Interview de Eric Zemmour
Interview d'Eric Zemour
- Vous êtes de passage à Bruxelles, siège des institutions européennes que vous ne portez pas dans votre cœur. Vous critiquez souvent la Commission européenne, que vous décrivez comme un aréopage de fonctionnaires prônant le libre-échange. Pourtant, la Commission ne fait que proposer. Ce sont les États membres qui décident, avec l’aval du Parlement européen dans la plupart des cas. Ne vous trompez-vous pas de cible?
- Non, il n’y a pas erreur de ciblage. Ca, c’est le catéchisme habituel qu’on nous sert à chaque fois. Et qui n’est pas tout à fait faux, d’ailleurs. Il est évident que ce sont les gouvernements réunis qui ont l’ultime décision. Mais tout le monde sait qu’en fait ils se voient quelques heures, qu’ils sont souvent sous-informés, qu’ils doivent négocier, faire des compromis, etc. Et que finalement, le travail en continu, le travail de sape se fait en permanence par la Commission. Cela dit, souvent, les gouvernements n’osant pas imposer des mesures impopulaires qu’ils ont acceptées au sein de l’Union européenne, se cachent derrière la Commission. Il n’empêche qu’il y a des constantes idéologiques. Ce n’est pas la décision X ou Y qui est importante. L’important, c’est l’idéologie qui domine. Or celle qui domine la Commission est, depuis les années 80, une idéologie de la globalisation libérale, qui pense qu’il faut tout régenter par le droit, le marché et le libre-échange qui sont les éléments du bonheur généralisé. Idéologie qu’elle a imposée aux Etats avec la complicité de certains grands gouvernements qui sont d’accord avec ça: les gouvernements anglais et allemand qui sont alliés désormais pour imposer à l’Europe une certaine ligne idéologique.
En ce moment, on s’en prend à Barroso. Les médias français s’en sont pris à la personne de Barroso. Ils tapent à côté. L’important n’est pas la personne de Barroso. L’essentiel est dans une idéologie qui domine à Bruxelles depuis 30 ans.
- Vous fustigez le libre-échange. Est-ce que le protectionnisme serait la solution à nos problèmes économiques?
- Je ne fustige pas le libre-échange. Le libre-échange a été présenté comme la garantie du bonheur pour tous et c’est ce mythe que je fustige. Je dis que le protectionnisme n’est pas le mal et le libre-échange le bien. Dans chacun des cas, il y a des perdants et des gagnants. Ce ne sont pas les mêmes, c’est ça la différence. Depuis 30 ans, les gagnants du libre-échange ont réussi à imposer un mythe qui est "le libre-échange, c’est magnifique, c’est le progrès, c’est la paix".
Maintenant, ça dépend sur quel plan on se place par rapport au protectionnisme. Est-ce sur le plan de l’Allemagne? Sur celui de la France? Ou encore sur le plan du prétendu intérêt général européen? Un intérêt général qui pour moi n’existe d’ailleurs pas et qu’on nous a encore vendu généreusement. Il y a des intérêts nationaux et jusqu’à présent l’Europe n’est pas une nation et je pense même qu’elle ne le sera jamais.
La France est dans une situation particulière qui est qu’on paie deux fois le libre-échange: sur les produits bas de gamme avec la Chine (on a un déficit de 20 ou 30 milliards d’euros) et sur certains produits haut de gamme avec l’Allemagne où on a un déficit énorme. Donc je pense qu’il serait intelligent d’adopter un protectionnisme. Mais je sais qu’à court terme, ça ne se fera pas dans le contexte actuel: le protectionnisme européen ne se fera pas car la Commission, l’Allemagne et l’Angleterre y sont hostiles et, a fortiori, le protectionnisme en Europe le rétablissement de frontières par rapport à l’Allemagne ne se fera pas. C’est pour ça que je suis favorable à la sortie de l’euro pour qu’on essaie, au moins, de dévaluer. Car là, on a l’euro trop fort pour nous, pas de frontières, la globalisation, ça fait beaucoup.
- Quels autres avantages voyez-vous à abandonner l’euro et à détricoter l’Union européenne?
- C’est très simple, j’en vois deux majeurs. L’euro est trop fort pour les industries exportatrices de la France, à part le luxe, et ça nous fait perdre beaucoup d’emplois. L’euro est trop fort tout simplement parce qu’il tient compte de la puissance de l’Allemagne et que la BCE refuse de le jouer à la baisse, comme le font les Américains, les Japonais et les Anglais avec leur monnaie.
En abandonnant l’euro, on pourrait dévaluer de 20 à 30% comme l’a fait le général de Gaulle en 1958. Deuxièmement, ça nous permettrait aussi de nous protéger de l’industrie allemande qui se sert de l’euro comme d’une machine de guerre pour détruire les industries françaises et italiennes. Ce qu’elle est en train de réaliser.
Quant à détricoter les traités européens, cela permettrait de reprendre la main sur l’immigration. Je pense qu’il faut abattre la jurisprudence de la Cour européenne de justice, qu’il faut supprimer les accords de Schengen, qu’il faut ôter tout ce qui, dans les traités européens, nous empêche d’avoir une politique d’immigration sérieuse. Il faut retrouver une souveraineté judiciaire et une souveraineté politique. C’est la seule façon de répondre aux demandes des gens qui veulent arrêter l’immigration et qui veulent régler sérieusement ce sujet qui commence à devenir vraiment une question très grave pour toute l’Europe.
