Les infidélités de notre mémoire (02/03/2019)

0.JPG"Je me souviens donc je me trompe", le titre d'un documentaire de ARTE. Notre mémoire stocke au fur et à mesure empiriquement les éléments de notre vécu. Influençable, elle nous joue en réalité des tours en permanence. Des chocs physiques ou psychiques ne cessent d'altérer nos souvenirs proches ou lointains.

Dès 1974, Elizabeth Loftus a mis en lumière ce qu'elle appelle le syndrome des faux souvenirs. Reconstruits à partir de récits à posteriori, nos réminiscences sont suspectes, surtout celles de la petite enfance. 

...

Comment démêler le vrai du faux ? Les souvenirs que nous tenons pour vrais le sont-ils forcément ? Sommes-nous condamnés à être trahis par notre cerveau qui est l'élément le plus complexe de notre corps ?
La conscience est-elle un flux continu ou une succession d'instantanés ? Pourquoi tant de découvertes, que l'on qualifiera de prématurées, ont-elles été négligées ? Que ce serait-il passé si on les avait acceptées en leur temps ?
Des questions se poursuivent sans cesse.

La vidéo "Je me souviens donc je me trompe" explique comment on essaye de comprendre les mécanismes de ces distorsions, grâce à l’imagerie cérébrale et aux protocoles expérimentaux. Les neurobiologistes expérimentent des méthodes pour effacer les souvenirs ou les faire émerger dans le traitement du stress post-traumatique ou de maladies comme Alzheimer ((Rappel de ce billet "Al? Al, comment?"), mais pointent aussi les possibles dérives de telles pratiques puisque des chercheurs du CNRS parviennent à implanter des souvenirs artificiels chez des souris.


0.JPGDeux semaines avant de mourir en 2015, Oliver Sacks a décrit le contenu de l'ouvrage qu'il prévoyait de publier avec le titre "Le Fleuve de la conscience" et ses indications ont été scrupuleusement suivies.
Son interrogation s'étend à presque tous les domaines du vivant, qui le passionnent et l'intriguent. Mais, il les abordait par ce qu'ils ont de surprenant ou d'inattendu.
La science elle-même se montre sous un jour nouveau : Darwin s'avère être un botaniste original, Freud un neurologue novateur.
On s'aperçoit que le rôle du hasard est essentiel, et que la science, dans son développement, est contingente... comme la vie elle-même.
La mémoire fait partie d'une facette de la consci
0.JPGence..
Dans le magazine "Psychologies" de février, un article est consacré à cette mémoire avec la même question "Tous nos souvenirs sont-ils vrais ?".
Dans l'histoire, on s'est efforcé d'arracher des aveux religieux ou politiques au moyen de méthodes d'interrogatoire extrême en infligeant de véritables tortures physiques et mentales dans le but d'obtenir des souvenirs susceptibles de déboucher sur une inculpation.
Manipulations effrayantes que l'on retrouve dans la parabole d'Orwell du 1984 dans laquelle l'inculpé renie ses idéaux, sa mémoire et sa raison jusque dans les souvenirs suggérés.
Les témoignages oculaires ne sont pas plus fiables. Les inculpés se retrouvent pris au piège ou en porte-à-faux de leurs révélations.
Vérité historique contre vérité narrative que les juges se doivent de réconcilier ou de faire dérailler vers une réalité plus vraie ou plus vraisemblable.
La mémoire est flexible et créative rend les sources caduques par les expériences antérieures affabulatrices ou mêmes sérieuses.
Notre indifférence aux sources nous permet d'assimiler pour que paroles, pensées, écrits nous paraissent suffisamment intenses et riches comme s'il s'agissait d'expériences primaires, pour apporter notre pierre à un esprit commun d'un savoir partagé. 
Les informations à mémoriser sont subdivisées dans toutes les parties du cerveau en commençant leur périple par hippocampe jusque dans le cortex cérébral.
Il faut amender sa mémoire, se l'adapter en permanence en fonction des informations qui grouillent, se mélangent et se complètent.

