Les années charnières dans le monde (2) (03/07/2020)
"Les années charnières, ce sont ces années où des gestes parfois anodins, parfois plus graves, arrivent à donner au quotidien une tout autre direction", écrit la Québécoise Marie-Josée Paquet. Ces années dites "charnières" ont inspiré beaucoup de médias et d'écrivains.
Il y a trois mois, en pleine crise sanitaire, j'écrivais le billet "Une année charnière dans le monde (1)" au sujet de 2020. Le Covid qui a tout changé, est toujours là, bien caché. J'y parlais entre autres des chansons des Seventies.
La semaine dernière, je parlais de mes jeunes années scolaires dans une sorte de pèlerinage pendant les Sixties et les Seventies.
Y revenir s'impose de manière plus générale.
Je ne sais quel temps de conjugaison devrais-je utiliser pour ce billet? Passé, présent ou futur? Parfois, tous les temps se bousculent dans mon esprit. Il paraît qu'à parler au présent, on rend les choses plus vivantes.
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Les années 68, des années charnières ou chimériques?
ARTE les présente en deux volets:
"La vague contestataire (1965-1969)" et "L'explosion (1970-1975)".
Les États-Unis s’engagent de plus en plus massivement dans la guerre au Sud-Vietnam et une vague de contestation déferle sur la planète. Au Japon, aux États-Unis, au Mexique, au Brésil alors sous dictature militaire, en Tchécoslovaquie communiste ou au Zaïre de Mobutu, la jeunesse étudiante constitue souvent le fer de lance de révoltes multiformes et globales. Les atrocités perpétrées contre les populations civiles vietnamiennes par la puissance américaine jouent un rôle déclencheur, de multiples facteurs comme le combat pour les droits civiques des Noirs et le mouvement hippie aux États-Unis. Le poids de la tutelle soviétique à Prague ou la dénazification inachevée de la RFA, cristallisent aussi la révolte. Partout, la génération issue de la Seconde Guerre mondiale descend dans la rue pour rejeter les modèles politiques, économiques et familiaux qu'on lui enjoint de reproduire. Dans ce maelström d'événements, les deux mois de troubles et de grèves qui, de Paris gagnent toute la France, semblent presque anecdotiques.
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"1979"
"1979, une année qui a changé le monde', lance un média.
"Génération 1979 when perfection was born" dit cette étiquette publicitaire.
Ce podcast résume parfaitement cette année 1979 dans un désir de plus de démocratie, plus de liberté et de meilleurs salaires.
En ne respectant pas trop la chronologie, 1979, ce sont : la révolution islamique en Iran, guerre sino-vietnamienne, accident nucléaire de Three Mile Island, visite du pape Jean Paul II en Pologne, Margaret Thatcher élue premier ministre au Royaume-Uni se succèdent...
Réunis sous le soleil guadeloupéen, Jimmy Carter, Valéry Giscard d’Estaing, Helmut Schmidt et James Callaghan, dirigeants des quatre principales puissances occidentales, tombent d’accord pour lâcher le Shah d’Iran et soutenir l’accession au pouvoir de l’ayatollah Khomeyni, supposée servir leurs intérêts économiques dans la région. Du coup, Khomeiny, revenu de manière triomphale à Téhéran après 14 ans d’exil prend le pouvoir en tant que Guide suprême de la Révolution islamique et dignitaire chiite, il instaure la République islamique, dont les lois et l'identité s'appuient sur une interprétation stricte du Coran et donc liberticide. Il promet la démocratie mais confisque tous les droits aux femmes, les libertés de parole et de la presse sont muselées.
Israël et l'Egypte signent la paix à Camp David.
Le 28 mars 1979, dans le système de refroidissement du réacteur N°2 de la centrale nucléaire de Three Mile Island, accident le plus sérieux de l'histoire des réacteurs nucléaires américains. La France, échaudée déjà par le choc pétrolier de 1973, fait augmenter le prix du pétrole à la conférence de l’OPEP, ouvrant une vague de panique et de grèves dans l’industrie iranienne du pétrole dans les pays consommateurs. Le cours du baril de brut triple, de 12,70$ à 36$. Miser toujours plus sur l’atome malgré le souvenir de l’accident de la centrale américaine de Three Mile Island réveille les nouveaux "Verts" allemands qui alerte l’opinion sur le risque nucléaire.
