L'Economie sous le feu du Nobel (12/10/2009)

 

0.jpgL'économie devait subir les contre coups de ... l'Économie. Le Prix Nobel de l'Économie devait être attendu au coin de la réflexion cette année après la crise qui a failli faire imploser notre monde par l'effet domino.

Ce 12 octobre, le Prix Nobel de l'Économie est tombé... en retard sur l'horaire.

Il s'agit d'une américaine, une femme (pour la première fois) Elinor Ostrom et Oliver Williamson pour leurs travaux sur la gouvernance économique. lls n'étaient pas dans la liste des candidats présentis. Travaux sur la gouvernance qui démontrent l'efficacité des entreprises et des associations locales. Doutes sur l'efficacité des marchés. Plus de pouvoirs aux communautés publiques ou privées pour agir vite et à moindre coût. La gestion des conflits par l'utilisation des hiérarchies. Limites des trop grandes entreprises impactées par les fusions.

Elinor Ostrom, de l’Université d’Indiana (centre), « a démontré comment les copropriétés peuvent être efficacement gérées par des associations d’usagers », précise le comité.

Oliver Williamson, de l’Université californienne de Berkeley (ouest), « a montré que les marchés et les organisations hiérarchiques, à l’image des entreprises, ont des structures de gouvernance alternatives qui diffèrent dans leur façon de résoudre les conflits d’intérêt ».

Elinor Ostrom est optimiste si pas admiratrice de la méthode chinoise.

Le point de départ de Williamson et de la TCT (Théorie par Coûts de Transactions) est de postuler que toute transaction économique engendre des coûts préalables à leur réalisation : coûts liés à la recherche d'informations, aux "défaillances" du marché, à la prévention de l'opportunisme des autres agents etc.

Ce prix de l'Economie cloturait comme toujours les Nobel. Il n'existait, d'ailleurs, pas dans les projets d'Alfred Nobel. Pas de Nobel des mathématiques, non plus. En 1969, il est créé sur les recommandations du Gouverneur de la Banque de Suède, la plus ancienne banque centrale du monde. Derrière elle, très certainement, une envie de mesurer cette économie pour l'améliorer et pour rechercher les meilleurs moyens, les plus performants d'augmenter, toujours plus, la compétitivité, au besoin avec cynisme.

Cette fois, on l'attendait, ce prix de l'Économie, si pas avec impatience, avec beaucoup de curiosité. L'histoire officielle récente a secoué les habitudes et la routine. Les questions étaient nombreuses. Allait-on ronronner comme d'habitude ? Allait-on connaître les moyens d'éviter une nouvelle crise ou faire fondre les grandes disparités de notre monde par des formules "savantes" de solidarité ? Comment sortir des exceptions alors que tout est prévu pour les protéger comme les paradis fiscaux ?

Il fallait changer les idées et les conclusions, souvent prises dans les périodes d'euphories jusqu'en mi-2008. C'était sûr.

Le Nobel de la Paix n'a peut-être jamais été aussi proche ou même intégré à celui de l'Économie.

Qu'est ce qui fait un Nobel de l'Economie?

0.jpgDans mon article, "Et la raison fut", de l'année passée, je reprenais quelques constatations et erreurs du processus de modélisation qui n'étaient pas adaptés aux réalités plus complexes. Mettre le futur en formules s'est se montrer très hasardeux. Faute de paramètres oubliés ou mal interprétés par leur importance, on arrive parfois à "adoucir" des courbes graphiques de l'évaluation des risques. L'effet levier et l'effet domino passent souvent au second plan des réalités. Le modèle brownien sous-estime complètement ces effets vitaux analogiques et par là, humains, totalement en dehors de la relation avec le numérique. Se baser sur le jeu, pour parallèle, comme cela l'a été fait, pouvait donner des surprises que l'on n'oublie pas quand on perd et fait rêver quand on gagne. L'économie enseignée est une sorte de catéchisme idéologique, autrement dit d’une religion féroce concoctée par l’école autrichienne et reprise par l’école de Chicago.

L'Economie n'est pas une science exacte.

Une science ? Le Robert dit "'ensemble de connaissances, d'études d'une valeur universelle, caractérisées par un objet (domaine) et une méthode déterminée, et fondées sur des relations objectives vérifiables".

