13/05/2006
Quand les jeunes s'en mêlent
Est-ce que ce sont les jeunes qui ont peur ou les jeunes qui font peur? Sont-ils jeunes d'esprit? L'enquête menée par l'émission radiophonique de la RTBF et la Communauté française belge s'est attelée à la tâche pour répondre à ces questions. "Quand les jeunes s'en mêlent" une émission qui ne connaitra pas de fin.
Les jeunes considèrent qu’ils sont en même temps en danger et un danger. Le gouvernement a perçu le message avant même que les résultats de l’enquête ne soient connus. Il a apporté à cette question complexe des solutions simples, finalement. Si le jeune est en danger, on convoque ses père et mère pour un stage parental. Si le jeune est un danger, on crée de nouvelles places en centres fermés. On peut avoir l’impression que le gouvernement n’a ainsi répondu qu’à la question qu’il avait sous les yeux.
En position d'insécurité, ce que les jeunes disent c’est qu’ils ont l’impression de n’être ni entendus ni attendus. Parce qu’ils ont, disent-ils, le sentiment de ne servir à rien et de n’avoir pas d’avenir. Autrement dit, ce que nous disent les jeunes c’est, d’accord, faites-nous des rames de métro plus sûres. Mais, surtout, arrangez-vous aussi pour qu’elles nous mènent quelque part.
On a stigmatisé des parents défaillants en disant, il faut faire des stages parentaux et on a stigmatisé des jeunes, en disant effectivement dans la loi, dans la réforme de la loi de la Protection de la jeunesse, on va pouvoir dessaisir le juge de la jeunesse si le mineur a 16 ans et plus, on va pouvoir le traiter en fait comme un adulte même si c'est à l'intérieur du Tribunal de la jeunesse alors que la Convention des Droits de l'enfant considère qu'on ne peut pas juger un mineur comme un adulte parce qu'on ne peut pas le considérer responsable juste pénalement alors que le reste du temps, on ne le considère pas comme responsable.
Ils ont aussi l'impression que les adultes ont retiré l'échelle derrière eux et que la solidarité entre les génération n'est qu'une utopie. Alors, rêvent-ils ou sont-ils en plein dans une réalité et ses risques?
Philippe BEAGUE, psychanalyste et président de la Fondation Dolto était interviewé par le journaliste de la RTBF, Jean-Pierre Jacqmin.
JPJA : Alors votre choix musical "Dignity" de Bob Dylan plutôt que "the times they are changing", les temps ne changent plus pour les jeunes maintenant ?
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Justement, c'est toute la différence entre ce qu'il chantait aux alentours de 62-63 et puis ce qu'il chante aujourd'hui. Bien sûr, un peu désabusé parce que c'est un homme âgé maintenant de 60 ans, mais je pense que c'est important de voir la différence entre cette génération là et la génération d'aujourd'hui qui est tout à fait différente dans le sens où la génération de Dylan c'était d'abord "vous les pères et les mères, arrêtez de critiquer parce que vous n'avez rien compris", c'est très fort du côté d’un refus des parents et puis une espèce d'espoir de changer le monde comme ça.
JPJA : Alors que maintenant si l'on suit l'étude qui a été faite par « Quand les Jeunes s'en mêlent », c'est plutôt les enfants qui deviennent les parents de leurs parents ? Ça c'est un retournement assez terrible.
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Tout à fait…
JPJA : Les enfants qui veulent comprendre parfois les difficultés de leurs parents, le divorce, qui aident leur mère ou leur père en cas de difficulté ?
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Oui, et qui prennent une place… Déjà, l'étude avait pointé cela pour la Fondation en 2002, où les parents avaient été interrogés et les parents étaient très fort dans cette idée de "il faut le bonheur de nos enfants". Et, ils sont dans un système où, effectivement, les jeunes aujourd'hui disent "les parents ne nous donnent plus effectivement des règles, des limites, des lois". C'est très agréable à la maison, mais en même temps, ils ont pris une place qui est presque d'égaux par rapport à leurs parents, ce ne sont plus des enfants. Ils doivent soutenir leurs parents, ils doivent les protéger. Il y en a qui disent "voilà, moi j'écoute ma mère parce qu'elle a besoin d'être écoutée", c'est vraiment, je pense, mettre l'enfant, et l'adolescent aussi et le jeune, à une place qui n'est pas la sienne.
