22/03/2007
Le sacre de l'homme - de l'agriculture aux grandes cités
Anne-Michèle Cremer, journaliste à la RTBF, nous proposait ce 22 mars de remonter 12 mille ans en arrière, à la fin de la Préhistoire et à l'origine des premières civilisations.
Elle recevait Jacques Malaterre, le réalisateur du docu-fiction "Le sacre de l'homme - de l'agriculture aux grandes cités".
Ce film sera diffusé le 25 mars à 20H50 sur la Une télé en Belgique. Il était donc urgent de savoir
Le choix musical de l'invité : Faudel, avec "Dis-leur qu'ils s'aiment".
AMC : "S'il y a des hommes dans cette ville où tu marcheras dis-leur qu'au loin, comme eux, d'autres hommes ont froid, qu'ils ont si peur qu'ils en oublient trop souvent l'amour, dis-leur aussi qu'un jour nous n'aurons plus que ça". C'est ce que dit Faudel. C'est un constat assez triste de ce qu'est devenu l'humanité. Vous voulez dire quoi par là ? Qu'il faut repenser à ceux qui ont souffert pour nous amener là où on est ?
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Il faut écouter ce proverbe africain qui dit : « quand tu ne sais plus où tu vas, regarde d'où tu viens » et se pencher sur notre histoire. Essayer de comprendre les mécanismes que nos ancêtres ont mis en place pour que nous existions aujourd'hui. Ce qui c'est passé avant, c'est, peut-être, préparer mieux le futur de nos enfants.
AMC : Vous êtes revenu aux origines de l'homme, on est dans une période-clé. Douze mille ans, on sort de la préhistoire avec les premières civilisations. L'homme quitte la vie nomade, il se sédentarise, il découvre le commerce, l'agriculture, la médecine, les religions. Finalement ce sont les jalons de notre société actuelle ?
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Le néolithique, fin de la préhistoire et début des grandes civilisations, c'est une période qui a souvent été oubliée de l'histoire. On parle de Rome, de la Grèce ou de l'Égypte et puis on oublie ce moment où finalement l'homme va poser les bases de la société. Il va commencer à inventer la chefferie, un système social, un système économique. Il va avant découvrir l'agriculture et l'élevage, parce ce qui est très bizarre dans son histoire, c'est qu'un jour la Planète se réchauffe. On est encore d'actualité. En se réchauffant, il y a un climat beaucoup plus accueillant et il décide de poser ses bagages et de ne plus bouger parce qu'il a suffisamment. Il est chasseur-cueilleur. Il a suffisamment de graines, sûrement des animaux à portée de main et, petit à petit en observant cette nature, il va devenir la nature lui-même parce qu'il va apprendre à faire pousser les plantes, à faire grandir les animaux. A partir de ce moment-là, il commence à se prendre pour Dieu aussi.
AMC : Justement, ce sont des concepts beaucoup plus abstraits que dans les premiers films que vous avez faits. Il y a la propriété, le clan, les premières guerres aussi, Dieu...
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On est loin de la découverte du feu, du singe qui se met debout parce qu'il se retrouve dans la Savane. On est dans des concepts plus intérieurs à nous, finalement très émotionnels, qui servent la dramaturgie du film puisqu'on va raconter comment notre pensée s'est faite, notre pensée du cœur, aussi. Dans ces douze mille ans, il se passe plein d'inventions parce que l'homme continue à inventer. Il invente la roue, la médecine, l'art. Ça explose un peu de partout comme si on devait raconter le 21ème siècle.
AMC : On voit déjà une trépanation par exemple dans votre film ?
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On sait que cela a existé et que les gens s'en sortaient puisqu'on a retrouvé des crânes ressoudés. Il va essayer de comprendre les mystères de la nature. Plus il les comprend, plus il la maîtrise, plus il la maîtrise, plus il invente de belles choses, mais aussi des moins jolies parce que la propriété, le capital, fait qu'il va commencer à désirer ce qu'a son voisin et c'est le début des guerres.
AMC : Difficile à montrer? Vous avez décidé de suivre quatre personnages et essayer de les montrer. Est-ce que ce n'est pas un peu réducteur ? Parfois, on dit : ah oui l'agriculture, il se trouve dans une grotte, a des graines en main qui tombent, de l'eau qui tombe dessus et puis il se dit : mais, oui, c'est ça, c'est l'irrigation.
