20/08/2016
Les Lumières, un héritage en péril ?
Le Hors Série n°92 du magazine "L'Obs" sortait, en mai, la question "Les Lumières, un héritage en péril?". Une occasion de revoir les principes des Lumières, de ce qu'elles étaient et de ce qu'elles sont devenus aujourd'hui en résumant les points principaux.
Les Lumières ne sont pas une simple parenthèse mythifiée de l'histoire. Elles réclament d'y voir un impératif, une "attitude toujours renouvelable".
Ce n'est pas une marque déposée de la civilisation européenne par rapport à un monde voué à s'enliser dans la superstition religieuse.
Voltaire était la figure titulaire des Lumières. Il se posait la question "Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes et qui est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant?".
Rousseau, en vieil ennemi, avait compris qu'aucune société n'est vouée à se maintenir longtemps sans une forme ou une autre de religion".
"L'invention du débat public"
Phénomène historique complexe et global, les Lumières n'ont pas accouché d'une doctrine homogène. Elles ont vu émerger le débat d'idées, dans des espaces nouveaux échappant à l'emprise des autorités traditionnelles. Elles se développent en de nombreuses couches qui s'imbriquent. Elles passent par la culture matérielle, la consommation et les idées immatérielles. Prêchées par Adam Smith, elles devraient avoir des lois en accord avec la morale et l'économie politique et avec la demande éducative par l'esprit critique et l'alphabétisation. Thomas Hobbes et Baruch Spinoza ont opéré le basculement en remettant en cause le respect de l'autorité et des dogmes au nom de la primauté de la raison. René Descartes et Isaac Newton désenchantaient l'univers en penseurs radicaux tout en étant interprété différemment dans différents pays. Entre d'un côté, le matérialisme et athéiste de Denis Diderot et le déiste Voltaire, subsiste un fossé, tout en laissant les idées s'échanger. Les philosophes imaginent ce que l'univers devait être dans un individualisme rationaliste. Nicolas de Condorcet, Jacques Brissot et autres forment la nouvelle génération de penseurs arrivaient en lutte contre la corruption en contredisant l'égalité et la liberté.
Les Lumières avaient aussi de faux amis français qui les réduisaient à un catéchisme laïc par la rationalité.
A la Révolution française, les grands penseurs des Lumières ont tous disparu. La tolérance et ses limites ne peut subsister sans la liberté des individus. La France n'est plus le centre de l'Europe par la seule utilisation de sa langue. D'autres philosophes comme Kant, Spinoza, Smith dialoguent avec les encyclopédistes français pour créer des courants de pensée singuliers pour chercher les limites où l'art et les sciences resteront bénéfiques.
En Allemagne, le passeur des Lumières se nomme Johann Herder : son œuvre s'interprète comme une réponse à Voltaire et à Rousseau, animée par la volonté de se démarquer de leur vision universaliste des sociétés humaine avec une définition "peuple". L'accent est mis sur la pluralité des langues et des cultures en gage d'authenticité. Martin Luther devient un héros fondateur d'une germanité rebelle à l'oppression exercée par les peuples latins.
Rebelle, Friedrich Nietzsche tente de se débarrasser des naïvetés de l'Aufklarüng qui enjolive l'homme en renonçant à s'opposer à l'esprit de toutes formes nouvelles de la tyrannie.
Originalités anglo-écossaises
Depuis plusieurs décennies, des historiens anglais ont remis en cause la pertinence de la notion habituelle de Lumières appliquée à l'Angleterre. À moins de mettre Enlightenment au pluriel et sans majuscule.
Bernard Mandeville réhabilite les passions avec La "Fable des abeilles". John Locke s'oppose à Descartes en examinant par degrés ce que nous voulons connaître en consultant la conscience de la pensée. La naissance d'une société de consommation émerge. Adam Smith enseigne la logique et la philosophie morale à la recherche des causes de la richesse des nations en introduisant la "main invisible" et l'autorégulation indépendamment du progrès politique.
