Kafka, un inconnu célèbre (21/06/2024)
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Né en juillet 1883, c’est au cœur dans le quartier juif de la vieille ville de Prague que Franz Kafka grandit dans une famille de commerçants aisés, juifs, peu portés sur la religion, qui tient une mercerie prospère. La langue maternelle de Kafka est l'allemand comme pour près de 10 % de la population de Prague de l'époque. Le lien entre le tchèque et l'allemand parvient à se maintenir grâce aux Juifs. Franz Kafka fait ses études au lycée allemand puis à l'université dans la Faculté du droit où il rencontre Max Brod. Alors qu’il rêve depuis l’enfance de liberté, le jeune homme ne se plie pas de gaité de cœur au désir de son père qui le destine à lui succéder à la direction de son magasin. Son enfance relativement solitaire et ses relations difficiles avec son père dominant et prétentieux, l'a rendu très perturbé. Il préfère fréquenter les cafés où se retrouve la jeunesse intellectuelle pragoise qu’il amuse en partageant ses propos et ses écritures avec un côté burlesque. Pendant son temps libre, Kafka écrit, dessine, fréquente ses amis et les bordels. Il entretient des relations compliquées avec plusieurs femmes comme Felice Bauer, avec laquelle il rompt par deux fois ses fiançailles, avec Julie Wohryzek qu’il délaisse brutalement pour une jeune journaliste mariée, Milena Jesenská, avec laquelle il vit une brève mais intense histoire d’amour.
Jamais marié, pas d'enfants, on lui prête alternativement un penchant ou une aversion pour les femmes qu'il considère ambigües, dans une relation étrange voire névrosée. Ses amis ont été Rudolf Illowy, Hugo Bergmann, Ewald Felix Pribram, Max Brod, ou encore Oskar Pollak. Gustave Flaubert, l'artisan de la fureur d'écrire est son modèle d'écrivain de cœur. Mais contrairement à ce dernier, il se fout des perfections formelles et préfère la rapidité du mouvement de l'écriture intuitive du premier jet selon son inspiration mêlée d'infirmité dans une relation parfois malsaine que lui apporte la littérature. Sa tautologie met à l'épreuve sa faiblesse de raisonnement en s'éloignant des vérités et des responsabilités qu'elles obligent, avec la peur de l'échec. Son expérience utilise le mensonge et le doute radical dans une alternative binaire sans nuances entre élévation d'une autonomie et celle de sa déception.
Le programme journalier de Kafka est particulier. Le matin, il travaille au bureau. A midi, il dort quelques heures. Ensuite, il se promène, mange avec des amis ou sa famille et retourne travailler. Le soir, après le travail, Kafka rie de la situation dantesque dans laquelle il se sent avec ses amis ou plutôt, peut-être fait semblant de rire sans s'en décourager et sans sembler s'en désespérer outre mesure à recommencer le lendemain. Jusque dans la nuit, il se met à écrire. Stabilisé, entier, avec une force d'âme sidérante dans une expérience épouvantable, il traverse ainsi la vie, en reprenant le collier, chaque jour. Curieux de tout, Kafka est bien dans son époque. Ni prude ni ascète.
« A l’époque, Kafka n’avait rien d’un homme introverti - contrairement à l’impression qu’on pourrait avoir à la lecture de ses œuvres. En société, il pouvait se montrer - et il l’était vraiment la plupart du temps - drôle et spirituel, toujours prêt à faire un jeu de mots que ce fût en tchèque ou en allemand », écrit de lui Léopold B. Kreitner.
A 24 ans, il entre comme auxiliaire dans une compagnie d’assurances. Il y gravit les échelons, y tient d’importantes responsabilités en apportant des solutions pour éviter les accidents de travail. Cela ne le passionne pas, mais lui laisse du temps pour l'écriture.
Vers la fin de sa vie, il confie son journal et ses livres à Milena Jesenska et à Max Brod. Le contenu de ses textes sont presque tous identiques comme une litanie que l'on peut considérer comme une complainte. Le dérivatif de l'écriture est sa planche de salut dans lequel il intègre un humour caustique qui explique l'éloignement de son projet et de son goût. Il ne désire pas être lu, ni pendant sa vie en dehors de certains privilégiers ni après elle. Devaient seulement rester intacts après sa mort, ses livres "Le Verdict", "Le Soutier", la "Métamorphose" et "La Colonie pénitentiaire" et "Un artiste de la faim" qu'il considérait comme valable. Les autres écritures devraient être brûlée. Rien de casuistique dans Kafka. Il nage entre deux eaux, entre une impiété ou une pitié comprise et acceptée. Etait-il bipolarité ? Cette affection n'existe pas encore en psychologie à son époque. Le terme « psychose maniaco-dépressive », sera seulement contesté à partir de 1957, pour distinguer les troubles bipolaires des troubles unipolaires. Il justifie ses projets dans "une fin du commencement" réussie ou perdue dans un esclavage volontaire de l'écriture pour contribuer à ravager toutes les formes de vie dont l'orientation naturelle serait plus productive à ses yeux. Il n'aime pas les plaisirs sexuels qu'il considère comme une saleté, ni la nourriture, ni la boisson et ni la musique qui n'apporteraient aucune écriture suffisamment douce-amère et merveilleuse comme compensation et récompense. "Mon écriture est désolante, artificielle voire lamentable pour éviter sa folie", comme il le dit et l'écrit.
Aujourd'hui, la confrontation de l'individu "Kafka", est vécue comme un labyrinthe bureaucratique. Elle donne une impression de cauchemar et d'une inquiétante étrangeté qui peut faire basculer à partir d'un mode de vie familier dans un rapport au délire bureaucratique actuel. Elle entre dans une existence sociale par la porte des attestations divisées en rubriques compliquées sans plus pouvoir en sortir.
Son livre "Le Procès", constitué en 171 feuillets, a été converti dans un film qui pour correspondre à l'idée du livre, cela malgré le fait qu'il pourrait être considéré aujourd'hui comme ennuyeux à regarder.
Dans la version française, Pierre Vaneck est K, Jean Topart, l'avocat .
Le film original a Anthony Perkins, Orson Welles dans les même roles.