Après l'indépendance, Idi Amin Dada, devenu président à vie de l'Ouganda, huit ans de tyrannie, au moins 300.000 sous son régime, est obligé de fuir chez Kadhafi pour ensuite être reçu par l'Arabie saoudite.
A Los Angeles, John Wayne meurt à l'âge de 72 ans d’un cancer de l’estomac et on dit que son décès a marqué ses concitoyens. Les journaux américains, relayant une tristesse collective, titrent « Monsieur Amérique est mort », sous la légende hollywoodienne de « La Chevauchée fantastique ».
Premières élections au parlement européen dans neuf Etats de la Communauté.
Simone Veille devient présidente libérale du Parlement et première femme à occuper un tel poste et défend avec force et énergie ses conceptions supranationales.
En décembre, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des quatorze États membres du système militaire intégré de l'OTAN approuvent le principe d'une modernisation des armes nucléaires du théâtre européen qui prévoit le déploiement de 108 fusées Pershing II d'une portée de 1.700 km et de 464 missiles de croisière d'une portée de 2.500 km sur le territoire du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de Belgique, de RFA et d'Italie.
En Pologne, la visite du pape Jean-Paul II, enfant du pays, réveille le sentiment national et galvanise l’opposition au gouvernement communiste, qui ne tarde pas à se restructurer autour du syndicat indépendant Solidarnosc.
En République populaire de Chine, Deng Xiaoping, soucieux de se protéger du géant soviétique, établit des relations diplomatiques avec les États-Unis et ouvre la voie à la libéralisation de l’économie.
Paralysé par un hiver de glace et de grèves, le Royaume-Uni s’apprête à balayer les travaillistes et à porter à sa tête Margaret Thatcher, dont le programme économique ultralibéral est appelé à changer la face du monde.
Le rapport Charney annonce les conséquences dévastatrices du réchauffement climatique… La crise des otages américains en Iran écarte Jimmy Carter de son second mandat de président. L'URSS envahit l'Afghanistan. Mère Téresa devient prix Nobel de la paix.
Au rayon "Faits divers", le 18 novembre, Odon Renard en sniper fou au cross de Hannut, tue deux personnes et en blesse une quinzaine sans autre motivation que de faire « un carton dans la foule ».
Deux films ont obtenu la Palme d'Or du Festival de Cannes pour avoir bien cerné l'époque.
"Apocalypse now" de Francis Ford Coppola
"Le Tambour" de Völker Schlondorff.
Pas étonnant qu'on ne veuille pas quitter l'enfance à la vue de ces films. Aucune révolution ne manque dans le tableau de 1979 avant de passer la main aux Eighties...
Cette année 1979 a été seulement les prémices de la décennie qui suit.
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Les Eighties
Ce vendredi, France3 présente les années 80 à la télé de 1980 à 1984.
Préambule: La France rêve d'une société nouvelle en se choisissant un nouveau président. La télé subit une révolution. L'information cadenassée se libère. Une femme arrive aux commandes du 20 heures. Des émissions mythiques naissent : RécréA2", "Champs-Elisées", "Droit de réponse", "Dimanche Matin", "Le Théâtre de Bouvard", "Gim Tonic", "Cocorcoboy" avec sa playmate..
Vendredi prochain, sont couvertes les années télévisées de 1985 à 1989.
Préambule: Tout s'accélère. En plus de la quatrième chaîne fraîchement lancée, naissent la Cinq et M6. A partir de 1987, en famille depuis son canapé, on passe son temps à chanter. Il y a cinq émissions de variétés par semaine. C'est aussi le moment où des animateurs osent tout. Sur Canal+, l'humour est la carte maîtresse avec Les Nuls, Coluche, Antoine De Caunes dans "Nulle Part Ailleurs". Pour la première fois, la télévision va acheter clés en main des formats internationaux. Une nouvelle ère commence".
En 2011, France2 parle de ces Eighties au travers des chansons mixées à la politique. Mon billet 'Décennie 80'ties toute en contrastes" parle de ces années de manière très détaillée. La musique fait de la politique avec des notes.
