28/04/2007
Mentonade moutonnée
Vendredi 13 avril, 10:50 : Menton se réveille lourdement, péniblement.
Je ne reconnais pas "mon" Menton et cela sans jeu de mot trop gratuit... Quatrième descente sur cette ville en bordure de France méditerranéenne avec un pied montagneux en Italie.
Je ne le reconnais pas parce que le soleil fait grise mine et n'a pas encore pu écarter les nuages de son... menton si finement dessiné. Il n'a manifestement pas le courage nécessaire pour réveiller ses habitants et villégiateurs.
L'atmosphère est lourde. Vingt degrés au compteur. Une nuit sans vent n'en a été que les prémices.
Sur le port, pas de cliquetis dans les mâts des bateaux ancrés depuis tellement longtemps. Rien ne semble rompre les amarres et le calme absolu qui y règne.
Une tentative, peut-être : les cloches de la Basilique Saint-Michel tintent pour crever ce mur du silence pesant. 11:00 pétant déjà.
La brume couvre la montagne d'une chape de plomb. Majestueuse, elle joue à cache-cache entre léger filet de soleil et nuages encombrants.
C'est le printemps depuis quelques semaines et, pourtant, le soleil a décidé d'établir ses pénates dans le Nord et pas dans son endroit de prédilection, ce Sud où tout le monde l'attend par l'habitude.
Sur le boulevard de Garavan, la valse syncopée des voitures, cadencées, orchestrées par les feux de signalisation endort plutôt que de réveiller. Se souviennent-ils vraiment ces feux qu'ils sont là pour animer et non pas uniquement alterner des moments de similitude ? Ce seul mouvement d'alternance a le souci de rappeler qu'il ne faut pas traîner en route. Si l'envie de rêverie est présente parfois, se remettre sur le chemin de la vie de tous les jours loin du long fleuve tranquille, il faut y passer comme chacun sait.
En ce qui me concerne, vacancier, je suis hors-jeu. Je continue mon chemin au bout de la rade.
Le musée Jean Cocteau plastronne là fièrement sous ses drapeaux peu enclins à flotter pour présenter les couleurs. La fontaine centrale, en face, aiguise son jet pour jaillir avec le plus de force vers le ciel.
Quelques sportifs sont au "travail volontaire". Des joggeurs cadencés par le son de leurs oreillettes enfichées dans les oreillettes passent furtivement, inconscients. Des avis sur les élections prochaines, sans aucun doute. Il faudra être au courant, plus tard, dans la conversation des derniers faux pas ou bonnes paroles des candidats.
Ce ciel gris sans vent crée décidément l'exception. La plage est perdue, vide, désertée de toutes âmes du plaisir de la mer. Les sourires sont aux abonnés absents. Ce n'est pas différent ailleurs dans les rues débarrassées de la foule habituelle des grands printemps. Les quelques visages rencontrés sont ternes, pressés de passer à l'étape ultérieure de leurs occupations. Les vacanciers en provenance des régions nordiques bougonnent à l'idée que là-haut d'où ils viennent, on jouit d'un temps splendide avec 26°C pour la joie de plus sédentaires qu'eux. Serait-ce une nouvelle inversion des températures dont les climatologues ont le secret ? Réchauffement climatique de la planète qui aura seulement oublié ses origines de prédilection ? Cette inversion horizontale pour changer, dure déjà depuis 15 jours et c'est beaucoup pour les chasseurs de soleil.
Alors, il faut chasser le temps qui fuit avec lenteur. Tout est bon pour éviter la lassitude.
Sur la digue, le sable rocailleux accueille goélands et mouettes qui semblent se disputer l'espace avec les yeux humains mais qui ne font que perpétuer cette envie de continuer l'espèce. Nous sommes au printemps. Il vaut mieux s'en rappeler. Scruter la mer avec un oeil fixe n'est plus le goût du jour. Dans le ciel, d'autres ont du mal à rester dans les airs sans quelques battements d'ailes usés par l'économie des mouvements. Bizarrement, comme si elles n'avaient pas compris qu'il fallait garder le calme, des vagues rugissantes se précipitent en creusant une tranchée avec fracas sur les rocailles.
Tout à l'entour, les hôtels et les appartements, volets baissés ne font pas le plein.
Le casino, lui, n'a pas dormi. Il est là, blanc, surmonté d'une escouade de drapeaux pour rappeler que la mentonade est appréciée partout.
Plus loin, près du marché, la brocante fait grise mine sans beaucoup de clients intéressés. On continue à s'installer, calmement. Quelques gouttes crèvent le ciel et le vent se lève subitement. Pris dans cette tourmente passagère, un tableau tombe de son comptoir en effrayant sa propriétaire. Le marché à poissons fermé, généralement animé de voix qui se superposent avec véhémence, n'est que l'ombre de lui-même. Les poissons sur les étals attendent avec impatience en perte de fraîcheur.
Sur la place, le moulin de la foire aux enfants sages tente d'égailler de tous ses feux cette morosité. Pour les intéressés, il y parvient. Les bambins qui se sont installés à l'intérieur de leurs petites autos n'en ont rien à cirer du temps qu'il fait.
La rue voit d'autres effets de ces coups de vent d'imposture. Tout s'envole, tout se rattrape avec torpeur pour donner plus de sécurité à cette légèreté incongrue de l'instant.
On essaye d'atténuer l'ennui pourtant. Les vendeurs de chaussures affichent des promotions pour allumer les esprits acheteurs.
Les coiffeurs pour dames font passer le temps à la réparation des années qui passent. Les agences immobilières font des efforts surhumains d'enchantement, mais cela ne semble ni pertinent, ni pragmatique. Les prix insolents ne prêtent pas à l'enthousiasme non plus. Alors, le passant passe son chemin et ses envies.