Dans son livre "Le Château", il s'attache en fil rouge dans l’élaboration de son roman inachevé qui déconstruit les idées reçues sur sa personnalité devenue une icône de la littérature du XXe siècle. Le héros K. de son livre cherche tout au long du récit à entrer désespérément en contact avec Klamm, un des hauts fonctionnaires, engourdi lui-même, dans ce château, en fil rouge, afin d'officialiser son statut et de demander de faire le bilan de son existence. Il le traque d'un lieu à l'autre, se cache, attend et le guette dans l'espoir de l'obliger à converser avec lui sans y arriver. Il conclue par : "Il n'y avait rien de plus de dépourvu de sens, rien de plus désespéré que cette liberté, cette attente, cette invulnérabilité" d'un arpenteur. Les noms propres qu'il utilise, ont souvent un sens caché dans la langue tchèque pour les non germaniques.
Son portrait d'arpenteur déconstruit certaines idées reçues attachées à la personnalité de l’auteur du "Procès" et de "La métamorphose", souvent confondue avec celle de ses personnages.
L'émancipation a indéniablement un rapport au comique mais il faut regarder cela de l'extérieur et en prenant de l'altitude.
Un téléfilm autrichien a été réalisé par Michael Haneke en 1997.
L'amitié qu'il a eu pour Max Brod a été une occasion à être la risée pour dissimuler son œuvre. Ils avaient une admiration réciproque entre eux deux jusqu'à célébrer la louange des récits plutôt fades de Max Brod.
L'introduction au sujet Kafka par l'historien Xavier Mauduit .
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Kafka, un inconnu célèbre
Célèbre par son adjectif et inconnu au sujet de sa vie et son destin kafkaïen.
Le documentaire qui suit, mêle extraits de films adaptés de ses œuvres, scènes animées ou jouées par des comédiens et archives rares, notamment une brève interview inédite de son ami le poète Max Brod qui, contrevenant aux dernières volontés de Kafka, refusa de détruire ses créations non publiées. Un regard renouvelé sur l’une des grandes figures de la littérature du XXe siècle, dont les romans, pour avoir dépeint de manière quasi visionnaire une société brutale à la bureaucratie kafkaïenne, furent censurés dans les pays du bloc de l’Est jusqu’à la chute du mur de Berlin.
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Kafka, l'insaisissable
Le Hors Série de Le Monde publie aussi sa version de l'histoire du personnage "Kafka".
Quelques phrases et informations d'analystes spécialistes s'ajoutent à sa description.
- "Kafka voit autre choses et plus que les autres entre angoisse et humour".
- "Ses livres mordent et piquent dans une prose aiguë comme poignard".
- "A Brescia, Max Brod force son ami à écrire par un concours lors d'un meeting aérien : "Les Aéroplanes à Brescia".
- "Taciturne, renfermé, chagrin et égoïste"
- "L'Arpenteur est l'héritier de Don Quichotte"
- "Kafka a fait entrer la littérature sans invention dont les événements sont transformés en fables"
- "Kafka est à lire quand on est dans un état satisfaisant de santé physique et mentale".
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L'adjectif "cornélien" a d'abord pour référence, le dilemme déchirant auquel fait face Don Diègue dans Le Cid de Corneille, contraint de choisir entre la femme qu'il aime et la défense de l'honneur de son père. Il se réfugie dans un univers sans secours, sans solution pour penser la complexité dans des choix tragiques.
Cet adjectif fonctionne aussi en offrant les clés de décryptage aux situations scabreuses par le rire.
En "Aburdistan", l'ubuesque est relatif de la pièce de théâtre Ubu Roi d'Alfred Jarry. Il est quelque chose de complètement délirant dans une aventure caractérisée par une absurdité bête et méchante dans laquelle la bêtise crasse prend le pouvoir,
Cet adjectif "kafkaïen" est lié à un axe important de l'œuvre de Kafka, d'un personnage puni, victime d'un châtiment, cherchant la faute qu'il a commise. Cet adjectif renvoie aussi à un pouvoir bureaucratique omniprésent, gangrénant tous les modes d'existence sociale.
Pas étonnant qu'aujourd'hui, on qualifie notre quotidien de kafkaïen par la peur de la mort par le suivi des religions.
Pendant la pandémie, par exemple, cet adjectif a été employé à tout-va par des complotistes, pour qualifier notre mode de vie lors de l'apparition du Covid et des vaccins qui ont suivi pour y répondre.
Mais pourquoi se réfère-t-on à l'univers de Kafka devenu si prégnant dans le langage courant ?
Le terme "kafkaïen" désigne ce que ni les sciences politiques, ni la sociologie, ni la psychologie pour caractériser une situation avec leurs propres termes.
Dans Le Figaro Littéraire de 1965, un article disait "il n'est plus de situation qui ne soit devenue kafkaïenne puisque si une mayonnaise rate, c'est la faute de Kafka".
Marie Sorbier et Frédérique Leichter-Flack sont tous deux professeurs des universités en littérature à Sciences Po. Ils tentent de répondre sur la signification de cet adjectif.
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Le nom "Kafka" a traversé le temps
Franz Kafka n’est pas seulement le nom d’un écrivain mondialement connu surtout par l'adjectif qui lui a été accolé. C’est aussi celui d’une famille de grands sportifs. Juif allemand né dans les Sudètes. Erich Kafka, son petit-neveu appréciait le football. Dans l’entre-deux-guerres, Il a été un excellent footballeur professionnel notamment à Prague. Quant au petit-fils d’Erich, Martin Kafka, malgré un esprit que lui-même qualifie de « kafkaïen », a réalisé son rêve d’enfant en menant une carrière de joueur professionnel de rugby de l’Espagne au Japon en passant par la France, parti à la conquête du monde de l’ovalie dans un parcours semé de doutes hérités de son illustre ancêtre, Franz. Ce nom "Kafka" lui a permis de continuer à avancer comme il le disait lors d'un l'entretien du lundi 3 juin.
"Sur les traces de Kafka" de Radio Prague international en présente 7 tableaux.
- « Max, brûle tout ! » : ce que Franz Kafka nous a laissé, jusque dans l’art contemporain.
- Siřem, un village de Bohême du Nord qui a marqué Franz Kafka
- La ville de Frýdlant a-t-elle servi d’inspiration au Château de Kafka ?
- Musée Franz Kafka de Prague : une plongée dans les univers réel et imaginaire de l’écrivain
- Prague de Franz Kafka : « La petite mère a des griffes »Les étés de Franz Kafka à Třešť
- La Prague de Franz Kafka : enfance et adolescence
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Réflexions du Miroir
"La Métamorphose"
J'avoue que je n'ai jamais approché ni lu Franz Kafka avant de lire "La Métamorphose".