Les prétendus "souvenirs retrouvés" d'une expérience traumatisantes qui a été refoulée, sont des réflexes de notre esprit à des fins défensives.
Limité, le cerveau efface certains souvenirs pour en introduire de nouveaux plus récents dans une sorte de stack en FIFO, du premier souvenir mémorisé, premier évacué. L'homme a une intelligence analogique et associative des éléments de son environnement pour construire son langage.
Différences entre la mémoire de l'homme et celle de la machine.
La mémoire ressemble à une suite de pages de Wikipedia que l'on peut corriger, amender par de nouvelles informations. Tout comme une page de Wikipedia, elle peut contenir des informations et des souvenirs suspects qui n'ont jamais existé. Les enfants en dessous de l'âge de 2 ans, n'ont pas le cerveau suffisamment développé pour garder des souvenirs.
La maladie d'Alzheimer ne permet plus de retenir ce qui fait partie d'un passé récent. Ses patients remontent plus loin dans le temps sous forme d'hallucinations (Vidéo de Oliver Sacks).
Même si l'amnésie peut faire disparaître des éléments de mémoire, cela ne veut pas dire que les souvenirs ont disparu. Ils ne sont seulement plus accessibles par les synapses qui relient les neurones entre eux. Pour les retrouver, il faudrait pouvoir les réactiver, les reconstruire et les consolider en de multiples étapes. Le risque de cette opération réside peut-être dans l'implantation de faux souvenirs qui contamineraient la mémoire.
Cibler les souvenirs par impulsion pour amoindrir les souvenirs ceux qui sont post-traumatiques ou renforcer les souvenirs heureux, sont des phases de fragilisations de la mémoire sans contrôle du patient lui-même est le bon côté d'une pièce thérapeutique et le mauvais côté de cette même pièce dans des mains malfaisantes.
Le jugement des magistrats peut être empoisonné par des témoins qui, pourtant de bonne foi, informeraient la justice par de fausses interprétations de la réalité influencées par des stéréotypes et des préjugés.


...

Qu'en sera-t-il demain de la mémoire humaine ?

Le risque existe que l'intelligence humaine ne ferait plus le poids face au big data utilisé par la machine numérique qui a une mémoire illimitée et indélébile sans une intervention extérieure. A l'intérieur des mémoires d'ordinateurs, les informations sont indexées pour accélérer les processus de recherche. 

0.JPG

Tout semble aller mieux avec la mémoire utilisée dans les nouvelles technologies de l'information numérisée. Ce qui se passe dans l'ordinateur est similaire au cas de l'autiste néo-zélandais, Nigel Richards, doué d’une mémoire photographique exceptionnelle qui ne voit dans les mots qu’une valeur numérique sans en connaitre la signification qu'apporterait la langue elle-même puisque les lettres de l'alphabet n'ont aucune signification en elles-mêmes pour exprimer des idées  (cf "Défendre une langue ou un dialecte?"). Personne plutôt étrange dans une compétition exacerbée tout comme l'IA faible que nous connaissons aujourd'hui dans une sorte de transhumanisme relié aux nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives (NBIC).
Mais, il faut garder l'idée que les nouvelles technologies ne sont en fait que des outils pour accélérer et augmenter les performances et le rendement des informations et pas d'en faire une raison sine qua non.
Un problème majeur surviendrait si l'intelligence humaine s'atrophiait par facilité au bénéfice d'une machine considérée comme seulement plus efficace.
Affronter la stricte réalité, une fois identifiée, se pratique par des trucs, des astuces, des conseils pour faciliter la vie.
L'homme peut toujours minimiser l'impact de cette réalité numérique parfois tant redoutée à condition qu'il ne se laisse pas emporter par la facilité.

"Memory" chanté par Barbra Streisand
n'est-ce pas la meilleure manière de parler de la mémoire ?


0.JPG

Sinon, une visite chez Mnémosyne s'impose:

5.PNG

 
Eriofne
 
0.JPG4/3/2019 : Sur ARTE au 28', Catherine Vidal répondait à la question "Notre cerveau est-il menacé?podcast
7/8/2019 : Sur ARTE au 28',  Le cerveau humain, ce grand magicien.
Albert Moukheiber est docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien. Dans son livre "Votre cerveau vous joue des tours", il dissèque le fonctionnement de notre cortex cérébral en remettant au centre des préoccupations "l’apprentissage du raisonnement critique", en rendant la science accessible sans la vulgariser. De la manière dont se forment nos opinions, aux "Fake news", il invite à découvrir cet organe humain, unique en son genre ! podcast

9/9/2023 :

CCI_000018.jpg

| Lien permanent | Commentaires (5) |  Imprimer