Les "frères" entre ombres et Lumières
L'essor fulgurant de la franc-maçonnerie accompagne et amplifie les élans du siècle des Lumières. Si elle s'affiche cosmopolite et philanthropique, elle n'est pas pour autant révolutionnaire. La philosophie de la Grande Loge de Londres prend de la latitude avec les dogmes. Son cosmopolitisme se pratique entre amis choisis comme pairs et frères dans une chaîne d'union chrétienne et une société de scientifiques, amants de la lumière mais libres de préjugés. Au 18ème siècles, les loges maçonniques et les élites intellectuelles s'échangent les idées critiques rationnelles avec une volonté réformatrice mais dans un monde où la femme, les domestiques ou les Noirs ne sont pas admis.
Sont-ils responsables pour autant de toutes les tragédies du XXème siècle?
Non, ni Voltaire ni Rousseau.
Reprendre en main ce qui a paru appartenir à Dieu, est un mouvement séculaire dont le fond est le désenchantement du monde, émancipé de la tradition et glorieuse de son autonomie.
La philosophie de la raison et ses ennemis
Emmanuel Kant voulait sortir l'homme de l'état de minorité avec le courage d'utiliser la raison.
Pour Michel Foucault, les Lumières en sont qu'une attitude de modernité.
Tandis que Michaël Foessel accuse la foi aveugle dans le progrès et remarque la naïveté exaspérante de l'enfance que représente les Lumières comme d'un soldat près à lutter contre les obscurantismes, mais qui échappe au reproche de candeur inconsciente. Pour lui, on juge un mouvement intellectuel et politique non sur ses résultats, mais sur son origine.
La raison ne suffit plus.
D'après Jean-Luc Nancy, depuis le XIXème siècle, les grands penseurs sont des anti-Lumières. La crise contemporaine du rationalisme impose de penser autrement, sans avoir peur de se confronter à l'infini et à tout ce qui échappe à la 'raison suffisante'.
A l'époque des Lumières, un philosophie était une sorte d'honnête homme, curieux de tout. Aujourd'hui, il est devenu plus spécialisé, plus métaphysicien, très proche des artistes et des savants et il s'impose comme le mode de pensée dominant en drainant le passé.
Le premier anti-Lumière, c'est Rousseau qui démontre que la raison ne suffit plus à cause de la sensibilité qui lui échappe et qui ne s'explique pas rationnellement.
Les Lumières portent en germe leur instabilité dans l'invention du bonheur.
Etat de droit, droits de l'homme, principe de précaution ne portent pas à un esprit utopique.
Georg Hegel pointe le fait que les Lumières ignorent la vie, la vitalité entre nature et technique. On parle souvent d'ontologie qui étudie les comportements par ses modalités et ses propriétés.
Le monde bourgeois et capitaliste est un produit des Lumières tout en perdant un part de tangible éloigné de la vie de tous les jours du citoyen lambda.
L'idée du futur nécessairement meilleur que son présent est moribond. L'esprit de la démocratie n'est plus considéré comme un progrès humain et se convertit dans un nouveau acronyme "démocrature" en cherchant le moindre mal comme plancher.
La cosmologie relativiste est quantique avec une idée de "multivers".
Le XVIIIe siècle était-il l'âge d'or des sciences?
Les historiens nuancent aujourd'hui ce tableau idyllique. Les savants des Lumières ont pu douter de la toute-puissance de la science, et craindre ses dérives. Les projets mobilisateurs se retrouvent dans des mots égalité, liberté, tolérance, énergie, civilisation... dans un laboratoire de la réflexion sur les sciences en démocratie.
Si chère aux penseurs du XVIIIe siècle, fille des Révolutions française et américaine, la liberté d'expression fait aujourd'hui l'objet d'innombrables attaques, notamment de la part de lobbies qui prétendent défendre l'intérêt général.
Défendre la liberté d'expression, le pluralisme des opinions d'accord, quand ce ne sont pas des cache-sexes de l'extrême droite pu des intégrismes religieux pour limiter la pente dangereuse qui contrarie l'acquis des Lumières.
Né au XIXe siècle en Egypte, avant de se répandre au Proche-Orient et en Afrique du Nord, le large mouvement de pensée Nahda n'est pas une simple imitation des Lumières européennes mais une adaptation aux idées libérales du monde musulman.