JPJA : La Fondation Françoise Dolto accompagnait mai ‘68, est-ce que c'est un retournement de situation ? Est-ce que c'est une claque dans la figure quelque part ?
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D'une certaine façon, c'est pousser à l'extrême et l'espèce de fascination qu'il y a eu pour Françoise Dolto, d'ailleurs, et pour toute cette veine comme ça de "les jeunes sont plein de lait, même les bébés sont extraordinaires, etc.", c'est vrai, je pense qu'il ne faut pas revenir en arrière. Aujourd'hui, on leur parle, c'est peut-être pour ça d'ailleurs, je pense que Dylan avait écrit sa chanson à 22 ans. Je pense qu'aujourd'hui un jeune pourrait écrire ça à 14-15 ans, ils sont beaucoup plus délurés qu'avant, beaucoup plus interpellant, mais en même temps beaucoup plus angoissés. La mode Dolto, puisque les gens en ont fait un peu une mode, c'était un aspect poussé à son extrême, c'est-à-dire protéger l'enfant, l'admirer et elle avait tout à fait raison. Le problème, c'est qu'on en a oublié la seconde partie qui est, effectivement, que nous restons pour les jeunes quand même des guides, que notre travail c'est de mettre un cadre. Quand on est parent, on est éducateur et ça veut dire que c'est les faire passer d'un principe de plaisir dans lequel ils vivent et naissent à un principe de réalité qui est la vie de tous les jours.
JPJA : Quand on voit l'étude, on comprend que le cocon familial ou les cocons familiaux, puisque la famille recomposée finalement, le divorce n'est plus le gros problème d'un jeune quand il a 13-14 ans et que ça arrive puisque visiblement il s'y adapte, il y trouve son plaisir et quelque part ça renforce : l'extérieur est un peu rentré dans l'intérieur et on ne doit plus aller voir vers l'inconnu.
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Il y a un traumatisme?
JPJA : C'est particulier à cette génération-ci, oui ?
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Je pense que c'est difficile pour eux de vivre un divorce, parce que c'est difficile pour tout être humain et que ça touche à la question fondamentale de l'identité, "si mes parents se séparent, alors moi quel sens j'ai à vivre ?" Et en même temps, ça les met beaucoup plus tôt dans l'obligation de trouver un sens à leur vie pour eux-mêmes. Ils ne sont plus comme les enfants de ‘68 à dire "ah bon, maintenant je vais grandir, mais j'ai acquis, j'ai envie de quitter mes parents". Aujourd'hui, il y a cette espèce de besoin de les protéger parce qu'on les a vus malheureux, parce qu'ils se sont peut-être montrés, heureusement d'une certaine façon, justes et vrais en disant "voilà, pour moi la vie n'est pas simple". Mais ce que l’étude pointe fort, c'est cette idée que les parents sont presque du côté de demander pardon aux enfants "excuses-moi de t'avoir faire vivre ça". Et pour les enfants, ce n'est pas du tout, je dirais, encourageant parce qu'ils ont l'impression que l'adulte est très fragile. Ils imaginent leur fragilité aussi. Et c'est là où il y a cette différence entre d'un côté la famille où là tout est du côté du relationnel, de l'amour, de la gentillesse, de la protection, du cocoon, et puis alors la société qui paraît effectivement effrayante par ailleurs parce que là il y a des règles, des lois. On n'a pas l'air de rire dans la société. C'est ça qui leur fait peur.
JPJA : On dirait une génération, j'allais dire, baba cool en interne, mais qui crie comme les punks "no future".
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Tout à fait. C'est en même temps le côté assez exigeant aussi, on l'a bien vu pour le contrat pour le CPE en France, où en fin de compte on leur donne quand même la possibilité de faire leurs preuves, mais vu qu'il n'y a pas l'assurance qu'on va être engagé, alors on refuse. Et, il y a une espèce de peur du risque, je pense, et une méfiance de leurs propres capacités et de leurs propres valeurs, qu'ils pourront défendre dans cette société.
