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15/04/2006

Une journée particulière

Le mois dernier, j'ai subi une opération à la main pour rectifier une maladie appelée "contracture Dupuytren". L'opération a nécessité une anesthésie locale uniquement. Tout est passé devant mes yeux souvent ébahis. En voici l'histoire.

Baron Guillaume Dupuytren: (1777-1835) anatomiste, chirurgien militaire français laissa son nom à cette maladie.

La maladie : affection de la main qui fait que les doigts se replient sur la paume et ne peuvent plus se redresser (voici le lien qui ne touchera pas trop les âmes sensibles). Elle peut se traiter par « aponévrotomie » (rupture de la corde par l’intermédiaire d’une aiguille) ou par la chirurgie.


Cadeau généreux de l'hérédité ? Maladie à part entière. Pour éviter les récidives, il est conseillé de passer à la chirurgie après l'âge de 65 ans. Mais, comme je ne suis pas boxeur professionnel, ni un oiseau qui doit s'agripper aux branches des arbres... et surtout ne me parlez pas de mille-pattes. 

Si vous êtes un grand habitué de la "chose", des opérations chirurgicales et vous n'êtes plus qu'une cicatrice ambulante, alors passez votre chemin, je ne vous apprendrai peut-être rien. Pour moi, ce fut plutôt un baptême de la "cutter party". Ce texte a d'ailleurs été écrit sur le vif, dans l'ambiance et en attente de mon tour. ("de chant" ?). La peur n'est pas vraiment loin quand il faut y aller.

Quelles images avons-nous de ce genre de métier avant de se plonger dans le vif du sujet ? Ce que nous montre la télé n'est vraiment pas très rassurant. Les feuilletons "Urgences", qui nous plongent dans un monde de dangers perpétuels, d'obligation de courir dans tous les coins à la fois. Tout le monde s'y agite dans un parfait désordre sans coordination apparente mus par des ordres tonitruants fusant de droite et de gauche. Ces feuilletons sont là plutôt pour nous distraire, sans plus, en y ajoutant le suspense et le doute le plus profond. Des lits cachés derrière des rideaux dans des salles exigües, si pas dans les corridors eux-mêmes dans lesquels déambulent patients avec Baxter en guinguettes et compagnon de "voyage" vers des horizons apparemment perdus. Cet engorgement mêlant souvent patients et visiteurs m'a toujours paru faire désordre. Ces feuilletons en provenance d'Outre Atlantique sont évidemment là pour nous tenir en haleine dans le confort du sofa et pas pour rassurer le prochain patient. Et pourtant, comme nous allons le voir, dans la majorité des cas, on est loin du compte. Dans nos pays de cocagne, nous ne sommes pas à Bagdad, fort heureusement. Je ne dis pas que cela n'est jamais le cas. La division "Urgence" doit avoir moins de sérénité. Mais, la réalité, ici-bas, est tout autre. L'anxiété va se fondre dans un "liquide" de gentillesses et de prévenances. Vous devez en avoir pour votre argent. Voilà le principe de base. Prise de sang, électrocardiogramme, visite de "courtoisie" chez l'anesthésiste sont déjà des "histoires anciennes". 