La Métamorphose a été écrit en octobre 1912 suite à une dispute entre Franz et sa sœur Ottla qui probablement le forçait à aller travailler.
Cette métamorphose n'est pas une anthologie.
Le livre de Claude David est divisé en trois parties.
- La première de 80 pages, construite en chapitres courts de réflexions, faits de conversations, de regards de Kafka souvent avec lui-même concrétisant son éducation austère et renfrognée sur lui-même. Il tente de se comparer aux autres qu'il pense être toujours mieux ou meilleurs que lui comme le serait un imbécile heureux plein de préjugés.
- La deuxième partie est longue de 16 pages titré "Le Verdict" qui tire une sorte de bilan. Il est le préambule au chapitre suivant.
- La troisième correspond vraiment à "La Métamorphose" dans laquelle Gregor Samsa pourrait lui apporter plus d''assurance par effet miroir et de confiance qui lui manque.
Drillé dans son adolescence, l'amitié et l'amour de la liberté se conquièrent, comme le reste dans un monde de relatives brutes et d'abrutis dans lequel, il lui faut trouver sa place dans une sorte d'exclusivité personnelle. Il cède la parole à Grégor Samsa :
"Un matin, Gregor Samsa, jeune voyageur de commerce, tente de se lever pour aller au travail, mais il se rend compte que, durant la nuit, il s'est métamorphosé en « un monstrueux insecte ». Terriblement en retard. Il est 6 heures 45, alors qu’il se lève normalement à 4 heures pour prendre son train à 5 heures. Il tente cependant de commencer les activités d'une journée normale, mais, couché sur le dos, ne parvient pas à sortir de son lit. Sa famille (sa mère, son père et sa jeune sœur Grete) vient s’enquérir de son état. Gregor qui a verrouillé les trois portes d’accès de sa chambre tente de les rassurer. Aucun ne remarque la singularité de sa voix. Le fondé de pouvoir de son employeur arrive alors pour s'enquérir de la raison du retard insolite de Gregor. Après de longs et pénibles efforts, Gregor, dont la voix indistincte « de bête », commence à le trahir, réussit à ouvrir sa porte et à passer la tête dans l'entrebâillement. Le fondé de pouvoir, qui s'impatientait de ne pas recevoir d'explications et qui avait commencé à l’accabler de reproches quant à son manque de rendement, s'enfuit, saisi d'horreur. La famille de Gregor reste interdite, la mère s’évanouit. Nul ne comprend que Gregor, malgré son apparence, comprend et pense encore comme un humain. Fou de rage, le père s’empare de la canne oubliée par le fondé de pouvoir et chasse violemment Gregor dans sa chambre. Sa famille l'enferme, de peur qu'on ne sache qu'ils hébergent un tel monstre dans leur logis. Son père le prend en haine. Sa mère voudrait encore en avoir pitié mais s'évanouit lorsqu'elle l'aperçoit. Surmontant son dégoût, sa sœur Grete vient le nourrir chaque jour et nettoyer sa chambre. Gregor se cache alors pour qu'elle ne puisse le voir, pour ne pas la faire souffrir. Mais il aurait souhaité au contraire se montrer pour recevoir un peu d'amour. Un soir, Gregor sort de sa chambre, son père fou de rage essaye de le tuer mais n'y arrive pas et le blesse seulement. Personne ne vient le soigner, sa blessure s'infecte. Comme Gregor ne peut plus travailler pour subvenir aux besoins de la famille, tous les membres de la famille travaillent, le père en tant que banquier, sa sœur en tant que vendeuse et sa mère de couturière. Une partie de l'appartement est également louée à trois locataires. En dépit de son invalidité, sa famille a fini par le tolérer. Un soir cependant, Gregor sort de sa chambre, attiré par la musique que sa sœur joue au violon. Malheureusement, les locataires le voient et décident de s'en aller aussitôt et sans payer. Face à cette situation sans avenir, la sœur en larmes propose de se débarrasser de l'insecte. Tous sont d'accord, car ils pensent avoir fait tout ce qu'ils pouvaient. Mais Gregor, désespéré, qui ne se nourrit plus depuis quelques jours, est retrouvé mort desséché le lendemain matin par la femme de ménage. À peine attristée, surtout soulagée, la famille se réjouit de pouvoir prendre un nouveau départ, et sort enfin de l'appartement pour une promenade en banlieue. Les parents remarquent que Grete s'est épanouie et qu’il est temps de la marier.
Extraits :
Grégoire est le souffre-douleur et l'empêcheur de tourner en rond dans l'ambiance de la famille Samsa et cela jusqu'à la mort de Grégoire qui arrive comme un soulagement pour les autres.
Kafka dira de son livre : "L'histoire est un peu terrifiante, cruelle et répugnante. Toute l'époque dans laquelle nous vivons et le temps que j'ai vécu en particulier, dans l'horreur de la vie familiale et dans la médiocrité d'une bourgeoisie confinée, est pénible " (écrit en pensant à la guerre 14-18)".
Le livre complet peut être lu à cette adresse en pdf.
La troisième partie, "Le Soutier" est plus humoristique dans l'audace de l'allégorie du plaisir de la fabulation en se retrouvant entre le désir d'enracinement et l'errance d'un certain Karl, naïf et généreux, victime de lui-même, lorsqu'il arrive devant la statue de La Liberté. Liberté qu'il découvre dans un conflit entre la justice et la discipline. L'Amérique et son contemporain compositeur tchèque Antonín Dvořák ont dû le faire rêver. Ce compositeur avait 42 ans de plus et la rencontre avec Kafka est peu probable puisqu'il était déjà reconnu internationalement, était une figure publique, qu'il a passé une partie de sa carrière aux Etats Unis de 1892 à 1895 et est mort alors que Kafka avait 21 ans. Kafka n'est jamais allé aux États-Unis, bien qu'il ait écrit un roman intitulé "Amerika ou Le Disparu", qui décrit les expériences d'un jeune homme en Amérique et qui basé sur des lectures et des descriptions qu'il a obtenues d'autres sources.
La "Symphonie du Nouveau Monde" a, malgré cela, dû aussi avoir un impact dans son imagination.