JPJA : L'extérieur, il arrive très tôt dès le pas de la porte ou dès le petit groupe d'amis. Même la classe n'est pas quelque chose qu'on aime, c'est quelque chose dont on a un peu peur une fois qu'on est sorti de la demi-douzaine, de la douzaine de copains ?
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Effectivement. Je pense qu’il n'y a plus de lieu intermédiaire, c'est-à-dire de lieu où il y a en même temps le conflit. Il faut trouver sa place, il faut se défendre, et il y a en même temps, quand même quelque chose de chaleureux. L'école, par exemple, ne répond plus à ça, elle est ou du côté essentiellement de la société froide comme ils disent, avec les exigences, la dureté, ou bien alors elle reste cocoon parce que toute la question des parents et des enseignants, c'est vraiment crucial aujourd'hui, parce que les enfants ne savent plus très bien où sont les parents, où sont les enseignants, ou, en tout cas, ont l'impression que les parents sont plus importants que les enseignants parce que si j'ai un problème à l'école, ou si j'ai même une punition, c'est mon père qui viendra me défendre et qui viendra me protéger.
JPJA : Cette génération, elle a l'air d'adorer la planète, elle est beaucoup préoccupée par le climat. A la limite, dommage qu'il y a des hommes dessus qui polluent, quoi.
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Effectivement. Ils sont tout à fait sensibles, évidemment, à tout ce qui se dit. Ce matin encore, on parlait de pollution, on en parle tout le temps et ils ont peur, ils savent que c'est le patrimoine à protéger. Mais en même temps, ils ont l'impression qu'ils sont tellement loin des organes de décision – multinationales - tellement loin du pouvoir politique aussi, ils sont quand même très critiques en disant "mais on ne voit pas encore". A « Quand les Jeunes s'en mêlent », je me rappelle de Olivier disant à la ministre Madame Fonck "ok, vous allez prendre des décisions, mais quand ?" Et effectivement, ils sont en attente que le pouvoir politique se définisse et en même temps, ils ont l'impression que le pouvoir politique est à mille lieues de leurs préoccupations.
JPJA : Est-ce que c'est la complexité du monde qui apparaît comme ça comme une difficulté ou est-ce que c'est vraiment une génération qui a perdu les fils de la compréhension de ce monde ?
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Ils n'ont pas perdu le fil de la compréhension, ils sont dans l'impression qu'ils n'ont aucune place aujourd'hui.
JPJA : Quoi, c'est le chômage alors qui explique tout, la situation économique ?
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Sans doute que le chômage fait très, très peur. Et en même temps, on est dans une génération où tout le monde devrait avoir sa maison, tout le monde devrait avoir sa famille. Je veux dire que leurs projets de vie, c'est une petite maison, une chouette petite femme et des petits enfants.
JPJA : Plan bourgeois ?
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Tout à fait. Et, comme vous dites, baba-cool, comme ça a un petit côté très protecteur et en même temps, et de plus en plus puisqu'ils ont l'impression que c'est presque un droit, et en même temps, ils voient bien que dans la société, c'est de plus en plus difficile de trouver cette sécurité-là et ils se disent "mais alors, je n'ai pas les armes pour me défendre et je n'y arriverai peut-être jamais". , il y a quand même plein de peurs par rapport à l'avenir et par rapport à eux-mêmes, l'impression comme ça, pour le moment en tout cas, le temps qu'ils sont aux études, d'être totalement inutiles. Sauf, on le voit, chez certains qui sont déjà engagés dans quelque chose, qui s'occupent d'un club de sport, de scouts et qui ont déjà une espèce de prise de responsabilités où on sent que là il y a une combativité, il y a une solidité beaucoup plus forte.
JPJA : Est-ce que les mesures qui ont été proposées ces derniers temps, d'abord première question: est-ce que la situation dans laquelle ils sont explique la violence et la peur de la violence ? La violence des jeunes entre eux aussi ?…
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Oui, c'est bien ça qu'on a vécu ces derniers temps. Je pense qu'il y a une réelle violence, mais c'est une toute petite partie de la population qui est dans le désarroi total. C'est un peu le problème des banlieues en France. Et par ailleurs, je pense des jeunes qui sont de moins en moins violents, qui sont, effectivement, éduqués dans "il ne faut pas se battre, il faut parler, on est dans la civilisation de l'humain, des sciences humaines."