Le jour fatidique est arrivé. Dès l'admission du patient, le matin, les choses se passent dans la sérénité et le calme, donc, bien différemment. La cure de relaxation commencerait-elle déjà dès l'entrée ? Les papiers remplis, plus de panique, il n'y a plus qu'à se diriger vers la direction indiquée bien précisément en suivant les points jaunes fixés au sol dans le calme et je dirais presque, la "volupté". Je dois bien avouer que je ne suis pas là entre la vie et la mort et cela doit ajouter une couche de protection dans mon esprit et cet inconnu. Les prémices dans d'autres cas plus incertains sont très probablement moins assurées. Mais nous ne sommes pas au cinéma et la plus petite opération n'est pas innocente dans sa réalisation et une mise en garde du chirurgien sur les risques sont là pour le rappeler. Une mise en condition nécessite toujours un état d'esprit positif, courage et détermination. La décision de "passer à l'acte" quand l'obligation fait loi, ne fait pas long feu dans l'esprit ni obstacle bien longtemps. Quand, par contre, il ne s'agit que de retrouver une hypothétique amélioration, il en va tout autrement. Le dilemme existant, une recherche de la proie pour l'ombre n'est pas une entreprise sans conséquence dans le subconscient. Mais, je ne veux pas retourner en arrière. Ça ne s'est pas trop mal déroulé jusque-là. La chambre est accueillante. Entrons-y. J'ai l'honneur de l'inaugurer, paraît-il. Vu le bruit qui subsiste en arrière fond, il n'est pas difficile de se rappeler qu'il s'agit d'une véritable "intronisation". Rien d'insoutenable mais lassant tout de même. Un déshabillage suivi d'un habillage adéquat complète le tableau et l'étape suivante est le transfert dans l'antichambre du saint des saints, l'antichambre de la salle d'opération. Pour y arriver, l'infirmière me glisse une paire de chaussons en plastique bleu ciel. Mignon tout plein pour déambuler avec ça. J'espère secrètement que cela ne va pas donner des idées à mon épouse pour la maison. Habillé en apprenti chirurgien ayant cependant une tenue un peu "aérée" par l'arrière, nous y sommes et les sourire d'encouragement aussi. Tout est fait pour mettre en confiance. Je suis invité à une cérémonie des "Awards", pas vraiment en toilettes des grands jours, mais ce n'est pas grave quand on a de l'imagination. Le nominé, cette fois, c'est moi. Il y aura pourtant d'autres gagnants avant moi et l'attente commence. Mon prédécesseur n'est pourtant pas très engageant et quand, après plus de deux heures, il réapparait sur le lit poussé par l'infirmière, il ne semble pas très content du "prix" qu'il a obtenu et crie son mécontentement dans un sommeil bien agité. Avant cela, mon attente se déroule sur le pied du lit me distrayant en regardant le va et vient du personnel hospitalier qui ne semble pas du tout prendre conscience de ma présence. Du papier et un crayon et vous avez le billet devant les yeux. En finir maintenant est devenu le souci majeur malgré tout. Ca y est, il est là: le chirurgien. Il n'avait pas la même tête lors de ma dernière visite à son cabinet. Le petit "chapeau" sur la tête et la tenue ad hoc ne sont pas là pour ajouter à la reconnaissance automatique. L'anesthésiste dans son ombre est prêt à prendre la relève. Tout va dès lors se passer très vite. Entrée dans la grande salle toute illuminée. Je ne savais pas que j'allais assister à un "bal masqué" car sinon j'aurais apporté l'attribut naturel dans ce genre d'événement. Voilà que toutes les "Claudettes" se mettent en action, chacune a un but précis. Elles me couvrent de couches multiples protectrices. Il est vrai que ça prend vite froid ces "oiseaux" là. Et par temps de grippe aviaire, il s'agit de prendre un maximum de précautions. Chaque "Claudette" passe tour à tour la tête au-dessus de mon visage. Ah ! Pas mal celle-là ! Quels yeux ! Puisque je n'ai plus que cela à me mettre sous les miens, il faudra un peu fantasmer, non ? Je me mets à penser qu'il ne doit pas s'ennuyer tous les jours ce bougre de "Claude" ! La "faiseuse de rêve" s'approche et m'injecte le produit anesthésiant dans le bras, ce qui va mettre ce dernier dans un état d'absence prolongée. Mais au fait, à quoi rêve un bras dans cet état ? Il n'existe plus tout simplement et tomberait si je n'y prends garde. Son « copain », l'autre bras, va devoir supporter le poids pendants quelques instants. Cet 'alter ego' a aussi une autre fonction qui lui demande de rester en éveil pour indiquer ma tension automatiquement par pressions répétées et à intervalles réguliers et aussi déceler mon degré d'admission dans ce monde irréel. Dès lors, tout va pouvoir défiler devant mes yeux, je ne veux rien manquer, je suis aux aguets. Par l'intermédiaire de la réverbération sur la coupole miroir de la grande lampe, je suis devenu spectateur et acteur à la fois par le don physique d'une partie de moi. "Cette fois, c'est moi", dirait encore une fois la pub.

La "vedette", elle, va pouvoir entonner sa "chanson". On peut commencer. Alors, Claude, casse le rythme habituel et prend ton temps, "cool".

Le temps s'écoule. La discussion s'engage. "Que faites-vous ?". "Racontez-moi".

Je peux vous assurer, pour l’avoir vécu, qu'il y a de l'ambiance dans une salle d'"Op". Pas de morosité, seule la bonne humeur éclatant parfois avec un rire franc et massif égrènent ces instants pourtant très particuliers pour moi. Je ne demeure pas en reste dans les histoires de toutes sortes. Toujours à jeun, l'estomac commence à demander un peu plus de considération. Dans ce cas précis, "les chants désespérés ne sont plus les chants les plus beaux". Près de deux bonnes heures encore car il s'agit de travailler dans le domaine de l'extrêmement petit, vont constituer ce partage d'informations, ces instants "spéciaux" mais néanmoins privilégiés où le patient va participer à la réussite de "son" opération.

