22/07/2008
Les triangles des Bermudes
Nous sommes en période de vacances mais nous n'allons pas survoler ce triangle de mystère au dessus de l'Atlantique. Il s'agit d'une série de triangles plus terre à terre, de plus durs, même, en abordant le mal-être des ados. Il se traduit trop souvent en fugue, violence et maisons d'accueil. En perdition terminale, le crash s'appelle le suicide. (suivi de l'émission "Questions à la Une" du 12 avril 2006)
Les triangles des Bermudes, abordant le mal-être des adolescents, n'ont rien d'idylliques. Bien au contraire.
C'est de la famille, elle-même dans ses fondements, dont il s'agit. La vie en famille peut en être brisée par surprise dans des triangles de l'incompréhension entre ses membres. Les parents essaient de donner une éducation à leurs enfants, parfois bien, parfois mal. Pourtant arrivés à l'adolescence, c'est le drame et ces jeunes décident de s'enfuir, de tout quitter, sans laisser d'adresse vers un ailleurs soi-disant meilleur. Les mythes du Triangle des Bermudes n'en sont pas loin.
Quels jeunes ados fugues, quand et comment? Triangle : conflit relationnel de génération, problèmes de la vie, fuite
Un jeune sur 20, fugue, généralement entre 15 et 16 ans, pendant l'adolescence. Rares sont les cas de disparitions sans solution. Endéans les 24 heures, la majorité des disparitions est retrouvée et, apparemment, rien de problématique et d'irrémédiable au retour. Revenus à la maison dans 85% des cas, ces ados, n'ont simplement pas reçu de réponse à leurs problèmes intimes, de détresse mal cernée par eux et mal expliquée ensuite par les parents. Ceux-ci ne comprennent pas et ne parviennent pas à poser les bonnes questions. Ce qui veut dire, si rien n'est ne change, que leurs enfants vont récidiver et repartir sur le même chemin de l'inconnu, un peu plus tard. Les jeunes démontrent que les adultes, leurs "vieux", sont bien dépourvus face à ce mal-être des jeunes. Conflits de générations? Probablement, aussi. Incompréhension des problèmes de la vie. Une fragilité qui ne dit, surtout, pas son nom vis-à-vis d'elle.
Quels sont les problèmes des jeunes? Triangle: communication, vie économique, recherche de palliatifs
La catégorie sociale du jeune importe peu et n'est pas déterminante. Il y a bien une prépondérance des cas de parents divorcés, avec le jeune au milieu qui ne se sent pas intégré et que l'on brinquebale en balle de ping-pong. La vie moderne et la liberté totale de 68 ne sont pas étrangères à cet état de fait. Un problème de communication, une dispute familiale plus sérieuse que d'habitude, une volonté de vivre de ses propres ailes sans la dépendance étouffante des parents, une déception scolaire ou amoureuse sont les causes les plus souvent citées. La situation économique, les problèmes de démotivation, de stress, liés au chômage ne sont évidemment pas étrangers, non plus. La tendance est d'ailleurs de plus en plus vrai quand, pour la famille, nouer les deux bouts devient un cauchemar. Parfois, c'est l'inverse, les parents sont plus longtemps qu'il ne le faudrait au travail. Une volonté que l'on s'intéresse à eux, est décelable. Il existe un vrai syndrome de l'abandon. La fugue en arrive à être un moyen de sortir de l'anonymat, de la routine de cet abandon.
Le manque de repères des jeunes trouve, dès lors, la bouée de secours, la plus en accord avec sa fragilité, dans n'importe quel horizon. La drogue, la rue, les sectes, la religion, avec une dégradation des risques dans l'ordre, mais une perte certaine de soi et des responsabilités.
Les forces de l'ordre n'enquêtent pas longtemps et ne diffusent que le signalement du fugueur, sans donner plus de précision. Les 13 mois de fugue, très médiatisés, de Tiffany Warnotte, dont on parlait en Belgique, lors de l'émission, n'étaient qu'un exemple. Pourtant, la fugue touche 5% des adolescents en Communauté Française belge. Pour nombre d'entre eux, elle est souvent un premier signal d'alarme, annonciateur de plus grave par la fugue ultime : le suicide. Il y a une nouvelle concurrence aux parents: Internet. Le contrôle parental devient moins aisé quand les rencontres discrètes, le comment "fuguer" et plus grave, comment "se suicider" se mélange avec le marketing dans une attirance incidieuse et efficace. Les dangers de la vie exposent les ados à tous les excès. "Internet, reste net" disais-je un jour. C'est toujours plus vrai.