Je ne vais pas remettre la sauce. La dernière chanson mentionnée dans ce billet est reprise en 2016 par ZAZ qui n'avait que 5 ans à la sortie de cette chanson de Daniel Balavoine.
Une certaine similitude de cette année "Covid 2010" ressort avec ces Eighties qui ont aussi connu le virus du SIDA dont on ne connaissait rien quand il est apparu. Celui-ci a apporté un frein majeur aux libertés sexuelles et aux libertés elles-mêmes.
Aujourd'hui encore, il n'y a pas de vaccin pour le SIDA et seul, un traitement médical en trithérapie permet de l'enrayer et de vivre presque normalement.
En 2007 déjà, je propose un triptyque avec le titre "L'alterologie" puisque je ne connais pas le mot "uchronie", dont l'un d'eux porte le sous-titre "L'âge tendre de l'espoir (1963-1989)" .
Bon, on ne peut ni s'y amuser ni rire aux larmes tous les jours.
Et pourtant, ce n'est pas l'impression que ces années-là laissent en mémoire dans la musique.
Si en 1984, la Compagnie Créole sort, une idée déjà utilisée du "Bal masqué", le masque d'alors est un loup porté sur les yeux (paroles) et pas sur le nez et la bouche comme aujourd'hui.
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Je me souviens...
ARTE présente huit petits films québécois de dessins avec le titre générique "J'étais là".
Le sixième épisode(clic) () parle d'un certain Patrick Colucci qui, destiné à une vie de prêtrise. Attiré par le monde des hippies, il rencontre une jeune femme et son destin s’en trouve bouleversé. La rencontre a lieu alors que sur la scène du festival Woodstock, joue Jimmy Hendrix. Sa vie prend tout son sens pour vivre son amour.
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Le VIF de cette semaine
... présente un dossier "15-25 ans: Génération sacrifiée"
Génération sacrifiée de jeunes d'aujourd'hui, désabusée et en colère, à cause de la crise financière, des attentats terroristes et de la pandémie actuelle de 2020.
Jeunesse montrée du doigt quand elle fait la fête dans des "lockdown party" et dans une résilience collective alors qu'en parallèle, le marché du travail et de l'emploi est en berne et où il faut toujours apprendre plus avec le risque de se retrouver malgré tout, au chômage pour inadéquation entre ce qu'ils offrent et ce qui est proposé ou dans des "bullshits jobs" totalement démotivants par rapport aux efforts de l'apprentissage. Dans un bain en commun avec les adultes âgés, ils n'ont plus ainsi vu leur jeunesse passer à s'amuser. Beaucoup de candidats et peu d'élus.
Incertitudes et inquiétude vis-à-vis du futur génèrent anxiété et dépression. On a une vague impression d'avoir mis la charrette avant les bœufs. La plupart du temps, l'expérience est plus requise par les entreprises que les diplômes. Mutualiser les expériences positives et négatives entre jeunes serait nouveau
L'éducation scolaire ne se retrouve plus à l'école mais, à distance, sur Internet dans des cours informatisés en espérant que l'intelligence prend la relève à la connaissance de la matière.
Un jour qui sait, on mettra des puces de mémoire dans le cerveau de l'homme augmenté. Rien d'étonnant à ce que ces émissions de variété d'antan reviennent sur le petit écran pendant la période de confinement du premier semestre en manque de nouveautés. Un impression que tout se rétrécit avec la parcellisation des statuts de travail alors que la population augmente toujours dans une perte de sens.
C'est "La revanche de la nature" écrit Aymeric Caron. La nature a bon dos mais elle s'en fout des hommes...
On apprend que la sûreté de l'Etat dépeint l'extrême-droite comme aussi dangereuse que le terrorisme. Celle-ci a utilisé le mécontentement des jeunes et a compris qu'il lui faut s'adapter en ne copiant pas celle de la génération précédente, tout en étant fondamentalement identique.
Mais parfois, cela craque.
"L’antiracisme et l’«antipolice» : fourvoiement dans le bourbier communautariste" écrit le québécois, Robert Bibeau avec le panneau "We need revolution" en avant plan...
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Conclusions personnelles
Les choses semblent évoluer à un rythme accéléré techniquement mais à un rythme plus variable dans des cycles qui comptent un minimum de trente ans.