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Disparaitre sans laisser d'adresse
Kafka a tenté de trouver le paradis pendant ses voyages, mais il l'a cherché uniquement en Europe. Après ceux-ci, il est toujours revenu à sa source à Prague.
Si son ami Max Brod n'avait pas désobéi, l'œuvre de Kafka aurait été perdue et brûlée à jamais.
Kafka considérait que son journal était personnel et devait disparaître après sa mort.
L'écriture a été un exutoire, un moyen pour rêver.
Il y a trouver son plaisir même sans avoir eu de lecteurs de ses œuvres. Si la nature, la musique, le rire avec l'humour ne l'ont pas aidé pour atteindre son objectif de liberté et de bien-être. Il n'est jamais disparu sans laisser d'adresse.
Cette volonté de confinement de Kafka est quasiment absente aujourd'hui.
Presque tous les auteurs, écrivains, dessinateurs, blogueurs désirent que leurs œuvres soient reconnues, qu'elles deviennent même immortelles en laissant des traces après leur passage sur cette terre, que l'on parle d'eux-mêmes quand la mort les aura appelé. Facebook a été construit dans ce but. Ce forum de tweets permet de démontrer son importance en fonction du nombre de followers vivants ou morts pour exister et perdurer puisque c'est la pub qui paye.
Si Kafka avait écrit aujourd'hui, son journal en cachette en dehors de ses proches dans un jardin secret, cela ne lui aurait pas permis d'ouvrir toutes les portes du savoir en violant tous les secrets, au hasard de ses rencontres réelles et non virtuelles comme sur Internet.
Dans les réseaux sociaux, il aurait pu être chahuté et harcelé par certains et admirer par d'autres pour son humilité et parfois, devoir rater son respect de la vie quand il devrait se changer de manière arbitraire contre des insultes et des polémiques.
Son manque de liberté dans la vie l'a obsédé et entravée comme s'il avait un boulet au pied. Il a pu ainsi déversé ses rancunes avec lesquels, par l'imagination, il a pu rire de lui et faire rire ou sourire les autres. Il connaissait très bien ses lacunes et ses limites.
Le paradis de Grégoire dans "Métamorphose", est toujours recherché aujourd'hui.
Le film "Itinéraire d'un enfant gâté" est un bel exemple de métamorphose.
En tant que "fils de" Kafka, il s'est senti forcé d'obéir à son père comme l'idée sportive d'un "Epaulé et jeté".
Dans le chapeau de ce billet, j'écrivais : "Un lien avec les élections et les citoyens maitres et responsables de leur destin, n'est pas fortuit".
Les élections ont placé la droite au pouvoir et le travail dans ses objectifs de rentabilité.
Ceux-ci auraient été opposés à ceux de Kafka, avide de liberté.
Cette semaine, notre télé belge présentait le film "Le dernier château".
Un château qui n'empêche pas d'y entrer mais de sortir.
Kafka n'en est jamais sorti. Les rapports qu'il a eu avec l'autorité, de celle de son père tout d'abord, de celle de la société d'assurance dans laquelle il travaillait ensuite, ont entravé sa liberté. Imaginatif, dans cette société, il y a apporté des solutions techniques pour améliorer la sécurité des assurances. Il n'a pas eu l'esprit d'un entrepreneur et n'a pas pris les risques qu'il comporte toujours.
Comme Kafka, j'ai osé dire quelques petites historiettes que je pensais avec franchise à l'autorité en place et pendant que j'écris ce journal. J'ai appris les principes du pragmatisme et des risques.
La soumission à l'autorité, son face à face avec elle, a été analysée seulement après la seconde guerre mondiale avec l'expérience de Milgram.
Créatif, Kafka a tourné le dos à la renommée pour obtenir sa liberté. Il a pu ainsi oser dire des vérités avec franchise que d'autres disent tout bas au sujet de l'autorité supérieure.
C'est peut-être ça la différence entre la connaissance et l'intelligence.
La connaissance, on l'apprend à l'école et par l'expérience. Tout dépend ensuite de ce qu'on en fait avec idées neuves pour faire avancer le schmilblick.
L'intelligence ne s'apprend pas. Elle peut exister sans aucune connaissance en autodidacte à chercher ce qui est le plus efficace au moindre effort et donc au moindre coût.
L'intelligence prodigieuse des modes d'existence sociale et politique peut servir à critiquer anticipativement le capitalisme et un moyen d'y voir clair dans la terreur totalitaire pour s'en émanciper dans une prédiction de ce qui arriva à la fin des années 30, continuées pendant la guerre 40-45 dans le nazisme d'abord et derrière le rideau de fer ensuite, où il a été interdit pendant longtemps de parution de ses œuvres.
C'est un peu ce qu'en tant qu'informaticien vintage, j'ai découvert quand je me suis formé à l'informatique dans les années 70. Tout était à développer dans le Traitement de l'Information mais en 'stand alone' sans Communication. Le "C" de Communication des TICs, est advenu au moins 20 ans après. Cela permis d'être plus efficace en gaspillant moins d'effort de mouvements, de ce déplacer à un moindre coût, d'éliminer l'usage du papier pour économiser les arbres et d'accélérer le travail manuel par des robots.
Aujourd'hui, la bureaucratie que Kafka dénigrait, est toujours une gageure, souvent une perte d'efficacité et de rentabilité dans la description d'un travail accompli dans le domaine du numérique. Une fois accomplie, elle est déjà obsolète et celui qui devrait y apporter des amendements n'est souvent plus présent pour y apporter des patches.
"Apache Kafka" est une plateforme de streaming d’événements distribuée open source utilisée par des milliers d’entreprises pour des pipelines de données haute performance, des analyses en continu, l’intégration des données et les applications critiques. Elle peut très bien être soutraitée et non surtraitée sans perdre en temps.
Les différences entre la philosophie et les croyances se creusent ainsi sur des voies différentes dans :
- Les fondements : La religion est basée sur la foi et la révélation divine, tandis que la philosophie repose sur la raison et la réflexion critique.
- Les objectifs : La religion vise souvent à établir un lien avec le divin et à guider la vie morale des croyants, tandis que la philosophie cherche à comprendre les vérités fondamentales de manière rationnelle et systématique.
- L'autorité : La religion dépend de l'autorité des textes sacrés et des figures religieuses, alors que la philosophie valorise l'autonomie intellectuelle et l'argumentation rationnelle.
