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08/10/2005

Un grain de sel ou de sable en plus

Interview de Jose Emmanuel Barroso sur sa vision de l'Europe (avec quelques commentaires de l'Enfoiré) 

L'actualité commence tout doucement à me faire sauter le bouchon !

Voilà le quatrième billet lui étant consacré en moins de deux semaines. Il y a de quoi casser le rythme habituel de parution ! 

Après la grève générale en France et celle de la Belgique qui a suivi ce vendredi, je crois que l'Enfoiré avait un droit de réponse à fournir à l'interview radio transcrit ci-dessous de ce jeudi matin.  


Jean-Pierre Jacqmin (JPJA) recevait  un invité prestigieux en la personne de Jose Emmanuel Barroso, le Président de la Commission européenne.


JPJA : Alors, l’Europe demande à la Belgique par exemple de faire travailler davantage les inactifs, les personnes de plus de 55 ans. On en débat pour le moment au gouvernement belge avec des discussions ce week-end encore, une déclaration gouvernementale et une grève générale demain matin, vendredi parce que les syndicats sont réticents quelque part finalement aux demandes de l’union européenne.

- C’est une responsabilité des Belges de décider en termes de leur temps de travail. Il n’y a aucune imposition européenne, sauf en termes de droits minimaux, là oui, il y a des impositions européennes. Ceci dit, il y a effectivement maintenant un débat en Europe, mais pas seulement en Europe, au monde : comment est-ce qu’on doit être plus compétitif, si on veut ou pas maintenir notre croissance, notre création d’emploi. Et c’est vrai qu’en général en Europe, l’analyse que nous faisons, c’est qu’il faut plus de travail, plus de gens actifs, mais bien sûr en ne réduisant pas les droits des travailleurs. Et là, il y a plusieurs réponses nationales à ce problème et donc je crois que chaque gouvernement, chaque parlement doit prendre ses décisions en assumant sa responsabilité et ne la rejetant pas sur les institutions européennes.

L'enfoiré: Fausse liberté pour le pays en fait. Prendre une décision particulière de réduction ou d'allongement du travail en dehors de toute concertation et de comparaison avec les pays qui partagent son marché est suicidaire. Aujourd'hui encore, les 35 heures semaine n'ont pas encore trouvé une stabilité suffisante pour ne pas être remise en question périodiquement.   
JPJA : C’est ce que vous appelez le populisme contre l’Union européenne que l’on retrouve dans les propos des dernières 48 heures du président Chirac qui demande à ce que l’Union européenne soit un peu plus directive par exemple sur les licenciements comme Hewlett Packard ?

- Je ne vais pas faire de commentaire. Ce que je peux vous dire, c’est ma position et la position de la commission. La commission, elle, fait tout, mais tout ce qui est en notre pouvoir de faire en matière de défendre les intérêts européens et notamment les intérêts des travailleurs. Dans le cas concret auquel vous faites référence, la question d’Hewlett Packard, la commission n’avait aucun autre instrument, la commission n’avait pas appuyé financièrement cette entreprise, elle n’avait aucun autre instrument, sinon de dire, comme nous disons que nous sommes prêts à voir d’un point de vue social ce que l’on peut faire et on attend encore des demandes concrètes de la part des autorités françaises, donc nous avons fait tout ce que nous pouvons faire sur le plan de nos compétences, mais il faut aussi avoir une éthique de responsabilité européenne. Il faut expliquer aux citoyens européens ce qu’est la responsabilité des états membres, du gouvernement et ce qui est la responsabilité de l’Union européenne. Je vous donne un exemple : la commission européenne a proposé - c’était mon prédécesseur, mais j’ai appuyé – un fond européen pour amortir les chocs dus à la globalisation, des licenciements. Les états membres ont refusé ce fond.

L'enfoiré: Ce mercredi soir 6 octobre sur France 2 et l'émission "A vous de juger", Dominique de Villepin soutenait le contraire devant l'employée cadre de HP et quelques millions de téléspectateurs. Il renvoyait à l'Europe l'initiative de trouver une alternative ou une solution au problème des licenciements collectifs décidés par cette entreprise aux bénéfices en pleine croissance. A vos téléphones bleus pour corriger ce malentendu, donc. 