Jusqu'ici, on va toujours travailler pour gagner sa vie, nourrir sa famille et de moins en moins pour passer du temps agréablement. Vie perdue un jour dans une société mouvante mais limitée.
Par la 'chrononyimie", l'historien Dominique Kalifa dans son livre "Les noms d'époques", nomme ces trente années "les trente glorieuses" et les suivantes les "trente piteuses".
Trente ans? Un peu plus qu'une génération. L'écologie était apparue en 1979 dans le rapport Charney et annonçait les conséquences dévastatrices du réchauffement climatique dont on s'inquiète vraiment aujourd'hui.
Le système devenu numérique pourrait accélérer les choses en espérant que des sources surprennent avec une intelligence artificielle qui s'appellerait seulement "agent intelligent" sous une forme de modèle simplifié d'une structure reliée aux sciences humaines.
Les résultats des élections municipales françaises ont mis l'accent sur un futur écologique dans une vague verte.
Hubert Vedrine, interrogé pour son livre "Et après?" avait une philosophie qui voulait temporiser les étapes pour attendre les effets des changements.
Macron ne veut pas laisser aux écolos le monopole du vert et c'est son premier ministre Edouard Philippe qui jette le gant et est immédiatement remplacé par Jean Castex pour débuter un nouveau chemin pour faire évoluer les priorités et les méthodes. L'usure du pouvoir est de plus en plus rapide en démocratie dans des impasses à part peut-être pour Poutine. Mais est-ce vraiment une démocratie?
Edgar Morin, interrogé au sujet de son livre "Changeons de voie" pense qu'avoir privilégié la vie de ceux que l'on englobait parmi les plus âgés pendant la crise sanitaire du Covid-19 était une bonne initiative . Contrairement au déterminisme de Jean-Paul Sartre, il dit qu'il faut garder des incertitudes et avoir confiance dans les hasards qui font bien les choses et qui, s'ils n'apportent pas de révolutions, se contentent d'évoluer.
Les "has-been" gardent-ils la sagesse de leur âge pour eux?
Non, tous "à la casse" puisque les expériences de vie ne se transmettent pas de génération en génération, par les seniors vers les plus jeunes.
Les changements de régime se construisent dans la hardiesse des foules suite à une maladresse ou à une faiblesse d'un précédent.
Le but de ceux qui sont au pouvoir, est de faire rêver de manière générale avant au risque de faire cauchemarder de manière plus individuelle en replongeant les foules dans un cycle concentrique.
Les libertés d'expressions et de la presse finissent toujours par être muselées sous la coupole d'une protection d'une démocratie espérée dont on ne sait plus ni par où la prendre ni comment la maintenir avec sa sacro-sainte liberté d'expression.
Le "spleen" ne date pas d'aujourd'hui. Dale Carnegie est bien connu aux Etats-Unis et très peu en France pour avoir dans les années 30, inventer le “développement personnel” avec des techniques pour se sentir mieux dans la vie, accélérer sa carrière professionnelle, gagner plus d’argent, de reconnaissance, etc.(*)
Dernièrement, j'écrivais: "le futur antérieur" est utilisé quand deux actions se passent dans le futur l'une après l'autre. L'auxiliaire 'avoir' et 'être' sont choisis dans l'ordre le plus adéquat entre les deux en exprimant un fait accompli dans le futur avec un fait antérieur à un autre, entre une hypothèse du passé que l'on ne peut voir en uchronie sous une réalité suivie d'un bilan.
La lettre "Z" est la dernière de notre alphabet. Il n'a pas toujours été ainsi.
Orthogaffe la remet à sa place dans l'histoire.
Zorro serait-il arrivé?
"C'est toujours pour expliquer l'inexplicable, et faire croire à l'incroyable, que les hommes inventent les plus belles histoires", écrit Michel Bussi
Allusion
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(*) “Si vous avez des peurs, arrêtez-vous pour réfléchir au fait que les autres les ont eux aussi. Il est probable que vous ayez une inquiétude, une angoisse, peut-être même une terreur qui vous hante en ce moment : la peur de ce qu’on va penser de vous ; de ce qu’on va dire de vous ; de ce que votre patron va faire ; de ce que les voisins vont penser. Bénéficiez de l’expérience des autres", écrit-il.