Relations objectives vérifiables ? Tout dépend de ce que l'on en fait. L'homme passe très vite du rationnel à l'irrationnel.

Le prix de 2008 par Paul Krugman prêterait à sourire. Paul Krugman analysait la mondialisation des capitaux et de la main d'œuvre. Je rappelais ce détail : cet économiste de gauche n'hésitait pas à dire : "Croire qu'il suffit d'aligner la rigueur budgétaire, l'orthodoxie monétaire, la logique antiétatique pour conduire au succès économique, tient de l'hérésie". Cela a, plutôt, un goût de réchauffé aujourd'hui.

Si on remonte à 2003, ce n'est plus sourire mais franchement rire des théories de Robert Engle et de Clive Granger qui étaient récompensés par le prix Nobel de l'Économie grâce à leur analyse sur la fiabilité des prévisions économiques. LOL.

Joseph Stiglitz avec son "nouveau keynesianisme" a reçu le prix en 2001 et reste écouté, encore aujourd'hui, avec beaucoup d'attention mais plus comme un Messie que comme un rêveur socialisant. L'économie du développement par l'obtention de l'information et par son traitement ne suffit plus. Le salaire de l'efficience pour optimiser le profit n'est plus respecté ni dans un sens ni dans l'autre. Pas plus d'ouvertures entre le haut et le bas de l'échelle des valeurs au niveau mondial.

Son adversaire, patron au FMI,  Kenneth Rogoff, dit "Les humains sont d'une arrogance ! Lorsque tout va bien, ils oublient l'histoire et pensent que cette fois, les choses vont tourner différemment".

Quels étaient les candidats, cette fois ?

Ce n'est pas comme les prédicateurs tel Nouriel Roubini qui avait lancé la sonnette d'alarme en premier, qui apporterait la solution miracle. Il fallait rester positif et pas se transformer en Cassandre dès les premiers signaux qui pouvaient être aussi mal argumentés ou trop liés à la boule de cristal. Il faut apporter des raisons, des corrections, des solutions, construire et pas seulement détruire.

Ernst Fehr et Matthew Rabin suivaient l'économie comportementale avec la psychologie et la sociologie comme fil rouge.

William Nodhaus et Martin Weitzman faisaient la relation entre l'économie et les changements climatiques.

Récompenser pour la remise en cause des modèles dominants pouvait s'imaginer.

Jean Tirole, Robert Shiller sont dans la veine de Krugman en généraliste de l'économie.

Tony Atkinson pourrait-il tirer des conclusions efficaces sur la seule question des inégalités ?

Le capitalisme et le libéralisme ont, tous deux, été montrés comme les responsables de la chute vertigineuse de nos économies. Toute la planète a subi une hécatombe de crises successives : immobilières, financières, commerciales, sociales et j'en passe. Reprendre des vieux trucs du passé, Plan Marshall, New Deal, Bretton Woods, ne permettent pas, sans une réactualisation, bien adaptée aux réalités d'aujourd'hui, d'assurer la réussite.

Milton Friedman, à sa mort, était baptisé par "The Economist", comme l'économiste le plus influent du 20ème siècle et des autres. Il ciblait son action sur la quantité de la monnaie en soutenant les taux de change flottants qui étaient à la base de la dérégulation des marchés financiers. Maîtriser l'inflation. Comme l'ennemi numéro un.  Il a avoué qu'il s'était trompé. La mondialisation et les produits à bas prix en provenance des pays à bas salaires à contrecarrer l'inflation. Bretton Woods qui poussait à alimenter la planète de dollars a fait plonger le déficit des États-Unis dans les abîmes d'un déficit structurel. La convertibilité du dollar et les taux de change fixes ont sauté en 1973. La volatilité des monnaies a poussé à se protéger contre les fluctuations et par extension, à la spéculation.

Aujourd'hui, 80% des transactions financières ne sont plus que des allers et retours dans une même semaine. Alors, une taxe Tobin, pour inverser la vapeur ?   

