03/02/2006
Bisous ou bizutages
L’armée russe et les côtés obscurs de la Force. Cette fois encore, la tradition tourne à la catastrophe. Baptêmes violents de toutes origines sont des manifestations devenues inadmissibles.
Ce 27 janvier, on apprend que le soldat russe Sytchev de Tcheliabinsk (Oural) a dû être amputé des deux jambes et de sa masculinité à la suite des tortures et de passages à tabac qu'il avait du subir lors d'un bizutage.
Le ministre russe de la Défense, Sergei Ivanov, condamne le bizutage "honteux". L'affaire date du Nouvel An, mais a été étouffée jusqu'ici. Le général de l'Armée de terre, Alexeï Maslov, qui patronnait la caserne n'était pas présent lors des faits et a déclaré que si ce genre de pratiques existait bien, il ne devait pas être bien grave ni courant. Il a été tout de même envoyé sur place pour éclaircir les circonstances du drame.
Le jeune soldat a été frappé pendant trois heures par des anciens et a dû attendre trois jours avant d'être secouru et être admis dans un hôpital civil. La gangrène avait déjà fait son œuvre et seul, l'amputation pouvait encore le sauver. Actuellement, il lutte encore pour sa vie.
L'enquête criminelle ouverte pour déterminer si le général Victor Sidorov était responsable d'un abus de pouvoir. Sept soldats dont trois officiers ont été mis sous les verrous. A la Douma, les débats n'ont pas manqué comme si l'affaire était unique. Une dizaine d'enquête du même type sont déjà à l'actif de cette garnison. Une députée a posé la question de savoir comment les mères allaient encore accepter d'envoyer leurs garçons à l'armée. La chambre du Parlement n'a pourtant pas jugé bon de convoquer le ministre de la Défense pour l'interroger.
En octobre 2004 déjà, l'ONG de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch avait publié un rapport détaillé fustigeant les sévices physiques, humiliations, passages à tabac et viols faisant des dizaines de morts, entraînant des centaines de tentatives de suicides et des milliers de désertions chaque année dans l'armée russe.
Le passage à tabac se cache sous la tradition d'"omerta" qui a décidemment bon dos. La guerre de Tchétchénie a manifestement laissé des traces. La violence de la guerre s'était incrustée à l'intérieur même des casernes. Les suicides parmi les soldats ont triplé en un an de temps et ont "éclairci" les rangs de quelques 276 soldats dont plus de la moitié peuvent être attribuées à des suites de bizutage. Evidemment, les chiffres officiels sont bien moins dramatiques. Ce qui apparaît avec ce scandale n'est probablement que le sommet de l'iceberg. Et, nous ne sommes pas dans la prison d'Abougraib, cette fois.
L'armée, le monde estudiantin, les joyeux camps de vacances d'adultes dans l'esprit, font vivre le même «combat». Par des travers parfois insidieux, ils ont tous un relent de roussi à des niveaux de moins en moins dangereux, bien entendu: des victimes consentantes sous les attaques plus ou moins violentes de bourreaux d'occasion. Un pacte de non agression «post opératoire» est à la base de la continuation de traditions dégénérant parfois vers des sommets et des rites de purs sadomasochismes. «Les ados doivent faire leur crise», «péter les plombs», «disjoncter» pour grandir, disent les anciens. Pour en arriver aux extrêmes mentionnés ci-dessus ?
