Les métamorphoses de la modernité (06/05/2022)

Capture d'écran 2024-03-20 075957.pngSous-titre: "L'âme faustienne à la conquête de l'infini".

C'est ainsi que je recevais un email de Clément Gustin que je ne connaissais pas. Je partage quelques idées sur la modernité et il me semble intéressant d'en parler.  

L'adresse de son site "Chronique du parc humain".

Dans le dernier article "En thérapie" , j'avais initié ce débat par la voie de la psychologie. La métamorphose intervient déjà chez Ovide  et comme résultat de la solitude.

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1. Comprendre la modernité

Pour comprendre cette modernité en tant que derniers héritiers en date, d’où elle provient et de quoi elle est la manifestation profonde, il faut remonter à sa source, bien avant qu’elle ne devienne ce qu’elle est aujourd’hui à nos yeux, à savoir, notre environnement naturel : une réalité quotidienne nous entourant partout à la façon d’un horizon indépassable.

Chaque nouvelle ère historique voit le jour à la suite d’événements exceptionnels, catalyseurs, de transformations spectaculaires (catastrophes, révolutions politiques, techniques ou idéologiques, chutes de régimes, innovations, nouvelles religions, guerres, etc). De tels événements créent, quand ils apparaissent, comme une bifurcation dans le cours de l’histoire, un précédent dont ils marquent le terme et une mutation dont ils sont les premiers signes distingués clairement par un avant et un après.

La découverte du continent américain en 1492 par Christophe Colomb et les conquistadors a créé une gigantesque collusion, si pas collision, de deux mondes clos s’ignorant jusqu’alors superbement l’un l’autre comme un de ces événements fondateurs. Dans le domaine politique, une collusion parallèle se produisit lors de la chute de Constantinople en 1453 avec le domaine de la technique avec l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Ces trois événements marquants font débuter l’époque moderne par une nouvelle catégorie historique dont la Renaissance est le premier moment. Pour éviter tout malentendu, cette catégorie ne recoupe pas le concept de modernité en tant que tel, mais correspond plutôt au long processus historique l’ayant initié. L’époque moderne, s’étale de la fin du XIVe aux derniers soubresauts du XVIIIe, dans un prélude de la modernité, comme un germe, en s’y laissant de plus en plus deviner comme événements spectaculaires qui ont bouleversé le monde.

La découverte du Nouveau Monde pose les tout premiers jalons d’une mondialisation du commerce. L’imprimerie accélère la diffusion des savoirs par l'accessibilité aux textes sans commune mesure avec ce qui la précédait. La chute de l’Empire byzantin, via ses exilés, fait redécouvrir en partie aux Chrétiens les auteurs Grecs de l’Antiquité.

 D’autres événements d’un déploiement plus discret et plus souterrains, sont tout autant bouleversants par l'accroissement significatif de la démographie européenne avec une tendance latente des pouvoirs monarchiques à la centralisation et du développement relatif des économies de marché. Il est indéniable que l’économie de marché est en progrès en reliant suffisamment de bourgs et de villes pour commencer à organiser la production, à orienter et commander la consommation (1). »

L’Europe, considérée comme la plus développée, est trouée de zones en participant peu à la vie générale. Dans son isolement, elle s’obstine à mener sa propre existence, presque entièrement fermée sur elle-même2 ». Des siècles d’Ancien Régime voient néanmoins grandir de plus en plus les foires, les marchés, les Bourses avec le rôle des négociants, des artisans, des boutiquiers. Tout au long de cette transformation du commerce, le visage d’une nouvelle classe sociale se laisse découvrir en filigrane. Dans un futur proche, la bourgeoisie d’affaires amène à jouer un rôle politique de plus en plus important. Des économies-mondes localisées se succèdent, transforment les villes en pôles économiques, passant d’une région à une autre en passant successivement par Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, et à la fin de l’époque moderne, Londres, destinée à devenir plus tard la première capitale de la modernité.

Mais vouloir saisir la spécificité d’une époque à travers ses évolutions matérielles, le plus souvent, nous perd. Comment choisir, parmi cette multiplicité de phénomènes, dont les changements sont une cause, pour les uns et une conséquence pour les autres ? N’y a-t-il pas quelque chose qui puisse relier tout à la fois les innovations techniques comme l’artillerie, le télescope, la caravelle, à l’expansion en économie ou l’art de la fugue en musique ? Existe-t-il quelque chose capable de donner un sens métaphorique profond à ces transformations touchant tous les domaines, comme si ces manifestations diverses étaient le fruit d’une même idée ?

