Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/12/2005

Surtout, continuer à respirer

La pollution des sites en sous-sols sont parfois des bombes à retardement. Autant le savoir. Les cartes sont enfin sur table et on en parle. 

Rarement une émission hebdomadaire de télé n'a fait autant de bruit après sa diffusion que celle du 9 novembre à "Questions à la Une". Et cela continue encore. Tous nos remerciements à ses producteurs pour nous avoir ouvert les yeux.

Son sujet "Nos décharges sont-elles cancérigènes ?" suivit de "Sous-sol explosif?


De plus en plus de personnes, malades, soupçonnent des causes environnementales à leur problème de santé. Un dépôt de déchets issus de la sidérurgie, par exemple, a créé inquiétudes et interrogations sur la cause des cancers d'un groupe de personnes vivant à proximité et dont moins de la moitié sont encore en vie aujourd'hui. Ce dépôt, dont la population mesurait mal la dangerosité, était en place depuis plus de 10 ans, sans autorisation, en décharge illégale. L'électrochoc a surtout été produit par la mise à disposition d'une liste de plus de 250 sites de pollution parfaitement tenus secrets par les autorités compétentes et qui soudainement mettaient les populations concernées en alerte ou en panique. 


Plus fort, si l'on s'en tient aux chiffres publiés par la société publique d'aménagement de la qualité de l'environnement, il y a de quoi avoir le vertige. Il y a en Wallonie 3.256 friches industrielles dont 253 à potentiel de pollution très élevé et 853 à potentiel moyennement élevés. Il y a aussi 2.500 décharges.

A ce sujet, le journaliste Jean Pierre Jacqmin recevait en radio ce vendredi 18 novembre Thérèse Snoy, experte sur les questions de santé et d'environnement, ex- secrétaire générale d'Inter Environnement Wallonie, elle est aussi en charge pour Ecolo de ces questions qui touchent aux sites pollués en Wallonie, que ce soit des décharges ou des anciens sites industriels.

Son interview, même s'il contient des noms de villes ou de sites très spécifiques, est suffisamment édifiant car la situation n'est certes pas bien différente ailleurs. Je le livre donc tel quel sans rien y ajouter.

Le choix musical de Thérèse Snoy : Céline Dion avec le titre Zora Sourit.


JPJA : Alors, Céline Dion, pour un choix qui n'est pas à proprement parlé personnel ou alors terriblement personnel ? 

  • C'est dédié à ma nièce qui se bat contre le cancer. Et c'est pour effectivement, peut-être, faire penser à toutes ces nouvelles victimes de maladies un peu nouvelles, difficiles à assumer surtout pour les jeunes. Voilà. 

JPJA : Le cancer, on en parle beaucoup en termes de pollution. On en parlait hier avec les produits chimiques. Est-ce qu'il y a vraiment des liens aussi évidents que ça entre le développement de cancers, de maladies et les sites pollués, par exemple, en Wallonie ? 

  • Mais, c'est-à-dire que, effectivement, beaucoup de scientifiques ont maintenant établi un lien entre l'exposition aux produits chimiques et l'apparition et l'augmentation des cancers. Il y a eu à ce sujet, l'appel de Paris signé par le professeur Bellepomme et plusieurs prix Nobel qui ont alerté l'opinion publique en disant "attention, les maladies liées à l'environnement augmentent en proportions importantes". Et ce qui est effarant, c'est évidemment tout ce qui concerne les maladies reproductives, la baisse de la fertilité, et aussi l'augmentation des cancers, en particulier chez les jeunes. 

JPJA : Alors, on en parle depuis cette émission de la RTBF Télé, Questions à la Une, 253 sites pollués, que ce soient des sites qui viennent d'anciennes friches, enfin d'anciens sites industriels qu'on appelle des friches maintenant, ou alors des décharges à ciel ouvert. La Wallonie, c'est vraiment la poubelle de l’Europe? 

  • Ecoutez, la Wallonie a un passé industriel lourd, d'industries lourdes. Je pense que toutes ces activités-là, effectivement, étaient très polluantes, on ne se rendait peut-être pas compte à l'époque de la contamination et du passif que cela allait constituer pour les générations actuelles. Je pense que pendant toute une période, on n'a pas du tout légiféré et contrôlé ces activités industrielles. Et puis alors, ce qui s'est passé aussi, c'est que dans les situations de faillites, les sites ont abandonnés et là il y a effectivement eu négligence terrible à la fois des propriétaires et de la puissance publique pour contrôler tout ce qui restait sur ces sites. 

JPJA : Alors, ça c'est des sites industriels. Il y a les décharges. On se rappelle de Mellery qui était quelque chose, il y a une vingtaine d'années, où on a appris au bout d'un moment que des camions venaient d'Allemagne et de loin pour apporter des déchets chimiques que l'on ne voulait plus ailleurs. 

  • Oui, il y a tout ça, il y a toutes ces pratiques qui ont été totalement illégales. 

JPJA : Et qu'on n'a pas contrôlées visiblement ? 