6/7/2020: Ennio Morricone a rendu ses notes et ses feuilles de musique. Hommages
1/2/2021: Il y a 42 ans, le 1/2/1979 arrivée de Khomeini en Iran. Islamisme contre Communisme
Commentaires
Ne plus cacher ces "vieux" qu'on ne voulait voir
Isolement, infantilisation, peur de la mort ou envie d'y rester. Les personnes âgées ont souffert durant le confinement. La société a été forcée de regarder droit dans les yeux ce vieillissement qu'elle préfère souvent ignorer.
"C’est inacceptable de laisser mourir des personnes âgées ainsi dans les maisons de repos. Comment notre société a-t-elle pu dégringoler aussi bas? Il y a eu, à mon sens, un côté génocidaire. Il n’y avait pas assez de protections pour les soignants, pas assez de tests pour les résidents. C’est le problème de notre société occidentale. En Afrique, on n’aurait jamais accepté de traiter les aînés comme cela. Chez nous, on ne voit plus que l’aspect économique, pas l’humain."
Catherine* est en colère. Son père, résident en maison de repos, a failli mourir durant le confinement. Une mauvaise gestion de ses médicaments a provoqué chez lui des hémorragies. Ajoutez à cela l’isolement, et on a frôlé le drame. Les cas de Covid se sont multipliés à d’autres étages de sa résidence, sa fille a fini par le retirer de force. "Il y a des abus dans certaines maisons, on ne sait pas toujours ce qui s’y passe, dit-elle avec des mots très durs. J’aurais tout fait pour voir mon père quand il était au plus mal. Il y a eu un manque total de respect pour la vie humaine, ce n’est pas parce qu’on est plus âgé qu’on a moins de valeur."
Un manque de respect vis-à-vis des seniors, des vies dévalorisées, des "vieux" parqués dans des homes, enfermés dans leur chambre. Infantilisés. Voilà des images et des impressions fortes qui ont circulé durant les trois mois de crise. Des images qui ont aussi été contrebalancées par d’autres. De la bienveillance, des manifestations de solidarité et de soutien devant les maisons de repos, les dépôts de fleurs, les chants et les danses sous les fenêtres des résidents, les mots d’amour portés à bout de bras vers les anciens de la famille.
La pandémie a jeté un coup de projecteur brutal sur une frange de la population qui, jusqu’ici, laissait relativement… indifférente. Et a changé notre regard. "La crise est comme un soleil couchant, la lumière change, les ombres se déplacent, et elles ont révélé des choses que l’on ne voyait pas", illustre le philosophe Michel Dupuis (UCLouvain). La psychologue et gérontologue Valentine Charlot, directrice de l’ASBL namuroise Bien vieillir, l’a observé sur le terrain. "Il y a eu une prise de conscience de la part de personnes qui, jusqu’à présent, ne se sentaient pas concernées par le vieillissement. La crise a donné un coup de projecteur sur des lieux (les maisons de repos, NDLR) qui n’intéressent pas les générations les plus jeunes. On a remarqué une inquiétude, les avis se sont multipliés." Pour la psychologue, c‘est une réelle nouveauté. "C’est une problématique souvent ignorée, mise à l’écart, voire taboue. Peu de personnes ont envie d’y penser. La majorité de la population a un autre discours, du type ‘on verra bien quand on y sera’. Les gens ont une capacité à se dissocier, et ne pas se sentir concernés par le problème. Le vieux, c'est toujours l’autre."
"Les gens ont une capacité à se dissocier, et ne pas se sentir concernés par le problème. Le vieux, c'est toujours l’autre."
Le coup de projecteur a été tantôt positif et bienveillant, tantôt nettement moins réjouissant… Une grosse tache sombre a noirci le tableau : la moitié des personnes décédées du coronavirus (environ 5.000) étaient résidentes en maison de repos. Un chiffre que certains jugent sous-évalué, tous les cas n’ayant pas nécessairement été recensé.
Cachés pour mourir?
"Cette crise a apporté un nouvel éclairage sur ce qui se passait dans les maisons de repos en termes de qualité des soins et de gestion, poursuit Charles, dont deux des proches résident en institution. On a constaté de grandes différences sur le plan du bilan humain. Et la société a tout à coup découvert que quelqu’un qui est en fin de vie et âgé, et qui fait une infection, n’est pas systématiquement hospitalisé."