- Lors de l’élection de François Hollande, vous aviez laissé entendre que le costume était un peu trop grand pour lui. Vous maintenez votre jugement?
- Je crois que maintenant toute la France l’a compris! Regardez les sondages! J’étais en avance c’est tout. [rires] François Hollande est un garçon très intelligent, très fin, très manœuvrier et habile. Il a des qualités indéniables. Mais son but c’est de survivre et pour ça il manipule les uns contre les autres, comme il le faisait au PS. Ce n’est pas un président de la République. Mais il y a un problème de fond qui va au-delà de la personne de François Hollande et qui, déjà, touchait Nicolas Sarkozy. Nous avons là, la première génération qui quoiqu’elle fasse aura les habits de la République trop grands pour elle. C’est une génération qui ne s’est pas incarnée.
Le général de Gaulle a voulu le président de la République élu au suffrage universel pour, disait-il, régler un problème de 159 ans, ça veut dire la mort de Louis XIII en 1793. Cela veut dire qu’il voulait un roi, mais où on remplaçait l’huile sainte sur la tête par l’huile sainte du suffrage universel. Et ça, pour faire du président de la République française une espèce d’empereur en Europe. C’est le seul chef d’État élu au suffrage universel direct, par tout le peuple rassemblé. C’est une espèce d’onction, de sacre à Notre-Dame qui doit le mettre au-dessus de ses pairs européens. Le dernier à avoir joué de ça, c’était Mitterrand. Il venait au Conseil européen en empereur romain. C’était à la fois agaçant pour les autres Européens et fascinant. Or, aujourd’hui, nous avons des hommes politiques français qui ont intériorisé l’infériorité française, qui ne peuvent pas comprendre le sens profond de l’élection du président de la République au suffrage universel et qui ne comprennent même pas, ou de moins en moins, la notion même d’intérêt national puisqu’ils sont, comme toutes les élites européennes, baignés dans l’idéologie de l’intérêt européen, voire mondial, de la fin des nations, etc., etc. Donc on a un problème qui va bien au-delà de François Hollande: on a une génération de politiques qui a du mal à incarner la France et d’autant plus une domination française sur l’Europe rêvée par le général de Gaulle. La France a des élites qui ont un projet européen, fédéraliste et elle a un peuple qui, lui, ne veut pas de ça, le projet du peuple français c’était la grande France. On se retrouve avec une grande Allemagne. C’est plus compliqué…
- Vos derniers livres s’intitulent "Le bûcher des vaniteux". La vanité est-elle un mal typiquement français?
- Ah oui! Quand on a été si grand et qu’on ne l’est plus, il ne nous reste que la vanité du passé qu’on a eu. En plus, c’est un mal qui a été aggravé par notre système de cour. À partir du XVIe siècle, on a imité les cours italiennes, en le faisant en grand, et on a développé la vanité. Défaut encore accru aujourd’hui parce qu’il n’y a plus la puissance qui existait auparavant. C’est tout ce qu’il nous reste, la vanité.
- Et en même temps, il y a un gros courant en France de "France bashing"…
- Absolument. Et je ne dis pas France bashing, je dis haine de soi. Mais c’est un courant qui date. Déjà au XVIIIe siècle, Voltaire tape sur la France en permanence, mais ça a pris des proportions énormes depuis la défaite de 1940 et surtout à partir des années 70. Toutes les élites bien-pensantes passent leur temps à vomir la France. Si on les écoute, on a du retard sur tout. Le fond de tout ça a pris corps au XIXe avec la domination de l’Angleterre, c’est "ah qu’est-ce que c’est dommage que la France soit un pays catholique et non pas protestant", on aurait été un pays de commerçants et non pas d’agriculteurs. Après, ça a été "qu’est-ce que ça aurait été bien si on avait été Américains". D’où l’introduction du modèle multiculturaliste alors qu’on avait à mon sens, avec le modèle assimilationniste, le meilleur modèle d’intégration des étrangers au monde, et je pèse mes mots. On a abandonné tout ça pour un mythe anglo-saxon. Après, on a voulu être Suédois, maintenant on veut être Allemand car "ils font tout mieux que nous".
- En Belgique, le mariage gay est passé comme une couque. Est-ce que ça vous interpelle?
- Je pense que les Belges n’ont peut-être pas la culture du débat idéologique qu’on a en France. Et cette histoire de mariage homosexuel n’est effectivement pas une question qui concerne beaucoup de monde, mais une question idéologique majeure. Je pense que les Belges n’ont pas ce goût des querelles purement théoriques. Ce n’est ni une qualité, ni un défaut à mes yeux, c’est comme ça. Moi j’aime les querelles idéologiques et je pense qu’elles sont importantes car ce sont les idées qui font avancer le monde. Donc, en clair, les Belges sont passés à côté du sujet.
Écrit par Guy alias Allusion Lien permanent | Commentaires (0)
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