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2. L'esprit

Dans le domaine de l’esprit, les époques historiques sont déterminées par leur propre sémiosphère constituée d'un ensemble complexe de références façonnant une culture. Alimentée par ce que Jacques Derrida appelle des signifiés transcendantaux, elle est une matrice cohérente, dotée d’un sentiment personnel face à la vie, d’une expérience du monde sensible qui lui est propre, avec ses présupposés, sa cosmogonie, ses symboles spécifiques. Le sens du monde et son mystère avec l’image que les hommes s’en font, sont imbriqués dans un imaginaire collectif singulier qui en délimite l’horizon d’attente ainsi que ses réalisations.

Si l’époque moderne marque une bifurcation historique dont les réalisations changent la face du monde, elle doit aussi être, nécessairement, le moment d’une profonde mutation dans le domaine de l’esprit. Pour Oswald Spengler, l’Occident moderne n’aurait pas pu naître sans qu’il soit habité par un symbole originel qui le démarque et à partir duquel tous les autres peuvent être déchiffrés.

Dans une innovation artistique à première vue anecdotique tout en étant révolutionnaire pour l’époque, que Spengler retrouve le symbole originel de la culture occidentale. De l’apparition de la perspective en peinture, Léon Battista Alberti en codifie théoriquement les principes en 1435 avec son traité "De pictura". La perspective est le signe, selon lui, d’un nouveau regard que l’homme porte sur le monde, et donc d’un nouveau sentiment qu’il a face à la vie en métaphore d’un état d’esprit particulier, d’une mentalité neuve, proprement européenne, qu’il appelle l’âme faustienne.

"La Vierge du chancelier Rolin", Jan van Eyck, 1435
« Une transvaluation de tous les éléments s’opère ainsi dans la peinture. L’arrière-plan, esquissé jusqu’alors avec indifférence, considéré comme remplissage, passé comme espace à peu près sous silence, prend une signification décisive. Une évolution commence, qui n’a de semblable dans aucune autre culture : l’arrière-plan, symbole de l’infini, triomphe du plan antérieur sensible et concret. On réussit enfin à fixer dans le mouvement de l’image l’expérience de la profondeur de l’âme faustienne. L’horizon apparaît dans l’image comme un grand symbole de l’espace cosmique illimité, qui embrasse dans son sein comme des accidents les objets individuels sensibles3»

L’âme faustienne est donc pour Spengler une mentalité propre à l’Occident, sans laquelle l’avènement de la modernité telle qu’elle finira par émerger au XVIIIe n’est pas possible. L’âme faustienne, dont la perspective est une des manifestations dans le domaine artistique, porte en elle une ambition métaphysique spécifique, une représentation de l’espace et du macrocosme qui la distinguent de toutes les mentalités l’ayant précédée avec l’idée de l’infini à conquérir. Dans un espace infini révélé inconsciemment et promis par le lointain de la perspective et par la profondeur qu’elle couve, git peut-être la vérité d’un arrière-monde. Vérité qui dès lors n’est plus immanente ni donnée dans l’évidence de l’univers sensible et borné, mais dont il faut élucider le sens caché selon une méthode et un calcul nécessaire au point de fuite dans un tableau dont la perspective se veut avant tout exacte.

Pour tenter de mieux cerner l’esprit faustien de l’homme occidental, mis en rapport avec l’âme apollinienne, est à comparer avec la mentalité propre aux Grecs de l’Antiquité selon Spengler. Les Grecs anciens, en excellents navigateurs et mathématiciens, si curieux qu’ils aient pu être, furent toujours restreints par le pressentiment d’un danger devant la démesure. Leur sémiosphère était avant tout dictée par la proportion, le juste équilibre d’un monde statique représenté en sculptures dans une des manifestations artistiques les plus hautes. Leur crainte de l’hubris les fit se détourner de l’idée de l’infini. Ils n’allèrent jamais explorer au-delà des colonnes d’Hercule qu'on appelle le détroit de Gibraltar. La méditerranée fut tout leur monde. Ils restèrent également inquiets des nombres irrationnels ne pouvant être décrits par l’opération d’une fraction harmonieuse dans un rapport d’équilibre comme symbole de cohésion à la limite psychologique de leur représentation du cosmos. A ce propos, un de leur mythe tardif révèle que le savant ayant divulgué le secret de l’irrationnel pérît dans un naufrage, « parce qu’il fallait que l’ineffable et l’invisible restassent cachés ».

