11/01/2008
Sketches en soldes
Elles « tombent » chez nous en janvier et en juillet, ces soldes de bonheurs pour les deux bords : vendeurs et acheteurs. Sauveuses des invendus, récupératrices d’une mode éphémère, les soldes ont des raisons que la raison oublie.
C’est à croire que la crise n’est qu’un mythe ou qu’alors la population acheteuse s’est serrée la ceinture pendant les six mois qui précèdent. Subitement, tout doit partir, comme dit la pub. Alors pourquoi ne pas ouvrir les vannes des prix pour le reste de l’année puisque tout le monde en redemandait depuis longtemps ? C'est pourtant chasse gardée. Avant l’heure, ce n’est pas l’heure, après l’heure, vaut mieux remiser les invendus dans les invendus. L’Etat veille. Les gâteries ont leur temps.
En hiver, ce 6 janvier, il ne faisait pas beau, les galeries couvertes ont alors plus la cote qu'ailleurs. On appelle cela des « Shopping Center » où se rassemblent vendeurs et acheteurs pour oublier les bouderies entre eux. Qui cherche, trouve, dit-on. Il faut, cependant, une certaine habilité et de la patience. Ce n’est pas mon truc. Mais, bon sang ne peut mentir. D'ailleurs, l’attraction n’est pas ternie pour les "moitiés". Elles ont soit de plus en plus les cordons de la bourse, soit le consentement familial ou encore en délégation autorisée. Alors, la chasse est ouverte. La radio et la télé ont fait œuvre de repérage. Les pourcentages de rabais apportent le miroir aux alouettes.
Entrons, tout de suite, dans le jeu.
Dans les couloirs, ce qui surprend, c'est le slalom de la foule. Pas besoin de ski pour cela. Telles des abeilles dans la ruche, on court, on butine dans toutes les directions sans relâche. On a cassé le cochonnet. La tirelire n’est peut-être plus dans la poche, elle a été remplacée par une carte carrée magique qui assure. Plus d'hésitation, il faut y aller. Quand on aime, on ne compte plus. On ne penses même plus.
Continuons le tour du proprio. Ce qui attire surtout c’est la valse des étiquettes. En dessous de 30% de rabais, tu meures. Il y a du 50, 60, 75 % à l’horizon. Bizarre, on n’est jamais arrivé à remplir la 3ème position, même par erreur… Si t’as pas compris, des hauts parleurs vont te remettre sur le droit chemin de la consommation, de la con sommation.
A droite, rayon des pulls, d’abord.
- Qu’est-ce que tu en penses de celui-là ?", demande la maman à sa fille.
- Cela te va comme un gant, maman.
Le problème, c’est qu’un gant, ça ne se met pas là et pas comme cela.
Je ne vous ai pas dit : les cabines d’essayage, on n’y pense plus depuis longtemps. Quand on s'aperçoit de la longueur des files, ce n'est plus question de passer par cette étape obligée en d'autres temps. Donc, il faut étendre le champ de prospection. Le samedi est sacré. On n’a pas le temps d’enlever le haut, après avoir enlevé ses bas. On surcouche. On s’arnache et on s'arrache.
- Il faudra pourtant que tu élimines un peu une surcharge pondérale, maman", dit la fille très intello.
C'est vrai que vu sous cet angle, elle n'a pas tout à fait tort.
J’espère qu’elle a pu trouver « chaussure à son pied », cette dame, encore une fois. Même si on n’est pas au rayon chaussure. On mélange un peu d'ailleurs. On oublie dans l'euphorie.
De ces chaussures, parlons-en, immédiatement.
Là, il s’agit d’ouvrir les yeux et le bon pour les vendeuses. Le terrain est glissant, encombré. Les boîtes ouvertes ne laissent que peu de chance de ne pas chuter dans l’une d’elle. Surtout qu’elles sont grandes ces foutus boîte trouble-fête. Surtout en voyant, ce qu'elles ont dans le ventre en majorité.
Vous avez tout comme moi, appris qu’il y avait un réchauffement climatique. Et bien, non, on a oublié. Des bottes vont vous permettre de circuler sur tous les espaces enneigés ou glacés. C’est écrit sur facture. Cela anti-dérape pour affronter le pôle Nord, pas nécessairement l’entourage immédiat.
On hésite pourtant, il y a beaucoup de choix dans ces pièces de l'"étrange". Des petites, des courtes, des longues. Et si on prenait la grande ? La grande, non, la grande et la petite, c’est plus sûr de ne pas se tromper. On peut vraiment assumer, je t'assure. Si ce n'est plus pour cet hiver, ce sera pour le suivant.
Plus loin, il y a la "grande loterie" avec la grande déserte pleine de beaux lots. Les candidats candides et passionnés sont déjà autour et vont tirer les lots un à un. Un 44-46, loupé, un autre 44-46, encore un coup dans l’eau, un 42-44, on approche. La paire de chaussette à de ses surprises sur prise. La tombola est affaire de chance. C'est connu. Mais on est tenace dans la famille. Il faudra bien trouver quelque chose pour monsieur. Quand la taille a disparu, on se prête au jeu du poing fermé. Non, Monsieur, doit avoir son dû aussi. Cela ne serait pas trop égalitaire sinon. On cherche, on chine et pas besoin d’être chinois pour le faire. Ça y est, ce n’est peut-être pas la couleur désirée, mais à la vue d'un rabais de 40%, on a vite oublié de s’épargner de petites désillusions trop passagères. La paire trouvée a un de ses chics à troubler le plus averti. Réfléchir à quoi l’harmoniser viendra après.