Napoléon, quand il est entré en Egypte, à créé un choc spirituel par sa modernité. Mehmet Ali fut celui qui a voulu introduire cette modernité en Egypte qui était sous la tutelle de l’Empire Ottoman déclinant. Le colonialisme des occidentaux à fait reculé les réformateurs égyptiens comme Tahtawi.
Mohamed Abdou, un mufti franc-maçon, a persévéré dans ce sens avec la pensée critique orientale. C’était donc loin du conservatisme religieux, du dogmatisme, de la corruption morale et intellectuelle des autorités religieuses qui revivent aujourd’hui sous forme d’État de Daech que l'on connait aujourd'hui.
L'intellectuel syrien al-Kawâkibî propose une réforme libérale de l'islam, préconisant notamment la séparation des pouvoirs politique et religieux .
Pratiquer sa religion avec discrétion...
Après les attaques contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, le Traité sur la tolérance est devenu un best-seller, écoulé à 185000 exemplaires en France en 2015.
Or Voltaire est loin d'y tendre la main aux juifs, aux jésuites et surtout aux athées...
Pour être penseur, on n'en est pas moins homme, qui plus est de son temps: en 1751, selon l'Encyclopédie, la femme est « la femelle de l'homme »; lui, être de chair et de raison, se confond avec l'espèce humain...
C'est au XVIIIe siècle que les Européens découvrent la croissance moderne, qui mènera à la société industrielle. Un aboutissement aux antipodes des idéaux des Lumières, dans lesquels, selon l'économiste, il faut puiser pour poser de nouvelles bases.
La foi absolue dans le progrès technique, vu comme un mouvement irrépressible et nécessairement vertueux, trahit en partie le discours des Lumières.
En déconnectant technique et morale, l'homme moderne, dégradateur de la nature, remet en causes le progrès social et humain....
Le progrès est-il une idée dépassée dont on a peur?
Si le progrès semble avoir disparu des radars, sous l'influence de courants de pensée opposés, on ne peut désespérer de l'avenir, qui reste seulement indéchiffrable.
Repenser les Lumières
Les historiens ont largement renouvelé leur vision du XVIIIe siècle au cours des dernières décennies.
Loin du simple mouvement intellectuel initié par quelques philosophes français, les Lumières apparaissent comme un phénomène global et complexe à l'aube de la modernité.
Sous l'effet de la décolonisation, des crises économiques, de la globalisation, des défis écologiques, l'adhésion spontanée à ses valeurs s'est affaiblie.
Le progrès et les réactions au progrès, ont mis en évidence les contradictions. Son mot clé "public" devient une nouvelle autorité sans pouvoir la mesurer ni la définir.
Une série de questions irrésolues de jusqu'où le progrès des arts, des sciences est bénéfique ou abusivement europeocentriques par la justification du commerce et d'une mission civilisatrice.
Repenser le cosmopolitisme
Dans le livre "Europe, crise et fin?", le philosophe, Etienne Balibar, réfléchit aux moyens de sortir l'idée européenne de l'ornière où elle se trouve aujourd'hui.
Selon lui, cela passe par une 'démocratisation radicale' et par une vision nouvelle de l'universalisme supranational.
Les crises des dettes souveraines et des migrants ont créé un retour aux nationalismes, condamnant de fait, les Lumières à ne rester qu'un vœux pieux.
Le cosmopolitisme doit pouvoir se repenser par la garantie d'une égale liberté entre individus, par des droits et des devoirs réciproques, sans discrimination dont l'idée s'esquisse dès maintenant dans l'urgence et la douleur.
"Aujourd'hui, il faut combattre pour les Lumières sans être victime de leur illusions", écrivait Georges Benrekassa.
Une bonne conclusion serait donc de réadapter ces Lumières, aux conjonctures sans les reproduire telles quelles pour obtenir un meilleur futur.
Le futur, c'est justement le sujet de la semaine prochaine...