JPJA : Il suffit de s'expliquer et on va régler les problèmes ?
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Effectivement.
JPJA : Et on n'y arrive pas.
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Oui, ceux à ce moment là qui emploient la force, ils sont complètement effrayants, parce qu'eux n'ont plus l'habitude d'employer la force, et peut-être tant mieux puisqu'on va quand même vers une société qui est de plus en plus orientée vers la diplomatie, je dirais quelque chose où, c'est ça l'humain aussi, ce n'est pas la loi de la jungle. Mais en même temps, on a l'impression qu'ils sont très démunis parce que face à ceux qui n'ont plus de limites, fatalement ça leur fait peur, ça c'est clair.
JPJA : Qu'est-ce qu'on peut penser des mesures prises par le gouvernement la semaine dernière, les propositions qui sont sur la table ? Par exemple, le service civil pour tous les jeunes ?
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Je pense qu'ils sont tous dans une demande de ça, quand on voit leur projet de vie, c'est quand même très fort du côté de "aider les autres, aider la planète à s'en sortir, faire quelque chose", même s'ils ne voient pas très bien comment ils vont s'y prendre. Un service civil, ils sont prêts à y rentrer, le nombre de jeunes qui parlent de s'engager dans l'humanitaire, de sauver la planète, d'aider les pauvres, de dépasser les inégalités nord-sud.
JPJA : Ce serait peut-être l'occasion de leur trouver un schéma pour sortir, pour aller un peu vers l'extérieur sans en avoir un peu moins peur ?
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Mais je pense qu'il faudrait les aider, effectivement, et les soutenir dans ce projet là et les encadrer. Mais, le problème c'est qu'ils ont l'impression qu'ils ne défendent plus une société, un pays, ils sont très individualistes.
JPJA : C'est plus la fratrie que la patrie, quoi ?
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Tout à fait. Tout ce qui est les amis proches, ça c'est soutenant.
JPJA : Alors, la suppression des allocations familiales pour les parents, qu'en pensez-vous ?
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C'est une erreur totale, parce que je pense que bien sûr que ça doit être vérifié et qu'effectivement si on reçoit des allocations familiales, c'est pour les utiliser pour les enfants. Mais en même temps, je pense qu'il ne faut pas justement aller du côté de ces mesures-là.
JPJA : Sanctionner les parents défaillants, ce n'est pas une bonne idée ?
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Les sanctionner, non. Il faut les soutenir dans le métier, parce que ce serait sous entendre qu'effectivement il y en a sans doute une petite minorité qui ont tout lâché, mais on voyait bien dans cette enquête qu'on a faite en 2002, qu'effectivement les parents tentent de faire ce qu'ils peuvent et ne sont pas du côté de simplement dire "moi, je m'en lave les mains". Ils ne sont pas démissionnaires en fait, ils ont peut-être mis en position première le bonheur de l'enfant, et en cela ils ne savent plus très bien comment ils peuvent les mettre devant des obligations et des exigences.
Le malaise et la lucidité des jeunes fait peur et désoriente. C'est sûr. Pour les avoir souvent écouté à la radio, je peux dire qu'ils en veulent. Peut-être que l'échantillon était bien "choisi", mais ces jeunes-là pourront se faire valoir si on leur donne leur chance.
Ils avaient bien mérité un colloque et d'attirer les foules pour exprimer leur mal de vivre, toute la journée du 6 mai dernier.
L'enfoiré,
Citations:
- "Jeune, on pense à la mort sans l'attendre ; vieux, on l'attend sans y penser", Maurice Chapelan
- "Jeune, on est beau comme un coeur. Vieux, on est beau comme un pacemaker.", Michèle Bernier
- "Quand j'étais jeune, je plaignais les vieux. Maintenant que je suis vieux, ce sont les jeunes que je plains", jean Rostand
- "L'âge n'est jamais qu'un rôle dans le théâtre du monde. Les jeunes se veulent plus vieux, les vieux plus jeunes, et tous meurent de n'avoir pas été.", Karl Kraus
- "On peut naître vieux comme on peut mourir jeune.", Jean Cocteau
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