Quels sont les aides? Triangle: réconfort, organisation de jeunes, éducateurs
Child Focus déclarait que seulement 15% des jeunes fuguaient et se retrouvaient dans la rue pour une période plus longue. Là, le risque est le plus grand et le jeune devient une véritable proie facile dans le monde de la rue qu'il ne connaît pas. Viol, prostitution et drogue sont au menu de cette escapade sans espoir de retour programmé. Pour les autres, la révolte trouve heureusement un réconfort et une écoute dans les membres de la famille ou les copains hébergeurs bénévoles qui ne sont pas considérés comme délinquants aux yeux de la loi. Les confidences à personnes étrangères se passent parfois mieux qu'avec les parents eux-mêmes.
Les réseaux d'entraide solidaires entre jeunes fugueurs n'existent pas vraiment avec une organisation réelle. "SOS Jeunes" tente d'apporter une aide de première ligne et héberge ces jeunes pendant un temps limité par manque de place. Les services d'assistance semblent très faibles en définitive. Les jeunes, soit ne les connaissent pas, soit ne leur font pas confiance. Parfois, l'aide en famille d'accueil subsiste seule pour sortir de ces moments de profond malaise. Les enfants placés sont-ils perdus? Un jeune sur 3, placé en institution, fugue. Est-ce que cela signifie que les homes sont bien mal armés aussi pour aider les ados ? L'aide à la jeunesse est un véritable baromètre de notre société. Un secteur en crise qui représente près de 6000 placements, où sur le terrain, juges et procureurs se plaint du manque de places et de moyens. Ces magistrats, juges de la jeunesse, doivent rechercher des moyens pour replacer des parents inaptes à assumer la charge parentale. Les maisons familiales, les familles d'accueil (2800 en Belgique) sont en générale mieux adaptées à faire le travail de reconstruction du jeune en perdition. Bien que moins subsidiées, elles sont pourtant relativement bon marché (15 euros par jour au moment de l'émission télé). Le succès de la cohabitation n'est pourtant pas garanti et la violence comme limite peut prendre le pas et obliger à chercher une nouvelle fois une solution de centre fermé.
L'IPPJ, le centre fermé pour jeunes délinquants, a bien des éducateurs motivés, des adultes généreux. Certains jeunes interrogés qui les fréquentent, vont jusqu'à affirmer que c'est le Club Med, mais il subsiste des dérives étonnantes. Cela coûte d'abord très cher par jeune et par jour de présence. En Communauté française, pour la prévention et le suivi par des éducateurs, assistance sociale, on peut compter un budget de 176 millions d'euros pour la Belgique. Telle une institution a des mineurs qui se sentent en danger. La violence, pour exprimer la révolte, y régnerait. Les accusations sont graves. Les directions démentaient le fait et il fallait du recul pour évaluer le réel risque de perte de sécurité ressenti. Le problème crucial est de donner confiance et de faire accepter des règles strictes de vie en communauté. Les centres pour délinquants et les audiences du tribunal de la jeunesse, connaissant leur rôle, ouvrent leurs portes sans timidité. Mais, il ne faut pas prendre le problème et les malaises des jeunes à la légère.
Le discours du Roi des Belges du 21 juillet le rappelait en ces mots: "... de grandes souffrances, dont on parle trop peu, touchent des jeunes vulnérables. Il y a d'abord la violence contre eux-mêmes. Dans notre pays le nombre de suicides chez les jeunes demeure élevé. Une politique de prévention et d'écoute de jeunes en difficulté devrait être stimulée. De récentes données de centres de prévention dans notre pays montrent qu'un « teenager » sur 10 s'est déjà mutilé ou a essayé de se suicider. En outre, la violence de jeunes à l'endroit d'autres personnes s'est également accrue et traduit un mal vivre dans une partie de notre société. Là aussi une politique de prévention, centrée sur le respect de l'autre, doit être renforcée. Mais il va de soi que les Autorités feront leur travail lorsque, malgré tout, la violence se manifeste effectivvement, et un accompagnement adéquat de ces jeunes sera assuré. ".