Sous un vieux et fallacieux désir de vouloir faire partie de l'élite des anciens et gagner son ticket dans la cour des Grands, les « bleus » (pourquoi cette couleur innocente ?) de tous temps se sont sentis obligés de se faire initiés lors des grandes occasions de l'intronisation dans "le" groupe. En parlant de couleurs (pas de la peau), il s'agirait plutôt de «noir» face au «blanc». Les baptêmes de toutes sortes feraient bien mieux d'apparaître au moment opportun. Je veux parler de la fin des études, de l'accession de plein droit dans les rangs de l'armée. Cela correspondrait enfin à un véritable passage d'un statu au suivant bien plus important. Les guindailles, alors auraient tous leurs pesants d'or. L’affaire n’est pas neuve. Des peuplades plus ou moins "primitives" pratiquent encore aujourd'hui des rites d'initiation pour clarifier le changement d'état. Ces rites sont craints par les 'jeunes intéressés' mais aussi espérés car les 'passeurs' ne sont pas intéressés dans le "passage".
La quarantaine ou le rejet sont les primes du refus de participer. Faisant presque partie de l'instruction, il n'y aurait pas de chance d'arriver au bout d'une année sans ce passage «obligé». En général, avilir et casser l'ego sont les buts à atteindre.
L'armée est une école de l'obéissance mais pas de la perte de personnalité. Dans l'armée américaine, s'il l'on en croit les films, nos bons GI's participeraient dans cet état d'esprit.
Les sévices encourus sont devenus inadmissibles que se soit pour l'entrée à l'armée ou l'entrée dans la «Grande Ecole». Rien ne devrait faire penser qu'une parfaite admission parmi les autres se fasse par l'intermédiaire de cette technique de bizutage.
La bienvenue dans les rangs, les "bisous" du titre, seraient bien plus adapté à la situation qu'une déstabilisation dès le départ par la peur. Le baptême est dans son concept initial un événement bien plus pacifique.
Cette déviance devient une vengeance des anciens sur les suivants pour continuer la tradition
Subir les pires insultes (mais, si ce n'était que cela !) dans un avilissement total par des "juges" avec un degré d'alcool dans le sang ne rapporte pourtant aucun avantage.
Briser cette chaîne de la peur serait une tradition bien plus enrichissante.
Il y a de nombreuses années, jeune étudiant, je suis aussi passé par cette filière en entrant à l'université. Je sais donc de quoi je parle. Prêt de 40 ans, il y a donc prescription !
Si cette manifestation est souvent présentée sur internet avec sourire comme un bon souvenir, il n'en reste pas moins que l'on pourrait paraphraser une citation célèbre de cette manière:
"Une petite victoire de l'homme, mais un grand pas vers la «déshumanité»".
L'enfoiré,
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Citations:
- "Baptême. Rite sacré d'une telle efficacité que celui qui trouve le chemin du ciel sans l'avoir reçu sera plongé dans les affres de la détresse pour l'éternité.", Ambrose Bierce
- "Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre.", Arthur Rimbaud
Mise à jour Septembre 2013: Un bizutage tourne au drame. Trop d'eau à boire....
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Commentaires
Voilà pourquoi, il ne faut pas être complice et donner son obole pour aller boire. Boire un petit coup, n'est pas toujours agréable à la fin.
http://www.lesoir.be/regions/bruxelles/2011-11-19/etudiant-decede-a-la-saint-v-une-autopsie-aura-lieu-877918.php
Faut-il interdire les baptêmes étudiants ?
Publié le 11 novembre 2011 par Pierre Bouillon
En 1998, la Française Ségolène Royal, alors ministre, a interdit les baptêmes. Le député belge Laurent Louis souhaiterait en faire autant. Il a déposé une proposition en ce sens à la Chambre. Du côté des universités, on estime qu’il vaut mieux cadrer l’affaire que de la prohiber (à l’UCL, cette année, les responsables étudiants ont ainsi reçu une formation sur le baptême.)
Attention: avis tranchés… La question du baptême étudiant divise. Et le choc est frontal entre ses partisans et ses détracteurs.
Les premiers y voient un rite d’intégration, un peu salissant c’est sûr, mais relativement ordinaire; et l’affaire, insistent-ils, permet au «bleu» de construire des relations fortes dans le nouvel univers qui est le sien. Les autres ne voient qu’une orgie humiliante, potentiellement traumatisante et dangereuse sur le plan physique.