Une création de "fonds d'ajustement pour la mondialisation", même s'il a été rejetée par les 25 face au milliard d'euros par an, doit être remise en chantier sans répit dans une version allégée si besoin. Ce sera ça de pris.   

JPJA : La France aussi ?

- Oui, la France et les autres notamment, soi-disant le club de 1%. Il y a eu six pays qui ont dit plus de dépenses en Europe. Au contraire, ils veulent réduire les dépenses en Europe. Et alors là, nous disons, non, ce n’est pas notre responsabilité. Nous assumons notre responsabilité. Si nous avons plus d’instruments financiers, nous pouvons les utiliser pour la solidarité. Si on ne l’a pas, il faut dire ça au niveau des états. Mais il y a eu des cas, par exemple, dans le cas de Rover où il y a eu des licenciements au Royaume-Uni, il y a eu une demande et on a trouvé les fonds. Donc j’espère aussi que dans ce cas-là, nous pouvons aider si la demande nous en est faite comme il faut, mais il faut quand même faire la clarification entre ce qui est notre responsabilité et ce qui est la responsabilité nationale.

L'enfoiré:  Ponce Pilate ne l'aurait pas démenti. S'est-on demandé le "pourquoi", au départ, de l'enthousiasme à créer l'Europe parmi les populations  qui la constituent aujourd'hui? La grande idée de l'Europe donnait un espoir de grandeur, de force, de protection, de paix contre tout agresseur qui porterait atteinte à l'intégrité physique, morale ou familiale.  

"La Commission fait tout ce qui est en notre pouvoir de faire en matière de défendre les intérêts européens et notamment les intérêts des travailleurs", dites-vous.

Ne pas avoir de directive et  n'avoir pas plus d'instrument de protection sociale que les pays eux-mêmes contre les dérives du monde économique , est simplement faire preuve de manque d'efficacité majeur. Il est assez piquant d'entendre que, le Royaume Uni,  le pays le plus libéral, aie pu trouver les fonds nécessaires pour sauver en surface les travailleurs de Rover. Comme moyen de rétorsion contre une société étrangère ou non, ne pourrait-on pas envisager d'arrêter l'importation des produits de ces sociétés dans les frontières de l'Europe comme cela a été fait pour les textiles chinois? Des facilités accordées par la réduction de taxes pour les sociétés qui s'implantent ont pu se faire d'entrée de jeu et aucune précaution dans le cas de sociétés qui ne respectent pas un minimum d'éthique sociale ! Si le niveau d'ensemble de l'Europe ne peut rien faire, qui le pourrait? La Loi dite Renault   ne permet pas beaucoup d'échappatoire aux licenciements collectifs au niveau national (la solution peut-être en fin d'article).   

JPJA : Cette manière de se décharger sur la commission européenne, c’est ce que vous appelez le populisme actuel ?

- Pas nécessairement cela. Je parle un peu plus en général. Je crois qu’en Europe maintenant, il y a un peu la tentation populiste de droite et de gauche, mais dans beaucoup de pays hein. Je ne vais pas rapporter ça à un comportement concret. Qu’est-ce que j’appelle populisme ? Le populisme, c’est l’idée d’exploiter les craintes qu’il y a dans notre société et qui sont sérieuses, les préoccupations des gens, notamment à cause du chômage, de l’insécurité que l’on ressent aujourd’hui, les nouveaux défis de la mondialisation ; utiliser cela contre l’Europe et ses institutions en prétendant que c’est la faute de l’Europe. Nous ne devons pas couper la branche sur laquelle nous devons nous appuyer. Et l’Europe, c’est la branche sur laquelle on peut s’appuyer pour faire face aux défis de la mondialisation. Nous avons besoin de plus d’Europe et pas de moins d’Europe. Nous avons besoin d’institutions fortes au niveau européen. Et donc, la responsabilité des hommes politiques, que ce soit au niveau national, que ce soit au niveau européen, c’est de défendre ces institutions, de les renforcer, et jamais de les affaiblir.