Le temps passe plus vite que prévu et la fin arrive presque sans s'en apercevoir. Les derniers points de suture vont mettre un terme et un "ruban" de protection à ce "gâteau" bien emballé. Se lever doucement et quitter l'amphithéâtre. Allez, Claude, pousse l'habituel "Au suivant" et en attendant entonne mentalement ou en sifflotant ton "ça s'en va et ça revient".

Pour moi, retour, et encore de longues minutes à attendre dans l'antichambre, à recevoir des visites successives pour s'assurer que les choses se passent bien. Mon bras, lui, est toujours en compagnie de ses copains de Morphée. La visite de confirmation de l'anesthésiste et enfin retour à la chambre pour un habillage plus conforme avec les réalités extérieures. Voilà que pour couronner le tout, le moyen de transport est fourni en sus. Une écharpe mayorale va permettre le voyage. On n'attèle pas que les chevaux, Non ?

Le "One Day" est terminé.

Je viens de passer une journée "très" particulière.

Je dédie ce billet humoristique à mon chirurgien et à son équipe. J'ai pris la liberté de le prénommer temporairement "Claude". C'est évidemment à l'insu de son plein gré qui s'appelait en réalité "Dr Philippe Hoang".

 L'enfoiré,  

Citations : 

  • "Les incessants progrès de la chirurgie, de la médecine et de la pharmacie sont angoissants : de quoi mourra-t-on dans vingt ans ?", Philippe Bouvard
  • "Une opération n'est jamais inutile. Elle peut ne pas profiter à l'opéré... Elle profite toujours à l'opérateur.", Georges Feydeau
  • "Pourquoi certains chirurgiens anesthésient-ils avant l'opération plutôt qu'au moment de présenter les honoraires ?", Jean Delacour
  • "On peut fort bien pratiquer des opérations chirurgicales douloureuses sans anesthésier le patient à condition de se mettre du coton dans les oreilles.", François Cavana

Commentaires

Félicitations pour ce texte et pour votre humour. Merci aussi de nous faire réfléchir à cette vie que beaucoup semble subir sans se poser de questions.
Continuer à écrire, des personnes comme vous redonnent un sens à tous ces instants précieux.

A bientôt,

Claude alias Philippe ... ou l'inverse peut-être ...

Écrit par : Claude | 15/04/2006

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Le bonjour de Demian à l'EnFoiré du sublime commentaire,

Ca y est nous sommes à la colle !
Je t'ai mis en lien avec le dragon à toutes queues.

Mes chiffres de visiteurs décollent les papiers peints des murs anciens. Et nous ne sommes qu'au début de l'afin.

Et plus ça va Et plus ça monte, mais vers quoi ?

Tu nous en diras un peu, car tu navigues aisément dans les interstices toi, où on t'y trouve et des des pierreries étrangères et sitrop complexes : qu'elles parlent carrément.

Bravo Brava Braverie !

Demian West van Soi-même.

Écrit par : Demian West | 21/04/2006

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L'enfoiré a trop tapé sur les claviers informatiques .. Elle va mieux cette main !
Il te restait quand même, l'autre pour l'essentiel ...

Tu n'es pas jaloux du formol français...Tu ne rêves pas de mettre ton Roi dans un bocal.

Écrit par : vilistia | 26/11/2009

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Salut Vilistia,
Ces deux mains vont bien, merci.
Je vous assure, je me souviens encore d'une période où j'ai râlé contre Microsoft, quand je devais entrer un "Ctrl-Alt-Del".
Heureusement qu'il y avait le nez.
Jaloux du formol français?
Pas vraiment.
Mettre un roi en bouteille?
C'est dans quel jeu?
Juste pour savoir comment je dois ordonner mes cartes.
Remplacer un Roi par un Empereur?
Je n'ai pas de cartes pour ce dernier.

Écrit par : L'enfoiré | 26/11/2009

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Remplacer un Roi par un Empereur?

Un Empereur pour les Belges , oui !

Sarkosy, je te l'envoie par chronopost !

Bonne soirée.

Écrit par : vilistia | 26/11/2009

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Ce matin, une récidive a demandé une nouvelle intervention mais plus simple et pas en clinique.
Raison : la pénurie d'infirmières.
Je remercie le Dr Hoang que j'avais nommé avec humour Claude et la bonne réception de tous les membres dont je me souvenais de cerianes "Claudettes".

Écrit par : Guy alias Allusion alias anciennement L'enfoiré 13/11/2023

Écrit par : Allusion | 13/11/2023

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