  • Qu'on n'a pas contrôlées. Il y a eu même parfois, comme dans le cas de Tarciennes, des jugements qui n'ont pas été appliqués. Et ça c'est vrai que c'est assez révoltant. Et je pense que Mellery et Tarciennes ne sont que deux cas, pas nécessairement les plus graves. Mais qu’ils ont bénéficié de l'attention des pouvoirs publics parce qu'il y a eu des riverains, il y a eu des citoyens, qui se sont élevés et qui ont alerté à la fois les politiques et l'opinion publique. 

JPJA : Et là, on a eu la certitude qu'entre les produits et les maladies, il y avait un lien évident ? 

  • On n'a pas une certitude complète. Le cas de Tarciennes, que je connais bien, montre qu'effectivement il y a une concentration importante de cancers dans le quartier très proche de la décharge. Quand on voit ce qui s'est écoulé de la décharge, à la fois dans les eaux souterraines et ce qu'il y a du s'échapper comme gaz, c'est vrai qu’on peut penser que ça a dû affecter la santé des gens. Mais on ne pourra jamais mettre un lien direct entre, effectivement, un cancer et un polluant. Sauf dans certains cas comme l'amiante. 

JPJA : Là, parce qu'il y a eu des études solides et très poussées. En Flandre, il y a un cadastre des cancers. Est-ce que ça existe du côté francophone ? 

  • Alors, effectivement, là il y a quelque chose qui est une lacune assez énorme, c'est qu’au niveau wallon pour le moment le registre du cancer est en panne. Depuis 1998, on ne suit plus. Et on n'a jamais non plus fait le lien entre le cancer et les conditions environnementales. Donc, par exemple, on n'a pas du tout cette carte qu’ils ont en Flandre... 

JPJA : Où on voit où il y a des zones où les taux de cancers sont plus importants ? 

  • Oui, c'est ça. Et ça devrait exister, non seulement pour le cancer, mais aussi pour d'autres pathologies. Parce qu’on pourrait, alors, peut-être montrer qu'il y a des zones où une vigilance accrue doit s'exercer. Sous la précédente législature, on a mis en place, effectivement, une plate-forme santé-environnement qui devait, effectivement, un peu rassembler toutes les données qui existaient, qui pouvaient expliquer le lien entre les problèmes d'environnement et les problèmes de santé. Ça avance très, très lentement et alors, surtout cette plate-forme était destinée à essayer de traiter l'anxiété des gens, enfin de répondre un peu à l'anxiété et au besoin d'informations des gens qui savent qu'ils habitent près de sites pollués. Que ce soient des sites abandonnés ou que ce soient des pollutions existantes liées à des entreprises importantes. 

JPJA : Oui, on parle de nouveau de 5, 6 sites très fondamentalement pollués: à Ransart, à Limois, du côté de La Louvière, au Roeulx, à Wavre, à Bossu, Dalhem, enfin un certain nombre d'endroits. Il y a eu une grosse polémique entre la RTBF et le ministre Lutgen, le ministre de l'environnement. Fallait-il ou non publier les sites à haut potentiel de pollution, à haut risque de contamination. Quelle est votre optique, vous ? 

  • Moi, je pense qu'on a toujours peur de diffuser l'information. On a peur parce qu'on s'imagine qu'il y aura des vents de panique, que l'entreprise va être mise à mal, etc. C'est vrai que ce n'est pas évident. Mais je pense que ne pas dire ou ne pas informer la population, c'est justement ouvrir la porte à la rumeur et c'est laisser les gens dans un état d'inquiétude qui, enfin quelque part ce n'est pas prendre les gens pour des adultes responsables. Moi, je trouve que l'information, d'ailleurs c'est un droit, c'est reconnu par la convention d’Aarhus, on a droit à l'information sur l'environnement, c'est un droit des gens et la Région Wallonne l'a mis en œuvre dans sa législation. Et puis alors, il faut pouvoir admettre qu’on peut donner des informations dans une situation d'incertitude. 

JPJA : Même si ça peut créer de l'angoisse ? Et l'angoisse, ça peut aussi s’exploiter politiquement? 

  • Mais oui. Mais l'angoisse, elle existe maintenant. Elle existe et dans l'angoisse, dans un large degré d'incertitude, il faut pouvoir rétrécir un peu ce degré d'incertitude. Et puis aussi, il y a des conseils élémentaires de prévention qu'on peut donner aux riverains qui sont proches de ces sites. 

JPJA : Mais quoi par exemple ? A Tarciennes, les gens buvaient l'eau des puits, par exemple, l'eau de la nappe phréatique. Il faut conseiller à tout le monde de n'utiliser que l'eau de distribution ? 

  • C'est-à-dire que je pense qu'autour des sites contaminés, ce qu'il faut faire, c'est un minimum d'analyses de sol. Par exemple, pour que les gens puissent savoir s’ils peuvent manger les légumes de leur potager, s’ils peuvent, effectivement, boire l'eau de leurs puits. Ça, ça ne prend pas énormément de moyens que de faire des analyses de sol et de vérifier que les gens ne boivent pas l'eau des puits. C'est déjà des choses élémentaires. 