L'enfoiré: Là, je suis tout à fait d'accord. Mais ce voeux pieux des hommes politiques de l'Union Européenne de défendre les institutions sociales face au mondialisme est-il présent vraiment dans les faits?  Récemment, preuve a été donnée du contraire. Jeter à la poubelle quelques 70 directives, ce qui fut rappelé par Chantale Istace dans son billet intitulé "Faire moins en faisant mieux"  alors que certaines d'entre elles auraient  pu améliorer le sort des travailleurs que vous voulez protéger, n'est ce pas bizarre de prime abord ?     

JPJA : Hier soir, lors des grands conférences catholiques, vous étiez invité, vous avez fait une véritable ode à la mondialisation. Comment est-ce que vous pensez que ce discours peut être perçu ?

- J’ai fait une ode à notre rôle européen dans la maîtrise de la mondialisation. Ça c’est important. Nous sommes, le premier bloc commercial au monde. Nous ne pouvons pas demander aux autres de garder leurs marchés ouverts si nous-mêmes nous nous fermons. Donc, il faut qu’on soit compétitif dans ce nouveau modèle global que nous avons de la mondialisation. Et donc, le repli, la médiocrité, qu’on se renferme sur nous-mêmes, ce n’est pas la solution.

JPJA : Vous êtes revenu à la charge aussi avec la directive sur les services dans laquelle vous avez dit que chacun voudrait bien garder ses petits services chez lui, il faut ouvrir les services. Vous avez subi un revers au parlement européen cette semaine avec un vote que vous espériez pour 2005 et qui sera sans doute certainement reporté à 2006 avec une série d’amendements, plus de mille déposés par les uns et les autres et la Belgique comme la France ici sur la directive des services, vous a fait savoir qu’elle n’était pas favorable.

- Ecoutez, la directive service a été approuvé par la commission précédente. A l’époque, tout le monde a approuvé ça, à l’unanimité.

JPJA : Y compris le commissaire belge.

- Il y avait le commissaire belge et tous les autres, donc ce n’est pas moi qui avais présenté cette directive.

JPJA : Mais vous la soutenez maintenant ?

- Non, non. Ce que j’ai dit, c’est qu’il y a une directive qui est là et nous sommes prêts, après la discussion au parlement, à travailler pour un consensus. Nous sommes prêts à vouloir garder deux objectifs, bien sûr un marché des services, c’est évident, nous ne pouvons pas être compétitifs si nous avons 25 marchés de services, si les services belges s’enferment, si les Français s’enferment, les Luxembourgeois, les Hollandais, les Portugais, non ! Il faut quand même avoir un marché intérieur aussi de service. Ces services, c’est 70% de notre économie en Europe. Ça c’est évident, mais avec les garanties sociales pour éviter bien sûr le nivellement par le bas en terme de garantie des travailleurs. Ça c’est évident.

L'enfoiré: Evidemment, ce n'est jamais "soi" qu'il faut incriminer. Cette manière de penser sauve beaucoup d'hommes politiques. Cela n'empêche pas l'actuel de se rendre compte de l'erreur de ses prédécesseurs et d'y remédier. La directive Bolkestein qui a fait l'objet d'un de mes billets dont le titre était "Les oiseaux ne se cachent plus pour mourir"  a manifestement été vilipendée par toutes les populations européennes par des grèves interposées. Et pourtant, la revoilà en passe d'être bien amendée mais dont le squelette reste bien le même. 

JPJA : Mais la notion du pays d’origine ?

- J’y viens tout de suite, mais permettez moi de dire cela : la vérité, c’est que comme ce que montre le parlement, ce qui s’est passé hier, ce n’est quand même pas facile de trouver une solution. La vérité, c’est que les forces politiques au parlement européen ne sont pas arrivées à un consensus, ce qui montre quand même que la chose n’est pas simple. Donc, ce n’est pas un revers du tout pour la commission. C’est quand même au plus, un revers pour nous tous parce qu’on n’a pas encore une solution, alors on va travailler. La question du pays d’origine, c’est une question de technique. Pour moi, je peux vous dire que face aux inquiétudes qu’il y a de certains milieux de travailleurs ici en Europe…

L'enfoiré: Simple "question technique"? Je ne sais pas pourquoi mais cette remarque me rappelle la réplique de quelqu'un d'autre concernant un autre point technique. Mais, je vous prie de m'en excuser. J'adoube donc, comme on dit aux échecs.