A la lumière de cet espace infini que l’âme faustienne découvre par la recherche d'une domination méthodique, l’introduction d’armes créant une distance de plus en plus étendue dans l’art de la guerre, apporte une signification limpide à la fabrication de caravelles capables de partir à la conquête de l’autre bout du monde, de l’invention du télescope pour sonder des pans de l’espace céleste fermés à l’œil nu. En vérité, l’infini se retrouve ainsi tout au long de l’époque moderne comme une obsession. Telle une nouvelle dimension ouverte à l’esprit, l’inaccessible le hante et reconfigure l’ordre hiérarchique du cosmos.

Depuis l’héliocentrisme de Nicolas Copernic et de Galilée, la Terre n’est plus au centre d’un univers limité, mais s’étend à perte de vue. Notre planète erre désormais parmi une « quantité innombrable d’astres et de mondes identiques au nôtre » tel que l’affirmera Giordano Bruno. Depuis le voyage de Magellan en 1522, sur ce « globe détraqué (4) » traversé de part en part dont se lamente le Hamlet de Shakespeare et dont s’inquiètera Pascal, l’homme infime, seul dans le « silence éternel de ces espaces infinis » commence à douter de sa grandeur.

Né de cette immensité quasiment démente, il doute de lui dans un doute fondamental qui s’ouvre devant lui, pour devenir paradoxalement sa nouvelle force et sa nouvelle ivresse dans une méthode, un outil spéculatif élargissant son champ d’action. L’inaccessible devant l’homme a deux versants. D’un côté, il le rejette et l’écrase par son étendue sans fin. De l’autre, il le pousse à s’avancer vers l’illimité pour le connaître, à agir pour en prendre possession. Qu’y a-t-il à découvrir de plus ?

En allant au bout du doute, en l’épuisant et en le surmontant, Descartes (5) donne à la pensée occidentale un point d’ancrage décisif, une arme inébranlable amenée à diriger les futures réalisations de l’esprit faustien par la raison. L’infini peut être dompté par le cogito, nous dit Descartes, la nature divine elle-même peut être élucidée si l’on s’en tient à une méthode rigoureuse. Ainsi l’homme retrouve-t-il une place essentielle dans le macrocosme. Quelle meilleure preuve de son élection divine que cette faculté de percer à jour le secret de la nature à l’aide de la raison ? Galilée disait déjà que les mathématiques étaient le langage de Dieu. Leibniz, plus tard, pensait le cerner dans leur « exactitude impressionnante ».

À partir du philosophe français, Descartes, l’homme se fait sujet autonome. Cherchant à prouver la nature divine de l’infini et l’existence de Dieu par des axiomes logiques dans ses Méditations métaphysiques, il vient sans le savoir d’émanciper l’individu de la tutelle de l’Église, en le dotant grâce à sa méthode du doute hyperbolique, d’un nouvel esprit critique bientôt prêt à s’attaquer à toutes les fondations culturelles et idéologiques.

Par l’action de son cogito sur les objets qui l’entourent, l’homme peut désormais exercer un pouvoir de clarification sur l’intégralité du vivant. Clarification qui deviendra, après la théologie. L’ambition de la science et l’histoire occidentale prendra alors l’aspect d’une quête jamais assouvie « d’une recherche tâtonnante, parmi les étoiles, de réponses définitives, d’une errance dans l’infinitésimal vers l’infiniment général et un pèlerinage de plus en plus lointain vers l’inconnu6. »

Ainsi l’âme faustienne partit seule à la conquête de l’infini.

1) La dynamique du capitalisme, Fernand Braudel1977.
2 (ibid).
3 Le déclin de l’Occident, volume I, Oswald Spengler, 1918.
4 The Globe est aussi, assez significativement, le nom du théâtre londonien où l’on joue ses pièces.
5 Qui, notons-le au passage, fut assez intéressé par l’optique pour publier un essai sur la lumière, sa réflexion, l’œil et sa vision : bref, un essai traitant de perspective.
6 La naissance de la conscience dans l’effondrement de l’esprit bicaméral, Julian Jaynes, 1976

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Réflexions du Miroir

La forme

Wiki ajoute : "L'âme apollinienne, qui répugne à l'illimité et s'attache à ce qui est clairement circonscrit, s'exprime dans la géométrie euclidienne, la statuaire, la tragédie, la Cité-État. L'âme faustienne, au contraire, s'épanouit dans les espaces illimités et les visées sans fin".