Parlant de pressions, ils doutent aussi du réel consentement des «bleus.»
Le consentement: c’est l’une des clés du débat. Les défenseurs du folklore soulignent avec force que le baptême résulte d’un choix (au contraire du «bizutage», aiment-ils faire valoir) et qu’il n’y a pas de pression – il serait loin le temps où les réfractaires faisaient l’objet de représailles.
La France, qui a vidé la question, ne s’est pas embarrassée de savoir si l’étudiant est consentant ou non. En 1998, alors ministre, Ségolène Royal a érigé en délit «le fait pour une personne d’amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations, ou de réunions liées au milieu scolaire.”
Une proposition de loi a été déposée
Le député belge Laurent Louis (indépendant, ex-Parti populaire) a déposé une proposition de loi du même tonneau: «Un bizutage est censé être une cérémonie d’accueil et de transmission de valeurs afin de créer une fraternité au sein d’une communauté. C’est en réalité une longue suite de brimades plus pénibles les unes que les autres. Le but est de martyriser. Même s’il n’y a pas réellement de volonté de détruire, de nuire, ni de blesser, physiquement ou moralement, l’inconscience, la négligence, l’ignorance et l’influence de l’alcool sont régulièrement la cause d’accidents plus ou moins graves.»
L’initiative du député Laurent Louis a peu de chances d’aboutir ; ses collègues au parlement ne devraient pas être légion à le soutenir.
En attendant, les étudiants fulminent. Mélissa Sovilla et Xavier Claessens, présidents de l’Association générale des étudiants liégeois (Agel) : «Le secret qui entoure les baptêmes, et qui n’a d’autre but que de préserver une certaine magie autour des activités, laisse cours à tous les fantasmes. Comme ceux du député Louis.»
Ils serinent: “Le baptême est un rituel de passage qui comprend des épreuves visant à développer la solidarité, le dépassement de soi, à faciliter les échanges entre bleus, entre nouveaux et anciens, entre facultés. Tout cela se déroule sous l’égide de comitards qui poussent les rapports d’autorité jusqu’à leur paroxysme pour mieux en faire ressortir le côté absurde.»
Insistant sur le côté 2e degré de l’affaire, ils soulignent que le baptême est cadré, que des chartes de bonne conduite sont signées, que les comitards « ne sont pas n’importe qui ».
« Ils sont élus par leurs pairs. Etre comitard, c’est respecter des règles de bonne conduite et s’engager à transmettre certaines valeurs.»
Du côté des universités, où le folklore étudiant est plus ancré, on n’entend pas interdire le baptême. «On ne ferait que le déménager, le rendre secret, comme en France où le contrôle n’est plus possible.»
Une formation au baptême
On cadre, alors. Et là, l’UCL vient d’innover.
En mai dernier, les responsables des cercles et régionales ont suivi une formation (obligatoire) d’un jour. Elle a porté sur le sens du baptême (des anthropologues ont éclairé les étudiants sur ce point), sur la sécurité (premiers secours, règles de prudence.) et sur les chapitres que la… Déclaration des droits de l’homme dédie à la dignité de l’individu.
Pour Didier Lambert, vice-recteur aux affaires étudiantes, il est trop tôt pour mesurer l’impact global de cette formation mais il repère déjà un effet : cette année, pour l’élection du Roi des bleus (le plus gros buveur), et à l’initiative des étudiants, l’affaire s’est jouée à la bière… sans alcool.
Les purs et durs avaleront de travers. Mais l’UCL est satisfaite et note que le folklore étudiant arrondit peu à peu les angles. «Il reste des choses qui choquent, comme ce « gueule en terre » que l’on fait subir aux bleus. Et il y a encore du travail sur l’alcool. Mais le baptême est bien moins sauvage qu’autrefois.»
