05/05/2020
Virus blues (1) : "Le muguet masqué"
- Bonjour. "Virus blues", un titre tout à fait dans la note de l'actualité.
- (Sourire) En effet. La semaine dernière, j'expliquais ma procédure pour écrire un eBook. Un roman reste une fiction mais s'ancre à une actualité. Dès que j'avais publié ce billet, je me suis lancé dans l'imagination de quelques idées du style des "Microfictions". Fin 2019, nous sommes sortis d'une période de relative sérénité globale dans le domaine de la santé pour tourner une page vers un nouveau monde de fragilité, impacté par ce coronavirus qui à partir de Chine, s'est mis à voyager pendant des milliers de kilomètres. Depuis, le monde a changé du tout au tout. Au passage, je vous rappelle le billet "Fricassée de virus".
- Une actualité comme celle-ci, c'est aussi une manière de marquer les souvenirs.
- Oui, mais j'ai imaginé une histoire parallèle à ces instants stratégiques pour quelqu'un qui en tirerait un profit personnel inattendu. Qui, d'après-vous, aurait un avantage à se retrouver masqué?
- Celui ou celle qui a quelque chose à cacher. Non?
- En effet. A cacher de manière psychologique, philosophique et c'est ce que je me propose de vous raconter.
Le muguet masqué
Les chiffres ont toujours été la seule passion de Bertrand.
Débit, crédit, balance des comptes transitent par ses neurones et ses synapses.
Aujourd'hui, il a cinquante piges.
Bien avant le confinement actuel, il travaille chez lui sans aller au bureau. Tous ses collègues le considèrent pour ses points positifs de solidarité, tout en étant un peu moins sociable.
La raison est que Bertrand a un énorme complexe dû à son physique.
Il a un petit quelque chose dans la figure que les gens n'aiment pas voir et qu'il aimerait cacher. Ce n'est pas comme Cyrano de Bergerac qui pourrait lancer une tirade en réplique à son nez, puisque on ne le lui fait pas remarquer explicitement. De toutes manières, la verve et le verbe caustique, il ne pourrait pas l'exercer par la rigueur de ses chiffres dont il a fait sa spécialité.
C'est donc plus insidieux que ça.
Dès qu'on le voit, les gens se détournent de lui par petits groupes pour en rire ensembles.
Alors, cette vie de confiné récente lui va à merveille.
Bertrand est quelqu'un de bien, une "bonne" personne comme on dit, mais il n'est pas vraiment une "belle" personne.
Son meilleur ami, c'est son chien. Les caresses qu'il lui prodigue dans un moment de partage et de joie dure facilement cinq minutes avant de passer à autre chose.
Sa seule véritable amie, sa mère.
Il est toujours attentionné et inquiet avec elle et elle le lui rend bien en partageant son histoire.
Sa mère avait été coiffeuse dans les temps anciens et son père comptable comme lui. Une sorte de passage de gènes, de virus de l'amour des chiffres.
Il y a 30 ans, encore aux études, Bertrand faisait partie d'une famille heureuse et très unie.
Ils s'adorent. Tout allait parfaitement bien dans ce trio et tout leur réussissait.
Bertrand, adolescent, suivait ses cours avec succès et rêvait d'un avenir dans une petite entreprise qu'il dirigerait.
A trois, ils partaient en vacances tous les ans pendant le mois de juillet dans une maison de campagne en Espagne qu'ils avaient achetée comme deuxième résidence.
Et bien, c'est justement lors d'un de ces voyages en Espagne, que tout a basculé dans leurs vies.
Une terrible embardée à la sortie d'une autoroute a cassées leurs vies.
La voiture a fait plusieurs tonneaux avant de se retrouver dans un ravin. Les pompiers ont dû se demander comment ils pouvaient les désencastrer.
Le père, empalé sur le volant, mort sur le coup.
La mère, grièvement blessée, s'est remise avec une claudication après plus d'un mois dans un hôpital français et une rééducation en Belgique.
Plus tout à fait la même, son caractère s'était aigri mais elle n'en laissait rien paraître seulement à Bertrand.
Globalement, celui-ci n'avait pas beaucoup de séquelles sur le corps, si cela n'avait pas été une des vitres arrières de la voiture qui lui avait entamé le visage quand il a été éjecté de la voiture.
Plusieurs opérations de chirurgie esthétique n'ont pas pu restaurer sa gueule cassée. Le résultat des opérations était parfois pire que la situation précédente. On pense tout doucement à l'imprimante 3D, pour son bec de lièvre, sa joue qui avait changé d'aspect, sa peau rafistolée mais pas pour sa voix hésitante qui déformait, par les efforts, ses traits du bas du visage.
Engagé dans une PME, dès qu'Internet le lui avait permis, il était rarement présent dans son petit bureau qu'on lui avait réservé pour remplacer un ancien rond de cuir à la retraite.
Le télétravail était devenu sa manière d'éviter les contacts humains avec certains collègues dont la moindre allusion à son infirmité ravivait son complexe indélébile.
Du côté sentimental avec les femmes, c'est le néant absolu.
Il s'était inscrit dans une agence matrimoniale souvent sur Internet.
Il a reçu des offres, mais dès qu'une rencontre était proposée, cela ratait à chaque fois.