D’où cette impression de maison de repos "mouroir", qui, aujourd’hui, fait dire à certaines personnes que "non, je n’irai jamais là-bas". "C’est en tout cas l’avis des personnes qui ont eu une expérience dramatique, dit Valentine Charlot. Je pense notamment à une dame qui s’est dite horrifiée, et heureuse de ne pas y avoir mis son mari."
"La crise a en effet renforcé à tort l’idée que les maisons de repos sont des mouroirs, confirme Bénédicte*, gérante d’une institution en Wallonie. On a essayé de faire croire que les personnes âgées avaient peu de valeur au sein de la société, raison pour laquelle on ne les envoyait pas aux soins intensifs. Mais ce n’est pas juste, rectifie-t-elle. Il s’agissait plutôt d’éviter un acharnement thérapeutique chez un grand nombre de personnes qui n’auraient pas survécu à une intubation ou des soins intensifs."
Le fameux triage, souvent mal compris. "Et pourtant, les associations de gériatres elles-mêmes ont plaidé pour que l’on n’envoie pas les personnes âgées malades à l’hôpital, car elles n’auraient rien à y gagner", rappelle le philosophe Michel Dupuis. "N’est-on pas plutôt proche d’une forme d’acharnement thérapeutique? se demande de son côté Charles. Cette question de fin de vie est sensible, et beaucoup de personnes pensent qu’on a laissé tomber les ‘vieux’ parce qu’on ne les a pas hospitalisés."
"Peut-être peut-on se demander s’il ne faut pas envisager cela plus sereinement? C’est insupportable de voir mourir quelqu’un quand on n'y trouve pas de sens, poursuit Michel Dupuis. On se croyait au-dessus des lois de la nature, et brutalement, on s’est retrouvé devant notre vulnérabilité et notre fragilité. Le vieillissement et la mort sont revenus de manière magistrale devant nos yeux." Le mythe de l’immortalité créé par les progrès de la science s’est écroulé d’un coup.
"Pendant longtemps, on perdait les extrémités les plus vulnérables. Aujourd’hui, on ne sait plus quoi faire de nos 'vieux'."
À ses yeux, le fait de refouler les plus âgés, de les laisser mourir confinés, révèle aussi une panne de sens dans la société. "Dans certaines cultures encore aujourd’hui, on abandonne les personnes âgées pour les laisser mourir dans le désert. Tout cela signifie surtout que l’on a encore besoin d’humanisation. Nous sommes encore des sauvages. Il y a encore des tensions fortes dans la société. On doit encore apprendre quoi faire avec nos personnes âgées", dit le philosophe. C’est tout le paradoxe de l’allongement de la vie. On est content, mais on ne sait pas quoi faire de ces années de vie gagnées, et du coup, les personnes âgées deviennent… encombrantes. Une forme de dépendance et de vulnérabilité s’est installée. Et on n’a pas l’habitude de cela. Pendant longtemps, on perdait les extrémités les plus vulnérables. Aujourd’hui, on ne sait plus quoi faire de nos "vieux". Dans une société basée sur l’économie, il a fallu les placer, car les gens doivent travailler. De façon très gestionnaire, on en a fait un business très juteux et lucratif", dit le philosophe.
Le message envoyé à nos seniors est dramatique. Le sentiment d’inutilité couve, au point que la question de l’euthanasie est parfois évoquée par les plus âgés. "On est en panne de sens, dit Michel Dupuis. Pourrait-on imaginer une société où personne ne ressentirait cela, où personne ne se sentirait inutile?"
Sur le terrain, la psychologue Valentine Charlot pose aussi la question du respect envers les anciens. "Le Covid a eu bon dos pour camoufler toute une série de pratiques peu respectueuses de la dignité humaine", dit-elle. Catherine acquiesce. Et lance une nouvelle flèche à l'encontre du modèle de société qui s’est créé au fil des ans. "Quand on a fondé l’Union européenne, on parlait d’une société plus humaine. C’est faux, c’est tout le contraire. On a tout basé sur l’économique et le financier. Et les seniors, ils sont perçus comme un coût pour la société. Soi-disant, ils coûtent cher, car ils ne sont pas productifs. C’est faux, ils le sont différemment. Ils restent utiles à la société, ils apportent leur expérience de vie, leur affectif, leur entraide. Un monde sans personnes âgées serait un monde inhumain."