JPJA : De voir par exemple les règles sociales ou les règles du travail de la Pologne s’imposer en Belgique.

- Là, ce que je peux vous dire, c’est que ce ne sera pas le cas. Le droit du travail qui s’applique, c’est le droit du pays hôte et pas celui du pays d’origine. Le droit du travail applique le droit de la territorialité. Donc s’il y a des travailleurs polonais ou slovaques, ou hongrois qui viennent travailler en Belgique, évidemment ils doivent respecter le droit du travail belge.

JPJA : Y compris les salaires ?

- Bien sûr : les conditions qui sont ici. C’est ça l’important. Donc, je crois qu’il y a eu pas mal de malentendus à propos de la directive des services. Moi, ce n’est pas moi qui l’ai présentée telle qu’elle est. En tout cas elle est là-bas.

JPJA : Vous n’avez quand même pas voulu qu’on la retire hein ?

- Non bien sûr que non sinon, ce serait remettre tout en cause. Donc il faut sur la base de cette directive voir les amendements et nous sommes prêts à voir avec le parlement et avec les états membres une solution.

L'enfoiré: Bonne nouvelle, donc. La marche des uns en aura fait marcher d'autres. 

JPJA : Alors le plus gros des dossiers et à vous entendre encore hier, je me suis dis « dans le fond, la constitution elle est morte, on n’en parle plus, on fait comme s’il n’y avait pas eu d’échec et on continue. » Vous avez dit « ce n’est pas le texte qu’il faut changer, ce n’est pas le texte qui est important, c’est le contexte. »

- Je n’ai pas dit que ce n’est pas le texte qui est important, j’ai dit que ce n’était pas le texte qui était refusé mais que c’était le contexte. Donc, travaillons sur le contexte pour revenir au texte à un meilleur moment.

JPJA : Autrement dit, ça veut dire que les électeurs français et hollandais se sont trompés ?

- Je ne dis pas ça, ce que je dis, c’est que ce n’est pas la commission qui a dit NON à la constitution. La commission a soutenu à l’unanimité la constitution. Qui a dit NON à la constitution ? C’est la France et après les Pays-Bas. Et précisément, parce que nous respectons la France et les Pays-Bas qui sont deux pays très importants pour notre Union, nous devons dire maintenant, « il nous faut une pause pour réflexion, pour revenir à la question quand on aura de meilleures conditions. »

L'enfoiré: C'est l'attitude qu'il faut prendre, c'est sûr. Réfléchir, prendre du recul. Analyser les "Non" français et hollandais dont je parlais dans "Le bleu, l'orange et après?" qui auraient été certainement bien plus nombreux si l'adoption de la Constitution avait été votée par les populations elles-mêmes et non d'une manière parlementaire. Le Luxembourg et l'Espagne ont heureusement sauvé la face. Une Constitution doit tenir compte de tous les aspects de la vie de citoyen ainsi que des Sociétés qui travaillent dans un environnement sans frontières

JPJA : De combien de temps la pause ?

- Je crois que dans les deux ou trois années à venir, c’est évident qu’il n’y a pas une nouvelle constitution en Europe. C’est évident. Alors pourquoi nous avons dis ça ? Parce qu’il faut éviter que l’Europe soit en paralysie. Ce que je ne veux pas, c’est donner l’idée que ce qui est ici en Europe, soit ailleurs, que maintenant, parce que nous n’avons pas réussi à voter le nouveau texte constitutionnel, nous ne pouvons pas prendre de décision. Si ! Nous prenons des décisions chaque jour, tous les jours nous prenons des décisions très importantes. Et donc, c’est pour éviter le vide et pour éviter la confusion juridique constitutionnelle que je dis « écoutez, c’est vrai, on n’aura pas la constitution dans les deux années à venir, mais n’en faisons pas un drame, allons travailler dans tout ce qui intéresse notamment les citoyens, la lutte contre le chômage, la croissance économique, la défense aussi en terme de sécurité contre la menace terroriste ou la criminalité. » Il y a beaucoup de choses à faire, même dans le cadre des traités actuels.