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On peut appeler ça réducteur, mais en même temps ce qu'on appelle documentaire-fiction c'est finalement raconter par la dramaturgie, raconter par des personnages, des gens auxquels on va pouvoir s'identifier, un peu d'histoire de notre histoire. Je crois qu'à l'issue d'une film comme « L'Odyssée de l'espèce homo sapiens ou le Sacre de l'homme » il ne faut pas avoir retenu comme si on avait assisté à deux heures de cours. Il faut avoir retenu les grandes lignées de ce qui a pu se passer en douze mille ans pour peut-être si on a envie d'en savoir plus aller plus loin et si ça nous suffit, juste en tirer les enseignements pour sa vie. Quatre destins vont nous promener de moins douze mille à moins deux mille. En s'identifiant à eux, on va peut-être comprendre les mécanismes de l'histoire de nos ancêtres...
AMC : La première partie c'est la sédentarisation. Comment est-ce qu'on en arrive à s'arrêter ? Parce qu'il découvre les peaux, la pierre creusée, le pilon ? Est-ce que c'est à cause de cela qu'ils se sont arrêtés ou c'est un ensemble d'éléments plutôt ?
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Un ensemble d'éléments. Il y a eu vraiment ce réchauffement climatique qui a fait que d'un coup, il s'est arrêté de suivre les grands troupeaux qui restaient à la même place. Il a eu de quoi se nourrir sur la place, de l'orge et du blé sauvage qu'il pouvait cueillir. En posant ses bagages, il a commencé à faire des greniers à grains, des objets pour broyer ce grain, de la farine. Plus il capitalisait, moins il pouvait bouger. On suppose que la sédentarisation a commencé par là.
AMC : Ce qui est bizarre c'est qu'elle commence avant que l'agriculture soit née. On a l'impression que c'est toujours l'inverse.
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C'est le moment où il s'arrête qu'il va pouvoir observer de très près la nature et s'apercevoir que chaque saison, dans le même champ, pousse du blé sauvage et que parce qu'il a laissé tomber des graines peut-être un jour, l'année d'après, elles ont poussé. Une espèce de confort l'a poussé à arrêter le nomadisme et puis, en observant la nature, il va découvrir l'agriculture et enfin, l'élevage.
AMC : La domestication des animaux aussi. Les animaux jouent un rôle vraiment important dans vos films.
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Jusqu'à ce qu'à ce que l'homme domestique l'animal et comprenne tous les principes de l'élevage, ses Dieux étaient représentés par des animaux. A partir du moment où il comprend l'élevage et l'agriculture, il se dit qu'il est devenu la nature. Ses divinités, il ne les représente plus par des effigies d'animaux, mais par des effigies humaines.
AMC : L'homme crée Dieu à son image dès qu'il s'est senti capable de domestiquer les animaux.
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Dès qu'il s'est senti supérieur à la nature, il s'est dit les esprits d'ailleurs ont mon image.
AMC : Ils ont quand même un Dieu. Ils appartiennent au clan. Ils ont une Déesse, une femme d'abord souvent. La femme, c'est la force. Et c'est là où on situe homo sapiens et Neandertal: à partir du moment où l'homme commence à enterrer ses morts, ne les laisse plus sur le chemin comme le faisait homo rectus, à donner des présents. On découvre des présents dans l'intérieur même des tombes d'homo sapiens il y a plus de cent mille ans. Ça veut dire qu'il commence à penser qu'il y a une vie après la mort, qu'il commence à vouloir projeter son image dans un ailleurs qu'il ne voit pas, mais qu'il imagine : différence entre l'homme et l'animal. Depuis cent mille ans, bien avant qu'il se sédentarise, homo sapiens pense qu'il y a une vie après la mort, en tout cas qu'il y a des forces divines qui font qu'il habite sur cette terre-là. Il devient plus pragmatique et commence à avoir des cultes plus rigoureux, à créer une maison des morts où les morts sont enterrés, à garder le crâne de ses ancêtres, qui sont blanchis à la chaux. On refait les dessins sur le visage pour essayer de garder l'esprit de l'ancêtre important dans la famille. Il commence vraiment à développer tout ce qui peut se passer après la mort, à l'organiser et en faire une histoire.
AMC : C'était aussi les grands jalons de notre société moderne : la propriété, les premières guerres, la dispute pour la propriété, la chefferie, l'organisation politique, les premiers despotes qui arrivent à cette époque-là.