Michel Molitor est professeur émérite et vice-recteur émérite à l’UCL. Il y a quelques années, il publiait dans la Revue nouvelle] une critique sévère du baptême. Il revient sur le sujet en disant ne pas exprimer un jugement moral mais un «point de vue de citoyen.»
Vous écriviez, en évoquant le spectacle d’étudiantes en train de se faire baptiser, que cela évoquait le «visage et la posture d’innombrables femmes humiliées tondues ou non dont le siècle a multiplié les images».
Cette phrase, je la signerais trois fois. Ce qui me révolte dans les baptêmes, ce sont les humiliations – salir les gens, leur faire adopter des positions humiliantes. Il y a un mois, à Bruxelles, j’ai croisé un groupe de «bleus» avec des «poils» rigolards et hurleurs; les «bleus», habillés de jute, avaient la tête enfarinée. On aurait dit des pénitents. Ces postures me semblent infectes.
Au départ, vous vous interrogiez sur le traitement médiatique des baptêmes étudiants.
Je trouvais que les médias ne vont pas très loin dans la réflexion, qu’ils ne se demandent pas ce qu’il y a derrière.
Qu’est-ce qu’il y a « derrière » ?
Les gens se rendent-ils compte de ce qu’ils mettent en œuvre ? Leurs comportements en évoquent d’autres et ils s’en écarteraient s’ils en avaient vraiment conscience. Moi, ces images de baptêmes, ça me fait penser à la prison irakienne d’Abou Ghraib avec ce soldat tenant un prisonnier en laisse; là, on n’est pas là dans un rituel d’intégration mais dans une stratégie d’humiliation formellement très comparable. A Louvain-la-Neuve, j’ai encore vu des«bleus»avec la fameuse formule – «chien gueule en terre!» A quoi cela fait-il penser? Si ces gens portaient un uniforme, au régime nazi, aux dictatures d’Amérique du Sud pendant les années 70.
Comme professeur, vous avez recueilli des témoignages d’étudiants meurtris? Des plaintes ?
Des plaintes, non. Des témoignages embarrassés. Ou alors, les étudiants disent : « C’est pas grave, c’est un jeu. » Il y a ignorance ou refus de comprendre. Maintenant, dans les grandes universités, il est plus facile d’échapper au baptême. Dans le baptême, il y a un jeu de domination qui ne me semble pas innocent. Les enfants qui jouent à se tirer dessus ne sont pas très conscients de ce qu’ils sont. Mais ces simulacres d’humiliation, chez des gens plus âgés, ne sont pas acceptables. Quel est donc le contenu de ce simulacre? Il faudrait réfléchir à d’autres stratégies d’intégration. Dans les sociétés secrètes, le rite d’initiation ne tourne pas à l’humiliation – ce sont plutôt des réflexions sur soi-même. P.Bn
Source: http://blog.lesoir.be/salledesprofs/2011/11/11/la-question-de-mercredi-prochain-faut-il-interdire-les-baptemes-etudiants/
Écrit par : L'enfoiré | 20/11/2011
Répondre à ce commentaireLe recteur de l'université de Liège a annoncé vendredi son intention de proposer l'exclusion des responsables de l'accident dont a été victime une jeune étudiante française au cours d'un bizutage, et de prendre des mesures pour la protéger. "Nous ferons attention à ce qu'elle ne fasse pas l'objet de vengeance durant son cursus", a déclaré Bernard Rentier.
La jeune étudiante originaire de Saint-Etienne (centre de la France) est inscrite en deuxième année à la faculté vétérinaire de l'Université de Liège. Elle est tombé dans le coma au cours d'un "baptême" organisé dimanche dernier par ses condisciples, victime d'un "oedème cérébral" causé par l'absorption rapide de plusieurs litres d'eau.
http://www.lalibre.be/actu/belgique/l-universite-de-liege-va-sanctionner-les-bizutages-5249d14835703eef3a0b027c
Écrit par : L'enfoiré | 01/10/2013
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