Agisme et paternalisme, un cocktail amer
La crise actuelle a aussi révélé un autre travers de la société. Celui de l’âgisme. "On s’est retrouvé face à des gens en colère contre le confinement, et tenant un discours du type 'laissons faire la nature'", dit Valentine Charlot. C’est quelque chose qui était déjà présent dans le domaine médical. Mais il y a eu aujourd’hui une forme de libération de la parole, constate-t-elle. Et la psychologue de citer un exemple interpellant: "Dans un hôpital dont je ne citerai pas le nom, le service de gériatrie était moins bien équipé contre le Covid que la pédiatrie. Si cela, ce n’est pas de l’âgisme…"
À côté de cela, il y a eu un regain de paternalisme vis-à-vis des personnes âgées. "Le souci de protection à l’extrême les a privées de leur liberté et de leurs droits, dont celui de prendre des risques pour elles-mêmes, remarque Valentine Charlot. Il y a eu un manque de prise en compte des capacités des personnes âgées à affronter cette crise." Une bienveillance… exagérée.
"Beaucoup de résidents sont sereins par rapport à la mort, enchaîne Bénédicte. Ils n’acceptent pas toutes les mesures d’isolement qui ont été mises en place, ainsi que le port du masque. Ils souffrent davantage de l’absence de contacts sociaux que du coronavirus, poursuit la gestionnaire. La majorité préfère profiter du temps qui leur reste, quel que soit le prix à payer. Certains ont perdu leurs repères, bien qu'on ait tout fait pour l’éviter." C’est aussi ce que Valentine Charlot appelle le syndrome du glissement. "Ils n’ont plus le contrôle de leur corps, plus de plaisir, alors ils se laissent progressivement mourir parce que c’est invivable pour eux, on leur a enlevé toute leur capacité à agir et à avoir une influence, à être entendu."
"Ils souffrent davantage de l’absence de contacts sociaux que du coronavirus. La majorité préfère profiter du temps qui leur reste, quel que soit le prix à payer."
Fille de résident, Catherine n’a pas tout à fait le même avis. "Mon père, comme les autres résidents, a du mal à comprendre que les mesures prises sont pour sa sécurité. Il pense que c’est un prétexte. Mais je pense que l’isolement, c’est un mal pour un bien. À condition qu’il soit fait de manière stricte, avec les mêmes conditions pour tout le monde. Et que les règles soient respectées. Dans la maison de repos de mon papa, on a laissé rentrer des proches d’autres patients, c’était ubuesque. On a placé tout le monde en détresse. Ce sont les absences de protections qui ont fait de certains endroits des mouroirs."
"C’est tout le paradoxe, illustre Michel Dupuis. On a voulu protéger les personnes âgées, mais on les a mal protégées, en les regroupant en hébergement fermé, on a rendu la situation encore plus critique. On en est arrivé à une forme de maltraitance psychologique due au confinement strict, à l’opposé finalement de ce que l’on voulait", dit-il.
Ma liberté de mourir
Certaines personnes âgées disent pourtant préférer mourir libres que vivre dans ces conditions. "C’est similaire au refus de soins, dit Michel Dupuis. Mais le problème, c’est qu’on peut le dire pour soi, mais pas pour les autres. Comment faire alors pour garder sa liberté sans mettre en danger les autres? Dans un contexte collectif, des règles s’imposent… Et le collectif va primer sur l’individuel. On voit ici la limite d’une société très individualiste, poursuit le philosophe. Dans une société hyper individualiste il n’y aurait pas de raisons de vouloir protéger les autres. L’individualisme est nécessaire, il est important d’avoir sa propre vie dissociée des autres. Mais la dérive est que l’on oublie vite une certaine solidarité."
À ses yeux, il ne faut donc pas confondre protection et surprotection et asservissement. "À un certain moment, on peut accepter d’être privé de liberté parce que cela a du sens, que cela sert à la fois à moi et aux autres."
