13/07/2006
Bond à petits bonds
L'antagonisme des deux grands blocs mondiaux n'existe plus vraiment. Le "monde du secret" a du mettre une sourdine de plus à ses agissements. Le fameux James Bond a pris de l'âge mais il n'a pas disparu pour autant. Il a seulement changé d'objectifs et il a encore de beaux restes et de jours de gloire devant lui.
Ce 12 juillet, la RTBF1 invitait Jean-Claude Delepierre, actuel président de la CETIF, la Cellule de Traitement des Informations Financières, et ancien président du Comité R, le comité chargé du contrôle des services de renseignement belge.
Après les événements de Bombay qui rappellent furieusement ceux de Madrid ou de Londres, l'espionnage vu par l'intérieur, avec l'interview de JP Jacqmin, me paraissait tout à fait adéquat.
Son choix musical: "Les Variations Goldberg" de Jean-Sébastien BACH, Variation 1, par Glenn Gould.
JPJA : Alors, variations Goldberg, Glenn Gould, Jean-Sébastien Bach, déjà des histoires de prête nom, c'est une manière d'entrer en espionnage ?
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On peut le voir comme ça, mais bon je crois que l'espionnage ça fait partie d'un grand tout et ce n'est pas comme ça que je le vois moi. Moi je le vois plutôt comme effectivement un lien au travers du temps entre deux génies incommensurables, je le vois aussi dans cette dimension qu'on cherche toujours un peu ailleurs, on cherche le divin ailleurs, alors que quand on écoute ça, on se rend compte que le divin est dans l'homme et qu'il y a aussi la beauté. Donc, il y a ça aussi. Et le renseignement, c'est vrai, ça peut peut-être déboucher là-dessus, ça devrait déboucher là-dessus.
JPJA : Ça, on verra si le renseignement débouche sur le divin. Pour que les choses soient concrètes pour les gens, il y a eu des attentats en Inde hier, 174 morts, est-ce que la cellule de traitement d'informations financières qui doit lutter contre le blanchiment d'argent et le terrorisme, les transactions financières qui alimentent le terrorisme, est déjà saisie de ce genre de choses ?
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Mais elle est saisie de manière générique de ce genre de chose, puisque la cellule de traitement des informations financières, CETIF et CFI, pour les abréviations en néerlandais, reçoit les déclarations de soupçons des institutions financières et des autres personnes visées par la loi, comptables, réviseurs d'entreprises, notaires, et elle est compétente non seulement pour le blanchiment lié aux activités terroristes, mais aussi depuis 2004 pour le financement du terrorisme. Donc, oui, génériquement, oui, maintenant sur le cas pratique...
JPJA : Est-ce que ça veut dire que, par exemple, des gens originaires d'Inde ou dont on sait qu'ils pourraient être liés à des organisations type Cachemire, même si les revendications ne sont pas encore sur la table, sont mis déjà sur la sellette, sous surveillance ?
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Sous surveillance, en ce qui concerne la CETIF, non parce que la surveillance n'est pas une surveillance globale, c'est une surveillance qui dépend de la détection par les institutions financières de mouvements ou d'opérations financières suspectes par rapport au profil des clients.
JPJA : Donc ce sont les banques, en gros, les banques privées ?
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Oui, ce sont les banques privées, d'autres intermédiaires financiers également et à ce stade-ci, si on devait détecter sur notre territoire des mouvements financiers suspects, qui seraient en relation avec les mouvements dont on parle aujourd'hui, ou avec certaines personnes en relation, il est clair que le système fonctionne à ce moment-là dans le sens qu'il y a des déclarations de soupçons transmises à la cellule. La cellule, à ce moment là, est saisie et peut alimenter son dossier avec d'autres informations policières, renseignements, autres informations financières et si un lien est fait, elle doit transmettre aux autorités judiciaires, en l'occurrence ici le parquet fédéral s'il s'agit de terrorisme.
JPJA : Est-ce que ça représente vraiment beaucoup de cas de blanchiment d'argent ? Parce que ce qu'on a vu aussi, les attentats terroristes ne coûtent finalement pas si cher que ça. Est-ce qu'on peut le détecter par les transactions financières, le terrorisme ?
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On peut le détecter. Depuis 1993, la cellule a comme compétence de détecter le blanchiment lié au terrorisme. Sur la période précédent les attentats du 11 septembre, des dossiers ont été transmis. Dire évidemment que c'est la majorité des dossiers de la cellule, non, il faut effectivement rester...
JPJA : C'est d'abord quoi: le trafic de drogue et des blanchiments comme ceux-là ?