Et puis, le temps presse. Il y a tellement d’affaires à faire plus loin. La relation prix performance ne se retrouve pas au niveau de l’utilisation future, mais de celui de l’accès à la chance maximale de rencontre avec l’inaccessible étoile du moment.
La promenade, pour moi, devait bientôt trouver une issue. Un bâillement significatif imposait un peu de recul. Il fallait très vite laisser le champ libre aux spécialistes.
Heureusement, il reste des places libres au centre de la galerie pour ceux qui ont dépassé un trop plein. Il y a d’ailleurs beaucoup de prédécesseurs, généralement mâles et malicieux. Ils semblent aimés cette valse autour d'eux dans laquelle ils ne sont plus que spectateurs. Les images et les sons n'ont plus cours. Ils ont gagné la bataille et la plénitude se lit dans leurs yeux. Affaire réglée.
..
"Devant moi, des voitures de luxe, placées dans un cadre top, attirent mon regard. Retrouverait-on la même valse des étiquettes qu'ailleurs pour les soldes ? Nenni, faut pas rêver. La contagion ne va pas jusque-là Elles sont là pour précéder le salon de l’auto qui va ouvrir ses portes très bientôt. On a déjà pris place et elles sont chères, ces places. Le spectacle est nouveau. Plus ajusté. Plus stéréotypé aussi.
Je fixe mon regard sur l’entourage d’un de ces bijoux rutilant d’un lustre bleu nuit d’un autre temps plus 'pétrolé'. Luxe et volupté attirent les chalands. L’un d’eux aime prendre du recul tel un peintre devant sa toile. Jauger à distance, l’œil sévère introspectif. Mais, il y a aussi les autres plus volontairement 'techniques', parfois, un peu plus « idiots » aussi.
L’étape suivante, car on ose, pour la 'belle', il faut 'toucher la bête', c’est de voir si les portières ferment bien. Si tout est bien en place comme d'habitude.
- T’as déjà vu des portières qui ne ferment pas convenablement sur un salon, toi ? demande l'accompagnateur.
- Non, mais on les essaye toutes. C’est écrit dans l’inventaire des actions. Ça claque bien alors on est content. Cela rappelle la pub de Toyota qui lançait le fameux "Ok" à chaque claquement bien sonore.
- Mais, oui, il y a aussi un coffre dans le modèle. Et un claquement de plus.
- T’as vu les jantes ?", lance, tout à coup, papa à maman.
Maman reste sceptique quant à l’efficacité, mais elle hésite à casser l'euphorie. Elle a vu une petite robe qui lui plairait bien dans les soldes. Elle doit oublier les petites réactions improductives. Le prix de cette petite robe qui monopolise l'esprit, valait vraiment la chandelle. Même si ça ne remplacera pas, évidemment, les bougies dernier cri, en dessous du capot.
Cette fois, nous avons affaire à des pros du pot. Lui veut ouvrir le capot. Oui, il y a un moteur, c’est dans le contrat de vente. Les cylindres, on ne les compte même plus. On a confiance en la marque. On admire. Point.
Papa entre dans l’habitacle. Visiblement, il s’y croit déjà en maître du monde. Imperceptiblement, il caresse le cuir. Maman est tout sourire à la place de convoyeur et descend le pare soleil pour voir si le miroir est bien là. Les enfants sautent aussi à l’arrière. Prêt pour la leçon de pilotage. Faites défiler le paysage. Les images, on aime.
Le vendeur, aux yeux en forme de dollar, s’approche. Le charme est rompu. La bulle de savon a éclaté. Ils sortent de la carlingue, ils s’écartent avec le sourire, après avoir compris qu’ils ne parlent plus de solde qu'au niveau des 10%. Arrêt sur image avec recul obligatoire. Ils reviendront plus tard, peut-être. Le salon de l'auto qui arrive bientôt, arrangera peut-être tout cela.
Bientôt, les fantasmes seront à remplacer par la "cage" à quatre roues, le volant plastique qui se trouve au sous-sol. La « caisse », même si elle ne fait plus rêver, n’est pas si vieille que cela d’ailleurs alors il faudra assumer un certain amortissement".
Voilà qu’on devient philosophe. Le pétrole en perdition, les embouteillages, le chas de l’aiguille de lundi matin, ne permettront plus de faire rugir le bolide de rêve. On s’imaginait, c’est tout. Si on ne peut plus rêver, où irait-on ? Les lumières arrangeaient tellement bien les choses.
Quand la famille se recompose, les choses pratiques reviennent. On planifie la place des paquets qui vont devoir se garer dans le coffre dans cette "caisse" au parking sous-sol. Le coffre n'est pas petit, mais on a oublié de faire de l'ordre à l'intérieur.
Cet après-midi, l’effort de recherche n’a pas été superflu. Elle a été même très fructueuse. On se sent des humeurs et des attitudes à la Shiva avec ces paquets dans les bras. On ne se souvient même plus de ce qu’il y a dans chacun d'eux. On est radieux. C'est gagné.
Du moment qu’on garde l’ivresse, c'est toujours ça de gagné.
L’enfoiré,
Citations:
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"Le passé est soldé, le présent vous échappe, songez à l'avenir.", Duc de Lévis
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"La parole est dans le commerce des pensées ce que l'argent est dans le commerce des marchandises, expression réelle des valeurs, parce qu'elle est valeur elle-même.", Louis de Bonald
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"Le commerce du sage est sans valeur et il perfectionne ; le commerce de l'homme de peu est agréable, et il corrompt.", Confusius
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"Les gens généreux font de mauvais commerçants.", Honoré de Balzac
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