J'ai trouvé intéressant l'article de Clément. J'ai appris à connaître certains noms historiques. J'ai seulement effectué une coupe au rasoir de tous les épis qu'un coiffeur aurait à faire pour égaliser la coupe. 

Sur son site, j'ai trouvé d'autres billets "L'avènement de l'idéologie catastrophiste" (même raisonnement que "Les utopies idéologiques").

Deux "Brèves du nouveau monde" dont le panorama global est dit charmant et "Une brève histoire de la propagande de masse", dont les informations ne sont pas des entités volatiles et neutres dénuées de pouvoir. C'est pourquoi elles sont devenues le théâtre d'opération d'une guerre psychologique permanente.

Il est mentionné à la fin de l'article actuel de Clément "Si cet article vous a plu, vous pouvez me laisser un pourboire en cliquant sur Laisser un pourboire".

Personnellement, je n'aurais jamais osé ajouter cette mention.

Ce blog-journal "Réflexions du Miroir" existe depuis 2005 sans demander de pourboire.

Dernièrement, j'envoyais un email en réponse à une invitation à une présentation à laquelle, pour y assister, il fallait payer une somme non négligeable jusque à son accès via Internet. 

  1. Alexandre Jollien sera présent à Bruxelles le 5 mai pour une conférence et le 7 mai pour un atelier.
  2. Christophe Massin fera quant à lui un passage express chez nous le 16 mai pour une conférence.

Avant d'acheter un livre ou une publication, je le compulse en magasin.

Les idées se partagent mais ne se vendent pas comme une savonnette. Elles se discutent...

Mon journal a été construit dans un but de partage d'informations au cours du temps pour me permettre d'y retourner longtemps après les publications pour constater que cela tient encore la route ou non.

Mon "A propos" est détaillé jusque dans ses moindre recoins.

L'article de Iephénix "Homo confort, à un clic de la sortie d'écran"  contrebalance celui-ci.

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Le fond

C'est clair, je fais partie des progressistes toujours à la recherche de plus d'automatisme.

En étant conservateur, je dénigrerais complètement une vie de 40 ans en exercice à la manœuvre du progressisme.

Je ne suis pas croyant, mais pratiquant.

Je ne site que deux billets qui parlent du progrès (mais il y en a d'autres):

  1. "L'absence de progrès peut nuire gravement à la vie" dans lequel j'ai établi un dialogue assez énergique à sens inversé.
  2. "Comment convertir un conservateur en progressiste?"

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Et, la politique dans tout ça?

En 2006, j'écrivais "Au diable les partis"...0.jpg
 Aujourd'hui, j'ajouterais : "...et les convictions politiques".
En Belgique, le vote est obligatoire. Il est validé après avoir choisi une liste soit en case de tête, soit en panachant les votes dans la même liste.
Ne serait-il pas une occasion de panacher ses votes sur plusieurs listes en votant pour des personnalités qui ont des idées et des projets communautaires ?

Je ne pensais pas que le "Matin Première" de ce vendredi allait y répondre de manières très diverses.

 

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"Notre Europe, quelle histoire..."

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Je ne peux donc que terminer ce billet avec la préface d'un livre de Nicolas Vadot écrite par Alex Vizorek

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Allusion

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7/5/2022: Ce weekend, c'est à la fois, la fête de l'Iris, la fête de l'Europe et par cette dernière la fête du pain de tous les pays d'Europe.

J'ai déjà eu l'occasion d'en parler en 2016 avec d'autres fêtes qui jalonnent le mois de mai dans "Sprout to be Brusselers" avec ses photos

Aujourd'hui, je me suis arrêté à cette matinée 2022 avec la fête du pain 

Adresse de la fête du pain en un clic0.jpg

0.jpg9/5/2022 : L'œil dans le rétro de Pierre Marlet
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Nina Bachkatov parle de la Russie qui fête aujourd'hui la victoire contre le nazismepodcast

10/5/2022: Charles Michel est à Odessa et le cactus racontepodcast

12/5/2022:

0.jpgLa deuxième finale de l'Eurovision a lieu ce soir...

La politique est entrée plusieurs fois dans cette compétition et cette année, la polémique risque d'empirer
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13/5/2022 : Le cactus en parle
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