JPJA : Donc, vous ne vous sentez pas, José Manuel Barroso, chargé d’une mission de trouver une solution à ce problème de la constitution. Vous dites, « allez, continuons. »

- Non, nous nous sentons tous mais nous devons respecter le vote qu’il y a eu.

L'enfoiré: Voilà qui est parlé ! Le temps n'a pas d'importance majeure car les décisions prises impliquent trop d'années qui les suivent.

JPJA : Mais la commission ne se sent pas prise… parce que certains pourraient vous reprocher « vous ne nous apportez pas de texte, vous ne nous apportez pas de projets, vous n’avez pas de vision constitutionnelle européenne. »

- Non, j’ai la vision constitutionnelle européenne, c’est celle qui a été malheureusement refusée en France. Si j’avais une meilleure solution, je l’aurais proposée. Ce que je vérifie, c’est que jusqu’à présent, personne n’a présenté une meilleure (constitution). Et pourquoi ? Précisément parce que celle-là était un compromis qui a été discuté à la convention par 25 états membres. Je crois que ce sera très difficile, je ne conseillerais pas maintenant de venir avec un autre texte. On doit quand même se baser sur ce texte là.

JPJA : Il n’est pas mort ?

- A mon avis, il n’est pas mort. Mais soyons francs, il ne va pas être adopté dans les années à venir. Ecoutez, c’est quand même extraordinaire, quand on dit la vérité, que c’est une sorte de surprise. J’ai dit une chose qui a du sens commun. C’est l’évidence même et parfois je dois vous dire que je suis surpris de voir que dans le discours politique, dire les évidences, c’est presque un scandale. Tout le monde est d’accord, personne ne me contredit. Personne n’a dit « Monsieur Barroso se trompe, il y aura la construction dans un an, dans deux ans », personne ne l’a dit. Mais les gens n’ont pas voulu que je dise la vérité. Je dis la vérité précisément parce que nous avons besoin de le dire, nous la commission européenne nous sommes le gardien du traité. Il faut respecter les traités qui existent jusqu’au moment où il y aura de nouveaux traités. Et maintenant, nous travaillons sur la base des traités existants. Il faut qu’ils soient respectés parce que nous sommes une communauté de droits et je ne veux pas que l’Union européenne et les institutions européennes soient paralysées pendant cette période par une querelle institutionnelle.

L'enfoiré: Espérons-le tous qu'il ne soit pas mort. Recommencer serait une perte de temps impardonnable. La seule correction à apporter est d'ajouter quelques directives sociales qui ont fait cruellement défaut dans la première version.

JPJA : Vous avez dit « une pause constitutionnelle », mais je dirais que pendant la pause, l’élargissement continue : la Turquie, on entame les négociations ; la Croatie s’est invitée rapidement avec l’Autriche dans le bal. On parle de la Serbie maintenant… Il y a bien sûr la Roumanie, la Bulgarie…

- C’était la décision des états membres à l’unanimité de commencer les négociations avec la Turquie.

JPJA : Vous n’avez aucun état membre qui vous dit maintenant…

- Non, tous ont appuyé le début des négociations. Mais attention, le début des négociations, ce n’est pas l’entrée de la Turquie. Ça peut prendre vingt ans, ça peut prendre plus. C’est la décision de ne pas fermer la porte aux démocrates turcs, à ceux qui veulent une Turquie moderne, tolérante, basée sur nos valeurs. Est-ce que cela va réussir ou pas ? Honnêtement, on ne le sait pas.

JPJA : Quand on dit dans les couloirs et dans certains ministères : « Barroso, il est faible, la commission actuelle, elle est faible. » Qu’est-ce que vous dites ?

- Ecoutez, moi je ne suis pas la meilleure personne pour parler de moi-même, mais il y a une chose que je veux dire : vous ne trouverez pas quelqu’un avec plus de convictions européennes que moi. Mon expérience est une expérience de lutte pour l’Europe. Mon pays a beaucoup gagné avec l’Europe et j’ai toujours associé l’idée de démocratie et de liberté avec l’idée de l’Europe. C’est pourquoi je crois vraiment à une Europe moderne, qui se modernise, une Europe de liberté.