Quelques passants désintéressés par le présent en cherchent un autre avec le sourire du GSM à l'oreille.
La fuite en avant doit continuer avec ce qu'il reste de préoccupations aussi durement qu'ailleurs cette fois.
Un petit rappel prouve que la saison avance chrono en main : de nouveaux magasins ont ouvert leurs portes. Le weekend qui vient est classé orange. Il va apporter des capitaux frais. Mais, rien n'est vraiment sûr cette fois. La santé insolente du Nord ne pousse pas à la transhumance. La France vit la tête en bas. Le menton, serait-il peut-être à sa place ?
Rester dans la course, coûte que coûte, semble le leitmotiv et la meilleure alternative.
Les parapluies s'éclatent en cœur dans le vent. Je me mets à courir. Pas pour longtemps cependant. Je dois prendre le temps de mémoriser ces instants par la rétine, par les pixels de mon appareil numérique ou encore par ces quelques bribes de phrases prises au vol dans mon carnet et que vous lisez actuellement.
Tout à coup, une pétarade. Une mobylette s'élance avec impatience à la poursuite de l'instant perdu. Cela n'émeut plus personne. Heureusement, l'habitude corrige les situations les moins harmonieuses et les moins acceptables.
La journée, comme les précédentes, ne va pas être au top, c'est devenu clair. La population s'en fout en somme. Elle s'enfuit insensible comme toujours. Pour le touriste, avant saison, il le sait, ce n’est pas encore la saison et il ronge son frein.
Encore une fois, un joggeur me frôle et me réveille de mes rêveries. Je m'accroche à son train, instinctivement. Mais, le temps passe. Plus question d'aller plus loin ce matin. La faim a commencé son travail de sape par petits rappels successifs.
Retour donc aux pénates qui se trouvent voisines de la propriété du romancier Vicente Blasco Ibanez qui y est mort en 1928. Je me propose de lire plus tard ses "4 cavaliers de l'apocalypse", ses "Arènes sanglantes" et son "Mare Nostrum".
L'après-midi, l'exploration reprend avec une vision particulière.
Sans bruit, cette 2ème partie du jour persiste et signe sa torpeur générale. Il faudra résolument garder espoir pour un autre jour.
Le boulanger attend toujours pour écouler ses dernières baguettes plantées en rangs serrés dans les paniers. Faut-il passer au rayon séduction ?
Des seniors s'interrogent encore : vais-je tirer ou pointer ma belle boule ?
Un peu de courage ? Je monte les marches des impasses de Saint-Michel. Voilà, la Galerie d'Art "Tiphaine", beau nom, me dis-je. J'entre. Des tableaux me rappellent le bleu de la mer dans toutes ses nuances dans un concert de couleurs et confirme que Menton, c'est bien autre chose. Un brin de causette et d'idées à partager. Elle aime lire et écrire. Un hobby en plus pour une vendeuse de rêves picturaux. J'ai depuis une nouvelle lectrice de plus à mon actif.
La Basilique est ouverte. Dans le fond, derrière l'autel Saint-Michel terrasse le dragon. Je m'apprête à le photographier et je me fais aussitôt réprimander par le préposé aux cartes postales.
- C'est un monument historique. Pas de photo. Les cartes postales sont là sur le comptoir si vous voulez.
Je lui explique que dans ma bonne ville de Bruxelles sur la Grand Place, Saint Michel se bat également victorieusement contre le dragon du haut de la tour de l'hôtel de Ville. Mon intention intime, c'est le rapprochement des deux. De la pub pour Menton, en somme. Les cartes postales ne se projettent pas sur écran. Ensuite, il n'y a pas d'intention de mitrailler comme un sot tout ce qui tombe sous mes yeux. Des tableaux présents, comme il semble l'imaginer pour appuyer sa thèse, je n'en ai aucune envie d'en retrouver un dans mon living. Pas l'ombre d'un vol.
Mes explications semblent convaincantes car au bout de quelques partages ou confrontations d'idées, je partirai avec ma photo, éclairée en plus par ses soins avec plaisir, avec une carte postale en souvenir gratuite et, en finale, un serrement de main avec sourire.
Rappelons-le, nous sommes un vendredi 13. N'avais-je pas gagné ma journée de chance moutonnée après ces péripéties justificatives ?
La rue Longue de la vieille ville, sinistre, ne parviendra plus à me distraire. Le linge pendu aux fenêtres aura aussi perdu tout espoir de sécher. Les arches relient les maisons en vis-à-vis pour, semble-t-il, consolider les affres du temps.
Plus loin, les hauts de Garavan dans une brume dissuasive ne sont plus le "rêve babylonien", nom qu'ils avaient suscité lors de leur construction en fin du 19 ème siècle. Les villas voulues paradisiaques avec frises peintes sous les toits évoquent-elles encore les destinations lointaines ?
Tout en haut de la vieille ville, Napoléon avait érigé le cimetière sur les ruines du château. Familles d'ici et d'ailleurs, célèbres ou anonymes se partagent les mausolées.
Serait-ce une preuve si nécessaire qu'il fait toujours bon de vivre à Menton ?
De mourir, peut-être aussi ?
A l'entrée, des extraits du poème du « Cimetière Marin » écrit par Paul Valéry, sont tout particulièrement de mise :
Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux!
Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux!
Le vent se lève! . . . il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs!
L'enfoiré,
Citations,
- "Qui ne sait guider sa barque au fond s'en va", Proverbe mentonais
- "Il est facile de nager quand on vous tient le menton", Proverbe français
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