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Trafic de drogue qui sert à financer les caisses d'un mouvement terroriste, prise d'otages, hold-up, etc., Ce sont des infractions qui ont été détectées dans des dossiers de blanchiment transmis par la cellule avant 2001. Depuis 2001, depuis les attentats du 11 septembre, nous avons évidemment davantage transmis de dossiers, le nombre a augmenté parce que la vigilance a été davantage accrue et puis le système de transmission des informations au niveau de la coopération internationale s'est également accru. Il ne faut pas vous cacher que nous avons reçu beaucoup d'informations de la part de notre homologue américain, par exemple. Ou comme de notre homologue espagnol dans le cas des attentats de Madrid. Donc, aujourd'hui nous avons cet aspect-là plus le financement du terrorisme. Le financement du terrorisme, c'est évidemment plus difficile parce que détecter le financement du terrorisme, c'est non seulement détecter des sources financières d'origine illicite, mais le financement peut se faire par des sources licites. Si je participe à l'idéologie d'un mouvement extrémiste qui d'autre part se livre à des attentats terroristes, je peux très bien décider tous les mois de consacrer une partie de ma rémunération à leur faire des dons. Donc, il y a des dons et c'est difficile à ce moment-là de détecter ce genre de choses.
JPJA : Transactions financières, on peut encore en parler dans l'actualité, on va venir à votre constat et à votre expérience sur l'observation des services de renseignement en Belgique, mais il y a le dossier Swift qui est dans l'air, donc c'est une société qui fait des transactions, qui permet des transactions financières dans le monde globalement et qui a transmis des informations visiblement ou qui a donné l'autorisation au réseau de contre-espionnage américain d'avoir des informations sur ce qui se fait en Europe, en Belgique peut-être. Est-ce que vous étiez au courant ?
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Non absolument pas. Nous avons été mis au courant par les articles du New-York Times, nous n'étions pas au courant précédemment. Et renseignements pris, le système de détection des opérations suspectes et le système de collaboration internationale entre ce qu'on appelle les cellules de renseignements financiers n'a pas, jusqu'à ce jour en tout cas, il n'y a pas d'éléments qui indiquent que ce système a été impliqué ou utilisé dans ce genre de chose.
JPJA : Est-ce que ce qui s'est passé est d'après vous illicite ?
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Mais, ça c'est le grand problème. Illicite non, on ne peut pas d'office dire que c'est illicite. La seule chose, c'est qu'il faut prendre en compte toute une série d'hypothèses. Le caractère licite ou illicite ne pourrait se déterminer que si on savait exactement ce qui s'est passé. Or, on a des informations, mais on ne sait par exemple pas si des institutions belges ou si des citoyens belges auraient été concernés par ce système de renseignements. Donc, avant de savoir tout ça, on ne peut pas affirmer que ce soit illicite ou non. Et même dans le cas où ce serait établi, encore faudrait-il savoir où les informations ont été récoltées et il faudrait savoir également si il y a une infraction à notre loi nationale à nous. Donc ce sont des questions très complexes.
JPJA : Des enquêtes sont en cours aussi du côté de la Banque Centrale Européenne dont les Américains disent qu'ils avaient été mis, que la Banque Centrale Européenne a été mise au courant ?
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Oui, mais je doute fort qu'on connaisse un jour le fin fond de l'histoire.
JPJA : Est-ce que ce n'est pas un peu exactement comme pour les vols de la CIA avec prisonniers à bord qui seraient passés par la Belgique, chose qui est, elle, illégale ? On dit qu'on ne sait pas très bien le nombre de vols, on ne sait pas très bien si il y avait des prisonniers à bord. Il y a des vols dont on ne sait pas très bien s'ils ont eu lieu. On apprend que la base de Chièvres, base OTAN, on n'a pas contrôle dessus. Est-ce que tout ça est normal ?
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Mais tout ça est normal, en tout cas, tout ça semble aujourd'hui être la situation que nous connaissons. Alors, je pense qu'il y a un décrochage entre le fait que nous avons des lois qui s'appliquent sur notre territoire national et qu'aujourd'hui avec la mondialisation, avec la suppression des frontières, avec l'évolution des moyens technologiques, c'est très difficile de contenir tout ça dans un territoire bien délimité. Alors, vous prenez un exemple des écoutes téléphoniques. Est-ce qu'il est illégal de faire des écoutes téléphoniques dans un autre pays, et je ne parle pas des Etats-Unis, ça peut être n'importe lequel des pays tiers.
