23/04/2009
Sucer mais pas avaler (1)
Le 15 avril, je lisais un article du journal l'Echo qui annonçait les élections en Inde pour le lendemain. Le titre était "L'instabilité politique menace l'Inde". Voici, les tenants et aboutissants de l'affaire, extrapolés ensuite à la mode de chez nous.
J'ai déjà eu l'occasion de vous parler de l'Inde d'aujourd'hui sous les notes d'une "Symphonie indienne". Nous voici dans des temps plus difficile. Entre 2004 et 2008, la croissance moyenne s'élevait à 9%. Le top de toutes les démocraties. Depuis fin 2008, ce pourcentage tombait à 7% à cause de la crise. Pas mal, quand on sait que les autres, à part la Chine, comptent en négatif.
Deux partis "colosses" se présentent aux élections du 16 avril pour les élections démocratiques très "british" à cause de son passé historique. Mais, une myriade de petits partis fait un troisième "larron" assez communiste et régional et inquiète. Plébisciter par le scrutin devient plus aléatoire que de normal. Plus d'un millier de partis régionaux avec la caste des "intouchables" rendent le résultat instable avec des risques dignes du jackpot. Un système de quotas pour cadenasser trop de zèle. La crise a aussi touché ce continent et dix millions d'emplois assignés au domaine de l'exportation sont passés à la trappe. Chacun des candidats plus populiste que l'autre s'apprête à "améliorer le sort des masses", avec des "vertus sociales" dont ils ont le secret, tout en sachant qu'il devra rivaliser avec de futurs alliés très capricieux sans même avoir les résultats du vote. L'Inde, un véritable continent. Rien que l'Uttar Pradesh, avec ses 9% de la population globale, double la population de l'Allemagne.
Tous les principes pour attirer les électeurs sont bons. De la discrimination positive, la population n'en connaît pas trop la signification de ces mots mais vont devoir choisir en fonction d'éléments très spécifique à chacune des "conditions humaines" qui sont très embourbés en castes si pas castrées. Il faudra y aller de l'opportunisme au populisme de bon ou de mauvais aloi. Ce qui est proposé est d'ailleurs sujet à beaucoup de réflexions aux yeux des occidentaux avec ses besoins très différents et spécifiques.
Les problèmes sont nombreux même pour les bras de Shiva. Cela commençait très mal d'ailleurs. Un relent de terrorisme, le souvenir des attentats de Bombay que l'on temporise et des tendances séparatistes font partie de ce pays immense. Partage entre Sikhs, Tamouls, problèmes communautaires et religieux, tendus entre hindous, musulmans et chrétien. Un développement rural qui s'est perdu dans le choix de la "révolution verte" qui a mené les paysans au suicide, la corruption, crimes gratuits et statut des femmes toujours en suspens, le Pakistan, voisin difficile, avec l'éternel Cachemire comme pomme de discorde. L'Inde est en fait plus représentative en parlant des Indes. Cela fait du monde à toucher par la "bonne parole".
Le Parti du Congrès imagine s'attirer les pauvres en leur faisant miroiter l'accès à 25 kg de riz ou de blé par mois comptabilisés à 3 roupies le kg. Les électeurs, au niveau de la ruralité, l'annulation des charges des emprunts agraires. Pour les entreprises et la classe moyenne, des responsabilités fiscales pour s'opposer aux privatisations.
Le Parti BJP, lui, propose aux les pauvres 35 kg de blé ou de riz par mois à 2 roupies le kg, l'annulation des dettes des fermiers et l'exonération des impôts pour les classes moyennes. Du côté des infrastructures, il voudrait augmenter les investissements massifs dans l'énergie électrique, mais interdire les investissements étrangers dans la distribution et les technologies de l'information.
Le patronat préfère, d'après les sondages, préfère le BJP mais soutient le parti du Congrès en préconisant de "voter pour la continuité" à 68% de cet électorat. Veiller à conserver l'image de marque de l'Inde oblige.
La crainte pour les affaires avec l'étranger de l'"hindouisation" autoritaire de la société est bien présente.
Si le budget des élections n'est pas comparable avec celui des États-Unis, il n'en est pas moins vrai que la démesure dépasse tous les shows médiatiques. Le dépouillement aura lieu le 16 mai. Élection à la majorité à un tour, la coalition n'en sera pas plus facilitée et les risques de dérapage monopolisaient déjà les plans des polices locales.
Première réaction: Qui est considéré comme pauvre ou riche? Quels sont les critères? Qui sera catégorisé au milieu dans la classe moyenne? Les frontières sont floues et subjectives avec des sauts d'élastiques qui ferait pâlir de stupeur l'occidental par les ambitions indiennes au raz des pâquerettes. Le bengi du pouvoir d'achat de l'Indien est manifestement plus court et fluctue à plus petites vitesses dans un temps et un espace bien plus étroit. Le big bang de Bangalore, la vitrine de la réussite technologique et les frasques féeriques de Bollywood opposées à la jungle du Bihar. Le film aux 8 oscars « Slumdog millionaire » n'est qu'une représentation de cette différence.