JPJA : Et il y a toute la réhabilitation. Le gouvernement wallon annonce maintenant 323 millions d'euros pour réhabiliter les sites. Ça va à quel rythme ? 

  • C'est très lent, c'est très lent. 

JPJA : Dans quel ordre de grandeur pour qu'on comprenne un peu ? 

  • Donc, je vous avais cité le site. Il y a 12.500 hectares à réhabiliter, donc à peu près 6.000 sites. Maintenant, dans ces 6.000 sites et ces 12.500 hectares, il y en a qui sont beaucoup moins prioritaires que d'autres. Et on voit qu'en 2004, on a effectivement moins de 5 hectares réhabilités en matière de décharge et un grand record jamais atteint de 11,5 hectares au niveau des friches industrielles. 

JPJA : Si on voulait être cynique, on pourrait dire que dans 1.000 ans, on aura réhabilité le tout ? 

  • Ce n'est sans doute pas tout à fait extrapolable de cette façon-là, parce que je pense que ce n'est pas uniquement une question de surface, c'est une question de nature de la décontamination. Mais donc, l'important aussi, je pense, c'est se centrer sur les sites prioritaires, de ne pas se disperser. Et là, effectivement, on peut être assez critique vis-à-vis du gouvernement wallon qui d'abord ne met pas en application le décret sol qui a été voté pendant la précédente législature et qui prévoyait un mécanisme assez simple et transparent de mise en œuvre de la décontamination. Il y avait aussi un décret qui prévoyait une taxe pour que les propriétaires soient incités à bouger. Parce qu’on dit toujours que le pouvoir public a de la peine à payer. Mais on oublie peut-être d'aller un peu chercher l'argent là, effectivement, chez le pollueur. Enfin, dans certains cas, il y a encore moyen de faire assumer par les propriétaires. 

JPJA : Par exemple, on cite au Roeulx, c'est un ancien site d'une usine UCB, par exemple, l'Union Chimique Belge ? 

  • Voilà, voilà. Et là, je pense que donc le décret sol tel qu'il était voté en 2004 prévoyait la responsabilisation du propriétaire du site. Pour le moment, on ne le met pas en application ce décret et on change. On veut déjà en faire un autre et le ministre Antoine parle de dépollution visuelle. C'est très dangereux, parce que ça veut dire non seulement on va se disperser sur plus de sites et on va faire une dépollution tout à fait superficielle qui ne va rien garantir justement au niveau des impacts sur la santé. 

JPJA : En même temps, c'est vrai que la Wallonie a besoin de redéploiement économique, a besoin d'espaces. Et là, c'est récupérer peut-être rapidement, des endroits qui ne sont pas des endroits dans la nature, chose que vous chérissez particulièrement, et qui pourraient être remis le plus rapidement possible à disposition des entreprises ? 

  • Les mouvements environnementalistes ne demandent que ça, que ces sites soient effectivement réutilisés. Mais seulement, il faut prendre un certain nombre de précautions. Si on les réutilise et qu'après on se retrouve devant des problèmes de pollutions irréversibles, ça se serait encore plus dangereux. Non, je pense qu'il faut vraiment accorder une priorité aux sites fortement contaminés et travailler là-dessus. Et puis aussi essayer de partager un peu les frais avec les propriétaires. 

JPJA : Mais quelle est la part entre la pollution de ces sites ou de ces décharges, ces friches industrielles, et la part de pollution de l'environnement en général ? Est-ce qu'on sait dire maintenant à quoi, en partie, sont dues toutes les maladies, les allergies, dont on dit qu'elles sont en augmentation ? Est-ce que c'est l'environnement de l'air, l'environnement ambiant ? Ou est-ce que c'est plus particulièrement du à ça ? 

  • Vous savez que c'est multiforme, la pollution est tout à fait multiforme. Et là, effectivement, on parle de 12.500 hectares. Il faut remettre ça à l'échelle de la Wallonie. Et il y a aussi les entreprises existantes qui sont des sources de pollution. Il y a des registres sur les polluants qui ont été publiés par l'Union Européenne qui montrent qu'il y a encore des zones en Wallonie où il y a de fortes émissions de polluants, dangereux pour la santé. Il y a le trafic automobile et puis il y a tout ce qu'on appelle aussi maintenant la pollution intérieure due à notre exposition aux substances chimiques qui sont dans les objets du quotidien. 

Fin du dialogue. Pour plus d'info, Wikipedia mérite un détour car il nous renseigne ce que représentait la pollution avec son sens historique qui fait bien sourire aujourd'hui.  

Ah j'oubliais la conclusion de cet entretien: 

Mais, il ne faut pas pour autant, non plus, arrêter de respirer. 

 

L'enfoiré,

 

 

Citations : 

  • "Terrorisme, missile ou pollution sont des plus gros mots que caca, merde ou prout", Philippe Geluck 
  • "Certains déchets nucléaires produits dans les années 60 resteront dangereux pendant un demi million d'années. Pour ceux qui sont produits maintenant, il faudra compter 30 ans de plus.", Philippe Geluck
 

 

 

Les images ne pouvaient pas sentir la rose  

Les commentaires sont fermés.