- La communauté : La religion crée des communautés de croyants partageant des pratiques et des croyances communes, tandis que la philosophie est plus individualiste, favorisant le débat et la diversité d'opinions.
Dans une famille juive ashkénaze, Kafka a eu une relation complexe et ambivalente avec la religion. La pratique religieuse au sein de sa famille était plutôt formelle et peu intense qui l'a influencé. Cela a contribué à son approche distante de la religion. Il s'est intéressé à divers aspects de la culture juive, comprenant la mystique juive de la Kabbale, au sionisme et a assisté à des cours de philosophie juive pour des thèmes existentiels et métaphysiques, explorant les angoisses et les dilemmes spirituels de l'être humain dans un monde absurde et dépersonnalisé, tout en restant sceptique et critique par rapport aux aspects dogmatiques et sans jamais adhérer pleinement à une croyance spécifique.
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Critiquer Kafka ?
“La critique est la puissance des impuissants.”, écrit Alphonse de Lamartine.
La critique est surtout aisée.
Nathan Devers se pose quelques questions existentielles dans sone livre "Penser contre soi-même".
"Pourquoi la philosophie ? Qu'apporte-t-elle à l'existence ? Que change-t-elle à nos vies ? Pourquoi, avoir choisi de devenir rabbin au terme d'une adolescence très croyante, a-t-il perdu la foi ? Comment a-t-il pu abandonner une vocation profonde au profit d'un univers sans dogme ?
La conclusion de l'auteur fut "Une quête universelle et pourtant difficile avec le désir d'échapper à ses préjugés, de bouleverser ses certitudes, d'aller au-delà de l'identité déterminée par sa naissance".
L'invasion de l'administration avec des normes exagérées bien établies pourtant, créent de plus en plus de paperasses, sans pouvoir y ajouter ou y soustraire un iota, m'a toujours semblé superflue et en manque d'efficacité.
L'adaptation aux circonstances de l'actualité qui évolue plus vite que par le passé, est la seule alternative pour passer outre ce genre de difficultés et de mal être chronique poussées par les invectives des interlocuteurs et d'informateurs souvent dictateurs.
Je vais devoir décevoir. Qu'on le veuille ou non, nous allons tous disparaitre chacun à son tour, sans laisser d'adresse malgré tous les efforts existentiels possibles ou imaginables du transhumanisme prônant l'usage des sciences et des techniques afin d'améliorer la condition humaine par l'augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains et de supprimer le vieillissement et la mort.
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Conclusions personnelles
A certains moments de la lecture du livre "La Métamorphose", j'ai eu l'impression de lire un scénario de sketches muets de Charlot alias Charlie Chaplin, un autre de ses contemporains, dont le pragmatisme n'avait d'égal que dans son art de l'opportunisme et de la dérision qui ne s'improvise pas.
A l'instar de la sphère politique, celle du showbiz compte des têtes d'affiches célèbres en faisant feu de tout bois avec doigté pour être admirés ou sans vergogne en s'attirant les foudres du public avec curiosité et envie. Cela n'empêche pas que le pessimisme reprend forme quand une situation devient chaotique ou kafkaïenne.
"Je suis peut-être pessimiste mais je me soigne", ai-je écrit, il y a quelques années.
En France c'est la déprime...
Pieyre-Alexandre Anglade état invité ce matin pour en parler
Le spleen a toujours existé Proche du sens de mélancolie, il a été utilisé par Baudelaire dans "Les Fleurs du mal". Mais à notre époque, les réseaux sociaux captés sur le fameux Smartphone apportent l'emphase au phénomène de mal-être bien plus que l'inverse.
Le numérique et le genre en question :
Au sujet du pouvoir d'achat toujours sur le table des législateurs, j'avais écrit "Le "décoût" de la vie" pour fêter le 4ème anniversaire de l'euro. Le dilemme de trouver la manière de faire plus avec moins quand il faut faire rouler l'argent comme concept, est toujours en question.
La seule solution que j'ai trouvé pour passer le temps plus agréablement dans mon journal "Réflexions du Miroir", est de faire rêver les gens, de les faire rire avec tous les artéfacts imaginables de la dérision. Si cela ne fonctionne pas, je les prie d'aller voir ailleurs.
Le CEB des Diables vu par le cactus
En Louisiane, les religions reprennent du gallon en imposant l'affichage des dix commandements dans les salles de classes "Si l’on veut respecter l’Etat de droit, alors il faut partir de la loi originelle, celle de Moïse", dit le gouverneur. Il oublie que les règles de l'Etat et celles des religions doivent rester parallèles dans les institutions.
Après avoir lu "La Métamorphose", j'ai une confession à faire : je me suis ressenti très similaire à Kafka sur plusieurs points, entre le marteau et l'enclume, sans fantasme et sans fantasmagorie comme le faisait, mercredi, Thomas Gunzig entre le poète et l'ingénieur.
En 2015, j'écrivais "Être opportuniste". Souvent, on ne fait que répéter ce que des prédécesseurs ont déjà construit. L'opportunisme, c'est de choisir la meilleure histoire.
Hier fut un autre jour pour certains conservateurs et demain, redeviendra encore possible pour certains optimistes...
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"Oui-da"
Voilà, c'est dit: je suis kafkaïen, non compris, mais notre époque dans laquelle nous vivons, n'est-elle pas kafkaïenne ?
Bernard m'a appris une nouvelle expression française "Oui-da".
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Un jour qu’elle était à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire. — Oui-da, ma bonne mère, dit cette belle fille.
— (Charles Perrault, Les Fées, 1697)— Oui-da ! s’écria-t-il en voyant sir Arthur, un tête-à-tête nocturne avec ma sœur !
— (George Sand, Jeanne, 1844)Angèle, descendant. — Oui-da ! Ah ! çà ! dis-moi donc ? Est-ce que ça va durer longtemps cette comédie que tu me joues depuis une heure ?
— (Georges Feydeau, Le Système Ribadier, 1892, acte II, scène 7)— Oui-da, acquiesça le plus âgé des manants. Il faut qu’on finisse notre affaire, le temps file.
— (Andrzej Sapkowski, Le Baptême du feu, 1996, traduction par Caroline Raszka-Dewez, Bragelonne, 2010)
C'est une bonne fin pour ce billet.
Je lui ai envoyé la version belge de cette expression.