Comment prévoir la fugue au niveau de la famille? Triangle: Objectiver, relativiser, responsabiliser
Chapitre qui mériterait tout un bouquin.
Le "mal être", le "spleen", est une maladie honteuse très contagieuse. Autant savoir quand le contact, la communication "parent-enfant" a la chance d'exister.
Motiver ses troupes, les aguerrir, pourrait-on dire. Ne pas laisser se sentir seul, le jeune, dans ce problème tout en tentant de laisser la bride sur le coup dans une délégation responsable, bien comprise, au mieux des compétences. Tout un programme d'équilibriste.
Placer des objectifs réalisables en fonction des moyens disponibles, sans plus.
Problème d"amour propre"? Ce sera le moment d'apporter l'humour, la dérision, l'autodérision. Armes de défense très efficaces.
En fait, une série de principes qui ne sont pas tellement différents de ceux que l'on proposerait aux adultes.
Starmania, l'opéra rock, avec "un terrien en détresse", le Besoin d'amour, Les uns contre les autres, Le monde est stone, Quand on arrive en ville, Le bluzz du businessman, en a donné une foule de raisons depuis trente ans.
Alors, est-ce la méthode Coué? Peut-être. Cela peut marcher.
Un tel triangle, en boucle, pour technique, au cas par cas, permettra de combler le vide de l'homme en formation.
Ce triangle-là n'est pas un mystère insondable. Il demande seulement beaucoup de temps et de réflexions.
Alors, peut-être, le vrai "Triangle des Bermudes", le rencontrera-t-on avec sa grande bleue aux eaux turquoises, cristallines et sa musique, à domicile.
L'enfoiré,
Citations :
- "Fuguer est le contraire d'un suicide : on part pour vivre.", Hafid Haggoune
- "Etre désenchanté est pire qu'être perdu.", Mylène Farmer
- "Jeune, on pense à la mort sans l'attendre ; vieux, on l'attend sans y penser.", Maurice Chapelan
- "Quand j'étais jeune, je plaignais les vieux. Maintenant que je suis vieux, ce sont les jeunes que je plains.", Jean Rostand
- "On met longtemps à devenir jeune", Pablo Picasso
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Commentaires
Guy
Nous sommes face à une incommensurable souffrance lorsqu'il s'agit du mal de vivre, quel que soit l'âge de la personne qui traverse ce mal du siècle. Mal de vivre ici-bas qui se traduit, comme l'indique très bien Haggoune, par « partir pour vivre ». Une fugue d'adolescent ne mène pas invariablement au suicide. Heureusement. Mais j'imagine sans peine les effets dévastateurs de ce mal de vivre chez les ados au sein de nos sociétés respectives. Brel chantait : voir un ami pleurer... qu'en est-il de voir un ado partir ?
Excellent article, comme il se doit, sur un sujet aussi grave. Merci.
Pierre R. Chantelois
Écrit par : Pierre R. Chantelois | 22/07/2008
Pierre,
Il n'y a rien de plus contagieux que la poisse et le mal de vivre.
De suicides, je n'en ai pas connu souvent. Deux m'ont suffit, chez les jeunes, ces cas-là. J'en parle un peu plus souvent. Parce que j'ai mon copain qui le vit actuellement dans la famille et ce n'est pas exactement ce qu'on peut appeler "jeune".
Il faut une carcasse morale très dure pour vivre aujourd'hui, ça c'est la vérité.
Une dose d'optimisme que l'on a en réserve ou qui se regénère comme une batterie.
Ce que j'ai donné comme exemple avec Starmania me semblait le plus adapté. C'est plein de vérités.
Cela ne m'étonne pas que cela tienne depuis trente ans.
Sujet grave, oui. La vie, c'est pas de la petite bière ou alors, souvent sans mousse.
Merci pour le compliment.
Écrit par : L'Enfoiré | 22/07/2008
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