L'enfoiré: Après vingt ans d'absence, je suis retourné dernièrement au Portugal, ce pays qui a vu vos premiers pas. Et oui, ce pays a profité de l'Europe, c'est un fait. La différence est énorme. La classe moyenne a pris une place très importante et elle acquière des biens de plus en plus importants, accède à ce qu'il n'a jamais pu rêver plus tôt sans l'Europe à ses côtés. Une remarque, cependant. Les prix ont également grimpé et se retrouvent à une hauteur tout à fait comparable à ceux des pays de l'Europe de la première heure. Cela veut dire que comme partout, certains Portugais sont restés sur la ligne du départ et, aujourd'hui, le niveau des nouveaux prix actualisés ne leur permettent plus de se sortir de leur condition. Les grottes d'Albufera leur offrent bien sûr un logis de fortune (mot si peu adapté en l'occurrence). 

JPJA : Est-ce que vous manqueriez alors de pays forts derrière vous ? Un couple franco-allemand ? Une vision des chefs, des pères de l’Europe ?

- Ecoutez, la commission, par définition est indépendante. Je ne suis pas là comme secrétaire des états membres.

JPJA : Oui, mais Delors n’aurait pas été ce qu’il a été s’il n’avait pas eu Kohl et Mitterrand.

- Ecoutez, mais j’ai été choisi à l’unanimité par les états membres, par les chefs de gouvernements. J’ai été membre d’un gouvernement, j’ai été premier ministre et j’étais très satisfait avec ce que je faisais. Ce sont eux qui sont venus me demander d’être président de la commission, et après, j’ai été soutenu par le parlement européen. Ce que je peux vous dire, c’est une chose très importante : ce n’est pas une course de sprint l’Europe, c’est un marathon. Et nous, les Portugais, nous sommes bons dans les courses longues durées. Alors, je demande aux gens de juger sur le travail fait de l’ensemble, pas sur des premières impressions, par sur des caricatures. C’est vrai. Quand j’ai assumé des fonctions, on a essayé de me présenter avec certaines caricatures. Ce n’est pas juste. Ce sont des préjugés. Regardez ce que nous faisons : regardez le travail d’équipe que nous faisons à la Commission. J’ai des gens, des Socialistes, des Démocrates-chrétiens, des Libéraux. Je travaille avec tous sans aucune distinction. On est engagé, on est en train de former une équipe, une équipe qui est vraiment engagée sur l’Europe et qui est en train de faire l’Europe sur la base des priorités, de ce qui intéresse plutôt les citoyens, la croissance, l’emploi. Alors, donnez-nous un peu le temps et quand même jugez nous par des résultats et pas par des préjugés et surtout pas pour des caricatures.

L'enfoiré: Soyez en digne. Les marathons demandent beaucoup de souffle. L'Europe a décidé de sortir de ses frontières géographiques en acceptant les pourparlers d'adhésion de la Turquie. Très bien, mais ne faudrait-il pas mettre cette même Europe au deuxième plan derrière l'idéologie européenne qui n'a pas de frontières. Elle pourrait s'étendre d'abord à l'Occident tout entier avant d'atteindre le monde entier. Les règles édictées à ce niveau-là n'auraient plus aucun problème à rivaliser avec la mondialisation du commerce.  Mais, il est encore tôt et je rêve encore !

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Merci, d'avoir pu m'exprimer avec franchise en droit de réponse à un homme aussi prestigieux.

Le prochain billet qui, plus simplement planifié, paraîtra mercredi et je vous préviens qu'il sera beaucoup moins politique (promis) , moins "chaud", quoique...

Mais je n'en dirai pas plus. Suite à l'écran.

 

L'enfoiré

 

Citations :

  • "Le tiers-monde ne peut voir les plaies de l'Europe, les siennes l'aveuglent", Fatou Diome
  • "Paris n'est rien, ni la France, ni l'Europe, ni les Blancs... Une seule chose compte, envers et contre tous les particularismes, c'est l'engrenage magnifique qui s'appelle le monde", Ella Maillart
  • "L'Europe cherche, avec raison, à se donner une politique et une monnaie communes, mais elle a surtout besoin d'une âme", André Frossard  
  • "L'Europe est trop grande pour être unie ; Mais elle est trop petite pour être divisée. Son double destin est là.", Daniel Faucher


  

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