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« Turbulences et autres... »
L'expo correspondant à l'univers artistique de Michelle Keefe de Latour, pourrait s'insérer dans la vision de Kafka qui aimait dessiner.
Cette artiste a été influencée par des esthétiques aussi diverses que Zao Wou Ki ou Salvatore Dalì. Appréciant la liberté et la rapidité que confère le médium de l’acrylique, pour créer des œuvres oniriques, cela m'a tout de suite apporter un rapprochement avec Kafka.
Cliquez sur l'image ci-dessous
Allusion
PS : Préversion de ce billet sur agoravox.fr
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20/6/2024 : Donald Sutherland, acteur éclectique notamment connu pour « Les Douze Salopards » ou son rôle de dictateur dans « Hunger Games », est mort à l'âge de 88 ans. Je choisis "Hunger Games" en relation avec ce billet
Commentaires
Article très fouillé et interessant qui demande de le fouiller pour en touver les perles. Notre monde actuel est-il kafkaien. Pour moi, plutôt chaotique.... L'écrin de l'absurde Jacques Sternberg avec la complité de Topor a parfaitemnt décrit cet univers. Lire son dictionnaire des idées revues. Extrait: LA FOI: FOI
On se raccroche à la foi pour sauver son moi, garder son toit, être son roi, faire sa loi, peser le poids, manquer de choix, suivre sa voie et demeurer coi. Jacques Sternberg (1923-2006) est un écrivain français un peu atypique dans l’univers littéraire de son époque. Amateur de science-fiction, lecteur de Kafka, Louis Scutenaire, Lovecraft et Céline, ami d’Ionesco, passionné par le jazz et la navigation, fasciné par les femmes, c’est aussi un écrivain hanté par l’univers concentrationnaire dont il a réchappé pendant la guerre. Son style original, son humour noir, le regard poétique et désenchanté qu’il porte sur le monde moderne en font un écrivain aussi étonnant qu’inclassable. Un homme désenchanté par le monde actuel. TOI MA NUIT: « Enrichis, parvenus à l’apogée de leur réussite, propriétaires, possédant presque tout et éclatant de cupidité, mais surmenés, précocement usés par les soucis commerciaux et les équations comptables, torturés par des migraines constantes que les aspirines secrètement mélangées à tous les aliments n’arrivaient plus à calmer, faisant de la dépression comme autrefois on faisait un rhume, affolés de constater qu’ils étaient parvenus tout en haut de l’échelle et que seul le vertige les prenait, les hommes avaient dû se rendre à l’évidence qu’ils n’avaient plus assez de cliniques, d’asiles et de psychanalystes pour soigner leurs nerfs déchiquetés, leurs refoulements, leurs tremblements nerveux et leurs tics d’hommes d’affaires pressés par le temps, les contributions, les encombrements, les plannings et l’obligation d’acheter sans cesse davantage et plus cher »
(Toi, ma nuit, 1965).
Le Suicide (1949). Au terme d’un long périple cauchemardesque, un employé de bureau en fuite se retrouve devant les portes de la Bibliothèque ; il croit y trouver refuge.
Je regardai la façade de cette bibliothèque, elle n’était pas faite de paille et de rêves : elle existait réellement, solidement, en briques et en fioritures de style, en prétentions et en inutilités bien sculptées. J’entrai, pendant que l’ancien commissaire-nouveau préfet s’éloignait et sifflait les premières mesures d’un opéra entendu au restaurant ce midi, donc déjà très ancien, complètement démodé.
La bibliothèque, en effet, ça puait le refuge. À un point gênant d’ailleurs… Décidément, la ville versait toujours dans les ambiances extrêmes, vacarme à assourdir ou repos en forme d’étouffade, toujours quelque chose de tendu, de lourd là-dedans.
Une trêve, après tout je pouvais m’en réjouir, je devais en avoir besoin. Une trêve enfin, après cette chute depuis dix heures, avec virages en tête d’épingle et vues d’ensemble sur le déchaîné total… À présent, fin de journée bientôt, éreinté, le rythme pliait les genoux, il demandait grâce, il s’ouvrait en sanctuaire du calme à mon entière disposition, avec son dédale de portes et de gardiens aussi mornes que les portes : des portiers quoi, en sentinelles un peu partout, les bras en croix, comme Jésus-Christ… défense de passer par ici, défense de fumer par-là, silence voyons, silence y a un malade dans la maison, le siècle est malade, prière de marcher sur la pointe des pieds, en silence, s. v. p… En silence donc, sur la pointe des pieds, je poussai la première porte.
Dès lors, tout devint beaucoup moins simple.
Je dus remplir une première fiche, verser un léger droit d’entrée. Ensuite, on me fit remplir une deuxième fiche, la même, plus détaillée toutefois et donner une petite somme en garantie. Je signai un reçu, je donnai une photo, je reçus une carte et deux cachets, il me fallut remplir une nouvelle fiche et signer un deuxième reçu. J’eus alors le droit d’escalader quelques marches. Je croyais pouvoir pénétrer dans la grande salle de lecture mais pas si vite, pas si vite, un homme en faction dans une guérite me le fit savoir. Je dus montrer mes papiers d’identité, plus la carte reçue, on me les confisqua, sans oublier les lettres et le livre que j’avais dans mes poches. Après on me fouilla, on me relâcha. L’homme se vexa quand je lui tendis mes doigts pour les empreintes, c’était pourtant dans le cadre des possibilités et vraiment rien ne ressemblait plus à une entrée à la prison que cette visite à la bibliothèque. Bien le système de toute cette ville, la comédie du cachet et votre nom signez là donnez-moi ceci vos références je vous prie et votre dernier domicile… Bien cette curieuse manie qu’ils avaient tous de gonfler la moindre démarche en quelque chose d’officiel, de légitime, de révisé, de fondé sur preuves à l’appui et papier timbré… Bien cela qui faisait ce rythme hachuré, sans cesse entrecoupé de mille petits gestes inutiles, question sans doute de faire croire à l’homme qu’il vivait dix vies, toujours et partout un brin de propagande et de duperie… sans compter l’occasion ou jamais de semer quelques pièges supplémentaires sur des parcours qui, pourtant, n’en manquaient nullement.
En résumé, dépouillé de mon identité, de feuillets et d’une bonne cinquantaine de réponses, je passai devant un autre guichet, où un tronc d’homme en faction me remit un ticket en échange de mes multiples dons. Après quoi je fus admis à entrer.