0.jpgCombler les trous, les déficits en catastrophe pour ne pas plonger corps et biens, a été la solution "save", mais toujours à posteriori, réactive plutôt que pro-active avec véritable plan de bataille dans le parfait accord mondial. La plupart des crises qui feraient sombrer l'ensemble, sont passées. C'est le moment d'analyser, de synthétiser pour espérer des ajustements et un avenir plus radieux. On reparle même de pertes de valeurs morales plutôt que financières auprès des jeunes qui ne voient plus l'argent comme une source de bien être mais comme une pierre qui fait sombrer le bateau corps et biens. Les problèmes écologiques ont aussi apporté une impression de mauvaise conscience.

Comment tout changer, sans tout bouleverser et revenir à la case départ ?

Modéliser les corrections au "système" pour supprimer un risque d'une autre crise encore plus désastreuse ?

Les modèles en économie ne sont pas une affaire de modes. Il a ses principes et ses règles.

Mais, l'économie réserve des surprises qui n'obéissent jamais totalement au passé. Alors...

0.jpgEt si je reprenais un billet de l'année passée de Paul Hermant, journaliste à la RTBF, qui avait cette chronique philosophique, il y a déjà un an et qui rassemblait les événements avec une vision décalée mais qui ne pouvait pas voir avec la distance du temps :

"Il est question du présent qui n’est jamais actuel, du passé qui vient trop tard et du futur qui arrive trop tôt…Cette question revient de savoir pourquoi, nous autres qui sommes gens postmodernes, sommes tellement désireux de disqualifier notre passé, de le flétrir, de l’abîmer. .... Tout se passe comme si nous avions besoin de rendre notre passé suspect — comme si nous n’avions pas vécu ce que nous avions pourtant cru vivre — pour nous convaincre que l’avenir est décidément plus vivable que ce que l’on nous dit et que tout ce qui est annoncé aujourd’hui à son propos est sujet à caution. Il est vrai que nous allons sur ces questions de dates butoirs en dates butoirs. Et l’on ne peut s’empêcher en égrenant ces échéances ... de nous rendre malgré nous à une sorte de millénarisme consenti car voilà : nous en sommes aujourd’hui à programmer une fin tous les jours, le pétrole, les abeilles, l’archipel de Tuvalu, etc…De sorte que dans cette querelle entre un passé indésirable et un futur non désiré, c’est finalement le présent que nous ne voyons plus. Nous n’avions pas vu, par exemple, que les banques étaient une espèce menacée de disparition."

0.jpg"Le Nobel a une jeunesse éternelle" constatait mon journal.

Qui dit jeune, dit malléable.

Rien d'immuable, donc, derrière des formules. Si à la foire, nous aimons tout ce qui augmente l'adrénaline, nous aimons le suspense, à être surpris, il ne faudrait pas pousser trop loin cette envie. Tous n'y survivraient pas.

On est bien loin de la solution humoristique de Raymond Devos "Si on veut avoir un peu d’argent devant soi, il faut le mettre de coté".

Si, avant-hier on disait, "Rien ne se perd, rien ne se crée". Hier, "Tout évolue, tout change, tout se déplace". Aujourd'hui, on constate, après coup, que changer, c'était surtout de poche.

La gouvernance méritait une analyse plus fine dans tous les domaines de son pouvoir.

La méfiance envers l'Économie augmentait car elle décevait. Des groupes se sont formés. Ce ne sont plus des Économistes, à part entière. Le cercle s'est élargi à des penseurs. Il s'appelle, parfois, d' INET ("Initiative for a New Economic Thinking").

Il s'agit de partager l'information de haut en bas de la hiérarchie. L'information asymétrique ne fonctionne plus. Les marchés ne peuvent plus fonctionner parfaitement sans observer un recul. Réguler, oui. Mais avec tous les éléments, tous les artifices en main. Réguler les produits, aussi. La modélisation en réseau avec interactions des marchés et du monde du travail en son complet. Complément de l'un par l'autre.

Jacques Attali préconise sept remèdes miracles : le respect de soi, l'intensité, l'empathie, la résilience, la créativité, l'ubiquité et la pensée révolutionnaire. Pas mal, mais pour cela il faut des idées, toujours des idées...   

Derrière la méfiance, d'autres se nomment, désormais, "Objecteurs de Croissance".