JPJA : On sait qu'il y a un réseau qui s'appelle "échelon" qui surveille toutes les communications. En principe, c'est illégal ? Si on regarde la loi belge, pour pouvoir faire des écoutes téléphoniques en Belgique, il y a quand même un certain nombre de règles à respecter, avec mandat de juge d'instruction par exemple. Les Américains nous écoutent sans aucun soucis ?
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Mais d'un autre côté, les Américains respectent leur législation. Techniquement, l'opération n'est pas faite en Belgique. L'opération est faite de l'extérieur.
JPJA : En Angleterre ?
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Imaginons que ça soit en Angleterre, ça peut être fait au départ d'un bateau dans les mers internationales.
JPJA : Est-ce que vous n'êtes pas en train de nous dire, Jean-Claude Delepierre, finalement que des services secrets, des services de renseignements en Belgique, ils sont complètement débordés, ils sont dépassés par la mondialisation ?
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Dépassés, c'est peut-être un mot qui déjà donnerait une idée définitive. En tout cas, ils sont confrontés à un problème très complexe et je crois que tous ces exemples démontrent qu'il faut y réfléchir. Tous ces exemples démontrent qu'il faut voir quels sont les moyens dont on dispose tant sur le plan légal, mais pas uniquement sur le plan légal. Est-ce qu'il est possible chez nous de faire éventuellement respecter la loi si elle devait être violée par ce type d'activités ? Mais ce n'est pas un problème typiquement belge, c'est un problème qui doit être discuté sur le plan international aussi. Est-ce qu'il n'y a pas lieu d'avoir une meilleure communication entre les différents états qui travaillent dans le même sens, qui ont les mêmes principes démocratiques ? Est-ce que la communication est toujours très bonne ? On a un peu l'impression que ce n'est pas toujours le cas et qu'en premier lieu, c'est peut-être ça qui pose problème.
JPJA : On l'a vu au cours des derniers mois, la sûreté de l'état, mais ici dans le cadre des vols américains CIA, c'est plus le service de renseignements militaires qui est sur la sellette, un certain nombre de dossiers et une presse vendue à l'Iran, dont certains Américains ont dit, par exemple, qu'elle aurait pu servir à la filière nucléaire, il y a l'affaire Erdal, est-ce que nos services de renseignements sont à la hauteur selon vous, vous qui les avez surveillés pendant plusieurs années ?
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Ils sont à la hauteur. Evidemment posée comme ça, c'est une question un peu diffificle...
JPJA : Vous doutez ?
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C'est une question piège. Mais je dirais, si vous me demandez s'ils sont à la hauteur et qu'on ne peut pas aller plus haut, je vous répondrais non bien sûr, personne n'est jamais à la hauteur. Je crois que ce qu'il faut faire, en tout cas, ils sont les mieux placés pour devoir travailler dans ces domaines-là. Et je crois qu'il faut leur donner les moyens, il faut aussi non seulement que les services de renseignements puissent avoir les moyens, mais il faut aussi qu'à l'extérieur des services de renseignements, on soit conscient de ce type de problèmes et qu'un dialogue s'instaure avec ces services.
JPJA : Finalement, vous les avez surveillés ou vous les accompagnez, parce que vous les défendez là ?
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Mais on les a toujours défendus, on les a toujours défendus tout en étant critiques par rapport à leur action. Et je dirais qui aime bien, châtie bien. Nous n'avons jamais châtié. Mais je crois que nos critiques se voulaient surtout constructives même si elles n'étaient pas toujours agréables à entendre.
JPJA : Vous avez décelé des coups tordus qui n'étaient pas admissibles ?
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Non, pas à ce point là. On a décelé des dysfonctionnements, on en a parlé, on a cité les problèmes qui se passaient au niveau de la collaboration, surtout au niveau de la coordination et au niveau de la transmission des informations aux autorités décisionnelles.
Après cette lecture, on peut conclure qu'il reste du travail à faire. Jamais de chômage dans le secteur du secret.
L'homme qui compare ses agissements par anthropomorphisme avec les animaux n'a pas remarqué qu'il s'est détaché de sa fonction essentiel de la vie qui est le maintien de l'espèce humaine sur Terre.
Certains animaux en période de pénurie diminuent leur population de manière presque automatique.
Est-ce que l'homme avec le terrorisme aurait-il trouvé une autre manière de s'autoréguler ?
L'enfoiré,
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Citations:
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"Qui se venge en secret, en secret en fait gloire", Pierre Corneille
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"Le secret, c'est qu'il n'y a pas de secret. Nous sommes des petits enfants égoïstes et malheureux, pleins de peur et de colère...", André-Comte Sponville
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"Le secret des forts est de se contraindre sans répit.", Maurice Barrès
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