- Pourquoi tu ne te maries pas pour me permettre de devenir grand-mère?, lui lance sa mère à intervalles réguliers.
- Je suis devenu comme ton rôti résigné, répond-il en regardant le rôti qu'il vient de manger chez elle.
Les années finissent toujours par grignoter l'amour et les envies.
Il en avait fait son deuil de vivre seul en vieux garçon jusqu'au bout dans des tranches de vie dont il ne reste plus que les pépins dans le miroir du temps perdu avec une vie bonne à jeter.
Dès que le masque avait été conseillé pour se protéger contre l'épidémie de ce virus inconnu, il s'est senti renaître. Désormais, il en porte quasiment en permanence. Le masque est une bénédiction et une aubaine qui lui permet d'occulter son complexe en restant incognito. Il collectionne ces masques et en choisit un par jour en fonction de son humeur.
Il a même changé de magasins habituels pour être sûr qu'on ne le reconnaisse plus dans la vie sans masque. Il sait qu'il est peut-être sur une liste noire de personnes à virer pour cause de "manque d'esprit d'équipe" à cause de la solitude qu'il s'est imposé.
Ce 1er mai, Bertrand marche seul dans son quartier déserté avec un masque qui porte un dessin de muguets en son centre. Il pensait acheter des muguets pour sa mère, mais tous les fleuristes sont fermés et les marchands ambulants ont peur des amendes salées octroyées s'ils dérogeaient à la consigne de confinement.
Sur la vitrine d'un fleuriste, une affiche dit qu'ils sont prêts à livrer des fleurs à domicile pour la fête des mères, mais rien ne mentionne le cas du 1er mai.
Ce qu'il ne supporte plus d'entendre, ce sont les discours qui disent que "à cause du Covid-19, tout va changer". Pour lui tout avait changé en mal depuis tellement d'années et peut-être, en bien, tout récemment à cause de ce virus.
Le soir, comme d'habitude, il écrit bien plus qu'il n'a jamais parlé à personne.
Sur Internet, il a changé de personnalité et personne ne pourrait faire le rapprochement entre le Docteur Jekyl que l'on connaît et le Mister Hide qu'il devient au moment où il prend le pseudonyme "Oiseau sans tête".
Il sourit en pensant qu'il faudra revoir les logiciels de reconnaissance faciale par la reconnaissance de l'iris des yeux.
La révélation de sa transformation mentale, il l'introduira peut-être un jour dans une bouteille à la mer à titre posthume si la vie lui laisse le temps.
Le 1er mai est aussi la journée de travail ou plutôt de la grève de travail.
Les journées de premiers discours politiques virtuels lui ont fait vraiment rire à décoinçant sa mâchoire.
(cliquez sur l'image ci-dessus pour le son et le texte)
Fin de la microfiction.
Il est clair que je ne m'appelle pas Bertrand mais cela m'avait semblé intéressant de raconter cette histoire parallèle à la peur de ce virus dont on ne finit pas de parler tous les jours
Je préfère le cactus du jour,
Le travail, le mot de la semaine de Bernard.
Je le remercie pour avoir agrémenté ce billet qu'il ne l'était pas à première vue dans cette microfiction mais qui avait un autre but solidaire.
Allusion
7/5/2020: France3 présente le film "Wonder", adaptation du roman éponyme de R. J. Palacio (2012)
« Auggie » est un garçon né avec une malformation faciale appelée le syndrome de Treacher Collins qui l'a empêché jusqu'à présent d'aller normalement à l'école du fait des nombreuses opérations chirurgicales qu'il a subies pendant son enfance. Enfant intelligent et passionné par les sciences, il se prépare à intégrer sa première année de middle school dans une école privée de son quartier. Avec l'aide de ses parents et de sa sœur, il doit surmonter moqueries, mises à l'écart et méchancetés d'autres élèves, mais réussira à se faire accepter...
17/5/2020: Le mot de la semaine de Bernard sur Europe1: "masque"
Publié dans Actualité, Fiction, Livres, Parodie et humour | Lien permanent | Commentaires (2) | Imprimer
Commentaires
la tendance à la baisse des nouvelles hospitalisations semble s’être arrêtée
https://www.lavenir.net/cnt/dmf20200510_01473621/coronavirus-la-tendance-a-la-baisse-des-nouvelles-hospitalisations-semble-s-etre-arretee/?utm_source=lavenir&utm_medium=newsletter&utm_campaign=flash&utm_content=general-news&M_BT=46623438105
Écrit par : L'enfoiré | 10/05/2020
Répondre à ce commentaireOn l’enlève quand, ce masque ?
Macron l’a presque dit, mais j’extrapole : Croix de bois croix de fer, si je meurs j’irai en enfer ; un jour peut-être, mon conseil scientifik examinera la possibilité cosmique que les masques ridicules qui vous ont fait perdre la face cessent de polluer nos égouts zékolos, ainsi que notre RF sans arts ni culture dont il importe d’éradiquer l’esprit résiduel et nettoyer les courageux survivants…
Suite:
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/on-l-enleve-quand-ce-masque-232832
Écrit par : Allusion | 06/05/2021
Répondre à ce commentaireÉcrire un commentaire