Peut-être, une autre version, lors du Nobel de 2010 ?

Sacré Nobel...

 

L'enfoiré,

 

Citations:

 

0.jpgMise à jour 11/10/2010: Le prix Nobel d’économie 2010 a été décerné aux Américains Peter Diamond et Dale Mortensen et au Britannique et Chypriote Christopher Pissarides, dont les travaux permettent de comprendre comment le chômage, le marché de l’emploi et les salaires peuvent être affectés par les politiques économiques.
« Pourquoi y a-t-il autant de gens sans travail alors qu’au même moment il y a de nombreuses offres d’emplois ? Comment la politique économique influence-t-elle le chômage ? Les lauréats de cette année ont développé une théorie qui peut être utilisée pour répondre à ces questions », explique le comité Nobel dans un communiqué.
Leurs travaux démontrent notamment, selon le comité, que « plus les allocations chômage sont importantes, plus le taux de chômage est élevé et la durée de recherche est longue ».
« Cette théorie est également applicable aux marchés autres que celui de l’emploi », précise le comité.

Assez polémique que cette théorie qui dit que plus les indemnités augmentent, plus le niveau de chômage fait de même. La concurrence et les salaires sont liés. Même si les Etats-Unis vivent au dessus de leurs moyens et qu'ils profitent de l'épargne des autres, il n'en est pas moins vrai que le niveau des salaires y est équivalent à celui de 1970. Les moyens pour assumer  les augmentations du prix de la vie, ce n'est que par la planche à billets que cela puisse fonctionner. Quant à la Chine, les occidentaux ont longtemps cru pouvoir contenir les exportations de produits de base. Ce n'est plus le cas, c’est de la haute technicité qui est exportée. La concurrence n’est pas possible dans ces conditions de décalage de potentiel et de prix de vente, mais, elle est, aussi, non contrôlée de manière énergique par l’OMC. Le keynesisme et le protectionnisme sont les seules solutions préconisées par les nouveaux prix Nobel.

Quel pied de nez à la FED. Peter Diamond, récompensé pour ses travaux sur le marché du travail, qui flirte avec 10% aux USA, et qui soutient Obama, a été recalé par les sénateurs républicains pour siéger près de Ben Bernanke de la FED. Camouflet aussi envoyé à Robert Shelby qui disait furieux "Le prix Nobel d'économie est une marque de reconnaissance significative mais ce n'est pas encore l'Académie suédoises des sciences qui détermine qui est habilité à siéger aux conseils des gouverneurs de la Fed".

Le Nobel 2010, comme Stiglitz, est bien plus préoccupé par la déflation que par l'inflation. L'objectif QE2 (quantative easing, 2ème), injection massive de liquidités en achetant des obligation, n'a pas sa préférence. Inefficace, couterait une fortuen aux contribuables tout en affaiblissant la Fed, dit-il.

Baisser le dollar pour l'exportation alors que le retour de l'inflation inciterait les gens à consommer aujourd'hui, pour éviter demain et des hausses de prix. L'inflation est aussi un moyen de diminuer les grosses fortunes, ce qui évidemment ne plait pas cette frange de la société américaine.

 

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Mise à jour 12 novembre 2013: Robert Shiller a partagé le Prix Nobel d'Economie 2013. Sous le titre "L'économie, une science pas comme les autres" il exprime sa manière de comprendre l'économie.

C'est la recherche des mesures pratiques plutôt que la recherche de principes fondamentaux comme pour les autres prix Nobel scientifiques.

L'économie vise aux résultats comme une science de l'engineering.

Le terme "science", souvent émotionnel, associé aux éléments de la matière est en économie associé à une pseudo-science.

Comme l'écrit "Taleb dans "Le hasard sauvage", "Il y est possible de camoufler le charlatanisme sous le poids des équations car c'est impossible de faire expériences de contrôle".     

Lee Smolin et Peter Woit reprennent l'idée à l'intention des sciences de physiciens. L'économie se rattache plus aux sciences humaines auxquelles, il faut ajouter des équation coûte que coûte.

11 octobre 2016: Le nouveau prix Nobel de l'économie récompense les recherches sur «la théorie des contrats»

mais  sous la loupe humoristique, cela devientpodcast

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