Mais, passons à un autre continent. Plus précisément en Afrique du Sud. Coïncidence, le championnat Indian Premier League de cricket s'y jouait le 18 avril. Ce sport-business, opium et religion du peuple brassait des centaines de millions de dollars pour s'expatrier, pour fuir le terrorisme et les élections. Tout transposer à 9.000 kilomètres et pas de problèmes financiers. Bizarre comme une délocalisation avec des frais gigantesques arrange plus que ne soigne. Etre vu par ses fans d'un sport pratiqué de toutes pièces et qui se retrouve uniquement à la télé. Renoncer aurait été encore plus couteux. Les affaires délocalisées, offshorisées, passe encore, mais le sport !
Le 22 avril, c'est au tour de l'Afrique du Sud de passer au vote après la démission du Président Thabo Mbeki, trop technocrate ou distant. La pauvreté pendant son mandat a pourtant régressé très fort avec des aides sociales, une transformation urbaine. On est loin de l'euphorie à l'époque de Mandela avec l'abolition de l'Apartheid en toile de fond. Cette fois, on reconnait la corruption et l'incompétence qui planent au dessus des têtes, les pronostiques restent clairs, l'ANC se verra dégringoler de 64% à 60% d'après les extrapolations et les tendances. Un nouveau statu quo? Les "mauvaises langues" disent même que l'enjeu des élections pour son challenger se chercherait chez lui à garder une chance de garder son immunité dans une lutte de pouvoir sans merci. Zoulou, plus populaire, plus charmeur mais inculpé par deux fois, pour une affaire de viol et une autre de corruption avec acquittement et non lieu. Quels seront les sucres d'orge qui seront distribués? Seront-ils sous forme de riz en grains distribués par ses quatre femmes et dix sept enfants? Deux philosophies de gestion complètement différentes: l'une charismatique et distante, l'autre populaire. Un kilo de plumes contre un kilo de plomb? Cela fait toujours débat et inquiète l'étranger sur les intentions intimes de l'élu du coeur.
Comme partout, quand il faut voter, il faut se rappeler du lien étroit entre prix et performance et surveiller de très près les programmes. Promettre c'est bien, arriver à ses fins, c'est encore mieux. Les différentiels ne se retrouvent pas uniquement dans le roulement des mécaniques. Ajuster, personnaliser le citoyen est souvent bien plus ardu que prévu.
Et si on partait à l'Occident, toute. Nous y sommes bientôt à nos élections de juin.
La France virera-t-elle toujours à tribord pour réformer à la méthode révolutionnaire?
On en arrivait même à regretter Chirac. Des gaffes sont du parcours.
Les États-Unis se sont données un Président, disons, "original". Il s'attaque à la politique par l'autre bout. Il doit se protéger contre les racismes et les extrémismes. Il laisse publier le mode d'emploi de son prédécesseur.
Il ferme Guantanamo. Il a eu l'idée d'augmenter les taxes des riches pour en retrouver mille dollars dans les poches des classes moyennes.
La Belgique ne compte pas vraiment de révolutions dans ses votes. Quelques arbitres "huilent" les résultats en alliances opportunes. Une évolution par tassements, par remontées, oui, que le CRISP explique, sans beaucoup de surprises, après coup. Une ressemblance fictive avec l'Inde, les problèmes communautaires, on connaît. Les surprises ne confirment que les règles de la simple conformité. Il y a des percées pour précéder ou accompagner des résultats lissés par le vote à la proportionnelle. Air du temps, le Parti Ecolo pourrait rapporté quelques voix de contras, serait prédit. Sucer les sucettes à l'anis en vert, en orange, en bleu ou en rouge, du moment que cela reste toujours "acidulé".
Un profond malaise ou désaccord se creuse entre la démocratie et le citoyen. Le vote en Belgique est obligatoire, mais, pour 35% des électeurs, les Belges se disent non intéressés par le vote. Mal parti pour les partis.
Ce 15 avril, revenait la délégation des Parlementaires d'une mission en Californie pour les uns, d'un voyage touristique pour les autres. Tollé qui a fait les manchettes, si pas les manches entières des quotidiens. Deux députés étaient invités pour en parler franchement sur notre antenne radio. Les commentaires allaient bon train en période de crise et de fins de législature. La mission parlementaire sortait par la petite porte dans le même temps. Sucer était-il nécessaire quand il n'y avait plus rien à avaler? Mais,on assume.
"Chez ces gens là, Monsieur, on ne s'en va pas..." chanterait, encore une fois, Jacques Brel.
Alors, on lèche et on compte les points.
Alors, si on imaginait les partis qui réagiraient en équivalent occidental à la sauce indienne ou sud africaine?
Le citoyen est-il tellement différent? Georges Frêche qui disait « J'ai toujours été élu par une majorité de cons » semble dire le contraire et se conformer aux gagnants pour être dans le coup.