Ce que je fis, heureux de garder ma chemise et mes souliers. J’avais à peine pensé à ces souliers qu’un garde me fit remarquer que je les avais gardés.
« Bien sûr » je lui fis, sûr de moi, certain de sa folie à lui.
« Défendu » il me fit remarquer « Voyez le règlement. »
Je regardai un instant ce règlement, il avait un mètre de haut, six colonnes et c’était entièrement criblé de caractères entassés minuscules, savamment atrophiés.
« À votre droite, regardez… » me suggéra le garde.
À ma droite un astucieux camelot vendait des pantoufles.
« Obligatoire » me fit-il en guise de réclame. « Peu importe si vous n’avez pas de quoi les payer, la caisse municipale accorde des avances pour cet achat indispensable. »
J’en profitai, j’entrai enfin dans la salle de lecture.
Et sincèrement oui, comme la rue était le boyau du vacarme, cette salle était le caveau du silence, une véritable mise en conserve de ce silence enfermé, protégé, blindé contre les attaques à main armée, enfoui et mis en châsse comme un vestige à peu près disparu de la civilisation, devenu très rare et à protéger envers et contre tout, à tout prix.
On ne vivait plus dans cet endroit, on murmurait sa vie. On ne marchait pas, on glissait, le parquet cédait, tout croulait en une curieuse mélasse ni tout à fait liquide, ni tout à fait solide, faite de matière sans matière peut-être, impossible à froisser, incapable de résonance. Tout était capitonné, bourré de tapis et de tentures, cloisonné par des doubles portes, elles-mêmes protégées par des matelas, des triples fenêtres, des parquets et des plafonds soigneusement vissés, comme des couvercles pour fruits vite avariés. Tout cela, sans compter les barreaux aux fenêtres, question de symboliser sans nul doute, l’esprit et l’intellect bien enfermés et gardés dans ce temple de la sagesse. Et partout des hommes à monter la garde, l’air de soupçonner tout le monde de tous les délits, et des livres depuis les lames du parquet jusqu’aux fioritures du plafond, formant une troisième cloison contre le bruit et les vices, les bassesses et les futilités du dehors. De temps en temps, un des gardes écartait nonchalamment un des rideaux, jetait un coup d’œil dans la rue, il haussait bientôt les épaules, méprisant, il laissait retomber le rideau, il se laissait retomber lui-même dans son monde d’anciens grecs et de manuscrits quinzième authentiques, jouant la pensée austère, pensant en réalité à leurs gosses, à la soupe aux choux, aux grosses cuisses de la maigre femme ; le tout à l’ombre des bustes des grands hommes posés sur socle, en culs de jatte et en manchots, privés de leurs membres pour rappeler qu’ils avaient toujours été de grands impuissants, tous chauves et bosselés pour rappeler que le génie leur avait flanqué d’impardonnables coups de soleil. Toute cette austérité et ce mystère pour donner le change car, à part cette mise en scène, on aurait pu se croire, le bruit en moins, au milieu de n’importe quelle réunion publique, syndicat, cercle de bridge ou comité de vente, au choix, sans décalage. L’homme avait beau plisser le front, mimer le myope à force de veilles, se casser le cou dans l’abîme de la lecture, il n’arrivait pas à effacer la stupidité naturelle de ses traits, il n’effaçait pas, en quelques heures, des années d’incompréhension, pas plus qu’il n’arrivait pas à combler, par l’étude et la méditation, le vide et les trous qu’il avait dans les tripes. Lettré ou non, bibliophile ou vidangeur, agrégé ou agronome, licencié ou licencieux, il restait pauvrement humain, l’homme ; indélébile, strictement réel, rase-sol ou rase-table, gonflé par des préoccupations mineures, vidé de l’essentiel, trop lourd pour sa vie, trop léger pour combattre sa mort, faiblard et sans ressources, éperdu et traqué, avide d’échapper à l’angoisse, incapable d’y échapper vraiment, fonçant alors dans les petits moyens, les seuls à sa portée, y fonçant avec rage mais sans foi, en mendiant las de mendier, emporté par de vagues préférences, par l’inertie de cette préférence, vaguement accablé et pourtant ravi par sa gueule, caricature de ce qu’il aurait dû être, les traits déformés à grosses touches par la bêtise restée trop longtemps sous la peau, en train de fermenter à présent et se vengeant cruellement.
[…]
En fait, je me trouvais dépaysé, pas habitué à voir un aussi large bloc de laideurs immobile, figé sur sa base, sans aucune étincelle de mouvement pour cracher quelque illusion. Désemparé oui et mon désarroi devint tout à fait intense quand un des employés me demanda si j’avais fait mon choix. Mon choix ? Choix de quoi ? D’un de ces personnages en massepain ? On pouvait donc choisir, les emporter à domicile ou les croquer sur place, comme dans une pâtisserie ?
« Pourtant pas les livres qui manquent » remarqua l’employé, un peu vexé.
Les livres ? Ah oui !… tellement flagrant, ce détail, que j’avais fini par l’oublier… Et véritablement aucune idée de titre en tête… l’employé s’en aperçut, il fit alors le beau, jouant à l’érudit qui reçoit un illettré en consultation, il me désigna les fichiers. Il y en avait deux pièces, de ces fichiers, tassés serrés dans des casiers de fer, eux-mêmes empilés les uns sur les autres, comme des caisses, jusqu’au plafond. Pour me donner une contenance, j’ouvris au hasard un de ces casiers, je sortis la première fiche venue, je la tendis à l’employé qui s’affaira une seconde, revint immédiatement avec le livre demandé. Je l’ouvris par curiosité, je le refermai aussitôt, effrayé par un texte compact, écrasé en poussière de petites lettres à peu près illisibles, un parfait gâteau de l’ennui, sans sel ni sucre. À cet instant je remarquai deux hommes qui, eux aussi, très nettement, m’avaient remarqué.
L’un d’eux me fit un signe discret. L’autre, en reflet, un peu plus tard me fit le même signe, plus discret encore.
J’approchai. Les hommes se consultèrent, le plus grand m’enleva mon livre, il le serra entre ses côtes et son bras, comme une serviette à documents précieux.
« Si vous voulez bien nous suivre ? » me précisa-t-on.