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Aujourd'hui, modestes citoyens, dès qu'on parle de pouvoir ou de politique, on a l'impression de toucher à un monde virtuel qui appartient à quelques élus que nous élisons régulièrement. Là, en fait, on s'aperçoit qu'il y a douze mille ans, ce sont nos ancêtres qui ont mis en place ce système politique pour essayer d'organiser la vie humaine, parce qu'on est de plus en plus nombreux. Jusqu'à moins trois mille cents, moins quatre mille, c'est plutôt un Conseil des Sages qui arrive à régler les choses et la chefferie va se mettre en place petit à petit, parce que certainement quelqu'un un jour s'est dit : tiens, je vais prendre les décisions pour les autres et puis en prenant les décisions pour les autres, j'ai peut-être droit à un peu plus que les autres et c'est comme ça qu'on a inventé l'impôt.
AMC : Il y a quelqu'un qui doit prendre une décision à un moment donné. On ne peut pas demander à tout le monde son avis. Petit à petit, il le montre, il devient un véritable despote dans votre film.
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Il y a eu tout de suite l'abus de pouvoir. C'est là où cette histoire-là est jolie parce que des choses se reproduisent et l'homme aussi. A partir du moment où il devient très nombreux, qu'il multiplie l'élevage, il est victime des épidémies. On a un peu l'impression que l'histoire n'est qu'un éternel recommencement à échelle plus ou moins grande, selon qu'on est plus ou moins nombreux sur la Planète.
AMC : Juste dire un mot sur le langage utilisé par vos comédiens. C'est quelle langue ?
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Dans l'histoire un et deux, on a fait comme dans les premiers, on a inventé en essayant d'imaginer par rapport aux sons qui ont donné les langues après, ce que ça pouvait être. Et puis comme dans l'histoire trois et quatre, on a vraiment écrit des dialogues en français qui ont été traduits par des scientifiques dans deux langues mortes. Dans l'histoire trois, c'est de l'acadien, pas du tout l'acadien qu'on connaît au Canada actuellement. Dans l'histoire quatre, c'est du sumérien. Les acteurs ont dû apprendre tout ça par cœur, le faire propre pour pouvoir après mieux le jouer, l'interpréter comme si c'était leur langue de tous les jours.
AMC : N'est-ce pas trop difficile d'essayer d'avoir son cœur de réalisateur d'un film et en même temps, faire coller à l'histoire puisque vous avez travaillé avec des conseillers scientifiques, dont Yves Coppens ?
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Yves Coppens, Jean Ghislain, grand spécialiste du néolithique. Cela ne me gêne pas en tant que réalisateur parce que je pense qu'un réalisateur ce n'est pas un artiste, c'est juste un passeur d'histoire, un voyageur qui s'assoit dans l'auberge et vient raconter ce qu'il a vu dans l'autre pays. Au contraire, c'est scientifiquement chargé de leur savoir et à moi, avec mes moyens de raconteurs d'histoire de le transmettre aux spectateurs.
AMC : Vous leur soumettez l'histoire, ils changent des choses ?
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On écrit d'abord ce qu'on peut appeler une Bible scientifique. Qu'est-ce qui est important à raconter dans cette période-là. Après nous, "artistes" entre guillemets ont va rêver cette histoire-là et puis on le retransmet pour que notre rêve ne soit pas leur cauchemar.
Publié dans Histoire, Nature et Ecologie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : hitoire | Imprimer
Commentaires
Amis terriens,
Si vous aimez la préhistoire, venez-donc en France, jusqu'en Dordogne (Les Eyzie-de-Tayac), car il y a 12000 ans, le bassin parisien et à fortiori la Belgique étaient des glaçons. Vous y verrez gratuitement l’endroit ou a été découvert Neandertal, et pour une somme modique, le musée de la préhistoire ainsi que des abris et des peintures de l’art pariétal. La grotte la plus célèbre hélas ne se visite plus, et je déconseille la copie.
Je recommande à chacun de voir une fois sans sa vie la grotte de Niaux (c'est encore plus au sud, dans l'Ardèche), frissons garanti, durant le voyage temporel. Il faut réserver un mois à l'avance. Sûr que bientôt, comme Lascaux, elle sera réservée aux seuls scientifiques.
La télé, c'est bien aussi, mais rien ne vaut l'expérience !
Écrit par : Fabien | 31/03/2007
Correction (Fabien)
Lire dans le commentaire précédent "Cro-Magnon" et non "Neandertal". Si certains de nous ont bien l'aspect du second (surtout en politique), il constitue pourtant une race d'homme différente de la notre. Pardon pour cette petite faute (de 20000 ans !!!) imputable à une désynchronisation des mains par rapport au cerveau. Erreur primaire par excellence...
Écrit par : Fabien | 01/04/2007
2ème Correction (Fabien)
Lire dans le commentaire précédent "Ariège" et non "Ardèche". J’étais TRES fatigué, pardon...
(l'enfoiré se lit sutout la nuit).
Écrit par : Fabien | 01/04/2007
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