Eriofne,
Citations:
- “Que la lumière soif... Et la lumière but.”,André Beucler
- “Plus claire la lumière, plus sombre l'obscurité... Il est impossible d'apprécier correctement la lumière sans connaître les ténèbres.”, Jean-Paul Sartre
- “Que serait la lumière sans les êtres qui la perçoivent ?”,Philippe Montillier
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Cinq siècles après la Réforme, les idées de Luther peuvent-elles encore inspirer le monde contemporain ? Premier volet : En dégageant l’individu de la stricte soumission aux lois de Dieu et de l’Église, la Réforme et la Renaissance façonnent l’homme moderne, quand les grandes découvertes et l’essor des sciences libèrent la pensée.
En dégageant l’individu de la stricte soumission aux lois de Dieu et de l’Église, la Réforme et la Renaissance façonnent l’homme moderne, quand les grandes découvertes et l’essor des sciences libèrent la pensée. Comment, aujourd’hui, des figures comme Martin Luther, Gutenberg ou Léonard de Vinci résonnent-elles dans les expériences et les engagements de femmes et d’hommes nés dans les années 1980-1990, et confrontés à la mondialisation et au virtuel ? L’humanisme et le sens des responsabilités défendus par la Réforme semblent de fait encore imprimer la réflexion sur la révolution numérique, à travers celles et ceux qui veulent influer sur les mutations en cours plutôt que de les subir. Parmi eux, Regina et son mari, qui sillonnent la Méditerranée en bateau afin de recueillir des réfugiés, ou encore Carolina, qui milite pour une Église rebelle, favorisant le dialogue entre différentes confessions.
Héritage
Entre 1516 et 1517, Luther rédige quatre-vingt-quinze thèses, fondements de la Réforme, qui fustigent l’Église catholique et dessinent les contours de la modernité. En quoi sa vision du monde peut-elle encore résonner aujourd’hui ? Croisant les figures de penseurs, savants, réformateurs et artistes des siècles passés avec celles de protagonistes de la génération Y – scientifiques, entrepreneurs ou militants –, cette série réexamine l’héritage du moine allemand.
Le saut dans la liberté
http://www.arte.tv/guide/fr/050784-001-A/le-monde-selon-luther-1-6
La recherche de la vérité
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Sur le chemin vers l'égalité
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Le rêve d'équité
http://www.arte.tv/guide/fr/050784-004-A/le-monde-selon-luther-4-6
Le pouvoir de la responsabilité
http://www.arte.tv/guide/fr/050784-005-A/le-monde-selon-luther-5-6
La foi en l'avenir
http://www.arte.tv/guide/fr/050784-006-A/le-monde-selon-luther-6-6
Écrit par : L'enfoiré | 27/11/2016
Le Traité de l'Europe à 60 ans
De l'Antiquité grecque à l'UE des Vingt-Huit, dix épisodes pour réviser les grandes étapes de l'histoire européenne. Dans ce volet : avec l’avènement de Louis XIV, la France domine l’Europe du XVIIe siècle. Le Roi-Soleil darde ses rayons sur tout le continent, faisant de nombreux envieux parmi les souverains des pays voisins.
Étape essentielle de la construction européenne, le traité de Rome a été signé il y a soixante ans, le 25 mars 1957. Dans le cadre d'une programmation spéciale consacrée à cet anniversaire, cette série documentaire en dix épisodes retrace les grandes étapes qui ont forgé l'Europe que nous connaissons aujourd'hui. Une traversée teintée d'humour, d'esprit critique et d'émotion, grâce notamment aux apartés irrévérencieux offerts par deux comédiennes, l'une allemande, l'autre française, Annette Frier et Antonia de Rendinger.
Avec l’avènement de Louis XIV, la France domine l’Europe du XVIIe siècle. Le Roi-Soleil darde ses rayons sur tout le continent, faisant de nombreux envieux parmi les souverains des pays voisins. L’Europe connaît un boom architectural historique, avec l’édification d’innombrables châteaux – jusqu'à la Russie de Pierre le Grand, qui bâtit ex nihilo sa grandiose capitale, Saint-Pétersbourg. La riche Hollande connaîtra elle aussi son heure de gloire. Mais cet essor du continent européen s’appuie pour partie sur la traite négrière.
http://www.arte.tv/guide/fr/062161-006-A/notre-europe-quelle-histoire-6-10
Écrit par : L'enfoiré | 19/03/2017
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