Une précision assez vague, bien sûr, mais demander était inutile, payé depuis longtemps pour le savoir. Outre cela, le calme et l’indifférence avec lesquels cet événement se déployait, la logique à tâtons et ce ballet sur la pointe des pieds, tout cela m’arrachait mes gestes de défense. J’avais fini par me soumettre aux lois de la violence, aux sursauts, aux heurts, cette attaque menée en sourdine, sournoise et douceâtre me démontait. J’eus peur, je l’avoue, un pressentiment d’incident plus grave que tous les incidents déjà vécus, je suivis néanmoins, sans recul, sans astuce.
Un des hommes s’était placé à ma droite, l’autre à ma gauche. Ils me serraient de près, ils se mirent à rythmer un pas régulier mais lent. Je suivis malgré moi, de plus en plus impressionné.
Une première salle bientôt de traversée, puis une deuxième qui ressemblait très exactement à la première, une troisième ensuite, identique elle aussi, vide et soufflée en hauteur avec des parois de marbre très lisses, des parquets miroirs luttant à coups de reflets avec des plafonds miroirs. Une quatrième pièce, même dimension, même décor, à croire de façon hallucinante que nous étions en train de marcher sur place, comme des soldats de garde dans une guérite, avec une impossible sensation de parcours jamais franchi. À la septième salle seulement, enfin, quelque chose se passa : les deux hommes qui me cernaient s’arrêtèrent, je vis arriver à ma rencontre deux autres hommes habillés comme eux, avec des visages de frères. Une ressemblance tellement frappante qu’au premier moment je crus aller au-devant d’une gigantesque glace flanquée dans un mur… Et pourtant non, aucun effet d’optique : mon reflet ne figurait pas dans le paysage, s’agissait bien d’un autre groupe, un relais si l’on veut et les deux hommes me cernèrent comme les autres l’avaient fait.
Sans un mot, sans un geste. Je constatai, sans surprise, que le livre me suivait : un des hommes le portait sous le bras, avec le même sérieux, la même impassibilité.
Encore deux salles, après quoi on m’arrêta devant une porte qui défonçait tout un pan de mur. Au-dessus de la boiserie, en équilibre sur une poutre, une balance s’étendait à poids égaux et une femme de plâtre se tenait là, ravie d’être arrivée à mesurer bon poids, bonne mesure. Ça ressemblait furieusement à la justice, cette satisfaction et cette assurance de croire aux valeurs intégrales, judicieuses et bien établies une fois pour toutes.
La porte s’ouvrit, plus de doute : la justice, c’était bien cela. […]
Écrit par : Mélusine ou la robe de Saphir | 21/06/2024
Merci : Je ne connaissais pas Jacques Sternberg
La justice c'était bien cela, en effet.
Ce n'est pas pour faire bien que j'ai introduit le lancement du film "Le Dernier chateau"
Un endroit dans lequel on peut très facilement entrer mais beaucoup moins en sortir, surtout quand il y a un seigneur et maitre qui le dirige.
Pour le faire, il faut trouver des astuces
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Dernier_Ch%C3%A2teau
Sinopsys : Traduit devant la cour martiale après la mort de huit soldats, le lieutenant-général Eugene R. Irwin de l'U.S. Army (Robert Redford) plaide coupable et se voit condamné à une peine de dix ans de prison. Il est alors envoyé dans un centre pénitentiaire militaire de haute sécurité appelé « le Château », dirigé par le colonel Winter (James Gandolfini).
Le colonel Winter est un grand admirateur d'Irwin, jusqu'à que ce dernier se moque de son penchant de collectionneur d'objets militaires, considérant qu'il s'agit là d'une lubie d'officier qui n'a jamais mis les pieds sur un champ de bataille.
Winter, qui mène sa prison d'une main de fer en faisant peu de cas du règlement pénitentiaire, veille alors à ce que la vie du nouveau détenu devienne un enfer permanent. Cet acharnement, et la dignité du général qui subit sans se plaindre ce traitement particulièrement injuste, va permettre à Irwin de gagner le respect des détenus, et le pousser à déclencher une véritable insurrection pour prendre le contrôle du « Château » et faire tomber le colonel.
https://www.babelio.com/livres/Sternberg-Contes-glaces/107206
de Jacques Sternerg est aussi à lire en vonne santé mentale
S'il y a l'humour qui s'y cache, je ne dirais pas non pour le lire.
Écrit par : Allusion | 21/06/2024
Blow up C'est quoi Donald Sutherland ?
https://www.arte.tv/fr/videos/112557-026-A/blow-up-c-est-quoi-donald-sutherland/
Écrit par : Allusion | 21/06/2024
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaire-en-cours/pourquoi-qualifie-t-on-notre-quotidien-de-kafkaien-3212819
Écrit par : Allusion | 23/06/2024
En Belgique
l’Arizona, seule coalition possible au fédéral selon Bart De Wever
Selon le président de la N-VA et actuel informateur royal, Bart De Wever, la seule formule de coalition possible à court terme pour le gouvernement fédéral serait l’Arizona : soit une formule avec la N-VA, le MR, Les Engagés et Vooruit.
La coalition Arizona est une coalition hypothétique imaginée en 2020 par Jan Veumelen, alors bourgmestre de Deinze, lors des négociations consécutives aux élections législatives fédérales de 2019. Elle fait référence aux couleurs du drapeau de l'Arizona : jaune pour les nationalistes flamands de la N-VA, bleu pour les libéraux de l'Open Vld et du MR, orange pour le CD&V et le cdH et rouge pour les socialistes du PS et du sp.a
De Bever est nommé préformateur par le roi.
Formation d'un gouvernement fédéral : vers une coalition "Arizona"?
https://www.lesoir.be/596605/article/2024-06-21/elections-2024-larizona-seule-coalition-possible-au-federal-selon-bart-de-wever
Écrit par : Allusion | 27/06/2024
Voici un lien vers un article très intéressant de Radio Prague.
Moi qui ai lu toute cette correspondance et ce qui tourne autour, je suis d’accord avec l’auteur… disons à 90%
L’expérience Milena : l’intemporalité de l’amour à travers les lettres disparues de Milena Jesenská à Franz Kafka
https://francais.radio.cz/lexperience-milena-lintemporalite-de-lamour-a-travers-les-lettres-disparues-de-8822271
Écrit par : Walter | 09/07/2024