui du Chef de la police. Tu veux des emmerdements ? Il a filé la queue basse mais cherchera certainement à se venger. Je ne suis pas pour l’ordre à tout prix, mais des flics corrompus à ce point me débectent. J’ajoute à cela tous ces Européens bourrés du matin au soir, ces putes mâles et femelles qu’on voit partout, la milice qui suit ceux qui les agrafent puis viennent les racketter dans les "guesthouses" « non protégées «, tous ces gosses qu’ils choppent à fumer des pétards en rue qu’ils ne libéreront que moyennant 1.000 dollars. Tout cet ordre public bourré d’outlaws…. Ces gamines à peine nubiles qui disparaissent sans que cela n’émeuve personne et SURTOUT ne vas pas t’en mêler. Une société sans pitié. Avec de nombreuses exceptions, c’est vrai. Mais bon… S’ils doivent trouver leur fric eux-mêmes puisqu’ils sont sous-payés, qu’ils arrêtent de ne s’attaquer qu’aux Blancs ou s’occupent de ce qu’ils doivent s’occuper sans demander d’abord de l’argent. Je préfère le souvenir de la nana en uniforme ce matin qui m’a donné un visa pour 3 dollars en m’expliquant toutes les démarches. Oh le joli petit chien ! Tu me le donnes ? La bouffe aussi. C’est trop souvent dégueulasse, pas frais. Je tombe continuellement malade. La bidoche traîne des heures sur les étals, on te sert ce qui n’a pas été vendu hier, on te vend du café à l’eau non potable…
Toujours le fric, rien que ton fric. Pas tous, mais bien trop souvent. La limite de tolérance est atteinte.
Ouais, j’ai plus de 10 ans d’Asie.
Ce sera pour octobre, peut-être septembre. J’ai loué une baraque pour 7 mois. Je viens payer. Ah non, c’est 15 mois… Vous aviez dit 7 ! Ce n’est pas grave, revenez demain, on ira faire les papiers à la Mairie. Et le lendemain : revenez demain, la Mairie est fermée aujourd’hui. Mais bordel, vous ne saviez pas téléphoner, j’ai fait 80 km pour rien . réponse : ce n’est pas grave…
No comment.
Et aujourd’hui, on les établit ces fameux papiers. N’oubliez pas le service. Cela ne coûte rien, mais si vous donnez 10 euros je vous arrange cela desuite. Mais bon, la locataire ne partira que lundi. Mais elle avait dit demain ! Ce n’est pas grave. Mais si ! Le camion de déménagement est prévu pour demain. Ce n’est pas grave. Donnez 10 euros de plus, cela s’arrangera.
Ne jamais me fâcher devant l’inadmissible. Cela me devient impossible. En revenant, je me suis arrêté au marché. Il y a de la place pour 50 voitures. Un connard, un de plus, s’est arrangé pour mettre sa moto juste derrière ma voiture. Boum. Et encore une fois 10 euros, sinon il appelle les flics. Tiens, les voilà, ce n’est pas grave… Contagieux mais pas grave… On ne veut plus de nous, les Chinois viennent avec plus d’argent. Ce n’est pas grave…
Re "no comment".
L’orage commence à tonner, il fait une chaleur épouvantable. De ça aussi, j’en ai marre. Je ne supporte plus ces 40/45 degrés, 35 la nuit. Faut que je vois autre chose, je ne peux pas m’enterrer définitivement ici. Internet ne fonctionne presque jamais. Je suis devenu un spécialiste de la Dame de Pique sur le computer … à force d’attendre des heures ce qui te prend 3 secondes. Ce n’est pas grave…
Le reste du mail, je ne peux plus. Je dois finir d’emballer, les éclairs arrivent, l’électricité va sûrement sauter. Ce n’est pas… SI, CELA FINIT PAR ME PORTER SUR LES NERFS !!!
J’attendrai cette nuit pour t’envoyer plus. Actuellement, cela ne fonctionne évidemment pas.
Bye-bye l’Asie…
Je pars avant de finir amorti comme la plupart !
Écrit par : AlainSapanhine | 03/04/2014
Merci d'ouvrir ton cœur et ton esprit.
Si tu me le permets j'ajoute ton commentaire en ton nom à la suite de l'article dans lequel je te le demandais.
L'année passée, nous avons eu un hiver assez dur, par ici.
J'avais écrit un billet "L'hiver chez moi, c'est quoi" ( http://vanrinsg.hautetfort.com/archive/2013/01/18/l-hiver-chez-moi.html )
Je décrivais ce qu'était la chaleur dans un pays tropical.
Quand on a quelque chose dans le ventre et que l'on garde un esprit critique, il y a une chance de rester moins "amorti"...
Je me souviens de ton article sur la Laos
( http://vanrinsg.hautetfort.com/archive/2012/06/28/le-laos-est-un-pays-communiste.html )
dans celui-ci tu terminais par cette conclusion:
"Dans mes rêves d’enfant, il y avait encore la Nouvelle-Zélande et le YuCON pour que je finisse mon tour de ce que je voulais voir du monde, mais je commence à me faire vieux. Ayant atteint l’âge fatidique de 65 ans aujourd’hui même, je sais juste que le paradis terrestre n’existe pas. Mais aussi que s’il existait, il devrait probablement se trouver ici. Les paysages sont somptueux, les gens fondamentalement gentils même s’ils sont rivés sur vos dollars (trois jours, pas plus car la nécessité refera immanquablement surface), la nature vierge, la vie douce et pas chère, aucune agressivité, les demoiselles gentilles et diablesses à la fois mais pas farouches pour un sou ( cfr Malraux ).
Dans le fond, le Laos ne m’a appris qu’une chose : ne pas juger.
Et une autre : avec le sourire, on ouvre toutes, vraiment toutes les portes.
Une troisième et ce sera la dernière : le respect de l’autre tel qu’il est, sans préjugé aucun.
Le Laos, c’est le port d’attache de ceux qui n’en ont plus.
S’il n’existait pas, il faudrait absolument l’inventer. "
Écrit par : L'enfoiré | 04/04/2014
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