Chez nous, en Belgique, ce n'est pas deux partis mais quatre partis traditionnels principaux dans toutes les directions, qui sont multipliés en nombre par des communautés linguistiques, mais, qui sous les mêmes couleurs, ne se confondent pas. Imaginons. Rêvons.
Dans cet exercice de fiction, le pauvre se verrait attribué des "bons pour" par mois, avec quelques dizaine d'œufs au lard, des kilos de patates puisque, comme disait J.P. Coffe, on fait de bons gâteaux pas chers avec elles, quelques boîtes de pâtes fraiches pour varier les menus, des services d'aides pour les jours de déprime, une peu de matériel de cuisine pour se rappeler qu'on est au 21ème siècle.
Le rural, une machine à traire, une motivation pour pouvoir cultiver ses champs et produire la nourriture du premier.
La classe moyenne s'amuserait avec l'ordinateur de bonne facture offert généreusement pour suivre les résultats des ... élections, accompagné du GSM pour garder le contact avec les copains, quelques litres de pétrole pour assurer le changement de la petite auto devenue trop grinçante par endroit et pour conserver quelques vacances au soleil, une promesse de sécurité d'emploi et de bonne santé, de travail, sans excès. Qui oserait obtenir un droit à la reconnaissance de ses chefs et cela de la "cave au grenier" en suivant l'échelle sociale de son entreprise?
La catégorie "nantie", elle, pour finir, se verrait octroyer, par mois, quelques dîners avec madame, souvent oubliée, un voyage aux Bermudes pour garer quelques rentrées, un droit de penser à autre chose. Aura-t-il prévu une visite de son personnel pour se rendre compte de visu sur site? Pensera-t-il à son droit de passer du trop plein au seulement bien rempli, sans excès non plus, en lâchant la bride et laissant un peu fuir la soupape de sécurité avec des parachutes plus souples, en feuilles d'or mais plus en lingots, décidément trop lourds?
Un avant-projet de loi qui s'y intéresse? Il y aura une révolution pour le monde bancaire et financier. Oui, mais, n'est-ce pas au niveau en dessous de la ceinture? Tout le "corps" des entreprises, tous les pays devraient se concerter pour éradiquer les excès du phénomène qui s'est immiscé dans les habitudes.
Un rêve? Est-ce la classe moyenne en cause ou pas plutôt son extension qui n'a pas été à la mesure de la tâche pour être encore plus « moyenne »? Il est vrai que le fossé entre riches et pauvres s'est creusé de façon abyssale: les uns croulent sous le travail et les autres n'en trouvent pas.
Mai 68 est mort. L'année passée on fêtait son 40ème anniversaire. Je tentais une comparaison d'époque comme si c'était des révolutions en parallèles?
La réalité, elle, se contente de chiffrer tout cela. On parlait d'index de crise, de récompense à la performance. En 2008, en Belgique, on lisait que les salaires avaient augmenté, curieusement, de 6,1%, hors index, à un 2,3%. Qui s'en souvient? Certains prix se sont tassés. D'autres ont continué à prendre du gallon. Perdre son emploi reste la hantise. Les horaires largement dépassés et la flexibilité tout azimut étaient demandés comme "la" vache à lait d'une vie concurrentielle en entreprise pour rester "breack-even" avec les voisins. Ils nous em... ces voisins. Les desiderata des travailleurs de 30 à 45 ans étaient pourtant complètement différents de ceux qui devaient tenir le cap ensuite jusqu'à 60 ou 65 ans, espérant l'âge d'une retraite sans "trou d'air". Il n'était toujours nulle question d'instaurer une vie démocratique dans les murs de l'entreprise. On a oublié que le patron avait ses raisons que la raison a du mal à toujours comprendre. Les informations, elles, ne circulaient que, souvent, filtrées à la limite de la bienséance.
Tout le monde se sentait coincé quelque part et se regardait en chien de faïence en espérant que la faïence change de main. Après les crises du pouvoir d'achat, des banques, de la finance, voilà celle de la politique.
Je n'irai pas chercher le bon mot de la fin de Madame "on ne vous dit pas tout" même sans le verre à la main de radio bistrot. Gardons l'humour.
La politique est, il est vrai, un sacré problème qui avale le politicien tout en suçant l'électeur.
Cela n'est pas différent de l'Inde, mais cela se ressent différemment.
L'enfoiré,
Chez Agoravox, on suce ou on avale?
Citations:
-
"En démocratie, la politique est l'art de supprimer les mécontentements.", Louis Latzarus
-
"La politique est plus dangereuse que la guerre... A la guerre, vous ne pouvez être tué qu'une seule fois. En politique, plusieurs fois.", Winston Churchill
Publié dans Actualité, Asie, Inclassable & People, Politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Imprimer
Commentaires
Et le rapport du rapport de nos envoyés spéciaux en Californie est:
http://www.lesoir.be/actualite/belgique/mission-parlementaire-en-2009-05-20-707521.shtml
Écrit par : L'Enfoiré | 20/05/2009
Les commentaires sont fermés.