Garder confiance, c'est possible
À l’avenir, les maisons de repos vont-elles se vider peu à peu, faute de nouveaux candidats se bousculant au portillon? Bénédicte, notre gestionnaire, ne le pense pas. On continue d’enregistrer des demandes, dit-elle. Ce que confirme Agnès également, qui cogère une maison de repos à Bruxelles.
Catherine, de son côté, n’a pas perdu confiance dans le secteur malgré ses déboires. Après avoir gardé son père quelque temps chez elle, elle l’a replacé dans une autre maison de repos pour laquelle il était en liste d’attente depuis un an. Une institution n’est pas l’autre, concède-t-elle. Dans cette maison-là, ils ont testé tout le monde. On n’enferme pas les résidents dans leur chambre, ils peuvent faire des activités ensemble. C’est un endroit où il y a bien plus de bienveillance. Et plus de personnel aussi…"
"C’est maintenant qu’il faut parler de cette question. Réfléchir aux pratiques qui ont été mises en place dans les maisons de repos. Qu’est-ce qui était approprié, qu’est-ce qui ne l’était pas? Qu’est ce qu’on a envie de garder?"
Valentine Charlot, elle, ne sait pas si la prise de conscience qui est née de cette crise se poursuivra, et si elle permettra de changer la manière dont on prend en compte la vieillesse et la dépendance. Mais à ses yeux, il y a un momentum à saisir. "C’est maintenant qu’il faut parler de cette question, juge-t-elle. Réfléchir aux pratiques qui ont été mises en place dans les maisons de repos. "Qu’est-ce qui était approprié, qu’est-ce qui ne l’était pas? Qu’est ce qu’on a envie de garder?" Pour elle, le regard de la société sur la vieillesse va en tout cas changer. Notamment celui des généralistes et des spécialistes. "Il y a une conscientisation que les personnes âgées ont souffert durant le confinement. Et cela pourrait changer la donne en termes d’accompagnement et de santé mentale", dit-elle.
Le retour de l’humain
Agnès estime aussi qu’il y aura du changement dans le secteur du soin aux personnes âgées. "On va assister au retour de l’humain. Les familles vont être de plus en plus exigeantes, elles vont y attacher plus d’importance. Les directions, les financiers qui se trouvent dans l’ombre des maisons de repos en feront-ils une finalité, on n'en sait rien…"
Selon elle, il va aussi falloir dépasser l’image de la maison de repos mouroir, pour lui redonner l’image d’un lieu de vie. "Comme une pension de famille, parce que c’est cela que les gens rechercheront. Selon elle, on aura toujours besoin de maison de repos. La population vieillit, il faudra de plus en plus de résidences, car rester seul chez soi, cela coûte cher aussi. Et un jour où l’autre, on finit quand même par être placé. Peut-être plus tard, mais souvent avec des pathologies plus lourdes…"
Pour Valentine Charlot, il existe aussi d’autres voies, comme les habitats partagés ou les habitats intergénérationnels kangourous. "11.000 places ont été créées en maison de repos. On aurait dû réfléchir à l’époque et tester de nouvelles formes de prise en charge. Il n’est pas trop tard pour le faire et réfléchir à d’autres modèles que les résidences mammouths, ces lieux de vie où, avec la crise sanitaire, on n’a plus su comment gérer, et où l’on a bloqué tout le monde dans sa chambre. Il y a une attente pour plus de liberté, pour du changement."
C’est aussi ce que pense Michel Poulain, professeur émérite à l’UCLouvain, qui travaille depuis longtemps sur ces nouvelles formes d’habitats pour seniors. "C’est une leçon à retenir pour les maisons de repos. Elles doivent être plus humaines. Elles ne sont pas condamnées à être des mouroirs. Il y a moyen de créer de nouveaux modèles. Mais quelque chose devra changer, des choses vont s’ajuster dans l’avenir."
https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/ne-plus-cacher-ces-vieux-qu-on-ne-voulait-voir/10237116.html
Écrit par : Allusion | 05/07/2020
1/2/1979 arrivée de Khomeini en Iran. Islamisme
contre Communisme
http://vanrinsg.hautetfort.com/media/02/00/475496106.mp3
Écrit par : Allusion | 01/02/2021
Il y a 40 ans apparaissait le SIDA
http://vanrinsg.hautetfort.com/media/02/01/2890427958.mp3
Écrit par : Allusion | 08/06/2021